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Full text of "memoires et Dissertations sur les Antiquities nationales et etrangeres.TOME QUATRIEME"

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MÉMOIRES 


DE  LA 


SOCIETE  ROYALE 


DBS 


ANTIQUAIRES  DE  FRANCE. 


DE  L'IMPRIBIBRIE  DE  J.  SMITH. 


j 


MÉMOIRES 


ET 


DISSERTATIONS 


SUR   LES 


ANTIQUITÉS  NATIONALES 

ET  ÉTRANGÈRES, 


PUBLIAS 


f        » 


PAR  LA  SOCIETE  ROYALE  DES  ANTIQUAIRES 

DE  FRANCE. 


TOME  QUATRIEME.  /C>t  .^^ 


A  PARIS , 

Chez  J.  Smith ^  Imprimeu]>-Lîbraire,  rue  Montmorency^  n*^  16  *, 
Ai7  BiTBEAiT  de  l'AImanach  du  Commerce,  rue  J.-J.,  Rousseau^  20. 

H.  DGGC.  XXIII. 


V 


nu,.j." 

Pl.i-r 

QuttéB 

ou  Tombes    Romaines  ou  Celli<jueB, 
voies  ou  diaussées.Bomaineft. 

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Ecbclledee  Buttes. 
',■     f    3,    t. 

_,        S^Xilr^ 

\. 

MÉMOIRES 


DB  LA 


SOCIÉTÉ    ROYALE 


DBS 


ANTIQUAIRES  DE  FRANCE. 

^   .     .    ... 

\ 


NOTICE 

Sur  Içs  MoDumens  celtiques  ou  romains  du  département  de 
l'Aisne;  par  M.  L.  F.  Lehaist&b^  ancien  inspecteur  général 
des  poudres  et  salpêtres. 

LiBs  monutnens  anciens,  objet  de  cette  Notice , 
sont  de  quatre  sortes;  les  mottes  ou  tombes  dites 
romaines  y  les  voies  ou  chemins  dits  aussi  chaussées 
Brunehault ,  les  camps  ou  postes  militaires ,  et  les 
piédailles  ou  monnaies. 

BUTTES,  MOTTES  ou  TOMBES. 

« 

On  trouve  sur  beaucoup  de  points  de  notre  dé- 
partement de  petites  éminences ,  placées  sur  les 
parties  les  plus  élevées  de  nos  montagnes,  rare- 

IV,  1 


2  ItKÏOÏEXS   BX  XA  êHOàrt  ROYALE 

ment  dans  les  plaines  ;  toutes  d'une  tonne  conique 
régulière  de  1 2  à  1 5  mètres  (  36  à  45  pieds  )  de 
hauteur  j  et  qui  paraissent  bien  avoir  été  formées 
de  main  d'homme  (  figures  1  et  2^  planche  I). 

On  b'esl  pbinl  d'accord  sxxr  Toriginef  de  ces  buttes. 
Les  uns  les  regardent  comme  des  mônumens  cel- 
tiques ou  gaulois;  d'autres^  et  c'est  le  plus  grand 
nombre^  j  voient  Tœuvre  des  Romains  dont  il  nou& 
reste  encore  tant  d'autres  ouvrages.  Indiquons  d'à* 
bord  toutes  les  buttes  que  nous  connaissons  dans  le 
département.  Je  reviendrai  ensuite  sur  les  diverses 
opinions  aus^quelles  elles  oat  donné  lieu. 

Laniscourt.  *-  On  voit  une  de  ces  buttes  sur  le 
sommet  dé  la  montagne  qui  domine  Laniscourt  >  à 
une  lieue  ouest  de  Laon. 

Crépjc^ — 1^6  mojalin  à  vent  de  la  montagne  qui  sé- 
pare Grépy  de  Fourdrain>  est  placé  sur  la  basie  d'iine 
hutte  que  Ton  a  fort  abaissée,  il  j b  vingt-ciaq àns^ 
pour  j  asseoir  ce  moulin  ;  on  l'appelait  la  Tombelle. 

Sincems  et  'Rouj.  •*-  On  en  trouve  uâe  wr  la 
montagne  >  entre  Rouj  et  Sincenis. 

VoueL  —  Un?e  autre  à  Vouel ,  à  droite  et  à  peu  de 
distance  de  la  route  de  Lafère  à  Ghaunj,  dans  une 
plaine  basse.  Celle-ci^  qui  diffère  de  toutes  <3elles 
que  je  connais  par  sa  forme  et  sa  hauteur,  mérite 
une  description  particulK^e.  Elle  est  piiîlbrme ,  je 
veux  dire  que  sa  base  présente  la  section  d'une  poire 
longue  coupée  suivant  son  axe.  On  voit  facilement 
d'après  cela  la  forme  qu'a  du  prendre  une  butte  de 
terre  élevée  sur  une  telle  base.  Je  les  ai  représen- 


MS  kUmiiVhtRU  SB  nANGX.   '  5 

J 

lées  par  les  figures  3  et  4  ^  piancke  /.  Le  grand 
diamètre  de  cette  èutiè ,  dirigé  du  levant  au  cou- 
chant ^  est  de  ii5  mètres  (35o  pieds);  et  le  petit  de 
63  mètres  (190  pieds)  environ.  Sa  bautenr  actuelle 
est  donc  de  35  mètres  (100  pieds);  en  y  compre* 
nant  la  base  ou  espèce  de  socle  sur  laquelle  elle 
est  assise.  Cette  butte ,  très- bien  cultivée  depuis 
long- temps  sans  doute,  et  plantée  de  pommiers 
jusqu'à  son  sommet ,  a  dû  s^abàisser  beaucoup  pair 
Teffèt  même  de  cette  culture  ;  et  les  habitans  en 
trouvent  la  preuve  dans  le  rapport  des  anciens  du 
village^  qui  découvraient  jadis  de  son  sommet  Téglise 
de  Saint-Quèhtin  qu'on  n'aperçoit  plus  aujourd'hui. 

Il  ne  paraît  pas  que  cette  butte  ait  été  fouillée} 
du  moins  les  vieillards  ne^e  souviennent  pas  d'y  avoir 
V!}  travailler.  On  croit  daus  le  pays  que  les  terres 
employées  àisa  formation  ont  été  prises  à  1200  mètfes 
environ  de  distance  dans  un  bois,  dit  le  bois  Fjibhi^, 
parce  que  l'on  y  voit  une  excavation  considérable  \ 
mais  cela  ne  parait  gâèrè  vrais^^oiblable ,  et  le  grand 
abaissement  de  terrain  environnant  la  butte ,  surtout 
au  sud>  porte  à  croire  qne  c'est  là  que  les  terres  auront 
été  .prises. 

Montécourt.—fi  y  a  aussi  une  butté  kiïontétàutt 
i(m  porte  le  nom  de  Motte ,  et  passe  dans  tîelte  corn* 
mune  poùi  \è  tombeau  d'un  général  espagnol. 

Clâtres.  —  fïfne  autre  à  Gfâtres.  Cette  dernière, 
aj^elée  la  Moite  Fremoy,  se  trouve  dans  le  jardin 
d'une  *aî^on  îdu  lieu.  On  1  y  Vè^arde  comme  là  isé- 
pûiture  d'tfn  ^âoîéïfal  romain. 


1* 


4  tfiMOinXfi  D2  lA  BOClili  ROYALE 

PontrU. '^^  Attily  et  Étreilly.  —  On  voit  encore 
une  de  ces  buttes  à  Pontru ,  à  2  lieues  nord-ouest  de 
Saint-Quentin  ^  et  une  autre  placée  sur  le  plateau , 
entre  Etreilly  et  Àttil j ,  à  2  lieues  ouest  de  ladite 
ville.  Ces  buttes  portent  aussi  dans  ce  canton  le  nom 
de  Motte  ou  Tombe.  Celle  d'Ëtreilly  a  son  sommet 
garni  de  quelques  arbrei^. 

Mouy.  —  Il  y  a^  à  Mouj  sur  l'Oise,  une  butte  de 
i3  à  i4  mètres  (  4o  à  44  pieds)  de  hauteur.  Elle  est 
couverte  de  broussailles.  Cette  butte  (  c'est  le  nom 
qu'on  lui  donne  aussi  dans  le  pays  }  est  placée  sur, 
le  haut  et  le  bord  du  coteau  de  la  rive  droite  de 
rOise.  De  ce  point  on  enfile  la  vallée  supérieure  et 
inférieure. 

On  a  trouvé,  il  y  a  deux  ans  environ ,  sur  le  plateau 
même  de  la  butte ^  à  une  quarantaine  de  mètres  de  dis- 
tance, et  à  80  centimètres  {%  pieds  ?  )  de  profondeur, 
un  tombeau  de  pierre ,  recouvert  d'une  dalle  de  même 
nature  renfermant  un  squelette  qui  paraissait  bien 
conservé;  mais  au  toucher  tout  tomba  en  poussière, 
à  l'exception  dune  portion  du  crâne  et  des  genoux 
qui  avaient  conservé  quelque  solidité.  Il  ne  se  trou- 
va, ni  dans  ce  tombeau,  ni  dessus,  aucune  inscription, 
ni  médaille,  ni  autre  objet  qui  pût  éclairer  sur  sa 
date;  mais  on  ne  peut  rien  en  inférer  de  relatif  à  la 
butte  romaine  qui  en  est  aussi  rapprochée.  Je  doute 
que  les  ossemens  aient  pu  résister  à  16  ou  18  siècles> 
si  ce  tombeau  datait  de  l'invasion  des  Romains ,  qui 
n'ont  d'aiSeurs  cessé  de  brûler  les  corps  et  qui  n'ont 
adopté  l'usage  des  tombeaux  que  lors  du  bas-empire. 


DES  ANTIQUAIRES  DB  FRANCS.  5 

Ce  tombeau  n'est  pas  le  seul  qu'on  ait  découvert  sur 
ce  plateau.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années  qu'on  en  dé- 
couvrit encore  d'autres  à  peu  de  distance  de  là.  Des 
restes  de  constructions,  qui  y  furent  aussi  découverts 
il  y  a  deux  ans,  feraient  croire  à  l'existence  ancienne 
d'unmonastère  ou  d'une  église,  ou  d'une  maladrerie. 
Les  corps  avaient  les  bras  croisés  sur  la  poitrine. 

Ariane.  —  Chaillevois.  —  Pénancourt.  —  On 
m'a  assuré  qu'il  y  avait  aussi  une  ^li/^eprèsd'Àrtane, 
à  gauche  de  la  route  de  Soissons  à  Château-Thierry; 
une  à  Ghaillevois,  à  une  lieue  et  demie  sud  de 
Laon,  et  une  autre  près  de  Pénancourt,  canton  d'A* 
nisy-le-Château. 

La  Tombelle.  —Il  est  fort  à  présumer  que  l'ha- 
bitation appelée  la  Tombelle^  à  une  lieue  sud  de 
Marie,  doit  son  nom  à  une  de  ces  buttes  qui  aura  été 
détraite  ;  je  ne  sache  pas  du  moins  qu'il  en  existe 
une  aujourdthui  sur  ce  point. 

n  est  très-possible,  et  il  est  même  vraisemblable 
qu'il  y  a  encore  d'autres  buttes  antiques  dans  le  dé- 
partement, mais  je  n'en  ai  point  connaissance. 

Ces  buttes,  évidemment  de  main  d'homme,  sont, 
généralenïent  regardées  .comme  les  tombeaux  de 
chefs  militaires ,  ou  d'autres  personnages  de  marque 
chez  les  Romains.  D'autres,  en  plus  petit  nombre , 
les  regardent  comme  des  moyens  de  signaux  emr 
ployés  par  leurs  armées.  La  première  opinion  a 
pour  elle  les  noms  de  tombe,  tombelle  doanés  à 
ces  buttes  de  temps  immémorial ,  et  un  grand  nombre 
de  partisans.  La  seconde  est  appuyée  suf  la  position 


6  MEMOIBES   DE  LÀ  SOGlili  ROYALE 

de  ces.  mooticqles  presque  tous  placés^  dii  moins 
dans  notre  départçmeât ,  sur  les  poin.ts  Içs  pl,us 
élèves. 

L'opiùioD  cepeodant^  quelque  geoérale^qu'elle  soit, 
peut^  ce  me  semble ,  en  imposer  sur  des  faits  an- 
ciens. Elle  peut  être  y  quelquefois  du  mpio^  >  une 
tradition  incertaine.  Si  ces  biUf^s  sont  des  tombeau^^, 
elles  devraient  renfermer,  ou  des  urnes  cinéraires , 
si  elles  datent  du  haut -empire^  ou  des  sépulcres, 
3i  eUes  sont  du  bas-empire  ;  et,  dans  les  deuxt^as,  il 
senible  qu'on  devrait  y  trouver  des  lacrvmatoires  y 
d'autres  vases  mortuaires,  des  nïonnaies  oun^édailles^ 
et  des  armes  que  les  anciens  avaient  Tusâge  de  dé- 
poser dans  les  tomhes>  surtout  dans  cqlles  des  per- 
sonnages marquans.  Cependant  il  ne  parait  pas  qu'il 
ait  été  rien  trouvé  de  ce  genre  dans  la  butte  de  La- 
nicourt  que  fit  fouiller  jadis  le  chevaUer  c^e  Boui9Ler3, 
ni  dans  celle  de  Grépj  lorsqu'on  la  détruisit  pour  y 
placer  le  moulin,  ni  dans  céUe  de  MontécouttoùTon 
a  établi  une  cave. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  l'opinion  de  quelques  aq- 
.  teiffs  qui  ont  écrit  sur  les  afntiquités ,  que  ces  buttes 
sont]  des  monumens^  mortuaires  élevés  par  les  Rq- 
mains  sur  le  corps  de  leurs  généraux. 

Les  auteurs  de  hi.  Description;  topo  graphique  et 
statistique  de  la  France  assurent  que  quelques^-unes 
de  nos  buttes  fouillées  se  sont  trouvées  contenir 
des>  armures  et  des  ossemens.  Il  me  semble,  commue 
je  l'ai  déjà  dit,  que  la  conservation  de  ces  osisemeos 
^éfidant^uii  si  grand  nombre  de  sieclas  o^bsI  pas 


DES  ANTIQPÀIRX8  DS  FHAJNCi:.  J 

présumable^  d'après  surtout  ropiuion  que  paraissent 
adopter  ces  mêmes  auteurs^  que  ces  monticules  pour- 
raient bien'  être  les  tombeaux  de  généraux  gaulois , 
ce  qui  en  reculerait  peut-être  encore  l'origine . 

M.  Laurent  de  T Yonne,  ancien  ingénieur  en  chef 
du  canal  de  Picardie,  m'a  dit  qu'un  savant  bénédic* 
tin  dont  il  ne  se  rappelle  pas  le  nom  (  c'est  peut^ 
être  dom  Lelong),  et  qui  faisait,  il  y  a  cinquaate 
ans.,  des  recherches  sur  les  buttes  ou  tombes  d^  notre 
pays,  lui  avait  donné  à  cet  égard  des  détails  quiprou* 
veraient  qu'il  les  regardait  aussi  comme  des  nionu- 
mens  mortuaires  élevés  par  les  armées  romaines* 

Il  paraîtrait  que  le  transport  des  terres  pour  for- 
mer ces  tombes  se  faisait  à  bras ,  et  dans  les  calques 
des  soldats.  On  plaçait  ceux-ci  sur  quatre,  six,  douze 
rangs  et  plus ,  depuis  le  lieu  marqué  pour  la  butte, 
jusqu'à  celui  où  la  terre  devait  être  prise.  Les  çasn 
ques  remplis  de  terre  se  passaient  de  mains  en  mains, 
et  les  cheifs  de  file  qui  les  recevaient  les  versaient  sur 
le  corps  du  général  en  disant  ;  SU  tibi  terra  i^m.  Ce 
vœurdu  soldat  pour  soxi  général  était  san$  doute  le 
SQphait  religieux  du  .bonheur  de  la  vie  futurç* 

La  butte  àe\ovie\,  d'après  ses  dimensions,  serait 
la  tombe  du  chef  d'une  nombrevse  armée,  s'il  e^t 
yyctà,  comme  ouïe  prétend,  que  chaque  soldat  j.etait 
sur  le^cQtps  un  nonibre  déterminé  de  casquées  de 
tcïre. 


8  MÉMOIRES  0£  LA  aOCI^TÉ  KOtklM 

CAMPS. 

Camp  du  Vieux-Laon  ou  de  César.  -^  Les  auteurs 
qui  ont  traité  des  autiquités  de  notre  pays,  parlent 
d'un  camp  romain  à  trois  lieues  sud-est  deLaon^ 
entre  les  villages  de  Saint-Thonias  et  deSaint-Erme. 
Il  est  indiqué  sur  la  carte  de  Cassini  sous  le  nom  de 
Camp  de  Vielaon,  Dom  Lelong  en  a  dit  quelque 
.  chose  dans  son  Histoire  des  diocèses  de  Laon,  etc., 
où  il  expose  son  opinion  sut*  ce  poste  militaire  qu'il 
*  croit  bien  avoir  été  occupé  par  F  armée  de  César. 

Ce  camp  a  attiré  l'attention  de  M.  le  comte  àt 
Cajlus  qui  en  a  parlé  dans  ses  Recherches  d^antiqui^ 
tés,  et  en  a  donné  un  plan. 

.  Les  auteurs  de  la  Description  topographiqiie  et 
statistique  de  la  Finance  qui  parlent  aussi  de  ce  camp, 
et  d'après  M.  de  Cajlus ,  ne  font  point  de  doute 
qu'il  ne  soit  des  Romains,  et  assurent  qu'on  y  a  trouvé 
plusieurs  médailles  romaines. 

M.  Devismes,  avocat  à  Laon,  qui  travaille  à  une 
histoire  du  pays  attendue  du  public  avec  impatience, 
a  écrit  sur  ce  cainp  un  Mémoire  fort  intéressant  (i). 
Diaprés  l'érudition  connue  de  l'auteur ,  il  serait  dé- 
placé de  ma  part  de  parler  encore  de  ce  camp;  je 
'  ne  me  permetterai  donc  que  quelques  réflexions  sur 
la  partie  descriptive  de  cet  ouvrage  que  j'ai  examiné 
avec  attention. 

Çkt  x^amp  porte  dans  le  pays  le  nom  de  Camp  de 

(i)  Inséré  dans  le  tome  II  des  Mémoires  de  la  Société  royale 
dés  antiquaires  de  France^  pag.  4o3. 


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DES  ÀNTIQ   AIRES  1)S  yfik^Œ.'  Q 

César,  des  Romains  ou  du'F'iéux-Laon.  Il  occupe 
tpcft  le  plateau  du  cap  de  montagne  qui  oQinine 
Saint-Thomas^  au  nord  de  ce  village.  "^ 

Le  périmètre  du  camp  A,  B,  C,  D,  E,  F,  G,  H,  I, 
K,  L,  M,  N,  A  (planche  II)  présente  un  polygone 
de  treize  côtés  dont  plusieurs  angles  rentrans ,  et 
dont  la  surface  totale  est  de  SogS  ares(  61  arpens 
laonois).  Son  irrégularité  parait  avoir  été  déterminée 
par  celle  même  du  contour  de  la  montagne  sur  la- 
quelle est  assis  le  camp.  On  aura  sans  doute  voulu, 
pour  toute  la  partie  qui  n'est  point  fortifiée  réguliè- 
rement^ profiter,  ensuivant  ce  contour,  de  l'escar- 
pement de  la  montagne  en  abandonnant  pourtant 
ses  sinuosités,  lorsqu'elles  eussent  exigé,  sans  grands 
avantages,  beaucoup  de  travaux  par  leur  dévelop- 
pement, ainsi  qu'on  l'aura  fait  pour  les  éperons  ou 
pointes  vis-à-vis  les  angles  H,  I,  K,  N.  Quelques- 
uns  cependant  ont  cru  que  ces  avancées  de  la  mon- 
tagne étaient  de  vrais  bastions,  faisant  partie  des 
ouvrages  défensifs  du  camp.  Mais  cette  opinion  ne 
peut  se  soutenir ,  d'abord  parce  que  les  Romains  ne 
connaissaient  pas  les  bastions;  que,  dans  le  cas  même 
où  ils  les  eussent  employés,  les  bastions,  tours  et  au- 
tres ouvrages  de  ce  genre  étant  aussi  destinés  à  la 
défense  des  courtines  intermédiaires,  ils  ne  les  au- 
raient point  placés  à  des  distances  de  S  et  600  mètres. 
La  ligne  de  défense  eût  été  supérieure  à  la  portée 
même  des  plus  fortes  catapultes  et  balistes  qui ,  au 
rapport  de  Végèce ,  ne  lançaient  point  les  traits  et 
pierres  à  plus  de  cinq  cîîénts  pas,  si  toutefois  encore 


A 


/ 


10  liiHOIRES  DB  LA  $aqiTB  ROYALE 

les  Romaips  se  servaieot ,  pour  la  défense  de  leurs 
çamps>  de  ces,machme$  qui  n'étaientguère  emplojéea 
que  pour  les  batailles  et  lattaque  des  places.  RoUiii 
dit  que  Scîpic»  ne  mil  pas  plus  de  cent  pieds  de  dis* 
^nce  entre  les  tours  dont  il  flanqua  l'enceinte  desoq 
camp  devant  Numance.  On  n'eût  donc  pu  défendre 
aisément  ni  ces  bastioDs  i  ni  même  les  courtines. 
Pourquoi  d'ailleurs  aurait-on  fait  de$  bastions  aussi 
irréguliers  ?  L'inspectian  seule  des^lieux  prouve,  au 
reste ,  que  ces  aya,ncées  sent  Touvrage  de  la  nature, 
et  non  de  Tart. 

L'irrégularité  de  ce  ça,mp  n'a  rien  qui  doive  nou.s^ 
étonner.  Végèce,  comme  le  dit  lui-même  M*  Dé- 
viâmes dans  son  Mémoire ,  assiure  que  l'usage  ei  les 
règles  de  la  cas  tram  étation  chez  les  Romains  ne  Ie$ 
astreignaient  à  aucune  forme  particulière.  Les  cir^ 
constances  locales  leur  faisaient  px^esque  tauîours  la 
loi  y  conime  il  le  paraît  bien  par  le  camp  dont  il  est 
question. 

D'autres  fajiçtoriens  prétendent  cependant  que  les 
camps-  romains  étaient  de  forme  carrée  ;  c'est  d'uju 
camp  de  cette  forme,  qxie  Rollin  donne,  diaprés 
Poljbe,  une  4^sçriplion  détaillée.  (T.  II,  %^  partie.  ). 

La  portion  de  l'enceinte  G ,  Ë,  H,  K ,  L>  !ip7  na 
se  distingue  que  par  un.  petit  escarpement ,  dont  ûbi 
voit,  %.  h  y  planche  11  y  le  profil  en  a,  qjui  a  généra- 
lemj^nt  moins  de  45  d^és  d'inclinaison  i  sur  une; 
.  hanteji^r  de  a  t  i  3  m^ètres  (  8  à  9  pieds  ) ,  et  au-des-r 
sous*  Il  règnes  partout  où  le9  lignes  du  camp  lie  reinr 
contiçept  poîint  la  pente  delà  moatagne^  qjiia»  comme 


j 


DIL^  AJ^ITIQUAIRES  Df  FRANCE.  1  l 

le»  fi^iIVi  h^qfes  m^nUa^es  du  l49Jonois,  loo  mèlres 
de  ha^le^r.  La  nature  le  défendait  assez  dans  cette 
partie»  Les  RoaiaiDs>  d'aiUeurs ,  ne  devaient  point 
avoijr  à  prendre  de  grandes  mesures  défensives  de  ce 
cdté  cçoQtre  le;  paysdoi^t  ib  avaient  fait  la  conque  te, 
<jpie  tes  empereurs  avaient  encore  d'autres  moyens 
que  des  camps ,  de  tenir  sous  leur  obéissance  j  et  ce 
devait  être  le  cas  des  plaijçies  de  Champagne  que 
doQiine  le  camp,  de  Saintr^homas.  Il  n'en  était  pas 
de  vaêi^e  du  côté  du  nord  ^  contre  les  peuples  qu'ils 
cherchaient  à  soumettre  ,  et  dont  ils  avaient  à 
craindre  ks  incursions ,  comme  les  Belges  le  leur 
avaient  prouvé. 

Aunord^  le  terre*plein  de  la  montagne  obligeait  à 
plus  de  travaux  pour  la  défense  >  et  c'est  ce  qui  a 
daigné  lieu  aux  ouvrages  qui  forment  le  front  du 
camp  sur  une  longueur  de  700  niètres. 

On  ne  peut  parcourir  ces  ot:ivrages  sans  admirer 
l'art  et  la  patience  de  ces  conquérans  ,  qui  savaient 
yaincre  les  difficultés  ,  et  trionàpher  des  obstacles 
qjoè  la  nature  lefur  opposait  ;  on  ne  peut  les  exami- 
jfé^v  sai^s  s'étonner  que  i5  à.  18  siècles ,  malgré  la  so- 
lidité de  ses  travaux  y  les  aient  tellement  respectés  ^ 
^^e  tous  leurs  reliefs  >  leurs  formes  çt  leurs  lignes 
spnt  eiic^re  aujourd'hui  aussi  visibles  que  s'ils  da* 
ts^nt  i^ulçin^t  djB  deu^  siècles. 

Çe^  -ouvragçs  ne  doivent-ils  pas  nous  ;:endre  mo- 
4f9st^  si}r  Fét^t  acfi^el  de  nos  moyens ,  si  nous  con* 
.9idéiK>ps  qup  Ifi  lw^\f£c^^à^  est  encpiie 

M^l^'h^i»  à  peu|  de  chose  près^  tellement  la 


1  â  MiMOIEES  DB  LA  80CIÉTX  ROYALE 

même  y  qu'on  douterait  presque  si  le  camp  de  Gésa^ 
ne  serait  pas  un  camp  de  Louis  XIV  !  Qu'on  en  juge 
par  les  profils  {planche  II).  Le  fait  est  qu'ici^  comme 
dans  d'autres  arts,  les  anciens  ont  été  nos  maîtres» 
et  que  nous  ne  les  avons  pas  toujours  laissés  fort  loin 
derrière  nous,  malgré  les  nombreux  siècles  qui  nous 
séparent  d'eux. 

Le  front  A,  C  {planche  II)  n'est  point ,  coiÉnme 
on  pourrait  le  croire ,  une  ligne  droite  ;  il  fait  un 
angle  saillant  au  point  B.  On  ne  voit  pas  la  raison 
de  cet  angle  obtus  ;  mais  ce  qui  a  lieu  d'étonner  , 
c'est  que  les  ouvrages  qui  composent  A  fond ,  ne 
sont  point  uniformes  dans,  toute  sa  longueur  ;  la  pe- 
tite face  B,  A  présente  nn  simple  fossé  entre  un 
parapet  et  un  glacis  (  fig.  2  ).  La  grande  face  B,  G 
a  quelque  chose  de  jjus ,  c'est  un  véritable  chemin 
couvert  et  une  befme  dans  l'escarpe  qui  paraissait 
avoir  échappé  à  ceux  qui ,  jusqu'alors ,  ont  décrit  ce 
camp  {planche  II,  figi  1  ).  • 

Les  ouvrages  ne  sont  pas  conservés  dans  l'intégrité 
que  supposent  les  profils  (  fig.  1  et  2) ,  non  seule- 
ment la  crête  des  parapets  >  et  tous  les  angles  sont 
émoussés  et  arrondis  par  le  temps,  comme  l'indiquent 
les  fig.  3  et  4  î  on  y  voit  aussi  beaucoup  de  brèchèset 
de  dégradations  quisont  moins  l'œuvre  du  temps  que 
le  résultat  des  entreprises  des  habitans  du  pays  et  des 
cultivateurs  qui  exploitent  l'intérieur  et  l'extérieur 
du  camp.  Mais  rien  de  plus  facile  que  d'y  retrouver 
les  formes  que  je  présente  ici  et  les  dimensions  qui 
n'ont  pas  du  changer  b<eaucoup,si  l'on  considère 


DES  ANTIQUAIRSS  DB  FRANC£«  i3 

(el  c'est  un  sujet  d'admii^ation  pour  la  persévérance 
qu'il  a  fallu  pour  creuser  les  fossés,  façonner  et  éle- 
ver ces  parapets  dans  un  tel  sol  )  ;  si  Ton  considère , 
dis-je  i  que  les  premières  couches  qui  composent  la 
mcmtagne  ne  sont  que  des  pierrjailles  presque  pures, et 
que  c'est  dans  c^^  mêmes  couches ^  et  d'elles  seules, 
que  son  t  construitsces  ouvrages*  C'est  aussi  sans  doute 
à  la  nature  de  ces  matériaux,  aujourd'hui  recou- 
verts de  gazons ,  que  nous  devons  la  belle  conserva- 
tioii^de  ce  monument  dans  notre  climat  dont  il  semble 
encore  devoir  braver  les  intempéries  pendant  autant 
de  siècles  quf'il  en  a  déjà  vu  s^écouler.  Les  fîg.  3  et 
k  représentent  les  ouvrages  tels  qu'ils  existent  au- 
jourd'hui, avec  les  effets  du  temps. 

Le  fossé  a  dû  avoir  dans  l'origine  une  dizaine  de 
mètres  (  3o  pieds  )  de. largeur.  Il  en  a  encore  à  peu 
près  huit  aujourd'hui,  sur  3  mètres  5o  cent,  de  pro- 
fondeur. Le  rempart,  qui,  dans  les  parties  les  mieux 
conservées ,  a  encore  8  à  9  mètres  de  hauteur  du 
côté  du  fossé ,  en  a  peut-être  eu  9  ou  lO.  Il  domine 
le  terre-plein  du  camp  de  5  mètres  environ.  La 
banquette  C  (  %•  1  ) ,  formée  dans  la  contrescarpe 
a  encore  un  mètre  de  large.  Ne  serait-ce  pas  un  vé- 
ritable chemin  couvert?  Sa  petite  dimension  pouvait 
safiire  à  une  époque  où  l'artillerie  n'était  point  con- 
nue ;  et  si  le  combattant  n'y  serait  pas  couvert  aujour- 
d'hui par  la  crête  du  glacis  G,D,on  doit  bien  penser 
que  cette  crête  a  dû  baîpser  et  s'abaisse  encore  par 
le  soc  de  la  charrue ,  qui ,  tous  les  jours,  pousse  ses 
envahissemens ,  jusqu'au  bord  du  fossé  qu'il  détruira 


X 


l4  MÉttOlR^S  '  DS'  £A  SOCIÉTÉ'  àOYéU 

successivement,  sif  oa  n*y  met  obstacle.  IWafiA  traite; 
d'après  ces  (entreprises  de  la  charhiè,  que  le  glâe^ 
avait  une  pente  assez  grande ,  pûisqu^éllè  ésl  ènedré 
aussi  sensible  àujourd'liui. 

Les  Hômains  -ddnnant  peu  de  talud  à  leurs  rém^ 
parts,  c'est  vt^aisémblàblerbént; comme  notts  lèlav» 
sons  aujourd'hui,  pour  eti  soutenir  les  remblais  qà'ife 
auront  formé  la  berme  ô ,  malgré  leur  solidité  ;  elle 
aura  peut-être  servi  aussi  à  faciliter  Télévaïiôn  deS 
déblais  du  fossé  pour  la  formation  dil  rempart? 

Cette  berme  qui  n'existe  pas  dans  d*autres  cainps , 
même  dans  lès  autres  parties  du  camp  doi^t  il  est 
ici  question ,  était  -  elle  aussi  destinrée  à  recevoir  un 
rang  de  combattans  !  Elle  a  pu  être  garnie  de  palis^ 
sades ,  dont  Vitruve  nous  apprend  que  les  Romains 
faisaient  grand  usage  dans  leurs  fortifications  de  cam« 
pagne.  J'observerai,  en  {Passant,  qu'ils  laissaient  aux 
bois  dont  ils  $e  servaient,  une  partie  de  leUts 
branches  qu'ils  clayonnaiettt  de  •  manière  à  rendre 
leurs  palissades  peut-être  plus  solides  que  les  nôtres. 

La  crête  du  parapet  n'a  guère  aujourd'hui  plus 
d'un  mètre  65  cent.  (5  pieds)  de  large,  et  ne  semble 
pas  en  avoir  eu  plus  de  a  à  355  (ôà  7  pieds).  Cestpeû 
pour  une  plàte-forme  qui  devait  peut-être  servir  à 
la  défense  du  camp ,  et  pour  y  mancéwTéi^  àvèe  dès 
machines  qui  exigeaient  bien  àùtàiit  d'éspa^  ^ë 
notre  artillerie. 

tJn  premier  examen  dè^hettè  J)âfrtîe  du  camp  iiè 
m'avait  pas  doîhné  à  remarquer  de  banquettes^  daiiis 
le  talud  intérieur  des  remparts  ;  mais  dans  uri  nou- 


J>tè  ANTIQUàlRSé  ËB  FRANGE.,  l5 

veâu  vojasg^Jfaitàce  eatnpyetenj^ôrUuit  une  atten^ 
tion  plus  particùlièi^  au  talud  intérieur  du  rempart 
G,JL,  B,  A  de  la  planche  II,  je  découvris  les  traces 
d'une  Banquette  assez  dislin<^tement  pour  affirmer 
iju^elle  existe. -ESe  ne  m'avait  échappé  d'abord  que 
parce  qu'établie  dans  le  talud  du  rempart  exposé  à 
toi£tes  les  intempéries  dâ  strd  et  di^d-ouest ,  éUe 
s*eÈÎ  tàiolû»  bien  conservée  que  les  autres  parties  des 
outrages ,  surtout  dans  le  rempart  B^  A^  bù  elle  n'est 
même  plus  visible. 

Cette  tàiiquètte(e),qui  h'a  peut-être  eu  que  deux 
mètres  dans  Foriginè,  n'a  plus  guère  qn^un  mètre 
cinquante  centimètres  aujourd'hui.  Elle  né  pouvait 
vrài^mblablement  pas  recevoir  les  machines  de 
guerre  du  temps ,  mais  bien  les  combattans.  Elle  a 
été  établie  à  la  hauteur  ordinaire  A^'en-fouèy  eu  égard 
k  la  crête  dû  parapet  q\ïî,  coriame  je  l'ai  dit,  ne  pré- 
sente âucufie  apparence  de  ploilgéë. 

La  teêohe  T,  qui  atira  servi  à  conifeîer  le  fossé, 
est-elle  moderne,  ou  bien  eàt-iee  unfe  ancienne  en- 
*ée  du  Cdimp?..r.  Elle  serf  aujourd'hui  pour  Fex- 
ploitation  aigricole  de  l'intérieur. 

Il  me  teste  à  parler  èe  Is  %ne  d'tmvrages  P,  Q,  R. 
Eltb  éivise  le  camp  eit  detit  parlas  (  a,  b)  dont  h, 
première  est  d'une  étendue  de  a5oo  a^es ,  quadruple 
de4a  seconde.  OeUte  lîgiie  a  vSà  îssdlkAt  coté  Q ,  d'un 
lâigle  moins  obtus  que  céïui  B.  £{à  forme. de  cet  où- 
"^Mgé  e^fi  enfièFétoent  ta  ïnèiae  que  celle  der  la  petite 
ftfccé  B^  A>  «'eis«-4-dtt*  «]^élte^^  ni  cheniîb:  ètoà- 
vé1^t  l  l^rme  dîaos  rèSfcârrpe.  Le  Fossé,  coûime  on 


Jk6  UÉUOIBBS  DE  LA  SOGIÉXE  KOTAIX 

le  voit  dans  le  plan^  est  vers  la  partie  (b  )  et  le  pa- 
rapet du  côté  de  la  parue  (a).  Ce  parapet  se  rattache 
sans  interruption  à  celui  ;ide  la  face  B,  6^  par  son 
extrémité  R;  mais  au  sud  le  retranchement  ne  s'ap- 
puie point  au  talud  M  de  l'enceinte;  il  existe  donc 
(aujourd'hui  du  moins)  de  P  à  M  une  interruption  ou 
passage  de  2i^Hubtres  (  6  pieds  )  de  large  par  lequel 
on  comniuniqtle  d'une  enceinte  à  l'autre.  On  trouve 
en  U  un  autre  passage  pratiqué  pour  le  même,  oi>- 
)et  que  celui  T ,  à  moins  qu'il  ne  soit  une  ancienne 
communication  du  grand  et  du  petit  camp. 

Je  crois  devoir  ici  relever  une  erreur  que  j'ai 
c<3marquée  dans  le  Mémoire  de  M.  Devismes^  erreur 
dans  laquelle  quelques  rapports  ou  dessins  iùqiiiacts 
auront  pu  l'induire. 

M.  Devismes^  en  parlant  de  la  petite  enceinte^  dit  ; 
«  Les  deux  côtés  qui  tiennent  au  te.rre-plein  de  la 
«  montagne  (  et  qui  ne  peuvent  être  que  ceux  R,  A, 
«  et  B  ^  P  )  sont  défendus  par  un  rempart  en  glacis 
(c  d'environ  i5  pieds,  un  fossé >  etc.  » 

Plus  loin,  en  parlant  de  l'enceinte  (a  )  :  «  Le  ter- 
ce  rain  est  défendu  par  z/tz  épaulement  qui,  semblable 
«  aux  deux  grands  remparts  de  la  précédente  en- 
cr  ceinte,  n'est  même  que  le  prolongement  de. Fun 
«  des  deux.  » 

n  dit  encore  :  «  La  position  était  si  bonne  qu'on 
<c  aura  jugé  à  propos  de  la  réoccuper  dans  un  a:utre 
«  temps,  avec  beaucoup  moins  de  monde;  c'est  alors 
«  qu'on  aura  tiré  la  ligne  (d^ouvrages)  qui  sépare  les 
«  deux]t^rrains,  afin  de  se  couvrir  du  côté  de  la  par^ 


«  fié  (â)  de  Tanciien  camp  qui  restait  vacante.  » 
Par  ces  passages  et  d'autreis  de  ce  genre,  il  est 
évident  qufe  M.  t)evisme*s  regarde  le  retranchement 
P,  Q,  R  comme  faisant  partie  dti  système  de  défense 
de  eè  ijtfil  appelle  \è petit  camp  (h);  mais  la  preuve 
irréfctisable  de  cette  erreur  résulté  de  Finspection  du 
terrain  et  de  là  disposition  des  ouvragies.  Le  fossé  est 
à  Test  du  coté  de  Tenceinte  (  b  ) ,  et  le  parapet  sur 
Tenceinte  (a).  Le  retranchement  P,  Q,B.  appar- 
tient donc  âFëncèinte  (a);  il  a  été  élevé  pour  sa  dé- 
ferise  et  non  pour  celle  du  petit  camp. 

Et  Idrsqùe  M.  Dèvismes  dit  que  le  retranchement 
R,  Q,  P  if  est  que  le  prolbngemeiit  de  Tun  dès  deux 
antrèil,  Fêst-à-dire  de  la  partie  Ç ,  R ,  son  assertion 
lie  J)teut  être  que  le  résultat  de  ce  qui  e:^i5te  en  effet, 
que  lëi^ ouvrages  G;  R  ei  R,  P  ont  tous  deux  les 
mêmes  dispositions  et  âont  conséquemment  tous  deux 

La  juSIe  rëpiitatîon  littéraire  dé  M.  Dèvismes  m*a 
semblé  rendre  nécessaire  la  réfutation  de  l'erreur 
dâiis  laquelle*  il  st  été  entraîné ,  parce  que ,  consignée 
dan)^  ébti  Mëinoire,  elle  doit  nécessairement  s'accré- 
dite*, et  qu'elle  importe  beaucoup  pour  les  raisdn- 
némens  qif  on  peut  faire  sur  la  distribution  et  l'objet 
de  ces  deux  camps  ou  de  ces^deux  parties  de  camp. 

Dîaprès  èe  qui  vient  d^être  dit,  s'il  m'était  permis 
de  me  Kvrër  à  une  digression  étrangère  pourtant  à . 
ndonimt,  je  proposerais  ici  quelques  suppositions.' 

la  l^nàièt'è ,  que  lès  deux  partiel  du  camp  ne  for* 
TÀiaéùi  drigiàairèment  qu'bne  seule  et  méiiie  en- 

ÏV.  2 


1 8  liEMOIRBS  D£  LA  ftOCIETjé  «KOYALK 

ceinte;  que  ce  camp,  devenu ' par  circonstwce  trop 
étendu  ;  aura  été  réduit  à  lenceinte  (a).  Mais,  dirait* 
en,  pourquoi  n'a^t-on  pas  âdors  détruit  la  partie  de 
retranchement  X»  A,  qui,  dans  cette  hypothèse, 
devenait  inutile?  Qui  sait,  peut -on  répondre,  si 
des  circonstances  inattendues ,  heureuses  ou  mal-- 
heureuses  n'ont  pas  mis  larmée  dans  le  cas  d'aban- 
donner cette  position  peu  de  temps  après  la  for- 
mation du  retranchement  P,  Q,  R,  et  avant  d'avoir 
pu  s'occuper  de  la  destruction  de  celui  X,  A? 

Ne  peut^on  pas  supposer  encore  que ,  par  le  moyen 
des  ouvrages  P,  Q,  R,  on  a  voulu  faire  de  l'en- 
ceinte (a)  un  arrière-catnp,  un  réduit ,  toute  spa- 
cieuse qu'elle  soit,  dans  le  cas  où  l'ennemi  aurait 
forcé  les  lignes  de  la  petite  enceinte?  Le  3jstème 
des  réduits,  pratiqué  aujourd'hui  avec  avantage, 
pouvait  déjà  être  connu  des  anciens. 

Enfin ,  je  lis  d^QS  le  Mémoire  de  M«  Devismes,  que, 
suivant  M.  le  comte  de  Caylus,  le  petit  camp  doit 
«voir  été  occupé  par  un  corps  d'étrangers  qui  était  au 
service  de  l'empire,  vers  la  fin  du  quatrième  siècle, 
et  précisément  dans  cette  partie  de  la  seconde  Bel- 
gicfue^  entre  Rbeims  et  Amiens.  Sans  revenir  sur  ce 
que  peut  avoir. de  faux,  d'après  ce  que  j'ai  exposé, 
le  système  d'un  petit  camp  qui,  au  lieu  d'être  fermé 
et  sûr,  aurait  eu  même  tontre  lui  le  retranchenaent 
P,  Q,  R,  ne  pourrait-on  pas  présumer  que  d'abord 
le  général  romain ,  peu  confiant  dans  la  fidélité  de 
ces  troupes  étrangères,  a  voulu  les  tenir  dans  l'en- 
ceinte (  b  )  commandée  par  cette  ligne  d'ouvrages 


0fiS  ANTIQUAIRES  ]>£  FRANCE.  I9 

P^  Q,  R>  camme  les  habitans  d'une  place  forte  sont 
contenus  par  la  citadelle  en  même  temps  qu'elle  sert 
de  réduit  à  la  garnison?  sms  doute»  dans  ce  cas,  les 
signes  de  défiapce  du  général  romain  auraient  été 
bien  appareng  aux  yeux  des  étrangers  et  peu  propres 
à  entretenir  avec  eux  la  bonne  intelligence  néces- 
saire dans  les  opérations  nûlitaires.  Mais  il  faut  peut-* 
être  reporter'  ce  camp  ou  sa  distribution  intérieure 
à  l'époque  où  la  puissance  de  l'empire  s'affaiblissait 
daos  les  provinces  belgiques  qui  fournissaient  peut- 
être  ces  troupes  étrangères.  Le  général  pouvait  avoir 
de  justes  motifs  de  se  défier  des  levées  faites  dans  des 
pajs  impatiens  du  joug  et  disposés  à  le  secoue/r.  Au 
surplQs>ce  sont  là  de  simples  conjectures  que  je  sou- 
mets aux  personnes  éclairées  qui  ont  étudié  ^t  suivi 
toutes  les  phases  de  la  pi^sance  romaine  dans  notre 
pays.  )  . 

Je  ne  dois  point  omettre  ici  la  petite  éminenee 
cotée  $  au  plan.  Elle  a  encore  plusieurs  mètres  d'é* 
lévation ,  sur  une  base  très-aplatie  de  3o  à  4o  mètret 
de  cliamètre.  Elle  doit  être  de  main  d'homme,  et 
avoir  eu  un  but  coordonné  à  la  distribution  du  camp, 
sans  quoi  on  Veut  détruite ,  comme  interrompant  son 
nivellement ,  et  pouvant  gêner  les  manœuvres. 

M.  Devismes  regarde  ce  tertre  comme  l'emplace- 
ment du  prétoire  ou  de  la^tente  du  général  dressée 
ordinairement  dans  l'endroit  le  plus  élevé  du  camp. 
Polybe ,  cependant,  place  le  prétoire  plus  au  centre. 
Or ,  le  tertre  S  est  tellement  près  de  l'enceipte ,-  que 
la  tente  du  général  n'y  eùt.point  été,  ce  me  semble, 

2* 


ianê  tme  poskûm  avantageioe  r  soif  pont  sa*  sArefé 
en  tM  d'attaqMf  cmitre  le  camp  ,  soit  pour  la  sm^ 
▼eflkmëè  et?  l'es  ordres  à  donner.  Cette  éminence , 
seras  diMie' forf  aJ^issée  aajotird'liai^  n'atirait-ette 
pas  serti  à^placer  des  macBines  d^  guerre ,  a«  pour 
des  signaux  ^  objet  qui  devait  être  essentiel!  dans  ua 
pays  nourellement  conquis  ? 

D'après  les  détaib  iinnineux  que  donne  M*  Dé-» 
vismes*  dans  son  Mémoire  sur  les  deux  espeees  de 
camps'  en*  usage  pour  les  armées  romaines  >  on  ne 
peut  douter ,  comme  il  le  pense  lui-même ,  que  ce*» 
Ini-ci  ne  soit  un  camp  fixé  ou  à  demetwe ,  siativOr. 
La  l^aui^em  actuelle  du  parapcft  qui  a  néanmoins 
perdu  par  l'effet  du  temps  ;  les  dimen^ons  du  fessé 
et'^les'berme  et  banquette  que  f ai  fait  remarquer 
dans  les  profils^  fig.  1  et  3,  prourent- astozr  que  ee 
n'était  pas  un  de  ces  camps  momentanés  appdés  , 
comme*  le'  rapporte^  M.  Derismes ,  sukita  t^mpùror 
Tiea,  et  désignés  aussi  par  les^  expressions  de  ppi^ 
mis  ûa^tris,  seeundis  eastm^  etc.  y  par  lesquelles 
les  auteurS'liatins  nombrent  les  j^^urs  de  marefae  de^ 
armées^  mais  bien  un  camp  qui  devait  durer. 

Un  peu  au-dessous  de  la  face  méridionale  K^  Lda 
camp,^on  trouve  une  source  assez  abondante  ap- 
pelée, dans  le  pafjrs  >  Fontaine  des  Romains. 

En  avant  du  camp  et  a  une  centaine*  de  mètres 
die  distance  ^pas^e  un  chemin  vicinal  qui 'conduit  de 
Fétieux  à  Outre  et  Saint-Erme.  Ce  chemin^  dans  les 
parties  f,  c,  d,  e,  a  tous  les  caractères  d\ine  chaussée 
romaine /mais  très^égradée,  et  défigurée.  Je*  l'ai 


Y    -^    5  -^  sï  y. 


//-"^^ 


*"t 


découv^rtie  «en  portaat  atteottoa  à  la  dîrectkm  âe  la 
voie  ramame,  qoî»  àVeslud ,  s'elère  sur  latinootagOie 
4e  Fétieiix  el  Tieot  abo^itirà  la  Fosse-Grisard^^  tm  la 
route.de  Hbeims  Ta  coupée  sous  un  angle  d'environ 
45  degrés.  Cette  voie,  devait  nécefiBàirecmeot  |e  |>pot 
longer  à  l'est  de  ladite  ronte  de  Rheims  ^  etj^oilMir 
blement  aous  le  même  anglie.  EUe  ^  disparu  aaiia 
doute  par  Vefiet  de»  défiidkemens  ;  maïs  c'ett  en 
suivant  cettf3  direotieo  /  <fue  j'û  retrouve  près  du 
camp  les  vestiges  dè^clMiussée  dont  je  viens  de  par* 
1er.  On  voit»  en  effets  par  ce  qui .  nous  reste,  de  cm 
voies^  qu'elles  cmiservai^nt  le  même,  aligneioent  s<nr 
de  tirès-|^andes  étendues.  ^  disposition:  des  .petites 
p}erm9|>li^tes  eaiinil^^/ées  dans  U.  ooni^pi^on  4e  cette 
€bAiissé|s>  j&t  que  ^'ai  remarquée  «  vls^vis/l^cago^f» 
le$TOSt$s  d'!00]f»ie)7r^fa^t^t  de  caiUcmtisJR^rt  solid^> 
«pi  se  voient. encore  dans  la  partie  G»  et  les  pierre$ 
^jQailJt(^U9.cé|ijindu^  dansies  terres  au  noi^d  du  cher 
tûia^^ir  imVà .  du  déiiicjbiemdpt  de  4a  voie ,  m'ont 
confirmé  dup^  m^n  opinion  ;  iiiaia'  il  ne.  semble  pas 
qiid.Q^te  voi^  aboutissfttt  aq;caaip  ;  il  parait  qu'elle 
pte3aijt400S  lé.  front  à  une  centaine  de  mèitre^  en-* 
virQud^  di£^^nci^>  et  dans  une  direction  qui  devait 
7  ^^Mlpea-  près.paraUèle  avec  un  petit  angle  en  d. 

•  Camp  de  Ybracand.  — *  Le  second  camp/^du  dé- 
partement y  regardé  comme  romain  j,  est  celui  de 
Vermând ,  à  3  lieues  ouest  de  Saînt-Ouentiui» 

^^lUielqif'ait  été.autreii|is  ce  lieu,  qyi  n'est  aufour-'^ 
t'ma  simple  vîllage>  ^e  n'entreprendrai  auomie 


discussion  sur  son  ancienneté  ûl  son  origibe  ;  \e  ne 
me  livrerai  à  aucune  de  ces  controverses ,  qui  ont 
produit  des  volumes  pour  prouva  lequel  de  Saint- 
Quentin  (  A$'a/nâ/t)6nVtf  des  Gaulois ,  dit-on  )  y  ou 
de  y^mand'y  a  été  la  plus  ancienne  capitale  du  pajs 
des*  yermandui  y  et  auquel  doit  conséquemment 
s'appkquer  la  dénomination  iiAugusta  f^ermonduo- 
rounr,  d'abord  parce  que' je  ne  suis  point  assessins^ 
truit  sur  Thistoire  ;  que^  malgré  ce  que  les  Giommen^ 
taires  de  César  et  l'Itinéraire  d'Àntonin  donn)ent  de 
positif  à  cet  égard ,  cette  question  me  semble  encore 
'  difficile  à  décider^  et  qu'enfin  toute  discussion  de  ce 
genre  m'écarterait  ;de  l'objet  de  cette  notice^qui  est 
de  ne  présenter  que  des  faits,  d'indiquer  seulefoient  les 
restes  des  monumf  ns  anciens  déjà  connus  de  notre 
département  et  ceux  qui  pourraient  être  ignorés. 
En  histoire  comme  ei\  phjrique^  trop  d'empwsse- 
ment  à  bâtir  des  systèmes  nuit  à' la  vérité.  On  s'ém-^ 
presse  de  conclure  de  quelques  faits  obsetae^^- de 
quelques  monumens  défigurés  ;.  on  les^  force  ^  se 
plier  9  son  système  ;  on  s'abuse  soi-même  /et/ l'er-* 
reur ,  entourée  de  tous  les  prestiges  sédilisaiis  de 
l'antiquité^  usurpa  souvent  les  droits  de  la  vérité. . 

VernMHûd ,  village  de  goo  âmes ,  est  le  ëhèf-^Iieu 
d'un  canton  de  l'arrondissement  de  Sain t-O^uen tin. 
n  est  placé  sur  une  jpetite  éminence,  dont  le  pied 
est  arrosé,  au  midi,  par  l'Aumignon,  petite  rivière 
qui ,  après  un  cours  marécageux  de  4  ^  ^  lieues 
Versl'ouett/se  jette  dans  la  Somme.  Ce  village  avait, 
avant  la  révolution ,  un  monastère-  de  Prémontrés' , 


I  , 

DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  25 

qu'on  ditj  avoir  été  fondé  dans  le  huitième  siècfe  (î). 

En  remontant  plus  haut^  Yermand  aurait  eu  une 
importance  plus  considérable ,  mais  aurait  été  dé- 
truit de  fond  eu -comblé  par  les  Vandales  vers  ^07 , 
et  par  les  Huns  en  4^i  ;  ce  qui  ferait  remonter  son 
existence  jusqu'à  l'époque  des  invasions  romaines , 
sans  prétendre  pour  cela  juger  le  grand  procès  en  sa 
faveur;  mais,  le  fait  sur  lequel,  je  pense  ,^  on  ne  doit 
élever  aucun  doute,  c'est  l'importance  de  Vermand 
dans'des  temps  postérieurs,si  l'on  considère  les  restes 
de  constructions  très^anciennes  qu'on  retrouve  'dans 
cette  commune  à  plus  ou  moins  de  profondeur,  le 
nombre  de  ihédailles  ou  monnaies  de  difTérens  âges 
qui  s'y  rencontrent  journellement  dans  les  fouilles  ou 
dans  la  tulture  des  jardins,  et  sur  lesquelles  je  revien- 
drai plus  tard;  enfin,  si  l'on  consulte  le  nom  même  de- 
Fermandy  celui  de  Champ  de  la  trésorerie^  conservé 
à  un  terrain  au  centre  du  villaffe,  etc.  Un  historien  de 
SainiPQuenïin  a  donc  eu  tort  d'avaacer,  page  6  de 
son  livre  (2),  qu'on  ne  trouve  à  Vermand  aucun  mo- 
nument ni  vestige  considérable  d'une  ancienne  ville. 
Les  chaussées  anciennes  qui  y  aboutissent ,  ou  y 
passent,  nonobstant  l'assertion  contraire  du  même 
auteur,  page  5i ,  sont  encore  d'un  grand  poids  en 
faveur  de  mon  opinion.  Au  reste,  quelles.  qti*aient  été 

(1)  Description  topographique  et  statistique  de  la  France , 
par  MM.  J.  Peuchet,  et  C.  G.  Chanlaire,  1808. 

(2)  La  défense  des  principales  prérogatives  de  ta  TÎllt  et  de 
''^glt|»iojaledeSalnt-Quentiii;  167  u 


â4  MEMOIRES  ^  LA  iOCXiti  R01f4L£ 

Fprigine  et  rimpop^taace  aqciei;i^ne  4^  ce  I^qu^  4  ^ 
aujourd'hui  duo  grand  iutérét  par  les  travaux  luuili-^ 
taires  qui  y  furent  exécutés^  et  qui  3*y  sont  si  bien 
conservés  jusqu'à  nos  jours. 

Je  ne  renverrai  points  pour  la  descriptipn  du  canûip 
deVermand^  à  celle  qu'en  opt  faite  Içs  auteurs  de 
\dL  D^cription  topographique  et  statistique  dç,  lq> 
France.  Elle  est  si  inexacte  qu'ils  ne  l'ont)  sa|n;stdout6> 
pas  visité  eux-ménies,  et  qi;i'ib  se^nbleat  s'ep  êtpe 
rapportés  à  un  voyageur  qui  n'aura  vu  Vermajnd 
qu'w  passant  sur  la  route  de  Péronne* 

Ce  qui  forme  le  camp  était;il  uo  simple  poste,  i^* 
litaire  destiné  au  campement  de  la  légiop  romaine 
chargée  de  couvrir  le  pay3  des  Veromandui^  comme 
semblent  l'indiquer  les  dénominations  do»  Castra  n- 
rimandis^  castrum  i^irmandensey  donnée  par  quelques 
auteurs  à  la'  position-  de  Vermand  ;  ou  bi^n  les  ou- 
vrages dont  je  vais  parler  éta.ient-ils,  non  pa%  une 
«impie  fortification  de  campagne,  mais  reiawçeinte 
fortifiée  et  stable  d'une  place  de  guerre  pormanente, 
d'une  ville  importante ,  çonune  sembfe  l'indiquer  la 
hauteur  des  remparts?  Je  laisse  cette  question  à^ér 
cider  à  de  plus  instruits  que  moi  sur  l'histoire  an- 
cienne du.Vermandois,  et  sur  le  système  milijaire 
adopté  par  les  Romains  pour  la  conquête  et  la  con^ 
servation  de  cette  province  de  leur  vaste  empire. 
Je  me  borne  à  décrire  le  monument  de  Vermand. 

L'enceinte  du  camp  est  une  eUipsea?§ez  régulière 
dont  le  grand  diamètre  est  d'envir^n^5,oo,JWèfrf5s>  et 
le  petit  de  55 o.  Il  paraît  ^yi^etif  q^'^te.Oâ«a|«w<^ 


-j 


m  aMQtîcnW  dont  00  aura  ^(Hilil  praitâr  paur  don- 
ner au  camp  plu9  d'aYftaiage  ;  et  e^es%  sans  doute  '  ce 
aaontkiil^.  qijL  faiiî  donner  aujourd'Jbui  à  ce  plateau 
le  nom  4e  Motie^  de  Vermi^nd.  La  partie  C>  D,  E^F 
{planche myeat  jd^fe^iie.par  uoisiAiple  t^ud  de 
i5  à  i)Q  9»^m  (^^  à  ^  pi^dfi)  4e  iaùtçiir  ^  fo»t 
^o^jrpjé, et de^iija d'iLôBdi^e ^  c^r il  a plua de  4^  dc^ 
gif4s^,  ^-Tf}jes^  àeXU>xm>^^  çt sa; forme,  régiilièii^er 
mfot  idirciil^sM^,  nt^X  çoordpnQée  im  toMe  d^  rel%ie. 
Le  ^koà  Bt,  (^  ^|piais[sé.  et  ^^hadiMeji  dai>a  Tespiiee 
]^  1^,  popt  jr  éta}>lii>  sai^il^tiÇ;  1^  h^italionS  et 
le^}a^dm$wi|ifi^On  7^  Toit,  cm  bi^n  pçu^éj^ç^  ]^  QOùrs 
li^écageui;  4e.  VA^M^^oa  fi^.a^u^fiîsitpoui?  mettre 
le  csufip  à  Kabri  d'ime  sm^^riHft ,;  ajapar-l-il  feil  n^ir 
ger  dav^t^^  fette  partie^  de  renceûite  et  da  mon- 
tîcijijie? 

Le  pl4t9ai}4Q  c^Ue  éaweftcô«a  uoeioctinaûefnTets 
Touest  r.çi9b4^e  s^ens^ible^daps  le^  pi^ofil^  {fdamha,  III); 
je;or4;^is  méioer  q.i|e  cjBilt^  pent^i  f«5<  plus^  forte  qéé  j^ 
ne  Tai  indicjué.PoiQ^  ayoif  4iQ#A  daoa  oeltb  partie 
F,  Grr  H  on,  escarpement  4^;  n^rqe  (hauteur  <pie  dans 
<iç^eCy^^,JË^,  Qx^  y  ^^^  ^levé  lj$  remf^rt  dpat  k 
t^ud;;^irè&-rapid9,  mfa  Sjejtnl^lé  ne  ai  écarter  quev'de 
Sç^djçgres;  ej^T4raP>de  la  veiilkaji?^,  ce  q^i  san^doé^ 
lui  fait  fjoi^qor  4^t^s\  h  pay^  le:  japiP^  dte  /7»wv;  ;.;  on^dSIt; 
ep,  parlant,  49  ce  rempart,  les  ^uf)s  4e  Ve^rnwm^. 
On  en  voit  |es.profil$î  en  P,  %•  1  et  %  Ce  ren^paiE*  â,  • 
Qpm;me  r^iîç^p^  ^,  eniFiroa<  iSk  iStmàtrea  4eifc»u- 
\^yg.  I^p£)is9p0f:  qu'il  forme  à  l'égard  de.  Fi^térîeur 
4wppi«;ilo  t^rneTi^ileici  où  k  sol  du  momieub  de  5 


\ 


1 


20  MtvdiBss  M  Lk  soairà  rotale 

à  6  mètres.  La  cféte.dece  parapet  a  2  m6te«s5c 
millimètres  (  7  à  8  pieds  )  de  large  • 

Cette  encdnle  ne  présente  dans  son  contour  m 
saillant  ni  rentrant  ;•  mais  une  forme  vcompléteiùent 
elliptique.  Il  faut  observer  ici  cependant  qu'an 
point  F,  le  rempatt,  après  avoir  achevé  Péllipse  ^ 
Ven  écarte  tout-à-coup  pour  prendre  >  vers  le  sud  •, 
nne  direction  F^  I,  à  peu  près  parallèle  au  chemin 
de  Pérônne,  comme  sice  point 'eût  été  jadisrentrée 
ou  une  des  entrées  du  camp.  Cette  observation  ne 
niérite-t-elle  pas  quelque  attention^  quand  on  consi- 
dère que  c'est  du  nord  que  les  BomaiAs*  avaient  à 
craindre  les  incursions  ennemies,  et  que  le  pays  au 
sud,  en  deçà  du  camp,  leur  appartenait?  Si  ce  point 
F  était  en  effet  une  entrée  du  camp,  j'y  trouverais  en- 
core une  sorte  de  preuve  qu'une  partie  du  chemin  de 
Péronne,  entre  le  bois  d'Holnoti  et  Marteville,.  pour- 
rait avoir  appartenu  à  une  voie  romaine  qui  se 
dirigeait  vers  le  camp.  Je  reviendrai  sur  cet  objet, 
en  parlant  des  chaussées  romaines.  • 

La  partie  du  rempart  F,I  va  toujours  s'abaîssant 
de  F  en  I ,  et  en  diminuant  d'épaisseur  au  point  de 
n'$voir  à  l'extrémité  I  que  4  à  5  mètres  (  r2  à  i5 
pieds)  de  hauteur,  sur  i"',5o  environ  à  la  crête. 
•Cette  partie,  ainsi  que  le  point  F,  ont  été  dégrades 
pourên  extraire  des  marnes  ety  pratiquer  un.  pas- 
sage pom*  les  deux  rampes  modernes  M,  N. 

.Au  point  H,  le  rempart  s'abaisse  oncore  ainsi*  que 
l'escarpement  oriental  au  point  C  ;  ^  se  trouve  aussi 
une  entrée  de  l'enceinte.  Celle-ci  a-t*elle  été  étabKe 


MB  ANnQUAt&lK  DBFllADrca.  37 

lors. Je  la  formatioa  du  camp  ?  loi  est-«Ue  pos- 
térieure ?•••  C'est  ce  qu'il  est  difficile  ide  décider  ai^* 
joiiErd'hui  ;  mais  il  faut  remaixjuer  ici  que  le  chemin 
0^  considéré  dans  le  pays  comme  cA^i^^^ee  Brû-- 
nehault  .oxi^ommne  y  fort  dégradée  et  méconnais- 
sable sur  ce  point /fait  en  efFet  ^partie  de  la  diiiec* 
tionde  la  chauâ^ée  ancienne  qui  de  Bavay  aboutis- 
sail:0.u  passait  à  Vermand^et  dont  je  pa^leraià  l'article 
des  voies  romaines.  <      ,  -^  y      ' 

/Quoiqu'il  paraisse  que  ni  l'usage  ni  les  règles  delà 
castramétaticm  chez  les  Romains  ne  les  obligeassent 
à. aucune  formé partîmlièpe  pour  les  eamps^  cepen* 
dant  Poljbe  nous,  apprend  qu'ils  adoptaient  souvent 
1^  fprmes  triangulaires  ou  ovale$  qui  se  rappro*- 
cbaient  filors  delà  forme  ronde  adoptée  par  les  Grecs 
(RûUêb),  Cela  posé  ^  le  camp  de  Vermand  ^  par  sa 
seule  &rmejeliiptique^  attesterait  son  origine  >  si  l'on 
pensait^evoir  encore  en  douter;  mais  on  trouverait 
aussi  dans  cette  forme  régulière  la  presque  certi^ 
tude  que  l'enceinte  retranchée  de  Vermand  n'a  d4 
être  y  à  cette  époque  du  mcûns ,  qu'un  simple  campe- 
ment^ qu'une  position  militaire  etna«i  une  place  ou 
ville,  fortifiée  dont  l'enceinte  est  obligée  de  suivre 
à  peu  près  toutes  les  irrégularités. 

Les  reliefs  du  camp  ne  sont  pas  les  seules  parties 
cons^rées;  les^essés  même  sont  encore  très-visib|es,^ 
comme  rindiquent  les  profils  des  ouvrages  {planche 
III)  pris  dans  la  direction  du  grand  diamètre  A^  B 
du  plan.  Ces  fosiés  ont  fourni  les  terres  nécessaires 
à  l'élit vation  du  rempart  P>  peut-être  aussiàl'ex^ 


f  8  uÉmonas  xm  ik  Maàrà  lof  me 

haii6semeHt«de  Tescarpa  6^  et  eofiii^  k  déiemeéti 
eamp.De  R  à  I  je  h^ai  plôs  retrouvé  la  trace  an  tût^él 
loab  d'est  aussi  partie  de  Fen  ceinte  oà  le  tadod  eâC  fal 
plas<tfi^a/i99  et  il  est  présui|iab}e  4^e  les  ddlilaisatRroÀt 
comblé  le  fossé,  si  t(iutelbil?>  contre  mon  obser^atiiofi 
précédente ,  il  y  eât  des  travaux  de^  fait;  de  ce  cèté.^ 

Je  n^ai  trooTé  ki  m  trace  de  cbcrmin  cotit^rt  ni 
apparence  de  glacis*  La  qualité  des  tetres,  ieatra« 
vaux  fréquens  de  la  culture  sur  le  boa  tarrain  qiii 
abcKotit  au  fossé >  auront  fait  dispaxahre -ce  glacis, 
^il  a  existé.  Le  fossé  lui*«iiejBaté  a  dû  perdre  beau-' 
coup  de  sa  profondeur /si  Toi»  coaisidère  la  banteut 
que  cooserve  encore  aujourd'bui  le  rmpaèt  >P«| 
pour  lequel  il  éi  fallu  beaucoup  dé  terrasses.  Foifit 
de  berme  dans  l'escarpe  du  rempart  comme  au 
eamp  du  YJeux-Laon  ^  et  c'est  uo#  rèmarqoe^  qui 
9  peut-être  droit  de  surprendre ,  quand  on  faiti  at* 
^ntiop  au  peu  de  talud  du  irempart  qui  pouvais 
dOinnei>tieu  à  son  écroolement  dans  le  fossé  ^  et  ià  iâ 
grânde  bauteuv  qui  a  dû  en  rendre  Féiévatiop  di^ 
£eib  sans  le  secours  d'un  rélaîs«  Ce  «relais^  a  j^u 
^b^em  aurplus  supprimé  postértencensent^  et  lors<» 
que  les  terres  qui  composent -le  irempart  se  seront 
trouvées  tassées  et.  consolidéest  ;  î     ,  . 

La.  parl^  M  ^  N  ^  F  >  I  du  rempart  »  cotivertep  dlun 
^az^^  conâervaleiir>  était  exjtoaéé  à  dbs  dégradations 
journalières  9  qui  awpËuent  fini  piar  la  détrutzB^^ddts 
bdbitapa  qui  oïlJj  ^bU  leur  deineure  vien.T^^  an 
pie4  mêo^e  ^iiù  r^ntp4^rt>  y  mt  AwaI  dé|à  faiïplw 
d^  ravag(K  qu'il  n'en  a  éprouvé  do  min^  oiidi9:^hiiit 


$êmktA€fa%9r9iS  i^éeovîkié,  et  le  Menâçâiëtil  d'cftte 
destraction  piioeb«aiec  Le^Mi^  i^«{^affeiit  sa  basé  , 
d'antres  exï  déinibaient  lesf  tàlvtSà  et  la  crête  ^  et  sans 
graïutaifiantagéy  l^s  tepms^e^  marâenée^  qbi  compô^ 
sent  cet  imvpa^:^  étant  peu  propres  à  ht  culture.  Ce 
YjiidiaUsnie  nr'aAredt  donc  eu  d'autre  résultat  cjuë 
la  chute  d^uii  nnotaiiâéM  ^espefélable  pdi^  i^a  ban  te 
aotiquifté,  et  qai  e^t  uâ  des  pliM  entier»  et  des  plos 
intéressant  à&  la'{^|idSatide  roinàine  daols  le  nord  de 
la  FVanee.  Mais  M.  té  iifiarqnis  de  Nicolai ,  préfet 
du  dqpartemeM  y  a  bien  vGtàa ,  sHt  mon  inritatîon  , 
doDûer  deS  ordi'es  pour  aerréter  toute  entrepi^ise 
contire  oe  monument  et  toM  ceux  que  nous  possé^ 
dons* 

VOIES  ou  CHAUSSÉES. 

* 

Notre  dépaifteWrenÉ  est  traversé  pai*  cinq  voies 
romaines  ou  réputées  romaines,  qu'on  désigne ,  de 
teoËps  imlnémorial^usles  noms  de  chaussées  ùxtôhe- 
nàns  4^s  A&ntams,  chemin  Romeret,  chaussées  ÉrUr 
nehdult.le  diseinq  vdies,  parte  qu'elfes  me  parais- 
sent a^irdesdirectioris  diSPértiites  et  particulières . 

Beuxde  ces  tôies  ^  partant  de  Rheims  (Durocor- 
tùnun  } ,  enfkent  dans  le  d^épartement  par  le  sud* 
est;  une  aiitre  se  dirige  de  Soissons  sur  Saint-Quen* 
tin  ;  une  autre,  venant  de  Bavày  (Bagacum),  passé  à 
Vermànd,  et  se  dirigé  de  là  sur  Amiens;  enfin ,  la 
dâqnJëèiHé  qtie  j'ai  bien  reconnue  depuis  le  camp  dit 
d$  Césér  ou  dé  Saint-*  jthomaif  jusqu'à  Sàint-Quen- 


1 


30  HBMOntXS  P%  tA  SOCIBTi  I^T4LE 

tin,  mais  doat  je  crois  bien  a¥<nr  encore  retrovré 
des  traces  jusqu'au  camp  de  Yermand. 

Des  deux  chaussées  Tenant  de  Rhéims^  1  une  éon* 
duisaît  à  Bayaj> , ville  jadis  importante  sans  doute, 
puisqu'elle  est  centre  de'sept  de  ces  anciennes  chaus- 
sées dont  le  point  de  divergence  était  encore  indiqué 
il  y  a  une  quarantaine  d'années,  et  peutrétre  encore 
aujourd'hui,  sur  la  place  de  cet^  ville  par  une  piérré 
bleue  eptagone.  Cette  voie,  que  je  n'ai  point  visitée, 
passait  par  Neufchâtél  et  Vervins  (  Verbmwn)^ 

L'autre  voie  venant  de  Rheims ,  que  je  ne  connais 
pas  non  plus,  passe  près  de  Fismes,  à  Braine ,  Sois* 
sons,  Vie-sur- Aisne,  et  se  dirige  de  là  sur  Noyon  et 
Amiens.  On  dit  qu'elle  faisait  partie  d'une  route 
qui  allait  de  Lyon  à  Boulogne-sur-mer,  et  qui,  d'a- 
près les  témoignages  de  Strabon,  fut  construite, 
par  ordre  d'Auguste,  en  continuation  de  l'une  de  celles 
qui ,  de  Rome  ,  conduisaient  dans  les  Gaules.  ' 

La  chaussée  de  Spissons  (  Augusta^Suessionum) 
à  Saint-Quentin  {Augusta-J^eromanduorum)  sem- 
ble n'avoir  été  que  pour  la  communicatioQ  de  ces 
deux  villes,  qui,  du  temps, des  Romains, /avaitsnt 
déjà  beaucoup  d'importance ,  puisqu'ils  avaient  une 
fabrique,  d'armes  à  Soissons,  et  qu'au  rapport  d'An- 
tonio, cette  ville  était  la  garnison  ordinaire  de  la  itlC 
Légion.  Cette  voie,décrite  dans  l'Itinéraire  d'Anjonin, 
passe  à  Pont-Saint-Mard ,  à  Folembray ,  se  dirige  de 
là  vers  Rouy ,  qu'elle  laisse  à  droite,  ejn  passant  près 
de  la  butte  dont  j'ai  parlé.  Elle  descend  la  vgUée  de 


B«fi  AWTlQUAlREa  DE  FRANCK.      ^  OJ 

•  « 

rOi^  9  où  elle  est  encore  visible  ^n  places ,  malgré 
le^  ejQPets  des  inondations  qui  TQnt  beaucoup  abaissée, 
et  arrive  à  Condren.  Condren,  aujourd'hui  chétif  vil- 
lage sur  le  bord  de  l'Oise,  à  une  lieue  au«<lessus  de 
Ghaunj,  ne  peut  cepeiidant  être  passé  sous  silence. 
Les  historiens  s'accordent  à  la ,  regarder  comme  le 
Contaginum  ou  Çontraginum  des  Anciens ,  ville 
célèbre  ,disent«>ils,  et  qui,  avec  Ghaunj,  ne  formait 
qu'une  seule  et  même  cité» 

Dom  Lelong,  dans  son  Histoire  des  diocèses  de 
Laoq  ^  etc. ,  prétend  qu'on  i^oit  encore  à  Gondren 
les  vestiges  du  pont  qui  devait  y  exister  sur  l'Oise. 
Oa  n'y  voit  néanmoins  rien  de  semblable,  et  le  gué 
qui  existe  dans  la  rivière  à  Gondren  ne  peut  étw 
regardé,  suivant  l'opinion  de  quelques-^uns,  comme 
les  restes, do  ce  pont,  attendu  qu'il  est  beaucoup  au- 
dessous  du  point  oiji  arrive  la  chaussée.  Ge  gué  , 
d'ailleurs ,  formé  par  des  grèves,  change  de  place 
tous  les  ans,  par  le  mouvement  des  grosses  eaux.  1)1 
a  dû  cependant  exister  un  pont  dans  cette  vallée;  mais 
comme  les  habitans  m'ont  assuré  n'avoir  jamais 
rien  senti  de  solide  au  fond  de  la  rivière,  il  est  à 
présumer  que,  le  sol  de  la  vallée  et  le  fond  de  la  ri- 
vière s^étant  exhaussés,  les  culées  et  fondations  du 
pont  sont  aujourd'hui  à  une  grande  profondeur.. 

Si  Gondren  a  été  jadis  une  ville  considérable,  cé- 
lèbre même ,  comme  on  le  prétend ,  il  devrait  y 
exister  des  restes  de  constructions  ;  on  devrait  y 
trouver  des  médailles ,  monnaies  ou  autres  objets 
d'art.  Je  sais  seulement ,  pa^r  les  rapports  des  habi*- 


uni ,  que  touWs  lë»  fois  qu'on  y  tfuvrfe  hterte  pùixv 
des  jptiit^;  èaves  ou  fonààtiûDS;  ou  j  rencontre  en 
effet  de^  restes  dé  constractiotaà  qui  paraissent  fOrt 
'  aftcieohes;  mais  il  faudrait  qu'aiors  dei  personnes 
instruites  oii  intelligedtes  fusseht  appelées^  èi  il  Se- 
rait à  désirer  que  lé  conseil  général  du  département 
votât  Une  sorfime  pour  faire  quelques  recherches 
à  Coùdren'  et  sur  d'autres  qui  offriraient  saiis 
doute  des  résultats  intéressàns.  Cest  une  niésùre 
prisé  par  plusieurs  conseils  généraux  eu  laveur  de 
l'histoire  dé  leurs  pays  et  des  arts.  Je  Fétfvbîe,  à  èetté 
occasion,  à  la  lettre  que  j'ai  eu  Fhonneur  d'adresser, 
le  1  a  octobre ,  1 8 1  g ,  à  M.  le  préfet  de  l'Aisne.' 

i)és  dégradations  occasionnées  par  là  rivière  k 
Coridreti  ont  mis  à  découvert  des  restes  de  côûsiruc- 
tiôns  eu  ^ès  très-solides  qui  paraissent  se  prolonger 
sous  utié  éminence  qui ,  dé  temps  ^immémorial  , 
porte  dans  le  village  lé  nom  êi  ancien  Couvent  de 
Sainte-Croix.  Ce  couvent  n'aurait-îl  pas  été  céliii  de 
Croisés  que  doin  Lelong  dit  avoir  été  fondé  àCoudréii 
en  iaSa,  et  transféré  à  Chauny  en  1286. 

La  Croix  S aint-Momble,  un  antveàeà  lieox  dits  dé 
celte  commune ,  porte  le  nom  d*un  saint  révéré  au- 
jourd'hui ,  et  depuis  des  siècles ,  comme  patron  à 
Chauny  9  que  dés  antiquaires  regardent  comme  ayant 
fai^  autrefois  partie  cle  la  ville  de  Contraginum. 
Ées  monumens  du  moyén-âge,  en  constatant  l'im- 
portance des  lieux  à  des  époques  plus  rapprochées 
de  nous ,  ne  sont-ils  pas  quelquefois  dés  indices 
d'une  importance  précédente  é(  plus  reculée  ? 


DES  AltïIQUAIlUM  SB  FRANCE.  35 

la  chaossée-de  Condren  passe  à  Vouel ,  à  45o  mè- 
tres de  la  butte  dont  j'ai  parlé  ;  de  là  à  Liez,  qa'eUe 
laisse  un  peu  à  diroite ,  et  où  elle  est  coupée  par  le 
canal.  Elle  prend  ensuite  sa  direction  entre  Remigny 
et  Montécourt,  où  se  trouve  encore  une  butte  ainsi 
qu'à  Qastre ,  et  de  là  sur  le  Grand-Essigtjj. 

Les  différentes  directions  que  prend  cette  voie 
en  entrant  et  sortant  de  ce  dernier  village  m'ont 
para  mériter  attention.  J'ai  rendu  cette  disposition 
dans  la  (%.  8  planche  I).' Si  la  voie  avait  suivi  sa 
airection  A ,  B,  eUé  ne  passertit  pas  aujourd'hui  dans 
le  village.  On  voit  que  cette  direction  a  été  brisée 
enC,  sous, un  angle  d'environ 45  degrés,  pourenpar- 
courirune  nouveUe  de  i3oo  mètres  de  C  enD,  et  re- 
prendre ensuite  une  direction  à  peu  près  parallèle  à  la 
première.  Note*  qa'aucua  obstacle  naturel,  ni  marais, 
mrivière,  ni  montagne,  n'obligeaient  à  ce  détour! 

Cette  disposition  ,  qute  nous  donnons  quelquefois 
à  nos  routes,  lorsque  les  villes  ou  villages  qu'elles 
rencontrent  en  valent  la  peine,  n'indiqnerait-dlle  pas 
que  le  Grand-Essigny  occupe  aujoard'huil'emplace- 
meat  d'une  cité  importante  qu'on  aura  voulu  traver- 
ser parla  voie?  J'ai  parcouru  ce  village,  je  n'y  ai 
vu  aucun  monument  contemporain  de  cette  voie  ; 
mais  oif  y  trouve  quelques  parties  de  vieilles  cons^ 
tractions  du  moyen  âge  qui  semblent  être  les  restes 
d'un  château  et  d'une  porte,  de  ville  qui  pourraient 
faire  supposer  peut-être  une  importance  plus  an- 
cienne, comme  je  le  disais  pour  Condren  (i). 

(i)  II  serafit  du  moios  à  propo»  d'y  faire  des  fouille» 
IV.  -g     ^ 


N 


34  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

La  chaussée^  en  quittant  le  Grabd-Essignj^  se  di- 
ur  Saint-  Queutih  ;  mais  disparait  aux  envi« 
rons  de  cette  ville\êï*s  Saint-Ladre. 

La  voie  romaine  qui  vient  de  Bavlay  sur  Vermand 
passe  dans  les  bois  de  Beaurevoir  à  Estirées^  de  là 
près  de  Nauroy ,  de  Pontru  où  se  trouve  une  butte , 
et  arrive,  sur  Tenceinle  même  du  camp,  verà  le  point 
C  (planché  III).  Y  entrait-elle  jadis?  c*est  ce  qu'il 
est  impossible  de  savoir  aujourd'hui.  De  Vermand , 
la  vwie  se  dirige  sur  Amiens  par  Estrées,  Mons-en- 
Chaussée ,  Brie ,  etc.  Je  ne  la  connais  ni  au-dessus 
ni  àu--dessous  de  Vermand  «  où  elle  est  dégradée  ad 
point  qu'on  a  beaucoup  de  peine  à  la  reconnattre. 

La  cinquième  chaussée  romaine,  que  f  ai  parcourue 
depuis  Te  camp  romain  près  de  Saint-Thomas  jusqu'à 
Saint-Quentin,  part  vraisemblablement  de  Rheims^ 
comme  les  deux  premières  dont  j'ai  parlé,  soit  di- 
rectement, soit  par  embranchement  de  celle  de 
Rheims  à  Bâvay  par  Neufchâtel  et  Ver  vins  ;  mais 
Je  ne  la  connais  pas  au-dessus  du  camp.  Elle  passait 
à  une  centaine  de  ntiètres  eu  avant  du  front  de  ce 
camp  ,  dans  une  direction  à  peu  près  parattèle  y 
conimie  je  l'ai  dit  précédemment  :  oïi  n^en  voit  que 
de  très-légers  vestiges.  La  chaussée  a  di^arû  depuis 
le  camp  jusqu'à  la  route  moderne  de  Laon  à  Rheims , 
où  on  la  retrouve  au  lieu  dit  la  Fasse  igrisarde.  Elle 
fait  avec  ladite  route  un  angle  d'environ  45  degrés 
en  se  dirigeant  vers  le  moulin  de  Fêtieux  et  Veslud. 
Là,  elle  descend  dans  la  plaine  où  elle  est  coupée  de 
nouveau  par  la  route  de  Rheims  i  elle  se  ooiltiiiu^B  à 


M9    ANTIQUAIRE»  M  nàHCt.  3^ 

traters  Âtbies^tle  marais  qm  leséparé  àû  Çhambrj» 
«t  pu  elle  dîspûraEik  dmi»  Va^tûe<,]ie  plus  lf9is,  da 
deux  cetits  mètres  entir^s* 

Cette  Toie  est  assez  blea  ëoiiâervée  àé  Gkasûbtj 
jusqu'au  marais  dé  ^roûtM  qu'elle,  trayers^il  $a 
écbarpe,  et  oit  rou  ue  Vaficarçeit  plus  ;  m&b  4ië^  e& 
retroure  encore  la  foodatioft  dans  les  .exploita|isMDs 
de  tourbes  que  l'on  extrait  de  q^  maraisw  Âu-dei4dtu 
màrms^  la  voie  reparaît*  Elle  f raV^rde  ude  émiaeiaoe 
que^  oon^leur  usage ,  les^Ronlainà  paraissent  avoû 
tranché  eux  -  mém^s  pour  adoucir  sans  doute  les 
pentes  >  et  qui  se  nomme  le  Mont-fendUk  t)e  ce  poiut 
elle  se  porte  à  la  Setrre  eiHt4.  A^y  et  Remjt.  Tout  ce 
trajet  depiâs  Yeslud  est  uae  %ne  pi^esque  <koite«^ 

Le  point  où  la  voie  trayersjait  1$  S^rre)  a.  atdtré  toute 
mou attèntioxk.Lès  Hodiains  ^^ioBlr-il^  ^ur  ces  i^outes 
Hiililaires  >  9iœ  gièilitw^s,  et  pèut-^re  ro^e  de  car-, 
COQ$tance>deâ  ponts  de  piefre&^.ou  des  ponts  de  bois, 
ou  de  sâmplés  r'adeaUJc  ob  ba^>  comme  ç^Ujs;  dont  cous 
âdboiia  encore  Usage?  ^'ejstitf^jç  question  que  .je  désirais 
pouvoir  éclâirck  po^r  Ce  poinjl^  La  Sarre  était  basse, 
pcpus  dtecôtdt^  dans.M>P  lit>  et  voir  facilement  qu  il 
exisfiaît  daiis  le  fond ,  et  sous  les  deux  rives ,  des  fon- 
4alions  ^  maçfônneiies  conaidérables  qui  pourraient 
fort  bie^  être  les  i^estes  d'un  pont  des  Romains^  Je 
Savais  cependant  q^i'il  avait  existé  là  up  moulin  il  j  a 
une  quarantaine  d'aufiées  ;.iti^S|  loin  que  ce  faitaffai- 
Uisse  ma  présomption^  rétab)issen>eât  de  ce  moulin 
sur  le  point  même  où  la  voie  traversait  La  Serre  » 
{i^^^Sy planche I)j  ne seràit-ilpàs^ne sorte  depjreuyç 

3^ 


56  uiUOlhU  DE  lA  SOCIÉTÉ  AOTAUS 

eDsafaveur?n'aQraiM>o  pas  reconnu  lesrestesdu  pont 
aVànt  rétablissement  du  moulin^  et  nVt*onpas  voplu 
en  profiter  pour  en  diminuer  les  dépenses  toujours 
trèsh'grandes^  surtout  dans  la  Serre ,  rivière  assez  ra- 
pide ,  rarement  basse  et  sujette  à  de  grands  dél^or- 
démens?  Les  restes  de  maçonneries^  qui  servent  aux 
eaux  -basses  de  passage  à  gué  aux  habitans  des  deux 
rives,  sont  assez  considérables  pour  douter  d'ailleurs 
si  elles  auraient  été  établies  pour  une  petite  usine  qui 
n'a  pi)  se  soutenir.  Il  a  aussi  existé  sur  ce  .point  un 
corps -de -garde  des  douanes  dont  la  Serre  formait 
une  arrière-ligne, 

La  voie  est  encore  visible  par  place  au-  delà  et  dan» 
la  prairie;  elle  disparait  aux*  approches  de  la  petite 
rivière  du  Pérou  ^  et  se  fait  ensuite  remarquer  de  nou- 
veau jusque  sur  la  montagne  de  Gatillon-du-Temple 
par  des  traces  d'empierreméns  et  de  cailloutis  très- 
sensibles..  Un  bâtiment  de  la  ferme  de  M.  Blin  est 
assis  sur  la  voie  même  qui  de  là  se  dirige  en  assez 
droite  ligne  sur  Surfontaine  et  Serj.  Gependaat  elle 
a  entièrement  disparu  dans  la  petite  Vallée  qui  sé- 
pare Fay-le-Noyé  de  Surfontaine>  par re£Pet des  eaux 
de  ravins  qui  Tinondejit  dans  la  mauvaise  saison. 

La  voie  très-visible  encore  jusqu'à  looo  à  1200 
mètres  au  nord  de  Surfontaine  a  été  ensuite  défrichée 
jusqu'au-dessus  de  la  vallée  de  l'Oise  >  et  ne  se  fait 
plus  remarquer  que  par  la  quantité  de  pierres  et  de 
cailloux  répandus  sur  les  terres ,  et  ne  doivent  jpas  les 
rendre  très-productives.  Ainsi  dispàraissentsqr beau- 
coup dfi  points  >  par  l'effet  d'une  cupidité  mal  enten*;; 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FEASTCS:  5'J 

èûe ,  des  monumeos  que  dix-duit  siècles  avaient 
respectés. .  .     . 

Quoique  ce  que  nous  voyons  encore  des  chemiiis 
romains  fasse  croire  qu'ils  négligeaient  les  débla»  et 
remblais  pour  adoucir  les  pentes ,  il  faut  c^penda&t 
qu'ils  les  aient  employés  quelquefois  ou  qu'ils  aient 
du  moins  donné  à  leurs  routes  des  contours  pour  les  ' 
rendre  plus  faciles.  La  voie  g  ^  a^  (fig.  6,  planche  1), 
qui  n'est  presque  plus  sensible  au  point  a,  n'edt  pu 
descendre  en  droite  ligne  dans  la  prairie  au  point  C| 
où  la  côte  est  très-rapide  et  où  Ton  ne  voit  point 
d'ailleurs  qu'il  ait  été  fait  aucun  déblais  pour  l'adou* 
cir.  U  est  à  croire  qu'on  lui  aura  donné ,  pour  re- 
prendre sa  direction  b,  e^  le  contour  a^  c,  b,  à  tra- 
vers une  très- vaste  tranchée  d>  f,  qui  parait  de  main 
d'honune  et  fort  ancienne.  La  même  voie  fait  un 
semblable  contour  à  Gatillûn-^sur-^Oise  et  vraisem^ 
blement  à  Veslud. 

Sur  le  petit  plateau  qui  se  trouve  entre  le  village 
de  Sery  et  la  voie  romaine^  et  dans  fintérieur  même 
du  contour  a,  c ,  b,  on  trouve  y  en  fouillant  à  moins 
d'un  mètre  de  profondeur,  des. tombeaux  de  pierre, 
où  sont  encore  des  ossemens.  ICies  tombeaux  d'uiii 
mètre  66  centimètres  à  2  jnètres  de  longueur  »  sur 
5o  centimètres  de  profondeur  et  10  centimètres  di'é- 
paisseur^  sont  de  pierre  semblable  à  «celle  des  car^ 
rières  de  Saint«Nicola6*aux-Bois ,  près  Saint^j-obain  y 
et  des  bancs,  appelés/^li^eisu^n?  et  œquiller  ;  c*es%  de 
ce  dernier  que  sont  faites  les  dalles  qui  couvrent  ce» 
tombeaux.  H  en  est  qui  renfermaient  des-,  espèces 


r 

38  MiMOius  DE  tk  aociyri  eoyaie 

ie  lames  à^épée,  de  sabre  ou  de  lance  et  (  me  di- 
saient les  gens  du  pays)  des  pots  de  fer,  qui  sem- 
blent bien  deyoir  étefe  des  casques.  On  m'a  assuré 
n'aToir  jamais  trouvé  sur  ces  tombes  et  dans  Tinté- 
rieur  m  inseriptiou,  niméflaille,  ni  monnaie  qui  puisse 
jeter  quelques  himi^res  sur  rq>oque  et  le^  circons- 
tances ^e  'ces  inhumations.  On  croit  dans  le  pays 
quHl  existait  là  un  couvent  de  Templiers ,  peut-être 
lioe  léproserie  o|l  maladerie  que  f  on  plaçait  toujours 
aur  âe^  lieux  élevés« 

IRi^n  ne  prouve,  au  surplus,  que  ces  tombeaux  re- 
montent àîu  temps  des  Romains.  Je  n'en  parle  qu'en 
passant,  et  je  me  bornerai  à  dire  qu'il  fut  un  temps, 
sans  doute ,  où  les  tombeaux  ^u  cercueils  de  pierres 
(  car  ceux'-ci  en  ont  toute  la  forme  )  étaient  générar- 
leinent  en  usage  dans  ce  pays,  puisqu'on  en  a  trouvé 
etqu^on  en  trouve  encore  de  semblables  à  Martévîlle, 
prèsYermand,  à  Mouy  près  de  la  butte,  à  Saint-Gobam 
sous  ia  forêt,  à  Presles-Thiemy  près  Laon,  et  à  Laon. 

Je  re^nens  à  la  chaussée  romaine*  Du  pied  de  la 
côte  de  Sery,  elle  se  porte  en  droite  ligne  sur  Ca- 
éllon-Pise ,  à  travers  la  vallée  où  eHe  est^énérale- 
nent  apparente  autant  par  sa  largeur  que  par  un 
eiâiaussement  sensible  au«dessus  de  la  prairie-  Elle 
a  ^1  ici  deux  bras  de  l'Oise  à  traverser  ;  mais  je  n'ai 
pu  rien  recueillir  sur  les  ponts  qui  ont  pu  être  étaHis 
pour  cette  voie.  Ëlles'éEeve  sur  le  coteau  à  Gatillon^ 
et  se  dirige  ensçite  sur  Saint-4Qqentin  :  }e  ne  l'ai  point 
^viatée-daot  ce4erniertsajet. 

fii  y  a  tout  lieu  de  oroire ,  ce  me  semble^  que  la 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  ÙQ 

chaussée  dont  nous  nous  occupons  ne  se  terminait 
point  à  Saint-Quéntin,  et  qu'elle  se  continuait  jusqu'au 
camp  de  Vermand,  quoique  personne  que  je  sache 
n'en  ait  jamais  parlé.  Comment  penser,  en  effet ,  si 
cette  ville  est  véritablement  Vjiugusta  P^eroman- 
duorurriy  qu'il  n'ait  existé  aucune  communication  di- 
recte entre  celte  capitale  importante  et  le  campe- 
ment des  légions  destinées ,  dit-on ,  à  la  couvrir  et  à 
la  protéger.  Mais,  très  -  vraisemblablement ,  cette 
communication  a  existé;  et,  pour  le  prouver,  je 
renverrai  à  la  partie  du  chemin  de  Saint-Quentin  à 
Péronne,  depuis  le  bois  dllolnon  jusque  p^ès  de 
Marteville  j  on  est  forcé  d'y  reconnaître  tous  les  ca- 
ractères d'une  chaussée  romaine  :  même  (exhausse- 
ment au-dessus  de  la  plaine,  même  composition, 
même  nature  de  matériaux  formant  un  empierrement 
beaucoup  plus  épais  et  plus  large  que  celui  qui  est 
pratiqué  pour  nos  routes  actuelles  ;  ce  qui  fait  un  des 
caractères  distinctifs  des  chaussées  romaines. 

L'existence  de  cette  chaussée  et  l'espèce  d'entrée 
que  j'ai  fait  remarquer  en  F,  I  {^planche  III) y  au 
camp  de  Vermand,  se.niblent  alors  se  prouver  réci- 
proquement. 

On  m'a  dit  qu'il  j  avait  encore  une  chaussée  ro- 
maine au-delà  de  Soissons,  qui  serait  traversée  par 
la  route  de  cette  ville  à  Château-Thierry,  à  une  demi- 
lieue  d'Artane.  Cette  voie  passerait  très-près  de  la 
butte  dont  j'ai  parlé  „  mais  ne  convergerait  pas  vers 
Soissonsj  elle  serait  là  sixième  voie  qui  traverserait 
notre  département  :  je  ne  la  connais  point. 


! 
4o  MÉMOIRES  DV^LA  SOClixÉ  ROYAIX 

Après  avoir  considéré  les  voies  romaines  de  notre  ! 

département  sous  le  rapport  de  leur  direction,  si  i 

nous  les  examinons  sous  celui  de  leurs  points  de  con-  , 

vergence,  nous  verrons  que  Soissons  et  Saint-Quentin 
étaient,  Tun  et  Tautre ,  centre  d'au  moins  trois  grapdes 
routes  connues  aujourd'hui  ;  ce  qui  justifierait  l'im- 
portance qu'on  leur  accorde  sous  l'empire  romain  , 
et  leur  titre  ^Augunta ,  qui,  vraisemblablement,  in- 
dique des  villes  qui  jouissaient  de  privilèges  parti- 
culiers. 

Vermand  se  trouverait  aussi  centre  de  trois  cbaus- 
sées;  mais,  quand  même  on  aurait  raison  de  lui  re* 
fuser  le  titre  diAugusta ,  ce  que  j'ai  dit  de  ce  lieu , 
et  les  routes  qui  y  aboutissent ,  attestent  assez  ,  ce 
me  semble ,  son  importance  ancienne ,  du  moins 
sous  le  rapport  militaire* 

Il  ne  faut  pas  croire  que  toutes  ces  chaussées  soient 
également  conservées  dans  toute  leur  étendue.  Elles 
sont  détruites  ou  cultivées  dans  des  espaces  d'un 
quart  de  lieue  et  au-dessous,  d'une  demi -lieue  et 
plus.  Dans  les  vallées ,  les  eaux  les  ont  emportées 
partiellement,  ou  recouvertes  d'attérissement,  comme 
dans  celle  de  la  Serre  et  de  POise.  La  voie  qui  tra- 
verse les  marais  de  Barenton,  deChambry  et  d'Athies, 
a  aussi  beaucoup  souffert ,  et  s'y  trouve  recouverte 
d'une  couche  de  tourbe,  comme  dans  celui  de  Baren- 
ton. Mais  les  phjs  grands  ravages  qu'aient  éprouvés 
ces  voies,  rie  viennent  ni  des  élémens,  ni  du  temps  , 
ni  même  de  l'abandon  ou  de  l'oubli  dans  lesquels 
elles  sont  tombées  depuis  tant  de  siècles;  ce  qui 


ras  ANTIQUAIRES  4>E  FRANCS.  4^ 

prouve  y  dans  notre  climat  surtout  y  leur  extrême  so* 
iidité  :  c'est  la  main  de  Thomme  qui  leur  fait  la  guerre 
la  plus  destructive.  Le  laboureur^  sur  une  infinité  de 
points,  les  retourne  quand  il  le  peut,  tes  cultive ,  soit  * 
en  entier,  soit  en  restreignant  la  largeur  réduite 
généralement  aujourd'hui  à  1 6  à  1 7  mètres  (5o  pieds), 
ao  lieu  de  a5  à  a5  mètres  qu'elles  ont  dû  avoir  dans 
Forigine. 

Les  communes  et  les  particuliers  les  exploitent 
comme  des  minières  de  grès  et  de  cailloux  ,  pour 
réparer  leurs  rues  ou  leurs  chemins  vicinaux  ;  et,  mal- 
gré ces  entreprises ,  ces  enlèvemens  de  matériaux , 
depuis  long-temps  continués,  ces  fameuses  chaussées 
subsistent  encore  depuis  dix-huit  siècles  et  en  verront 
encore  s'écouler  bien  d'autres  (  nonobstant  les  petits 
eiforts  de  la  cupidité  et  de  Tignorance) ,  pour  attes- 
tera puissance  et  la  gloire  d'un  peuple  qui  nous  a 
légué  de  si  grands  souvenirs  et  de  si  beaux  monu- 
mens.  Je  le  demande  :  que  deviendraient  nos  grandes 
routes  modernes,  si  elles  étaient  abandonnées  depuis 
cent  ans,et  exposées  auxmémes  dégradations  du  temps 
et  des  hommes  ?  Sans  doute  on  en  chercherait  vai- 
nement les  traces  aujourd'hui.  Je  suis  loin  assurément 
d'en  accuser  le  talent  de  nos  ingénieurs  :  cette  supé- 
riorité des  ouvrages  des  Romains  tient  aux  grandes 
Tues  qui  les  animaient,  à  la  confection  ordinaire  de 
leurs  monumens ,  et  aux  soins  qu'ils  y  apportaient  ; 
ib  ne  connaissaient  point  les  petits  calculs  de  l'éco- 
nomie pour  les  ouvrages  qu'il  fallait  faire  durer  par 
économie. . 


4a  IIÉMOIBES  ÛE  LA  SOCliTB  ROYALE 

Trois  choses  principales  «  à  mon  avis,  assuraient  la 
solidité  des  chaussées^romaines  :  Tépaisseur  de  Teiu- 
pierrement  et  cailloulis^sa  largeur,  et  res^haussemenl 
de  ces  chaussées  au-dessus  du  terrain  naturel* 

Dans  toutes  les  parties  les  moins  dégradées  qui 
présentent  encore  une  largeur  totale  de  83  à  26 
mètres  (70  ky5  pieds  ),  j'ai  toujours  trouvé  Veia- 
pierrement  d'un  mètre  à  un  mètre  16  centimètres 
(3  pieds  à  3  pieds  4)  d'épaisseur,  sur  unie  largeur  d'en- 
viron 10  mètres  (  3o  pieds)  ;,  ce  sont  à  peu  près  les 
dimensions  reconnues  par  M.  l'ingénieur  en  chef  Lau- 
rent de  l'Yonne  dootresprit  d'observalion  est  connu. 
Il  fallait  sans  doute  au^Romains  beaucoup  de  solidité 
dans  leurs  routes  pour  les  transports  des  énormes  et 
nombreuses  machines  de  guerre  que  leurs  armées, 
nous  dit  RoUin,  traînaient  toujours  à  leur  suite.  On 
sent  alors  quel  avantage  cette  largeur  de  la  i^oie  charr 
rière  et  son  épaisseur  lui  donnaient  en  pareil  cas 
sur  nos  étroites  et  mesquines  charrières  de  cinq 
mètres  (  1 5  pieds  ) ,  où  i^es  voitures  passant  et  repias- 
sant  continuellement  aiLx  mêmes  places  les  enfoncent 
et  les  dégradent  eiTtrès-^peu  de  temps. 

Les  chaussées  romaines  sont  encore  aujourd'hui, 
sur  presque  tous  les  points ,  relevées ,  même  sur  les 
hauteurs  etlesmontagnes,  de  o  mètre,  65  centimètres 
^  un  mètre  (  ^  à  3  pieds  ) ,  et  plus  au-dessus  du  sol  /en- 
vironnant, ce  qui  ne  contribue  pas  peu  à  leur  con? 
servation.  . 

La  composition  de  ces  rouies  est  généralepi^Qt  1^^ 
même  dans  notre  département  ;  c'est  toujours ,  dans 


ïffLS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  43 

la  partie  du  nord  ^  un  lit  ou  fondation  de  moellons 
reiîouvert  d'une  couche  épaisse  de  grèves  ou  cail- 
loux ^  et  ces  moellons  sont  presque  partout  du^rès>. 
et  souvent  assis  sur  une  première  couche  de  craie  ou 
marne.  M.  Laurent  dit  cependant  avoir  vu  aussi , 
dans  quelifues  voies ,  des  couche^  alternatives  de 
moellons  et  de  graviers.  Les  matériaux  étaient  tou- 
jours ceux  du  pa^s  ;  mais  les  Romains  les  transpor- 
taient souvent  à  une  lieue  et  plus  de  leur  minière  ,, 
lorsqu'ils  en  rencontraient   qui  ne  leur   ofFraiei](t 
point  assez  de  qualité  ^  ou  bien  ils  en  faisaient  un  mé 
lange  qui  ajoutait  à  la  solidité  de  l'un  et  de  l'autre  ^ 
telle  que  la  marne  ou  craie ,  seule  pierre  de  la  par- 
tie nord  du  département  >  avec  les  cailloux ,  mélange 
que  l'on  ne  manque  pas  encore  défaire  aujourd'hui  / 
lorsque  Ton  veut  avoir  des  chemins  solides*  Ils  ont 
aussi  beaucoup  employé  ^  dans  le  nord  du  départe- 
ment ,  des  cassures  ou  morceauxxle  grès  de  la  gros-» 
seur  du  poing ,  seuls  ou  mêlés  de  marne ,  et  toujours 
recouverts   d'une  couche   épaisse   de    cailloux  ou 
grèves,  qui  abondent  dans  nos  rivières  ou  dans  des 
minières.  La  figure  7  {  planche  I)  présente  la  coupe 
transversale  des  chaussées. 

Dans  les  montagnes  calcaires  de  la  partie  du  sud , 
les  Romains  ont  apporté  queilques  différences  dans 
la  confection  de  leurs  routes.  La  rareté  du  caillou  , 
l'absence  des' grès  >  la  difficulté  des  transports  et  la 
moindre  solidité  de  la  pierre  calcaire  leur  ont  fait 
adopter,  pour  les  petites  pierres  plates  dont  est  com- 
posée la  crête  de  presque  toutes  nos  montagnes,  une 


44  11ÉM0IRI8  DE  Là  80CIBTÉ  ROYIU 

> 

disposition  bien  simple  pour  en  augmenter  sanrS' 
doute  la  solidité  ;  du  moins  l'ai-je  remarqué  sur  les 
montagnes  de  Fétieux  ^  dans  les  couches  supérieures 
de  Tempierrement.  Il  paraît  qu'ils  rangeaient  ces- 
pierres  de  champ  un  peu  inclinées^comme  on  le  voit 
dans  la  figure  9  {planche  I).  Je  présunae  qu'ils  en 
rangeaient  ainsi  plusieurs  assises,  en  alternant  Tincli- 
naison  des  pierres,  comme  de  a  en  b  {même figuré). 
Je  n'ai  encore  remarqué  cette  disposition  que  sur  un 
seul  point ,  parce  que,  sans  doute ,  on  ne  l'employait 
que  pour  la  couche  supérieure  de  la  voie,  qui,  la 
première ,  a  subi  les  ravages  du'temps. 

Mais  c'est  dans  la  traversée  des  marais  et  des  val*- 
lées  basses,  sujettes  aux  inondations,  que  les  Ro- 
mains ont  employé  de  grands  moyens  pour  la  solidité 
de  leurs  chaussées.  Dans  le  marais  de  Barenton,  eptre 
Ghambry  et  Chery ,  et  vraisemblablement  dans  les 
autres  marais  ,  ils  ont  jeté  des  quartiers  de  grès 
énormes  ,  sur  lesquels  ils  ont  fondé  leurs  voies.  Ces 
grès,  recouverts  aujourd'hui  de  3o  à  5o  centimètres 
(  1  à  2  pieds)  de  tourbe  ( ce  qui  est  considérable ,^ 
vu  la  lenteur  de  la  formation  de  la  tourbe)>  sont  ar- 
rachés, cassés  et  enlevés  de  temps  en  temps  parles 
habitans  du  pays,  pour  leurs  constructions. 

Dans  la  vallée  de  la  Serre ,  et  dans  celle  de  l'Oise  , 
à  Gondren,  jusqu'à  Vouel ,  les  voies  sont  aussi  fon- 
dées sur  une  base  de  grès  recouverts 'aujourd'hui, 
dans  la  vallée  de  la  Serre  et  du  Pérou,  d'un  nolètre 
ai"*,  35  cent.  (3 à  4 pieds);  de  terre d'alluvion/mais* 
ici  les  masses  de  grès  sont  éaormçs.  M.  Blin ,  culti-. 


DES  ANTlQtAIRES  Dl  FRANCS^  45 

yateur  à  GatiUon  «du-Temple ,  qui  jouit  d'une  consi- 
dération et  d'une  confiance  bien  méritées  ,,en  a ,  dit- 
on,  fait  extraire,  à  une  quarantaine  de  pas  au  nord 
du  Péron ,  pour  des  pavés  du  château  de  Richecourt  y 
qai  devaient  avoir  deux  mètres  (  54  pieds  )  cubes. 
Quelles  masses  énormes  à  charger  et  à  transporter 
car  il  n  y  a  point  de  grès  dans  ce  canton.  Mais  les 
monamens  que  les  Romains  nous  ont  laissés,  depuis 
Rome  jusqu'au  fond  des  Gaules,  nous  prouvent,  par 
les  masses  prodigieuses  de  granit  et  autres  pierres 
qu'ils  ont  employées  dans  leurs  constructioas ,  que 
rien  ne  leur  résistait.  Ces  grès  auront  été  tiréa  de  la 
plaine  de.Gouvron  et  Yivâise,  où  ils  abondent. 

Ceux  qui  font  la  base  de  la  chaussée  de  Gondren 
à  Vouel  (  vallée  de  l'Oise  ) ,  sont  aussi  très -volumi- 
neux, et  ont  pu  être  tirés  de  Gommenchon  ou  de 
Glastre.  ' 

MÉDAILLES  ou  MONNAIES. 

Il  circule  daas  le  département  des  monnaies  ro- 
maines ,  données  et  reçues  en  paiement ,  et  qui  doi- 
vent ,  pour  la  plupart ,  y  avoir  été  trouvées  ;  car  la 
monnaie  de  cuivre  est  peu  susceptible  d'importation 
et  d'exportation  3  elle  sert  le  plus  ordinairement  aux 
transactions  locales  et  journalières. 

Il  est  constant  qu'il  sp  fait  assez  souvent  dans  notre 
département  des  découvertes  dé  monnaies  anciennes 
dans  les  travaux  de  la  culture  et  dans  les  diveipses 
fouilles 'pour  constructions,  etc.  Op  en  trouve  tous 


46  MEHOIBES  DE  lA  «OGIBTÉ  KOTALE 

les  jours  dans  et  hors  l'enceinte  de  Yermatid.  On  en 
a  trouvé^  ayec  d'autres  objets  antiques/en  grande 
quantité  ,  dans  des  fouilles  faites  en  1624  et  années 
suirantes ,  pour  établir  les  anciennes  fortifications 
de  Saint-Quentin  (1).  M.  de  Gajlus  prétend  qu'on  en 
a  trouvé  au  camp  romain ,  près  de  Maurégny  (  c'est  le 
camp  du  Vieux -Laon  ou  de  Saint -^  Thomas  (2). 
MM.  Peuchet  et  Chanlaire  (o)  assurent  qu'où  a 
aussi  trouvé  plusieurs  médailles  romaines  à  Laon  ^ 
position  dont  ils  parlent  comme  ayant  été  (av^ec 
beaucoup  de  vraisemblance  )  occupée  par  les  Ro- 
mains» 

Les  monnaies  Ou  médailles  trouvées  à  St.*-Qnentin 
à  l'époque  dont  il  vient  d'être  question  étaient  de 
Jules-César ,  d'Auguste^  de  Tibère  y  de  Gcrmanicus^ 
de  Galigula^  de  Claude;  beaucoup  de  Néron,  de  Ves- 
pasien,  deTite,  deDomitien,  beaucoup  plus  encare 
de  Trajan ,  d'Adrien  ,  d'Antonin,  de  Marc-Aurèle , 
de  Commode  et  d'autres  empereurs,  postérieurs  et 
du  haut -empire  (4). 

On  trouve  à  Braine,  près  Soissons,  âes  médailles 
et  monnaies  romaines.  En  1765,  M.  Jardel^  officier 
dbez  le  Roi  y  en  faisant  creuser  les  fondations  d'une 

(1)  La  défense  des  principales  prérogatives  de  la  YtRe  <et  de 
réglise  de  Saiot-Quentîn  ^  1671,  p.  5i. 

(2)  Aeeherchcs  d'antiquités. 

(3)  Description  topographique  et  statistique  de  la  France. 
(Aisne.) 

(4)  La  défense  des  principales  prérogatîyes  de  la  ville  et  de 
l'église  royale  de  Saint-Quentin,  p.  Sa  et  35. 


\ 


DES  ANTIQUÀIKES  DE  FKANGE.  4^ 

maison^  en  a  trouvé  qui  portaient  les  têtes  d'Auguste 
cl  ^'Agrippa ,  de  Glaudius ,  de  Galba ,  de  Germa- 
nicus,  de  Néron ,  de  Julià^  femme  de  Septime-Sé- 
vère,  et  une  de  Maximien.  On  se  rappelle  que  nous 
avons  parlé  d'une  voie  romaine  passant  par  Braine 
qui  paraîtrait  alors  avoir  été  au  moins  un  poste  ou 
une  station  romaine  • 

Ce  sont  précisément  des  monnaies  de  la  plupart 
de  ces  empereurs  que  l!on  rencontre  dans  la  circu- 
lation. 

Celles  que  je  possède^  ainsi  que  M.  Brugnon ,  di- 
recteur dé  la  poste  aux  lettres  à  Laf  ère,  et  que  nous 
avons  aussi  retirées  de  la  circulation  dans  le  départe- 
men£>  sont  de  ^ 

Gésar-Aogu6te  9  Alezaade-SéTère , 

Tibère-Néron,  Maxîmia  de  Thrace, 

Tîb'ère-Glâude ,  Gordien  le  plus  jeune , 

D(miîtien-Nék*onf  Emilîen^ 

FlaT.-Vesi>asien,  Posthume  jeune , 

Domitien ,  Posthutoe  aîné ,  dit  Victorin , 

Nerya-Goccius  y  Flavius^Glaudius , 

Trajan-Ulpius ,  Aurélien , 

Pub.  Alel.  Adrien  »  Pub.  Annius  Tacitus, 

Luc.  Gœ.  Gommode  »  Probus  , 

Antoninle  Pieu,  et  FaustineDioclétien, 

sa  femme  9  Gonstantin-le-Grand, 

Marc-Aurèle  Antonin ,  Gonstantin-Ie*Jeune  » 

Lucille,  Gonstantius^ 
Luc.   Ael.    Aûrel.    Commode  Decentîus. 

et  Crispine  sa  femme. 


48  uiMOIESS  D£  LA  SOGliTÉ  ROYàlS 

Il  y  a  peu  de  temps  qu'on  trouva  à  Saint-Quentia 
une  médaille  ou  monnaie  de  Néron ,  en  creusant  les 
fondations  d'une  maison  rue  Saint -Jean  ,  et  une 
autre  de  Yespasien  en  fouillant  dans  une  cave  de  Tan- 
cieniie  abbaye  d'Ue. 

M.  Vatin-Tronquoj,  de  Saint -Quentin,  qui  a  une 
collection  de  médailles  et  monnaies  antique^^  est  pos- 
sesseur d'une  petite  pièce  représentant  d'un  côté  un 
guerrier  avec  ce  mot  Roma ,  et  sur  le  revers  une 
louve  allaitant  deux  enfans  surmontés  de  deux  étoiles 
avec  une  espèce  de  palme  entre  deux.  Cette  mé- 
daille fut  jtrouvée  dans  le  bassin  du  canal  de  ladite 
ville,  lors  de  rétablissement  de  ce  canal.  Il  y  a  deux 
mois  que  M.  Yatin,  faisant  fouiller  dans  sa  maison 
pour  établir  Tescalier  d'un  cellier,  trouva,  à  :2",  35 
cent.  (7  pieds)  de  profondeur,  une  autre  médaille 
antique  dont  je  ne  connais  pas  le  sujet.  Enfin  une 

monnaie  de  Trajan  a  été  découverte  encore  à  Saint- 
Quentin,  en  1818,  dans  l'emplacement  du  ren^ 
part  dit  Tourha ,  à  la  profondeur  de  5  mètres  (  1 5 
pieds  5  pouces). 

■ 

J'ai  de  Vermand  une  monnaie  àéCrispine' Auguste 
trouvée  dans  le  jardin  de  la  maison  U  {plan- 
che 111)9  plusieurs  pièces  de  Constantin,  et  beau- 
coup d'autres  aussi  postérieures  à  ces  règnes,  trou- 
vées dans  et  Jiors  le  camp  de  Vermand. 

Des   fouilles  ont  fait  découvrir  dernièrement  à 

»  •  > 

Crécy-sur-Serre  et  à Vervins  {J^erbinum  )  un  grand 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  49 

nombre  de  petiles  monnaies  de  cuivre  de  la  gran- 
deur de  nos  liards.  Celles  que  je  mé  suis  procurées 
sont  du  règne  de  Constantin  que  je  crois  être  Cons- 
tantin4e*Grand,  et  de  ceux,  de  ConUantinus  junior  y 
de  Flavius  Julius  Constantinus  et  Ai  Flanus  Julius 
Crispus ,  tous  deux  fils  de  Gonstantin4e-Grand ,  et 
à'vLXïLiciniusy  beau-frère  de  Constantin.  On  m'a  dit 
que  ces  monnaies  qui  semblent  n'avoir  jamais  été 
mises  en  circulation  dans  leur  temps,  tant  elles  sont 
bien  conservées,  avaient  été  trouvées  enfermées  dans 
des  vases  de  terre. 

DÉNOMINATIONS,  LANGAGE. 

n  paraîtra  peut-être  bizarre  de  présenter  des  mots 
comme  des  monumensantiques;  cependant  les  noms 
de  lieux ,  les  dialectes,  le  langage  vulgaire  qualifié 
de  patois,  pour  n'avoir  rien  de  matériel,  n*en  sont 
pas  moins  de  véritables  restes  qui,  autant  que  des 
ruines,  déposent  pour  l'histoire  d'un  pays.  Ainsi  nous 
avons,  dans  nos  campagnes,  des  lieux  dits  le  Champ 
de  bataille  ,  la  Fosse  aux  jillemands;  des  noms  de 
lieux  :  Follembray  près  Coucy ,  les  Échelles  en 
Savoie ,  etc.  etc. ,  et  une  infinité  d'autres  noms  ou 
mots  vulgaires  et  historiques.  Je  pourrais  encore  ci- 
ter ici  beaucoup  de  dictons  populaires  dont  le  sens, 
aussi  historique ,  est  assez  clair  pour  ne  laisser  aucun 
doute  sur  la  raison  et  la  valeur  de  ces  expressions 
religieusement  conservées  de  siècle  en  siècle.  Elles 
sont  en  quelque  sorte  Fhistoire  du  peuple  ,  comme 
les  proverbes  en  sont  la  morale. 

XV.  4 


5o  MÉMOIRES  DE  LA  SOCléli  ROYALS 

A  l'appui  de  nos  antiquités,  jetterai  : 

La  dénomination  de  chemin  Romerèt  ou  Romain , 
indicpiant  encore  Forigine  romaine  de  nos  vieilles 
chaussées  qui,  par  leur  type  commun,  paraissent  bien 
en  avoir  ui/e  c^mune,  mais  plus  reculée  qne  le 
siècle  de  la  reine  Brnnehault  dont  le  nom  ne  parait 
leur  avoir  été  généralement  donné  que  parce  que 
cette  princesse  passe  pour  les  avoir  restaurées  ; 

Le  nom  de  fontaine  des  Romains  donné  à  la  source 
Z,  du  camp  du  vieux  Laon,  indice  particulier  de 
Forigine  de  ce  monument  ; 

L'étymologie  donnée  avec  asseï  de  vraisemblance 
au  nom  de  Marteville,  Martis  Filla,  village  placé  à 
200  ou  3oo  mètres  au  sud-ouest  du  campdeVermand, 
et  où  Ton  a  découvert  des  tombeaux  renfermant  les 
restes  d'hommes  de  guerre  avec  armes  et  armures  (1). 

Celle  de  Villa-solis  attribuée  à  la  dénomination 
Ville-chple  ou  Ville-sole ,  hameau  situé  à  la  même 
distance  nord-est  de  Yermand.  Ces  étymologies  ne 
sont  pas  reléguées  dans  les  livres  écrits  sur  notre 
pays,  mais  elles  subsistent  aussi  chez  les  habitans 
de  ces  lieux  dont  l'opinion  aura  plutôt  déterminé 
celle  des  écrivains. 

(1)  Je  me  rappelle  que  M.  Panier,  religieux  de  Tabbayt  de 
Yermand,  encore  prieur  de  Castres,  près  de  Saint«-QueDtiD , 
en  1790  et  1791,  avait  chez  lui  plusieurs  objets  curieux,  et  Ton 
m*a  assuré  qu'il  avait  conservé  un  casque  et  un  bout  de  lance^ 
trouvés  de  nos  jours  dans  une  des  tombes  de  Marteville.  On 
pourrait  savoir  ce  que  ces  objets  sont  devenus  à  la  mort  de  ce 
i*espectable  religieux,  qui  était  ami  de  M.  Dartois  de  Saint- 
Quentin,  où  il  a  aussi  laissé  des  parens. 


o 


MS  ANTIQUAIRES  M  tBANCE*  5l 

Qui  ne  reconnaît  pas,  dans  le  nom  de  yermand, 
ou  XAugusta  Veromanduorum^  ju&qu*à  oe  que  le 
procès  soit  jugé  en  faveur  de  Saint-Quentio  ^  on  le 
Castra  VirimanâiSy  le  Castrum  Firimanêème  tttt  îfe 
Pagus  yermandensis  ?  Combien  devons-fabijs,  ce  me 
semble,  nous  étonner  de  la  conservation  ae  ces  dé- 
nominations qui  auraient  survépu  à  sei^e  ou  dix<- 
huit  siècles,  quand  la  face  des  em[»res  a  tant  de  fois 
changé  depuis  cette  immense  pét^odè  ! 

À  une  lieue  et  demie  de  Saint-Quçntin,  au  $ua-6uest, 
SUT  la  Somme,  est  situé  le  village  appMé  Ca$tir^s^  Ce 
village,  qui  était  un  prieuré  dépendant  de  Tabbaje 
de  Vermand,  né  prendrait-il  passonnam  de  6lM/\*^èt 
ne  pourrait-on  pas  raisonnablement  soupçonner  tpi'il 
fut  aussi  un  lieude  campement  des  ârhlées  i^bihàîiiés, 
quand  on  considère  surtout  la  fréquence  de  leurs 
campeméns  dont  j'ai  parlé  plus  haut? 

Enfin,  la  patois  ou  langage  picard  coittprencl  tm 
grand  nombre  de  mots  dont  la  j^hjsidifiottiié  et  la 
consonnance,  encore  toutes  latines,  semblent  attester 
aussi  le  long  séjour  des  Romains  chez  nos  ancêtres 
qui,  comme  il  arrive  ordinaireixient,  ont  dû  prendre 
quelque  chose  de  la  langue  et  des  habitudes  de  leurs 
vainqueurs.  Tels  sont  les  mots  dé  : 

heup   pour  loup  ^   qui   semble  dériyé  de  lupus. 
Franger^  en  Pranger 

pour  au  dîner^  pen-  ^ 

dantrheure(/i«cf//i«r,  de  prandercj  verb. 

Allume  lie  ou  lumelle , 

4* 


52  MÉMOIRES  DE  IK  SOCIÉTÉ  ROYALE 

pour  le  couteau ,  ou 
seulement  U  lame 
du   couteau^     qui    semble    dériré  de  lamelta^  sub. 


Lumer  pour  éclairer^ 
Minable^  m  minable  ^ 
l'extérieur  de  celui 
dont  la  santé  parait 
mauvaise,  ou  dont  la 
mise  oulesYêtemens 
sont  déchirés  et  an- 
noncent  la  misère , 
Proyer  pour  pàcher^  ce- 
lui <iiii  fait  paître  les 
^  Taches  9 
Sola  pour  souliers^  san* 

dales  y 
Ondée  ^ur  pluie j  onde. 
Pour  une  mare  ou 
petite  étendue  d'eau. 
Pleuve  pour  pluie  j 
ExepererfimT  attendre, 
Adjouter  pour  ajouter. 


de  luminare  yyeth» 


de  minere  j  terb. 


de  produx,  sid». 
de  Boleaf  sub. 


de  unda,  sub. 
de  ptuviaj  sub. 
de  exepectare,  yerb. 
de  adjungerey  rerb. 


Le  langage  des  is''  et  iS''  siècles  dans  cette  partie 
de  la  France  nous  présente  aussi  des  expressions 
qui  dénotent  une  origine  toute  latine. 

Honour  arèc  une  seule  n 

pour  honneur,  qui    semble  dériré   de  honor^  sub. 
Los  pour  louange  ,  de  laue,  sub. 

Vélicious    pour    déli^ 

cieux  ,  de  delicioeus ,  eLdi, 

n  ne  manque  qu'un 
«  dans  ce  mot* 
F'olist  pour  iwulut,  de  poluit,  rerb. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  53 

Je  me  borne  à  ces  citatioos  qui  seraient  suscep- 
tibles d'une  grande  extension. 


•ÉW 


MEMOIRE 

Sur  des  antiquités  celtiques  ou  gauloises  du  départ^menl  4e 
la  Charente-Inférieure;  par  H.  le  baron  GiAVDairc  die  Cra* 
zannes ,  membre  de  la  SocîAé  royale  des  antiquiiirçs  de 
France. 


^EXTRAIT  n'vRB  LETTRE  iCRITB   A   LA  SOGliTJ.  ) 

iJ  NB  excunsion  archéologique  que  je  vieûs  d'exé- 
cuter dans  le  dépaigrnientde  la  Charente^  etlesutiles 
indications  qui  m'ont  été  données  par  mon  sarantcen-* 
frère  d'académie^  M.  Fleunau  de  Bellevaey  à  nM)n 
passage  à  la  Rochelle  (i  ),  m'ont  fait  connaître  plu- 
sieurs antiquités  celtiques  dont  j'ignorais  l'existence 
lorsque  j^ai  fait  imprimer  mon  ouvrage  sur  les  anti- 
quités inédites  ou  nouvellement  expliquées  de  la  ville 

(i)  M.  Fleuriau  de  Bellevue,  membre  de  la  chambre  des 
députés^  a  eu  la  bonté  de  me  communiquer  un  Mémoire 
maouscrît  sur  les  monumens  antiques  de  TAuniS;  lu  à  l'aca- 
démie de  la  Rochelle  il  y  a  quelques  années  :  j'y  al  puisé  des 
'«nieiguemens  utiles. 


54  M£JfOIR£$  b£  LÀ  SOCIÉTÉ  ROYALE 

de  Saintes  et  du  département  de  la  Charente  -  Infé- 
rieure (i).  Jen*y  ai  fait  mention  que  de  quatre  pierres 
levées  ou  dolmens ,  et  il  s'en  trouve  aujourd'hui  seize 
à  ma  connaissance  dans  ce  département.  M.  Bouri- 
gnon  (2),  qui  écrivait  au  moment  de  la  révolution , 
n'en  cite  que  deux  çjans  la  ci-devîtnt  province  de 
Saintonge. 

Je  n-afonlerai  rien  ici  à  ce  que  j'ai  dit  dans  Tou- 
vragé'ieû  question  sur  la  pierre  levée  de  Givrac,  com- 
mune de  Geay,  près  de  Saintes.  J'en  ai  donné  les 
dimensions  (3),  et  j'ai  rapporté  les  traditions  et  les 
croyances  populaires  qui  s'y  rattachent .  MM.  de  la 
Sauvagère  (4)  et  Bourignon  avaient  déjà  parlé  avant 
moi  de  ce.  mpaument.  Moo,  ami ,  {eu  M.  Millin^  l'a 
aussi  signalé  dans  son  Voyage  dans  les  départemens 
du  midi. 

Je  parlerai  de^çuveau  et  avec  plus,  de  détail  de 
la  pierre  levée  de  la  Jarne^  pHft  de  la. Rochelle^ 
l'ayant  visitée  et  examinée  av4G  une  nouvelle  atten- 
tion dans  la  tournée  que  je  viens  de  faire. 

Le  père  Arcère,  datis  son  Histoire  de  la  Rochelle(5) 

(1)  l&itok.  m<-4\  Paris»  iSaoi  Gbes^  Hebuse^  Treultel  et 

(2)  Recherches  sur  les  antiquités  celtiques  et  romaiDes  de 
là  proyince,  de  Saintonge  ^  un  vol.  in-4''. 

r5)  x3  pieds,  non  de  circonférence^  comme  Ta  écrit  Bouri- 
gnoQ^  mais  de  diamètre. 

(4^  .Antiquités  dans  les  Gaules.  — Kçchçrhçs  sur  les  ruines 
romaines  de  Saintes  et  des  environs ,  un  vol.  in-4''. 

(5)  Deux  vol.  in-4%  T.  I,  pag.  3179. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRAiîfCE.  55 

est,  je  pense ,  le  premier  écrivain  qui  en  dise  quel* 
quechose.  11  pensait,  d'après  l'opinion  de  son  temps, 
que  c'étaitun  tombeau ,  et  peut-être  celui  de  quelque 
chef  de  ces  Wisigoths  qui  se  dispersèrent  dans  ces 
contrées ,  après  leur  défaite  et  celle  d'Alaric  leurroi, 
par  Glovis,  dans  les  plaines  de  Poitiers.  Je  ne  m'atta- 
cherai pas  à  relever  ici  ce  qu'il  y  a  d'erroné  dans 
cette  conjecture.  Ces  sortes  de  monumens  étaient 
moins  bien  observés  et  connus ,  à  l'époque  oùM.  Ar- 
cère  écrivait,  que  de  nos  jours  ;  et  Ton  se  trompait 
égaleraient  sur  leur  origine  et  sur  leur  destination. 
Témoin  les  méprises  de  M.  de  la  Sauvagère,  touchant 
les  fameuses  pierres  de  Carnac. 

Le  dolmen  de  la  Jarne  est  placé  sur  une  éminence 
d'où  la  vue  s'étend  au  loin  ;  il  est  de  médiocre  gran- 
deur. Sa  table,  quia  2  mètres  599  de  longueur,  était, 
dans  le  principe,  soutenue  par  quatre  pierres  ou  pi- 
liers sur  dpux  rangées  parallèles  ;  elle  ne  l'est  plus 
que  par  trois,  encore  le  troisième  qui  supporte  seul 
la'  table  à  une  de  ses  extrémités ,  est-il  fracturé  par 
le  haut,  en  sorte  que  ce  monument  est  menacé  d'une 
chute  prochaine.  Cet  av^l  a  trois  pieds  et  demi  de 
hauteur. 

M.  Fleuriau  à  remarqué  avant  moi  que  la  pierre 
levée  de  la  Jarne  est  presque  entièrement  composée 
de  coquilles  et  de  madrépores ,  et  qu'elle  diffère 
beaucoup  de  la  banche  compacte  qu'offre  le  sol  sur 
lequel  elle  est  placée.  On  trouve  de  grands  bancs  d'un 
grain  tout  semblable  le  long  des  falaises  d'Angoulin 


56  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

et  dans  le  vallon  de  Salles^  à  une  assez  petite  distance  ; 
elle  en  aura  été  extraite  probablement. 

Cette  observation  a  été  faite  dans  plusieurs  lieux 
relativement  à  des  monumens  du  même  genre^  et 
elle  ^mble  attester  que  les  Celtes,  ainsi  que  les  Ro- 
mains, pour  les  constructions  de  leurs  Hermès,  termes 
ou  bornes,  choisissaient ,  autant  que  possible  ,  des 
pierres  étrangères  au  lieu  où  ils  les  établissaient,  afia 
qu'elles  fussent  mieux  caractérisées  et  plus  faciles  à 
reconnaître. 

Je  ne  ferai  aussi  que  rappeler  ici  le  dolmen  dit 
pierre  ginse  y  situé  àFonclair,  commune  de  Cosnac, 
parce  que  je  l'ai  également  compris  dans  la  nomen- 
clature des  monumens  celtiques  donnée  dans  mon 
ouvrage. 

Il  existe  trois  dolmens  ouverts,  de  moyenne  gran- 
deur >  et  réunis  dans  une  même  enceinte,  dans  la 
commune  de  la  Vallée,  sur  la  commune  du  Port- 
d'Auvaux  à  Roche  fort. 

Le  dolmen  de  pierre-folle,  près  du  lieu  de  Mopt- 
guyon ,  offre  une  table  d'une  seule  pierre  de  grès 
très-dur,  de  y  mètres  127  (vingt -deux  pieds  de 
longueur)  ;  au  moraen  t  où  j'en  faisais  Texamen,  il  était 
question  de  le  détruire  pour  ferrer  de  ses  débris  une 
grande  route. 

Un  parreil  monument,  connu  sous  la  dénomination 
de  pierre  levée  de  Saint*  Germain  de  Marancennes, 
se  voit  prés  du  village  de  Brette. 

On  remarque  encore  deux  dolmeris  le  long  d'un 


DES  ANTIQUAIRES  DB  FRANCK.  67 

ancien  chemin^  près  de  la  métairie  de  THoumée , 
commune  de  Saint-Laurent~de-la-Prée^  à  une  lieue 
de Rochefort.  Ils  ont  environ  2",599  (^^^î*  pieds) 
sur  chaque  face  ;  Tun  d'eux  est  fermé.  Sa  table  est 
percée  d'un  grand  trou  par  où,  sans  doute ^  s'écou- 
lait le  sang  des  victimes.  Cette  circonstance  se  repro- 
duit assez  fréquemment  dans  ces  monumens ,  ainsi 
que  nous  avons  eu  l'occasion  d'en  faire  ailleurs  l'ob* 
servation  relativement  au  dolmen  de  Geaj  dont  la 
table  comme  celle-ci  se  trouve  percée  au  milieu  (i). 
L'opinion  populaire  veut  que  les  deux,  dolmens  de 
la  métairie  del'Houmée  soient  des  tombeaux  romains 
(cardans  ces  contrées  tout  ce  qui  est  antique  et  étonne 
l'imagination^  est  réputé  appartenir  à  ce  peuple),  et 
SOQ  ouvrage,  idée  du  reste  assez  généralement  ac- 
créditée dans  tous  les  pajs  de  la  domination  ro- 
maine. 

Le  bois  de  la  Sausay ,  commune  de  Soubise^  pos- 
sède aussi  trois  dolmens  ;  le  plus  considérable  con- 
sistant en  une  pierre  longue  de  /i^,S'jZ  (quinze 
pieds)  et  large  de  1^,624  (cinq  pieds),  n'est  mainte- 
nant soutenu  que  par  trois  piliers;  les  «autres  sont 
brisés  et  renversés.  Le  second ,  mieux  conservé,  est 
supporté  par  trois  piliers  de  2", 274  (sept  pieds) 
de  hauteur.  Sa  table  est  formée  d'une  pierre  de  2", 
924  (neuf  pieds  )  de  chaque  côté.  On  prétend  qu'à 
h  suite  se  trouve  une  galerie  souterraine ,  ce  que  je 

(1)  De  là  vient  que  plusieurs  de  ces  monumens  ont  repu  le 
nom  Tulgaire  de  pierre^percéè. 


1 


58  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

n'ai  pu  vérifier.  Le  troisième  dolmen  n'est  plus  qu'un 
monceau  d'énormes  pierres. 

Les  deux  premiers  de  ces  monumens  étaient  fer- 
més; ils  sont  à  quarante  toises  l'un  de  l'autre;  le 
troisième  en  est  éloigné  de  soixante  et  dix. 

Sur  le  chemin  de  Dolus  (  ce  nom  est  remarquable, 
il  vient  du  breton  Doly  pierre  ) ,  à  Saint-Pierre  ,  île 
d'Oléron ,  est  un  autre  dolmen,  appelé  par  les  gens 
du  pays  la  Galoche  (i)  et  /a  cuiller  de  Garguan- 
tua  j  comme  la  fameuse  pierre  levée  de  Poitiers  a  le 
nom  de  pierre  de  Gargantua^  dénomination  dont 
l'ingénieux  curé  de  Meudon  a  tiré  parti.  Ce  héros 
de  Rabelais  est  une  espèce  de  personnage  historique 
parmi  le  peuple  et  dans  nos  campagnes  ;  on  lui  at- 
tribue certains  ouvrages  singuliers  et  gigantesques 
comme  lui,  c'est  un  honneur  qu'il  partage  avec  les 
Romains. 

Dans  cette  même  île  d'Oléron  on  voit  encore  un 
de  ces  autels  druidiques  qui  a  donné  son  nom  au 
lieu  de  pierre-levée  sur  lequel  il  est  situé.  La  carte 
de  Cassini  indique  enfin  un  de  ces  monumens  près 
à'jirdilières.  Il  existe  encore,  et  a  environ  2°',274- 
(sept  pieds)  de  longeur.  Il  estsupporté  par  trois  pi- 
liers en  pierres  debout  qui  en  forment  un  dolmen 
fermé. 

Nous  ferons  ici  la  remarque  que,  dans  les  temps 

# 

(i)  Ou  plutôt  galloche.  Cette  chaussure  gauloise,  ainsi  que 
son  nom»  gallica,  l'indique^  est  celle  de  tous  nos  pâjsan^  qui 
la  tiennent  de  leurs  ancêtres. 


'     IXES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  Sg 

antérieurs  à  notre  révolution,  il  existait  dans  ce  dépar- 
tement plusieurs  Jiefs  sous  cette  dénomination  de 
pierre  lestée;  ce  qui  indique  nécessairement  Texis- 
tence  présente  ou  passée  de  dolmen  dans  les  lieux 
ainsi  désignés.  On  n'en  retrouve  plus  aujourd'hui  de 
traces.  Ds  ont  été  successivement  détruits  par  l'igno- 
rance et  la  cupidité,  d'après  l'opinion  généralement 
accrolitée  qu'il  y  a  des  trésors  enfouissons  ces  monu- 
mens,  ordinairement  des  veaux  d'or.  C'est  à  ce  der^  ' 
nier  motif  qu*on  doit  l'ébranlement  et  la  mutilation 
récente  de  la  pierre  de  la  Javne.  Cependant  on  ne 
trouve  guère  dans  ces  fouilles  que  des  ossemeus  (  i) , 
ceqni  explique  l'opinion  qui  a  fait  de  cei$  pierres  celti- 
que des  tombeaux  gaulois  ou  romains.  Mais  il  est  pro- 
bable que  ces  débris  y  ont  été  amoncelés  à  des  épo- 
ques postérieures  à  leur  érection.  Ces  autels  druidi- 
ques ont  tous  le  même  caractère,  les  pierres  en  sont 
toujours  brutes  et  non  taillées;  ceux  de  la  Charente- 
Inférieure  soifP parfaitement  semblable»  à  ceux  qui 
ODt  été  reconnus  et  décrits  sur  d'autres  points  de  laî 
France. 

J'ai  donné  précédemment;  dans  le  même  ouvrage 
déjà  cité,  une  nomenclature  assez  étendue  des  tumuU 
ou  tombelles  du  département  de  la  Charente-Infé- 
rieure. Mon  savant  confrère,  M.  Fleuriau  de  Belle- 
vue,  m'en  a  indiqué  trois  nouveaux,  à  moitié  chemin 

(i)  Quelquefois  des  haches  et  autes  instrumens  tranchant  y 
soit  ea  bronze  ou  en  silex,  comme  à  Geay. 


•  ' 


6a  mémoihes  de  la  société  roïalk 

de  Nouaillé  à  Courçon  y  arrondissement  de  la  Ro-* 
chelle^  sur  une  hauteur  d'où  l'on  découvre  presque 
tout  le  département  de  la  Vendée  ^  au  bord  de  Tan*- 
cienne  route  de  Paris ,  et  à  la  croisière  du  chemia 
de  Liversai  à  Saint-Sauv 

Ces  trois  buttes  sont  nommées  dans  le  pays  ^  buttes 
des  Moindraux;  elles  sont  composées  d'un  amas  de 
pierres  et  de  blocailles  y  et  dirigées  à  peu  prë»  de 
l'est  à  l'ouest.  La  principale  a  4""?  3^3,  (treize  pieds) 
de  hauteur  sur  i6'"^24â  (cinquante  pieds)  à  sa  base  ^  et 
8i'°,2i8  (deux  cent  cinquante  pieds)  de  longueur. 
Les  deux  autres ,  à  quelques  pas  de  distance ,  sont 
de  moindre  hauteur,  et  ont  à  peine  3s™,484(  une 
centaine  de  pieds)  de  long.  Le  flanc  de  ces  buttes 
qui  est  exposé  au  nord^  est  généralement  plus  à  pic 
que  celui  du  midi;  et  elles  sont  toutes  les  trois  plus 
élevées  à  leur  extrémité  orientale  que  vers  le  cou- 
chant. 

Le  littérateur  que  nous  venons  de  Ébmmer  a  émis 
l'ingénieusp  conjecture  que  ces  tertres  sont  des  sé- 
pultures élevées  après  une  bataille  où  succombèrent 
des  troupes  de  trois  différentes  nations. 

Un  autre  tumulus  construit  en  terre  de  forme 
conique  et  très -élevé  se  voit  entre  Verrine  et 
Saint-Soule,  près  de  la  Rochelle.  Je  n'en  ai  pas 
non  plus  parlé  dans  mes  antiquités  de  la  Charente- 
Inférieure,  et  je  répare  cette  omission. 

Outre  ces  tumuli ,  il  existe  encore ,  sur  plusieurs 
points  du  département  de  la  Charente-Inférieure,  et 


k 


\  DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  6l 

particulièrement  dans  l'ancien  Aunis  où  M.  Fleuriau 
les  a  remarqués,  des  amas  de  pierres  plus  ou  moins 
considérables ,  placés  sur  le  sommet  des  collines  et 
le  long  de  très-anciens  chemins;  ils  reçoivent  dans 
le  pajs  lé  nom  générique  deChirons.  L'académicien 
de  la  Rochelle  y  voit  des  signes  indicateurs  des  che- 
mins que  Ton  consacrait  à  Mercure  j  protecteur  des 
voyageurs,  des  routes  et  du  commerce. 

Selon  notre  savant  et  honorable  confrère,  M.  Hé- 
ricartdeThury  ;  «  on  trouve,  dans  plusieurs  passages 
»  périlleux  des  Alpes  du  Dauphiné  et  de  la  Savoie , 
»  des  monceaux  de  pierres  disposés  en  cônes  ou  en 
»  prismes  triangulaires  et  dont  l'origine  remonte  aux 
»  temps  les  plus  reculés;  chaque  fois  que  les  mon- 
»  tagnards  en  approchent ,  ils  ne  manquent  pas  d'y 
»  poser  une  pierre.  Il  est  rare  de  voir  un  guide  ne 
»  pas  remplir  ce  devoir  religieux  (i  ).  » 

Plus  tard ,  les  Romains  remplacèrent  ces  buttes 
ou  tertres  de  mercure,  signes  indicateurs  dès  che- 
mins ,  par  des  pyramides  ou  obélisques  en  maçon- 
nerie pleine  parementée  le  plus  souvent  en  petites 
pierres  cubiques  ou  moellons  smillés  ;  quelquefois 
ces  monumens  étaient  de  forme  ronde  comme  celui 
SEbuon  ou  Esbéon^  sur  la  voie  romaine  de  Medio" 
lanum  Santonum  (Saintes  ),  à  Limonum  ( Poitiers  ), 
et  d'autres  fois  de  forme  carrée,  comme  la  pile  de 
pire  longe  {pila  longa  ) ,  sur  la  voie  de  Mediolànum 

(i)  Cambry.  Honumens  celtiques,  p.  i24. 


6â  "UEHOIUËS  DB  U  SOGIÉTi  BOYALË 

à  Burdigala  (Bordeaux)  y  monumens  dont  on  a  voulu 
faire  tour  à  tour  des  tombeaux  y  des  phares  ou  f a- 
Daux(i). 

Ces  obélisques  placés  sur  tous  les  grands  chemins 
de  l'empire ,  et  dont  on  en  retrouve  encore  tant  de 
traces  dans  les  Gaule$  et  ailleurs^  étaient  égsjement 
dédiés  à  Mercure  et  aux  du  vialeS;  dont  quelques- 
uns  de  ces  obélisques  présentaient  même  les  simu- 
lacres Mans  des  niches  pratiquées  dans  l'épaisseur 
de  la  maçonnerie.  J'en  ai  observé  plusieurs  ainsi  dé* 
corés  dans  le  pays  des  novempopuU  d'Aquitaine  ,  et 
j'en  donnerai  la  description  dans  le  grand  ouvrage 
que  je  prépare  sur  les  antiquités  de  ces  peuples  (2). 
Il  en  existe  y  à  ma  connaissance,  trois  dans  le  dépar- 
tement de  la  Charente-Inférieure, 

H  y  a  toujours  quelques  croyances  et  quelques 
superstitions  qui  se  rattachent  aux  divers  monu- 
mens que  nous  venons  de  décrire ,  pierres-levées , 
tumtdiy  ckù'onsj  ou  tertres  de  Mercure,  etc.  etc. 
Ce  sont,  aux  yeux  des  habitans  de  nos  campagnes, 
des  ouvrages  des  génies,  des  fées,  des  sorciers,  des 
géans....  ;  durant  la  nuit,  ils  croient  voir  errer  alen- 

(1)  Ce  ne  peut  être  un  phare  ou  fanal,  puisque  l'un  et 
Tûutre  de  ces  monumens  sont  pleins  et  n'offrent  aucune  ou* 
verture  ou  issue  intérieure ,  ni  d'escalier  extérieur  par  lequel 
on  put  arriver  à  son  sommet  pour  7  placer  des  feux  durant  la 
nuit. 

(3)  Deux  Yol.  in-8**,  avec  un  atlas  de  planches.  On  espère 
que  cet  ouvrage  pourra  paraître  cette  année» 


/ 


htS  ANTIQtAlMS  DE  FRANCE.  63 

tour  des  spectres^  des  fantômes  ^  qui  en  défendent 
les  approches....  c'est  à  ces  appréhensions^  à  ces 
terreurs  populaires  qu'est  due  la  conservation  d'une 
grande  partie  de  ce  qui  nous  reste  de  ces  monu- 
mens.  Sous  ce  rapport ,  ne  doit-on  pas  désirer  de 
Toir  nos  grottes,  nos  pierres  celtiques,  nos  tonihelles, 
nos  donjons  gothiques  conserver  cet  attirail  de  la 
féerie,  et  tout  ce  cortège  magique  dont  s'empare 
Timagination ,  et  qui  lui  plaisent  même  en  l'effrajaut? 
sujet  de  ces  contes  si  chers  aux  bonnes  et  aux  en- 
fans  ,  et  qui  faisaient  dire  à  notre  bon  et  grand  La 
Fontaine  : 

Si  Peau  d'Ane  m'était  conté, 
J'y  prendrais  un  plaisir  ettrême..* 


n 


G4  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROTALE 


ESSAIS  HISTORIQUES 

Sur  les  antiquités  du  département  de  la  Haute -Loire; 
par  M.  Maçon  Dbialahdb,  correspondant  de  la  Société. 

V 

Oi  rfaistoire  générale  d'une  nation  porte  avec  elle 
un  si  grand  intérêt^  conibien  l'histoire  particulière 
d'une  contrée  doit  exciter  un  intérêt  plus  vif  encore 
parmi  ses  habitans  et  les  attacher  davantage  au  pajs 
dont  ils  sont  appelés  à  connailre  l'antique  origine  , 
le  rapide  accroissement  et  les  immenses  ressources; 
mais  les  localités  circonscrites ,  les  événemens  de 
détail,  les  faits  presque  domestiques  sont  ingrats  à 
décrire.  Cette  seule  raison  a  peut-être  arrêté  bien 
des  plumes;  peut-être  a-t-elle  concouru  à  laisser 
effacer  les  traces  de  grandes  vérités ,  de  grandes  le- 
çons d'expérience  et  de  sagesse. 

Ess^ajons  de  réparer  des  pertes ,  en  allant  fouiller 
quelques  ruines*  en  dépouillant  d'anciennes  archives^ 
en  feuilletant  de  vieilles  chroniques^  en  interrogeant 
jusqu'aux  fabuleuses  traditions ,  puisqu'elles  sont  les 
nourrices  de  l'histoire^  et  tâchons^  comme  le  statuaire, 
de  faire  sentir  le  nu  sous  le  voile  qui  le  couvre. 

Le  département  de  la  Haute-Loire,  qui  renferme 
le  Velajf  une  partie  de  Y  Auvergne  et  quelques  por- 
tions du  Gévaudan ,  du  Forez  et  du  Vivarais ,  offre 


I 

DES  ANTtQUAIHÉâ  DE  FRANCK.  65 

^ti  alimentaux  recherches  des  curieux.  Sa  po^iliof): 
topographique  y  sod  sol  yolcanisé  ^  pittoresque-  et 
'  productif  ;  rautiquité  deses  villes  et  de  sest  monu- 
mens^  lui  lyiéritent  ofie  place  distingùëe  au  oiilieu  d^s 
plus  riches  portions  du  territoire  fraojçats*  Delà  plu- 
sieurs auteurs  ont  tracé  ses  limites ,  son  étendue  ; 
ont  fait  connaître  sa  population,  ses  productions  agri* 
coles^  industrielles  et  commerciales;  d'autres  ont 
écrit  des  dissertations  savantes  sur  ses  volcans  éteints 
et  sur  ses  variétés  minéralogiques  ;  mais  on  n'a  rien 
dit  que  de  vague  sur  ses  antiquités  ^  où  n*a  pas  cher- 
ché à  en  déduire  les  causes  de  la  première  civilisa- 
tion de  cette  partie  de  la  Gaule  celtique  connue  sous 
le  nom  Ôl  Aquitaine;  on  a  laissé  dans  l'oubli  Iqs  re- 
ligions y  les  lois  et  les  usages  qui  ont  influé  sur  les 
mœurs  dé  ses  peuplades  ;  aussi  est-ce  vers  ce  but 
que  nous  allons  diriger  nos  recherches. 

Il  faut  cependant  marquer  le  point  de  départ  jet 
ne  pas- s'égarer  au-delà  des  temps  où  les  dates  man- 
quent. Si  nous  vouKons  pénétrer  dans  léisi  .antres 
profonds  ou  dans  les  grottes  abandonnées  dès  Drui- 
des,  nous  serions  bientôt  jetés  dans  le  champ  des 
conjectures.  Ces  anciens  prêtres,  ces  maîtres  de  la 
science  et  de' la  sagesse ,  comme  les  appelaient  César 
et  Qcéron,  ne  laissaient  rien  écrire.  Il  paraît  que 
celte  sagesse  si  vantée  consistait  à  placer  sous  leur 
empire  exclusif  tout  ce  qui  tenait  à  la  religion  ,  aux 
loiset  àrhistoîre>;  nous  ne  pouvons  donc  remonter 
qu'à  l'époque  où  les  Romains,  vainqueurs  des  Gaules, 
IV.  5 


V 


I 

06  uinoiRES  DE  u  sociiri  royale 

y  en  itèrent  ém  .wX^mfi^  et  y  fondèreet  de  gTai)4i^ 

Siods  eoaunetieeroBs  ptr  itaUpr  le  pliis  exacte- 
«nenc  possible  tê  iimei^m  «JtepMtishafaitans  dû  ^ys, 
0ÊÏ  l'édo^aât^stH^  qoelifMs  restes  de  OMefomene  et  eç 
iwisant  dassies  auteurs  les  plus  pespecuMes. 

£t  d'ahprcl  nçus  découvtens  ce  pom  <jans  Tins- 
çriplion  grecque  d'une  main  s;^mboU(jqe  trouvée 
dans  le  Yelaj ,  inscriptio;i  pu  se  lisent  ces  mots  : 
§ofiQo}.oy  aeçç  ove^ccvymç»  Ensuite^  au  liv.  y  àe>es  Coro- 
meataires;  César  i^oqime  ces  p/euples  ;  P^elaunfi. 
StraboQ^  au  liv.  4  ^e  ^a  Géographie  :  oy£AA<x/o/;."L*în- 
terprèté  latijçi  de  Ptolomée  ,  en  décrivant  les  pajs 
aquîtani(ju,es ,  dit  :  J^elanorum  civitaç  est  Ruessium . 
Enfin,  les  Romains,  pendant  leup  longue  domination, 
ont  fixé  ce  nom  sou$  celui  de  f^ellas^iy  qui  dérive  et 
se  compose  de  tous  leç  autres,  et  quinous  est  transmis 
par  des  inscripUons. 

^ppjlés  ^ijir  Qe;siaHo^t^^ie'es|  4WÇ  4pp  VéUm- 
ikim$  ptide  leiarprwcdjijJ?  xâté,l>îatiqpp,/îj^,W<w^ 
i[^  noiw  aUpi»  .p^tfj^.d'abfird;  ^^m^  f  JW  réidljw 
^aas>lït  snite  Ii<^feçonfu^o;a,pow^^l)ai3$^iauqn^ 
io^^vlUude  iUq$ Jk^diéocHi^iaatiwis^ ,i)  .ef^t  Âa4î{^.Ç9- 
^ahle  de  ir^pdeavqvie  JUi^s^'wu  p^rdif.  sçt^  AQ^^IpiSs 
.da  la  ^«itrai^te  des  Rpiq^iQ^j,qvr'eUe  prit  s^Iqj:s  çel^i.<l^ 
VMay,^e  y  et  qi|ie,  plus  tajcd^  ^e2;^çiitiC^l;ui(le^^/q;j^- 
JPnufiea,  queUe,por,te  enco^  aujou;i:d'hi|^;  cpn^fpp 
tQi^t^e  pays  a  étié,çQnnud;^pi^S(Spus  .celpi  de  Felf^y^ 


Loiçe. 

P^utêtce  so^  un  aixxm  ww.,  gy^oA  k  çPAq^ofiç  ^ 

eUe^  fut  jugée  ^il^^p>t\bJ6  d^  dev^p^ip.  }ym  pOStç;  ](i|i]Â- 

taire  iffipprfaBt,  pfty  f^iad*  q9çl<j«ç«  ét»bU^sw.çxi^4- 

Uqq.  EUet  étail  ft&a  éloigaé^^  dQ  Lj^n  ç|Qn|  il  f^^ait 
la  capitalfi  4e  tome,  k  Gaule  ci^UiquQ,  g^se  tr^uy^lj 
4^9$  PQÇ  %a«  dwgo^alg,  païf^itçwfiîlt  ^ WtÇ .  ^u 
n^d-:ç§t^Rs^ud-ouç^t,  c'^§*-à7diTfi  4aft§  Va%^ewQftt 
de  1  Uï^e  ifesbeUç^  yqi^^  rqmaine,^  qui  çq  dirigça^içi^t, 
(}q  byillfi  dç  ijQ^  pwççUp  d^AwçL  yer§  l'Espagne 
Qjà  Ifi^Ç^^oça^ia?  ^yaifipt  d,ç j  k  de?  coIoiiiefiL 

ÇaFap  7-?5  d^  Bqiçiç,  Qctayî^ç  Çç^aç ,  alox?  ^-^ 
p^^eiïT  ?9^s  Iç  t^î^Q  4'Aflg|jçte ,  §^t?n»  re^du  pjiftÇilà 

pçeo^èr^fojis  dapslps^^^ajo^s^  #9i  j|'ypTOçlîffii8r4ei  tais 
fiMyqqpji,  4  NarMom^,  pse  ft|ç.emWée  gép«ralç  4^5 
qii«il»  /^«/^«^  m  h  Wqr  dpTOt  «pe  pprM«n  m9i 

«)§«d«wWe  ^ç  kprQ^iBP^  aquitaqiquç,  eUoiH;|;?ij; 
fifflâre  ç[pA9gam,  m  la  yi^itaql;,  fl^iiaa  ugç  a^ça- 
tiftP  pfçtiçidièçe  iJasitB^tipa  ^e  fliiesuim  ^  etqij'il 
jug^  qiécfjsçwe  d'y  Qr4wuierl4  copstouçtian  de  plu- 
si«^$s  s4i6pç?  açsç?:  spacieux  eÇ  Qonyfiftii^ilps  ppuç  le 
logement  de  ses  troupes  et  des  coloniççipopijl^j^^çs 
qu'il  youlait  j  envoyer  ;  qu'il'  commença  à  y  élever 

5* 


6S  -  MKMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

lespreini€rs  temples  et  les  premiers  monumensdout 
nous  retrouvons  çà  et  là  quelques  débris  ^  et  qu'il 
ouvrit  plusieurs  routes  qui  devaient  en  rendre  les 
a]>Ords  plus  faciles  et  le»  environs  plus  agréables. 

On  peut  donc^  avec  une  espèce  de  certitude^  fixer 
au  commencement  du  huitième  siècle  de  Rome  To- 
rigine  de  Ruessium  y  comme  prenant  rang  parmi  les 
cités  et  comme  devant  bientôt  marquer  parmi  celles 
qui 9  au  milieu  des  établissemens  nouveaux^  durent 
au  peuple  vainqueur  leur  utile  existence ,  leur  ra* 
pide  accroissement  et  une  sorte  de  célébrité. 

Mais  avançons  pas  à  pas  avec  l'histoire  générale^  et 
suivonsAuguste  dans  son  second  voyage,  en  Tan  737. 
Noud  le  verrons,  fixant  le  sort  de  ses  nombreuses  co- 
lonies, venir  consacrer  la  fondation  de  Ruessium , 
qu*à  cette  époque  il  déclara  Ville-libre  et  capitale 
des  peuples  Véhxuniens ;  c'est  ce  que  constate  d'une 
manière  irrévocable  la  belle  inscription  que  le  ha- 
sard nous  a  fait  découvrir  vers  la  fin  de  Tannée  1820. 
~Elleest  maçonnée  à  o"*,65o  (deux  pieds)  du  sol , 
dans  la  façade  méridionale  et  à  Fangle  sud-^est ,  d'un 
édifice  occupé  aujourd'hui  par  plusieurs  ménages, 
et  connu  autrefois  sous  le  nom  de  chapelle  de  Notre- 
Dame  du  Baut-SoUer;  édifice  qu*on  dit  avoir  été  la 
première  église  bâtie,  dans  ces  contrées,  par  saint 
Georges  lui-même,  l'envoyé  de  saint  Pierre  ,  pour 
prêcher  l'Evangile  dans  cette  partie  des  Gaules,  et 
qui  vint  y  fonder  en  quelque  sorte  le  siège  épis-^ 
copiil  du  Vêlai. 


î>£5  ANTIQUAIKES  D£  FRANCE.  6g 

r 

'  AVGN.   , 
CIVITAS  VELLAYOR 

LIBERA 


Auguêtro  NoBtrOf 

Cipitaa   VeUai^orum 

Hbera. 

€ette  inscription  sur  laquelle  nous  nous  appuyons 
appartenait  sans  doute  à  quelque  grand  monument 
élevé  ;  par  la  reconnaissance  des  habitaos  de  Rues-- 
siunit  à  la  gloire  du  prince  qu'ils  regardaient  comme 
le  fondateur  de  leur  cité  >  d'une  cité  qu'il  avait  dé- 
cide libre,  et  à  laquelle ,  par  conséqqent,  il  avait 
conféré  lesdroits  municipaux.  Gomme  les  cités  libres 
et  municipales  donnaient  le  droit  de  bourgeoisie  à 
Rome  même^  c'est-à-dire. que  leurs  citoyens  pou- 
vaient entrer  dans  les  charges  et  o^agistratures  ro- 
maine^L ,  il  était  naturel  que  la  reconnaissance  s'ex- 
primât dignement  en  l'honneur  du  chef  de  l'empire , 
en  l'honneur  d'un  souveraiu  d'ailleurs ,  qui  venait , 
dit  un  historien  célèbre ,  <c  procurer  aux  Gaulois  le 
«  seul  avantage  qui  leur  manquât ,  la  culture  des 
«  lettres  et  lei?  premiers  élémens  des  sciences.  »  •^- 
Ge  fait  est  avéré  ;  c'est  à  cette  époque  qu'Augu3te 
établit  dans  les  Gaules  plusieurs  écoles  d'éloqu^ce 
et  de  littérature  >  parmi  lesquelles  on  cite  celles  de 


^O  MÉMOIRES  DE  tK  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Lyon  et  d'Âutun.  «  Il  savait^  dit  le  même  auteur^ 
•  que  le  principal  fri)it  îàéd  lettres  est  d'adoucir  les 
ft  mœuf s  et  de  rendre  les  hommes  plus  susceptibles 
«  de  sounÂssioàleft  d'abéisSan te  ;  stassi  vit-on  les  Gau^ 
«  lois  prendre  en  même  temps  les  mœurs  et  les 
«c  connaissances  des  Roàikitrs;  » 

On  aura  bientôt  Toccasion  de  reconnaître  Tayan- 
ta^e  que  les  Celtes  retirèrent  d'une  telle  fusion  de 
principes ,  de  lois,  d'usage^  et  dé  lumières. 

Mais  revenons  à  Rues'sàim,  Il  serait  difficile  aujour- 
d'hui de  déterminer  exactement  quelle  était  son  en- 
c^fë  ^^ "Sm  étendues  iti^iis  ^"moitis  pévX-àti  se  ïaire 
ttie  liée  dé  Wt  emplkccfm^ût.  '^te  devait  'éïtt  â»- 
^dèïa^e  %a  yfflfe  âcfÉteUe  ^dte  'Sàïni-PàuK^ ,  vinrs  le 
liôi^';  de  d6nt  il  éit  licite  de  jtfger ,  non  ^éâeftatient 
-^r  Bës  reieè^  dte  foûdafionS  et  v!è  ttiotiU&ien^  /  par 
dés  ibédàiU^â >  de&  Vâisës,  'Aes  anoures  et  d'atktrës 
'dhf èts  q*<i\>n  i^ti'otivë  frêquémtnent  en  travâittaât  à 
la  ciftttîrè  dés  tcrtés ,  tfiaîs  encore  par  là  belle  posi- 
tion q\j(fù  y  Vëmiai^ue  fateàtft  face  an  roidî.  Eh  effet, 
'en  ^é  plkcaifrt, pair 'eiîemplé,  sur  lé  coteau  qui  forme 
Te  foiïdd^h^éttcîds'àppartéilànti  M.  de  Soliïhac,  oh 
véSt'sè  destrier  àù-^dèisîsufe  dé  la  Ville  iin  superl>ëbas- 
sîh  ^cîi  àiiiphîffl^fafet-^-Xâéfi^m/n  étàiflà  hécéssài- 
'ïettfèWt,  assîife  éft'à'dtfssêe  à  un  mont  eh  hénlfcj^cle , 
dBrit  li^ënfe  ndtëi^ëBe  semblé  avoir  ^të  ^dis]^osée 
pà/la  itfâîh  &^TfrtnMésfet^ùil'abritaît  <ïèsTénts  dh 


©h  ihéhté^^èW*Nift  îî  est  ai^  de  recohôaîîfre  que  îa 
VUfe  àdiiëUe  Wepoùvaît  idéitiet  qù'tthc  *es-  è*tré- 


itiité^r  de  fiùtitûûe  ,  la<{trelle^  BtM  âùuie,  tî'à:  été 
défMsite  qu'tn  haine  à'the  domîkiatioti  étrâtig'ëre  et 
à'nûe  i^l^iofi  dotit  là  religion  ûOUYeRe  arâît  iûtérét 
à  faire  disparaître  jusqu'aux  derniers  vestiges ,  jus- 
qu'au moîtidre  souYenif . 

Là  petite  ville  dé  Samt^PaUlien ,  tdie  qu'elle  est 
aujoUind'htti^  â  pr<)fité  des  débris  de  Ruessium.  Il 
n'est  presque  pas  d'édifice  qui  n'eit  offre  k  ptéuve: 
On  y  remarque  partout  d^énormes  pierres  qui  ont 
eu  d'autreSr  dîestbàtioiïa^^  des  fragmens  de  setalptures 
et  d^  colonnes  ^  dès  mosaïques  et  de!$  ins^criptions , 
souvent  placés  au  hasard  dans  les  constructions 
môdtétties.  Nt^us  râppûrterons  ce  que  nous  aurons 
trOttfë  de  mieui  eonscrvé ,  ce  qui  pourra  intéresser 
dava&tli^e  sous  le  rappof^C  général  ou  particulier. 

Ce  fut  sans  dtnite  lors  du  second,  voyage  d'Au- 
guste dàS^les  Gâttles,  dont  notis  avons  déjà  parlé, 
que  Tort  vif  s^élever  de  nouveaux  monumens ,  que 
les  tetôples^è  multiplièrent  avec  la  population  /  et 
que  là  reiigioâ;  dealldmains  conmxetiça  à:  irionq)hér 
de  oèlle  des  Druides.  Les  sacrifices  des  victimes  hu- 
mainres,  ordoufiés  p^r  le^  lois  de  ces  derniers,  firent 
piàée  twiL  sacrifices  des  animaux,  aijx  oflfrandes  dès 
fruits  et  ides  productlctos  de  la  terre  j  les  mœurs  »'a- 
dôtrcitétit  peu  à  peo ,  et  ia  civilisation  fit  des  progrès 
rapides.  Tout  devait  j  concourir  :  Tarcbitecture  ro- 
maiffe,  remplie  de  grandeur  et  de  noblesse,  répandit 
le  goût  du  beau.  Nous  donnerons  bientôt  une  idée 
et  t^  que  firent  alors  ces  successeurs  des  Orecs 
dans  ks  arts,  pour  immortaliser  Tépoquë  de  leur 


^2  ,  MlÉHOI&fS  D£  JLf  SQCiàïi  &OXAJLE 

doaiination.  On  aime  à  relire  .  dans  une  disseriaUon^ 
itxtéresswte  sur  les  Volces^  Tbommage  que  leur. reQ"^ 
dent  encore  aujourd'hui  nos  contemporains:  «La 
«  sculpture  j  dit  ^'auteur^  suivit  ou  accompagna  Far* 
«  chitecture  dans  les  villes  devenues  colonies  ro- 
«  maines  ;  les  Gaulois  la  mirent  en  œuvre  pourçon^ 
«  sacrer  à  la  postéritéles  belles  actions  et  les  bienfaits 
«  des  Césars  ;  ce  qu^on  ^voit  par  des  bas-reliefs  et  des 
«  statues^  de  manière  grecque  et  latine  y  de  la  der-', 

<  nière  perfection  et  en  toutes  sortes  de  grandeurs  > 

<  qui  se  trouvent  dans  différentes  villes  du  Lan- 
«  guedoc.  M 

En  effets  lorsque  nous  aurons  à  parler  Ôl  Aniciumy 
emplacement  actuel  de  la  ville  du  Puy ,  chef-lieu  da 
département  de  la  Haute-Loire ,.  nous  aurons  à  dé- 
crire des  bas^reliefs  j  des  colonnes ,  des  chapiteaux^ 
desfragmens  de  sculpture  et  d'architecture  qui  cons* 
tarent  cet  amajgame.  du  style  grec  et  romain  ,  dont 
pqirle  le,  passage  que  nous  venons  de  citer  ;  et  il  est 
bon  de  prendre  acte  de  cet  amalgame ,  parce  qq^il 
s'est  probablement  étendu  davantage  encore^  et  qu'il 
peut  remettre  sur. la  voie  pour  interpréter  de  très- 
anciennes  insicriptions  dans  lesquelles  se  seront  mé- 
l.angés  les  caractères  gaulois  ^  grecs  et  romains ,  lors 
de  la  fusion  de  ces  différens  peuples.  X^e  patois  lan- 
guedocien  nous  conserve  encore  la  preuve  de  cette 
fusion  ;  puisqu'il  n'est  qu'un  mélange  altéré  de  mots 
latins  et  d'expressions  d'origines  diverses. 

Rufssiiwij^^n  prenant  de  l'accroissement^  en  vojaat 
s.e  former  daps  son  sein  de  grands  établissemens , 


D^S  ANXIQUAIREÇ  DE  FRANCE.  jS 

devait^  âelon  l!u$age  dçs  anciens,  vair bientôt  aussi, 
sur  les  hauts  lieux  qui  Tavoisitiaient.,  s'élever  des 
templeis  aux  divinités  qu'on  voulait  rendre  les  pro- 
tectrices du  paysi  et  c'est  ce  qui  nous  conduira,  à  tra- 
vers lUncertitude  des  temps,  vers  les  monts  et  les 
ruines  de  Polignac  et  A*Anis. 
:  En  cberchant  où  pouvaient  être  construits  quel- 
ques-uns des  temples ,  ou  leurs  dépendances  dans 
rioftérieur  de  la  ville  de  Ruessium  ,  il  nous  semble 
qu'on  peut  s^arrêler  sur  l'emplacement  de  l'église 
actuelle,  sur  celui  nommé  Marcké-Diale  ,  et  sur  le 
tertre  élevé  qui  a  conservé  le  nom  de  HaulSolier. 
Nous  aurons  à  parler  de  ces  diflPérens  endroits, 
qui  conservept  quelque  chose  de  leur  ancienne  des- 
tination. 

Attachons-nous  d'abord  à  l'église  ;  c'est  dans  ses 
murs,  dans  son  pourtour ,  dans  une  partie  de  son 
architecture ,  que  nous  allons  trouver  nos  premiers 
élémens.  Sa  forme  est  toute  particulière  :  on  y  re- 
marque trois  demi-rotondes  ,  dont  l'une  forme  un 
sanctuaire,  et  les  dieux  autres  des  chapelles  latérales. 
Elles  sont  d'une  su^'chitecture  plus  antique  que  le  corps 
de  l'édifice,  et  ferident  croire  qu'elles  sont  un  reste 
d'édifice  plus  ancien.  Les  mosaïques  qui  les  déco«- 
rent  extérieurement,  sont  d'un  dessin  assez  beau 
et  assez  varié.  Les  colonnes  en  sont  petites  et'maigres, 
mais  bien  taillées  et  proportionnées  à  une  construc- 
tion qui  ne  devait  être  qu'accessoire  j  car ,  en  exanli- 
nant  de  près  l'intérieur  et  Textérieur,  on  reste  pres' 


^4  UEMOIBES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ftOYAIE 

qtre  conraincu  ^till  existai!  ûtte  ^uàtuAkiàù  èeuâ-tù^ 
tontdé^ët  qu'un  téinple^dé  îëtiAè  citiciilal^e  4fa  carréë> 
^élevait  âtt  cehtre.  Gë  qni  à^pëi^ait  la  «onjecturé 
qb'un  téinple  a  existé  èur  le  mêtàié  emplateme&t  y 
é'ëst  q(ie,  pôui»  peu  qu'on  remue  les  tétreft  qui  Teû- 
tourent^  on  trouve  une  quà&tité  de  belles^  piètres  bien 
taillées^  dontplusietji^  àônt  encore  liées  eiit^e  elles 
par  le  ciment.  Récemkheiit;  oh  en  a  entrait  beâitl- 
coup  dont  oïl  a  fait  tôustrtis^e  unpottail,  et  qu'on 
à  employées  dans  des  eneadrémens  en  maôcmnerie* 
Nôtis  àUdns  donner  une  idée  des  divers  objets  qui 
se  trouvent  placés  au  liàsard  dah^  la  façade  stp^ 
tentrionàle  de  l'église.  <^Uoique  non  susceptibles 
d'êtfé  appliqués  à  l'hisloire,  ttk  objets  n'emportent 
pas  moins  avec  eux  un  intérêt  particulier;  el  il^ 
feront  juger  de  ce  qu'on  pourrait  découti^iri  «i  des 
fodilles  ràisonnéès  et  l*aites  avec  soin  étâielit  orààtt- 
fiées  ôti  autorisées  par  là  suite. 

!<>  A.  6",5(>o  (20  pieds)  de  haut  eikyitMi  ^t 
une  petite  statue  sortant  île  la  mtiraâie  plus  ^ti^  de 
xhoitié;  elle  représente  tin  bomitee  nia ,  peut-nètre  uif 
tënfant.  H  est  accroupi  et  tient  ti'ttnô  main  ises  psn^tUil 
sexuelles.  S  pairâiit biefn  dessiné  et  sculpté  èsrï^ditàent; 
inais  il  est  iin  peu  inutile.  Pour  ta  biètl  JQ^  >  â 
fatrdfaîl  en  âpprother  au  ntbyeta  d'une  échèBè;  et, 
mieux  encore ,  il  fanerait  Tenlever  et  là  déposer 
dans  un  musée  où  ;^  l^i  c'e^  une  statue  ptiàfîqtt^, 
^llè  seWit  p^lacéè  plus  convenàMement  qwè  Sut  uii 
temple  catholique^ 


MS  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  'j6 

29  Un  peu  plus  hdiSy  sur  le  côté  â  droite^  est  une 
inscription  très-courte,  ou  fragment  d'inscription. 
On  n'en  peut  riendécliiSVerà  cette  hauteur.  Elle  nous 
a  paru  mal  gravée,  et  lés  lettnes  sont  fort  peu  creu- 
sées. Peut-être  en  existe-t-il  d'autres  du  même  genre , 
qui,  par  leur  élévation,  sont  devenues  impercep- 
tibles au  milieu  des  pierres  noircies  et  dégradées  par 
le  temps.  Quant  à  tout  ce  qui  aurait  pu  être  placé 
dans  la  façade  exposée  au  sud,  on  ne  pourrait  plus 
en  rien  reconnaître;  les  pierres  en  sont  usées  et  creu- 
sées par  la  violence  des  vents  et  des  pluies  du  midi. 

3^  Dans  un  pilier ,  qui  se  trouve  à  peu  près  vers 
le  milieu ,  se  voit  une.  belle  pierre  tumulaire ,  dont 
il  a  déjà  été  parlé  dans  plusieurs  ouvrages,  mais 
dont  on  n'a  rapporté  que  quelques  lettres  assez 
inexactement.  Au  surplus.,  il  n'eu  a  point  été  donné 
jusqu'à  présent  d'interprétation  ,  non  plus  que  d'au- 
*e«l«é  "êës  îiisenptiôbs  dôh't  iiôus  àurôhS  à  Jilarl'ér. 

Il  est  bon  d'observer  qu'elle  est  jplacée  transver- 
'^Iteiiieht,  céqûi  la  reûdplus  difficile  à  lire.  Les 
Ifettites  sJÔnt  cfepenfdant  encfo're  bien  entières,  mais 
ëllei  feomménceiit  à  s'altérer. 


76  MEMOIRES  DB  LA  SOCIITÉ  ROTALB 


IVLIÂE 

^ 

NOOTUR 

NAP.  RMF 

1 

RVFIJNVS 

MA.RIVS 

■ 

VXORCAS 

f        -  - 

TISSIME 

1 

PO 

1    t      • 

Juliœ  Nocitumœ 

Requietorum  Manibus  Faustis 

Rufinus  Marius 

Uxori  Castissimè 

Posuit. 

/ 

(  ou  Posuit  OiBcio.  ] 

*  ■  c      *> 


•        •  •  # 


Cette  inscription  est,  comme  on  le  voit,  un  monument 
d*amour  conjugal. 

En  voyant  cette  pierre  et  quelques  autres  que 
DOus  rapporterons,  on  regrette  que  Tendroit  où  se 
faisaient  les  sépultures  n'ait  pas  été  remarqué,  ou 
ne  soit  pas  encore  découvert.  Nul  doute  qu'il  s'y 
trouverait  de  nombreuses incriptions  qui  donneraient 
des  certitudes  sur  des  personnages  et  sur  des  dates. 

4.^  Dans  un  autre  piUer  ,  non  loin  de  celui  qui 
contient  l'inscription  ci-dessus  et  qui  forme  un  re- 
tour en  équerre  vers  la  gauche,  est  une  pierre  bien 
sculptée,  offrant  le  buste  d'un  empereur,  ou  de  quel- 
que grand  personnage  romain  ;  on  en  reconnaît  le 


> 


^ 
0 
^ 


5î 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  'J'J 

costame.  Ce  buste  est  en  relief,  demi-ronde  liosse, 
dans  un  médaillon  assez  profondément  creusé  d'un 
huitième   de  sphère   environ.  Cette  pierre  est  à 

^  ^^99  (  ^^  pieds  )  du  sol. 
.  Pis^RS  B2S  TiiiUAiTXAS.  —  Depuis  quelques  années 
on  a  apporté  et  placée  contre  le  mur  de  Téglise,  une' 
pierre]  quadrangulaire  en  granit  ou  beau  grès  blanc  : 
elle  sort  de  i°,i37  (trois  pieds  et  demi)  de  terre;  s^ 
largeur  est  de  o",487  (dix'^huit  pouces)  environ.  Elle 
a  conservé  en  patois  le  nom  de  pejrre  dous  treis 
nrs j  c'est-à-dire  pierre  des  Triumvirs;  d^autres 
l'ont  appellée  le  carcan.  Sa  cime  est  terminée  par  une 
espèce  de  fronton  aplati  sur  l'extrémité ,  et,  dans  sa 
face  principale^  sont  sculptées^  trois-tétes  en  relief/ 
sur  une  même  ligne  horizontale.  Les  figures  sont 
fort  mutilées  et.  n9.éçonnaissables;  nous  en  donnons 
le  dessin  (planche  IV y  n^  i  ).  Elle  a  été  trouvée  vers 
la  liuûte  de  l'ancienne  banlieue  de  Saint-*Paulieu. 
Il  n'jr  existe  malheureusement  aucune  inscriptiott  ; 
mais  sa  dénomination  vulgaire  et  tradidonnellesoas 
ses  deux  acceptions,  sa  forme,  le  sujet  qu'elle  re- 
trace, sa  position  sur  les  confins  de  la  cité,  tonl 
porte  à  croire  qu'elle  était  originairement  la  pierre 
monumentale  du  champ  des  supplices.  Les  trois 
têtes  qui  s'y  trouvent,  figurent  les  Triumvirs  capi- 
taux C  Triumviri  capitales)^  qui  étaient  les  magis- 
trats chargés ''de  veiller  à.  la  garde  des  prisonniers 
et  de  présider  aux  exécutions. 

À.UTEL.  —  Au  milieu  de  la  place,  en  face  de  l'é- 
glise, on  a  jiàieaé  avec  beaucoup  de  peine  et  fixé 


depuis  plusieurs  années  une  très-belle  pievre  d'un 
seul  hloc.  Elle  estcarFéa^et,  àtsès-peu  de  cbose  ptès^ 
égaie  sur.  sas  quatre  faces  qui  ont  i?*^ ($24  (cinq  pieds) 
de  large.  Sa  hauteur  est  de  07^97$ (trois  pieds); 
«Ue  est  dHm  gces  blanc  fort  beau  et'très-'duF^  taiSée 
avec  soiq  ,  évidée  dans  ^intérieur  par  quji^re  ar-* 
ceaux  qui  lui  donnent  de  1^  légèreté.  Son  dessus  est 
plat  et  uni. 

Quelques  pei^nne;  avaient  penséque  cette  énoçnie 
pierre  avait  pu  ^ervir  de  tribune  aux  harangues , 
eu  da  toipbeau.  tl  est  aisé  dé  reconnaître  que  telle 
n'a  pu  être  sa  destination.  La  tradition  vient  encore 
ici  à  notre  secoues  :  nous  tenons  d'un  6cclésiasti<|pe 
trib-âgé  ettvès-respectable,  que,  parmi  le  peuple , 
cette  pierre  a  conservé  le  nom  de  pierre  à  tuer  les 
bœufs.  C'était  j  comme  on  4e  Voit  y  l'autel  des  sa- 
crifices. Sa  forme  dont  nous  donnons  le  dessin 
(planche  If^y  n9  q),  et  quelques  trous  qui  sont  sur 
^'une. des  faces  et  qui  contenaient  sans  doute  des  an- 
neaux,  confirment  dans  cette  opinion. 

Au  surplus,  jelle  a  çervi  d^autel  au  culte  catholique 
pendant  plusieurs  siècles,  dans  l'église  m^me  dédiée 
a  Saiift-rPaulien,  Fun  des  premiers  éYeques  du  Vêla j, 
quidonaason  nomàla  ville^^ette  église  a  été  détruite; 
$on  emplacement  sert  de  cimetière  ;  on  n'en  a  con- 
servé que  l'autel  donjt  qqus  parlons. 

Le  EAUTnsoxiEa.  rr-  Sur  le  tertre  dli  ^<mt  satier , 
où  nous  avons  découvert  l'inscription  dédiée  à  Au* 
^$te ,  \fi  bâtiipeqt  quî  s'y  trouve  n^a  été  construit 
4{iae  d^s  restas  d'un  ancien  édifice,  un  y  remarque: 


OKS  A^U)84IRB8  BB  FBANCE.  "jg 

|t  frni^i.  U  dfi9^w  ^'^^p  petite  lu^arAç,  à  l*e?t , 
fa»Ue»  «S  Heu  grjîw*,  JÇ^  piwPP  g?»  lef  çp!94«Rf 
Oo  poptMil  ii»ppprtçrc;e4  Mwli  >M»iapJlp«  ^i^f^i^ 

piocte  tasgiB*  i»9s?e  ^  $:i|ijtréç,  «q  ^kqU  i^ç  ^il^iaç 
tète ,  ia«pniHbt)il»^9^ ,  iiyaut  i  pi^ji;  pfè?  Âf^  ofeill^^ 

aient  fait  une  espèce  d'orne;i|i^.    . 

5*  ^er  i«i  p^ties  jw**  ,4'wiFép  ^^  ç);4  f  9p  & 

»  4efl?§~WM»4#']ivWÇr  jL'^pep^t  .ype  Je  f^ç^l'^jijce 
^  ppn  t«>i^w^  vçrç  }ji.  j^aqçjïp.  J^  tr^v^^  ©'ep  ç<i.t 

4.9  Çlj^f  .qu^jjd^  4e  piepces  bien  taillée?,  de  diflfé- 
x«|ïit^  4weW9«»?  ?  ^Qo*  pjipsieprs  fort  gr^ndes^  ef 
Pftrftipl;^  .p?F  4es  !trçn?s.eit  çle?  ^l;^iUç? ,  1^  pm^ye 
4'^e  |i,9|cie;(ii»e  ^esHw^tion,  sont  indiffiéf  en»pj[jept|^l^- 
i^e94fu>?  tÇut  le  ;çorps  4?  l'édijaçe. 

^IPf^ti^  ^  C(eja  le  «te  çt  réiévatipn  bieft  jdispqçép 

4^  Mirf^ifff  m  TÇ^^h  peji  V^  WAV^nc.v  qu'il  exi?- 
^]i«)^ui|;;^<|nejifQq,uii^en^jp.ei«t-é^^^  «»peti]t  tepaple^ 
f)vi.facel(ifnf ,  çop^ae^ré  au  çQlei^.  C'est  du  moins  ce 
S^np  ^^i^cisfx  nojqa,  .ççmsepyé  par  cQFruptji^n,  peut 
.^Çi^e^r  à  fjçf^Vf  Iç  haut  ^ojmr  dériv.^nt ,  dit-on  ^ 
de  alto  toli. 
MiBCRÉ-DiALE.  —  On  est  fondé  à  établir  une  con- 


> 


8o  UÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ    ROYALE 

lecture  semblable  sur  un  emplacement  appelé  id^r- 
ché'Diale.  On  retrouve  des  débris  d'édifices  dans  les 
maisonis  qui  Tentonrent.  La  pierre  même  qui  sert  de 
base  à  la  croix  plantée  au  milieu  de  cette  place  y  est 
très-belle  et  a  servi  indubitablement  dans  une  grande 
construction.  En  cherchant  avec  soin  >  on  en  décou- 
vrirait probablement  beaucoup  à  rintérieur  et  à  l'ex- 
térieur des  murs  5  car,  en  général ,  elles  ont  été  pla- 
cées au  hasard  ;  mais  comme  il  est  à  croire  que  plu- 
sieurs inscriptions  se  trouvent  couvertes  de  plâtre  ou 
de  ciknent,  les  preuves  dont  nous  aurions  besoin 
aujourd'hui  ont  disparu. 

Cependant  il  s'en  voit  une  encore  dans  la  façade 
méridionale  de  la  maison  du  sieur  Roux  ;  mais  elle 
n'est  pas  entière.  La  pierre  qui  la  contient  est,  à  peu 
près  carrée,  sur  o",866  (  2  pieds  8  pouces);  elle  est 
d'un  granit  fort  dur,  qui  a  dû  être  difficile  à  graver  ; 
aussi  les  lettres  sont-elles  peu  creuses  et  mal  formées. 
Comme  d'ailleurs  cette  pierre  est  placée  transversa- 
lement au  niveau  du  sol,  on  déchiffre  avec  peine  les 
mots  qu'elle  contient.  Ce  qui  ajoute  aux  regrets,  c-est 
qu'elle  paraît  être  historique.  Au  surplus ,  débarras- 
sée de  quelques  matériaux,  lavée  et' nettoyée  des 
ordures  que  les  gouttières  y  ont  éclaboussées,  peut- 
être  parviendrait-on  à  mieux!  lire  et  à  découvrir  son 
véritable  sens  ;  jusque-là  nous  devons  nous  borner  à 
exciter  la  curiosité  des  amateurs  ;'  et,  '  sans  osefr  ha- 
sarder une  interprétation ,  nous  nous  contentons  de 
copier  l'inscription  dont  elle  est  chargée. 


bt$  ilfTlQVAIRiS  DÉ  FAAIXCS.  '       Si 

I^TIAM  PoST  CL. 

YMFmEM  REHLE 

VIMEISHAECFVIT 

DlVrnAE  CVRAM 

RTF 

V 

Fragment  d'inscription. 
Maison  du  sieur  Aqux»  sur  Uarché-Diale^  à  Saint^auUcQ^ 

Ici;  le  nom  de  Diale,  qu'a  cODserré  la  place,  nous 
porte  à  croird  que  la  demeure  des  flamines  ou  du 
prêtre  de  Jupiter (^^me/i  Dialîs),  j  était  érigé. 

GoLONNB  HOifuiÉENTAiiX.  -^Puisque  ùous  scHumes 
hors  des  murs  de  SaiQt-PauUen  >  continuons-y  nos 
recbe^ches»  A  quelques  pas ,  au  sud  de  la  ville ,  en 
face  du  mpujiip  Bourbouillou ,  se  voit  un  fragment 
de  cplojofte,  qui  sert  de  base  à  une  croix  en  pierre .  Le^ 
tsio^  qui  $j  lisent  forment  la  fin  d'une  ioscription/ 


CAESÀR  PRINCEPS 
j    IVVENT  VÏÀS  ET 
PONTES  VETVS 
TATE  CONLAPSAS     (ij 
RESTITV  FT 


Cette  inscription  ;  telle  qn^elle  est,  ne  donnerait 
aucune  date,  et  on  ne  saurait  auquel  des  Césars  elle 

(i)  II  derrait  j  airoir  conlapios ,  mais  il  j  a  conlapsasi 
Vf.  .  © 


82  HÉUOIRSS  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROTÀU 

pourrait  s'appliquer ,  si  deux  antiquaires^  MM.  Ber-^ 
gier  et  Le  Bœuf,  n'avaient  ouvert  un  avis  qui  y  s'il 
n'est  pas  tout-à-fait-  exact  >  nous  a  cependant  servi  à 
découvrir  la  vérité. 

Ces  deux  savans  ont  pensé  que  l'inscription  com- 
mençait par  les  mots  :  C.  IVLIVS  VER  US  MAXI- 
MVS.  Ils  citent,  pour  pièce  de  comparaison,  celle 
qui  se  lit  dans  Gruter,  et  en  tirent  la  conséquence 
qu'elle  aurait  rapport  «  au  fils  de  V empereur  Maxi- 
a  min  (  1  ).  » 

Ces  mots  existaient  sans  doute  sur  l'inscription , 
mais  ils  n'y  étaient  pas  seuls.  Une  colonne  entière 
et  toute  semblable  à  celle  dont  nous  rapportons  un 
fragment  a  été  trouvée  à  UssoUy  non  loin  de  nous  , 
sur  la  limite  nord  du  département.  Cette  colonne 
entière,  dont  l'inscription  bien  conservée  porte  les 
mêmes  expressionsTque  la  nôtre ,  a  été  érigée  dans 
le  même  but ,  celui  de  constater  une  resta(iFatio]b 

(i)  Voici  l'inscription  y  en  admettant  le  rétablissement  de  ce 
qui  y  manque  : 

nip  c  rvxivs  maximimvs  p  tel  avo  p  k  et  f  e  ivl  terv»' 

^  BfAUMYâ   N0BILIS8 

CABSAK  PRlSCBPa  JWrBWT  TIA8  Jtf  PONTES  VaTWSTJTR 

CONLAPSAS  KESTITjr  FT 

Imperator  Caiua  Jutius  Maximinus j  pius^folix,  Augusûis^ 
PotUifex  maximus  ,  etfilius  ejus  JuUus  Verus  Maximus  no-' 
biliêsimus  Cœsar,  princëps  juventutis,  çias  et  pontes  vetustcUe 
conlapsas  reatituerunt. 


DES  ANTIQITAIBES  DE  FRANCE.  85 

Elle  nous  conduit  à  là  iriême  opinion  que  MM.  Ber- 
gierelLeBoeuf;  mais,  d'après  la  colonne  dlJsson  , 
cette  opii^ion  dojt  être  étendue  davantage ,  et  l'ins- 
cription doit  avoir  rapport  au  père  et  au  fils ,  c'est- 
à-dire  à  l'empereur  Maximitt  et  à  Julius  Férus 
Maximiis  son  fils; 

En  effe^,  pendant  le  court  espace  de  son  règne, 
Maximinne  fit  pas,  et  ne  put  faire  élever  dé  monu- 
ment à  son  filsj  a  n'erit  que  le  temps  de  Ife  déclarer 
césar  etpfmce  de  la  jeunesse  ;  c'est  en  cette  qualité 
qu'il  associa  son  nom  au  sien,  comme  on  lé  voit  sur 
l'inscription  conservée  silr  le  fragment  de  la  colonne 
monumentale ,  comme  on  le  voit  sur  celle  d^Usson 
et  sur  plusieurs  autres. 

D'ailleurs ,  comme  Maxiriun  était,  en  l'an  986  de 
Rome ,  à  la  tête  d'une  armée  dans  les  Gaules;  qii'àm- 
bxheox  et  cruel ,  U  venait  d'j  faire  assassiner  pat  ses 
soldats  l'empereur  Alexandre  Sévère  e,t  de  s'em- 
parer de  la  puissance  impériale,  fl  faUait  qù'U  se  fît 
reconnaître  par  le  sénat.  Pour  y  parvenir,  il  chercha 
a  se  gagner  les  esprits  en  faisant  opérer  des  travaux 
utUes  à  ses  colonies  et  à  se§  troupes;  Aussi  ses  soins 
se  dingèrent  vers  la  restauratiSn  desroutes,  des  ponts^ 
et  même  des  villes.  Cest,  en  effet,  ce  qui  lui  valut, 
dans  ces  contrées,  le  titre  de  restaurateur  de  la  ville 
diJsson  en  Forez. 

Nous  n'hésitons  donc  point  à  rétablir  la  partie  sn~ 
périeure  de  la  colonne  existante  à  Bourbouillou ,  et 
qui,  sans  doute,  était  autrefois  placée  aux  portes'de 
Ruessium  ou  dans  l'intérieur  même  de  la  ville  j  et 

6* 


nQU5  diroiis  (pie,  yersl^  fin  del  afi  9S6  (255" de  notre 
ère),  ]VJaai:iniin  fit  réparer,  dans  les  eayirons  de  ilue^- 
sium,  \çs  chemins  auxquels  abqutissdit  la  grapde  voie 
roniaine  dont  nous  allons  parler  bientôt^  etfit  méaie 
travailler  aux  vieux  ponts  que,  deux  siècles  et  demi 
auparavant  ,  les  premiers  empereurs  avaieat  fait 
construire. 
Au  surplus,  on  doit  Remarquer  que  la  colonne  n*esi 
"  pas  miUîafpe ,  et  que ,  comme  celles  dont  il  va  être 
question ,  elle^ne  porte  pas  un  hommage  rendu  par 
les  peuples  Yélauniens.  Au  contraire^  elle  atteste, 
par  le  nominatif  de  la  phrase ,  qu'elle  fut  érigéie  par 
l'ordre  même  de  Maximin;  ce  qui  s'accorde  parfai- 
tement avec  la  position  où  il  se  trouvait ,  et  avec  l'o- 
pinion que  devait  inspirer  le  caractère  dur  et  impé- 
rieux d'un  guerrier  qui  venait  d'usurper  le  trône  des 
Gés^ps,  par  l'assassinat  de  son  bienfaiteur,  qui  qe.s'y 
soutint  un  instant  que  piar  la  terreur,  et  en  tomba 
paassacré  à  son  tour  par  ses  propre^  soldats* 

Voie  Romaine,  dite  La  Bolè»^e.  —  Nous  arrivons 
Hiaintenantà  la  découverte  d'un  grand  établissement, 
celfe  d'une  belle  voie  romaine  dont  nous  avons  re- 
connu la  direction ,  et  qui  traverse  tout  le  départe- 
ment dtf  la  Haute-Loire.  Il  est  probable  que  cette 
jTOute  semplaça  les»  pecée»  provisoires  qu'Auguste 
avait  tracées  de  Lyon  à  Ruessium  ;  c'est  du  moki» 
ce  que  donne  à  croire  TiDScriplion  suivante  : 


,      ^  DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCS.  85 

IMI^  CAËS  MAVkÉK. 

SÈVERO  ALÉ'tÀït    (ij 
DftO  ÉÏO  TEL  Atti 

poJ>rr  BiAi  c6s  m 
itjrpxiï 

tHipètdtoH  Cckààti  Jffàrcù  Aùrelio  Severo  Atexandro  pio , 
felici^  Augusto  f  PbUt^i  inakfmOy  CoHsuli  fêrtiàm  ,  cwitas 
Weilttuoràh  /  mille  pasMs  XII. 

Cette  inscription  n'indiqtie  pas  une  simple  restau^ 
ration  ;  elle  cofiserve  à  la  postérité  Thommage  et 
la  reconnaisance  àe  la  cité  pour  Tempëreur  Alexan- 
dre Sévère ,  Ywï  des  princes  qui  ont  mérité  la  vé- 
nération publique^  à  Fé^o^ue  où  tant  d'antres  ont 
souillé  les  pages  de  l'histoire  f'bmaine. 

CHOftELts. — Cette  inscription  se  lit  strie  Ironçor^ 
d'tme  colonne  millia'ire  abandonnée  et  gisante  dans, 
un  tas  de  bouè^  entre  le  movlin  et  le  pônir  en  bofe  de 
Cbomelis  ,  à  gauche  du  chemin  de  Saint-PaiAien  à 
Craponne.  ËUe  a  été  trouvée  sur  la  voie  romaine  , 
appelée  \diJSolène ,  à  peu  près  vis-à^vis  le  village  de 
Mondoulion.  Malheureusenien^  elle  fut  sciée  pour 
servir  de  base  à  une  ctoix/àMondoulioki  môme.Ben-^ 
versée  à  quelque  époque  de  la  révolutic^  >  elle  fut 
achetée  pour  un  autre  wdBgé  et  déposée  où^  eUe  est 
maintenant. 

(i)  ted  tehres  supposée^  sont  en  italique. 


86  lliMOIRES    DB  LA  pOÇîiti  ROTALE 

Comme  Tinscription  a  été  mutilée ,  que  les  lettres 
ea  sont  usées  et  qu'elle  e^t  très-di£6ieile  à  déchiffrer, 
surtout  dans  la  position  où  elleest^  il  faut  y  suppléer 
par  induction.  An  reste ,  les  prénoms  Marco  Ju- 
relia  ^  à  la  première  ligne  et  la  fin  du  nom  Alexan- 
dro  qui  commence  la  troisième  y  ne  laissent  aucun 
doute  sur  Finterprétation  qu'on  doit  y  donner.  Pour 
faciliter  cette  interprétation  ^  nous  avons  supposé 
les  lettres  qui  manquent^  et  pour  les  faire  reo^arquer 
nous  les  avons  seulement  pointillées. 

On  peut  donc  rapporter  au  règne  d'A>lexandre 
Sévère  la  solide  construction  de  la  Bolène  ^  dans  la 
partie  qui  se  dirigeait  de  Ruessîufn  vers  Lyon;  et 
comme  ce  prince ,  en  Fan  gSS  de  Rome  (  334*  de 
notre  ère),  fit  une  expédition  dans  les  Gaules  pour 
arrêter  les  courses  des  Germains,  c'e^  à  cette  époque 
précise  qu'on  peut  fixer  la  date  de  cet  établissement  ; 
et  on  le  j^eut  avec  d'autant  plus  de  raison  qu^A- 
lexandre  ne  fut  que  peu  de  temps  dans  les  Gaules  ^ 
puisque,  dès  le  19  mars  de  l'année  suivante ,  il  y 
périt  assassiiié ,  comme  nous  Favons  dit ,  par  les  sol* 
dats  de  Maximin. 

Saiitt-Paulien.  —  Une  autre  colonne  ïnilliaire , 
bien  conservée,  a  été  transportée,  vers  l'année  1  jSo, 
probablement  de  la  partie  au  sud  deRuessium,  dans 
l'enclos  de  M.  de  Solilhac  à  Saint-Paulien.  Elle  s'y 
trouve  encore ,  mais  sans  base  et  renversée  parterre, 
de  manière  que  l'inscription  en  est  difficile  à  lire. 
Aussi  nous  étions-nous  trompés  d'abord  ,  et  ne  som- 
ines-nqus  parvenus  qu'après  plusieurs  voyagesj,  et  ^ 


^J 


D]ES  AlfTll>UAIR£S  JOB  FRANCS,  87 

force  <le  persévérance  et  de  soins  >  à  nous  rectifier 
nous-mêmes.  Maintenant  nous  la  donnons  avec  €ei> 
titade.  On  y  voit  qu'elle  était  placée  jadis  à  une  lieue 
de  la  ville^  puisqu'elle  marque  5ooo  pas  rojaiains.  En 
même  temps  elle  exprime  la  reconnaissance  de  l^t 
cité  pour  le  prince  qui  fit  construire  et  continua  la 
voie  romaine  de  ce  côté,  c^est-à-dire'^pour  Tempereur 
Philippe  y  et  aussi  pour  son  fils  alors  déclaré  césar» 

DD  NN 

IMP  M  IVL  PHILIP 

POPIOFELICAVG 

ET  M  tVL  PHIUP 

PO  NOBCLISS 

CAES  avrr  va^ 
MP  m 

Dominia  Nostris 
Imperatori  Marco  Julio  Philippo  ,  pio  ^feli^ci ,  jfugusto ,  v 
et  Marco  Julio  Philippo  nobilisaimo  CœaariyCipitasF'ellapqrum;^ 

mille  passus  ires. 

C'est  donc  au  règne  de  Philippe  qu'on  doit  faire, 
remonter  la  date  de  l'établissement  de  la -Bb/è/ie , 
au  sud  de  Ruessiumjel,  comme  Philippe  n'a  régné 
que  cinq  atas ,  on  peut  fixer  l'époque  à  Tan  de 
Rome  995  (244*  de  notre  ère).  Nous  allons  acqiiérii: 
d'ailleurs  une  plus  forte  conviction. 

Cette  route ,  que  nous  avons  parcourue  sur  plu  • 
rieurs  points  ;  ûous  a  paru  plus  belle  et  plus  soignée- 


3d  HÉHoiABâ  Di  I.A  ioctiri  kôtale 

â«M  cette  partie  méridioDate;  mais^^  pour  la  bien 
voir  ians  son  entier ,  îl  fant  sè  rendre  an  vfllage 
de  Sa^nsac.        -  ,         \ 

SatUsaû.  — ^  Là ,  plf^çé  veri  lé  niiliett  de  f  avenue 
du  château  de  TEstrade ,  son  alignement  sur  Saint- 
PiattHeà  est  parfait  ;  elle  semble  s'y  dirigelp  à  vol 
d'oiseau.  Sa  largeur  est  de  5  ",848  à  6  ",497  (  ï^"  à 
20  pîetîs),  entièrement  pavés;  les  bords  en  sont  bien 
dressés ,  et  elle  s'élève ,  par  place ,  d'un  mètre  plus 
ou  moins  au-dessus  dvf  Ml,  suivant  que  la  disposi- 
tion du  terrain  Fè3%eai<  pour  conserver  le  plus 
possible  ^a  ligne  feprizontale. 
,  Les  fouilles  qnùn  f  a  faites  ont  donné  à  connaître 
que  cette  chaussée  è5t  foi^mée  de  quatre  couches 
de  pierres ,  dont  les  deux  premières  sont  recouvertes 
d'une  terre  grasse  ou  étxm  ciment  assez  dur.  La 
première  çouch^  est  composée  de  grosses  et  larges 
pierres  ;  1^  secpnde,de  pierres  un  peu  moins  grosses, 
d'une  nature  quartzeuse  et  poreuse;  la  troisième , 
(îe  pierres  plus  petites  encore  ;  là  quatrième  enfin 
était  formée  d'un  gravier  très-menu,  et  tel  qu'on 
remploie  aujpurd'hui  sur  les|  meilleures  routes;  miais 
ce  gravier  a  presque  disparu  faute  d'enfretien. 

C'est  à  Sansac  qu'était  placée  là  seconde  colonne 
nïîBiaire ,  dans  fe  partSe  de  la  route  se  dirigeant  de 
Rùessium  vers  l'Espagne.  Elle  porte  FiiiscriptioA 
i^ûîvatitè  : 


pBé  ANTKraAIRÉS  DIE  FRANCE.  89 

DD  NN 
IMP  MIVL  PHILIPPO 

HO  FEL  AVG 

Et  M  I VL  PHILIPPO  ' 

J!K)BILISS  GAES 

CrVIT  VELA 

MP  VI 

« 

Dominiê  No^tris 

Imperatori  Marop  Julio  Philippo^  piof/liici,  AugU9tOj 

et  Marco  Jutio  Philîppo  nohiUssîmoCœsari^cii^itasF'ellavorumj 

ndUé  pàssuB  sex. 

Cette  colonne  qui^  comme  on  le  voit^  marque 
tfnef  distance  de  6000  pas  romains  ^  se  trouvait  en 
effet  à  IttXïX  fiêues  de  marche  militaire ,  ou  un  mi- 
fianiètrè  de  I4  capitale  des  Vélauniens.  Elle  estmain-»^ 
tenant  déposée  dans  l'une  dés  cours  du  château  de 
FËstrâd'è^di'essëè  et  appuyée  contre  une  terrasse  :  à 
ûhé  cassure  près,  vers  le  bas,  elle  est  entière  et4>ien 
cotï^ttvèe.  iuts  lettres  sont  bien  gravées  et  fort  li- 
sibles. Elle  était  restée,  long -temps  auparavant, 
^énveï*i5(ée  à  Pânglé  du  cimetière  de  Sansac,  où  eïle 
a  été  mutîïéé.  On  voit  encore ,  au  même  angte  du 
cfïùïetâèré ,  et  employées  dans  le  mur  de  clôture ,, 
dedx  autres  piferres  dé  même  nature,  c'est-à-direi 
ifuii  beau  ^rès  blanc,  fort  grande*  et  bîeîai  taillées* 
Il  en  est  même  une  troisième  qui  sert  encore  de  base 
à  là  croix,  en  face  de  l'église.  On  peut  croire  que 
ces  trois  pierres,  et  peut-être  d'autres,  ont  servi 


QO  BIÉMOIRES  m  m  SOCIÉTÉ  ROYALE 

comme  de  soubassement  à  la  colonne  milliâire ^  .ou 
(de  points  de  repos  pour  les  vojageurs. 

Il  se  troute  encore ,  dit^-oq,  deux  lieues  plus  loin^^ 
au  château-fort  de  Montbonnet,  commune  de  Bains» 
une  colonne  ipilliàire  toute  semblable.  Nous  ferona 
en  sorte  de  la  visiter  et  d'en  rend^rtîompte. 

La  portion  de  la  chaussée  qui  se  dirige  Ters  Mon- 
bonnet  est  aussi  parfaitement  droite ,  mais  sa  largeur 
a  été  diminuée  par  des  empiétemens  ;  et  ^  à  la  vue ,, 
l'alignement  paraît  dérangé, 

Nousferons  une  dernière  observation  sur  la  Bolène. 
qui  a  conservé,  dan^  le  patois  du  pays,  le  nom  de 
la  Vio  Bolena;  c'est  cjue  les  portions  bien  conservées 
et  presque  neuves  qu'op  en  retrouve  d^na  le  dépar- 
tement de  la  Paute- Loire  se  remarcpient  particor 
lièrement  à  SaintrCeorges-FAgricolç  ;  à  Pont  Empé- 
rat  (  Pons  Imperatoris  )  ;  au  Pont  de  César ,  près 
Chomelis;àSaint-Grenej$,nonloin  de  Saint-Paulièn: 
à  Sansac,  près  du  château  de  l'Estrade,  dont  elle 
traverse  l'avenue ,  et  enfin  près  dq  château  de  Mont- 
bQnnet.  il  paraît  que  ces  portion^  de  route  sont  resr 
tées  en  si  bon  état,  parce  que  les  Romains.,  fowés. 
d^abandonner  leurs  conquêtes  dans  les  Gaules»  et 
voulant  arrêtçr  la  marche  des  armées  dont  ils  crai- 
gnaient les  poursuites,  détruisirent  eux-mênaes  leur 
propre  ouvrage  et  n'en  laissèrent  que  ça  et  là  des^- 
sections  qui  ne  purent  même  servir  d^ns  la  suite 
aux  communications  ordinaires. 

Après  les  réflexions  que  nous  avons  émises  sur 
l'établissement  de  la  grande  voie  militaire  des  Ror 


DES  ANTIQUAIRES  DS  FRANCE.  91 

mains  dans  la  Vellavie ,  nous  allons  revenir  sur  nos 
pas  et  retrouver  des  dates  plus  anciennes  au  milieu 
des  ruines  de  Polignac. ^ows  j  chercherons  du  moins 
quelques  lumières  à  travers  les  débris  qui  ont  échap- 
pé au  temps  et  au  vandalisme. 

PoLiGNAG.  —  K  ipi-chemin  de  Saint-Paulien  au 
Puy,  près  de  la  grande  route  venant  de  Clermont, 
on  voit  le  bourg  de  Polignac,  bâti  circulairement  à 
la  hase  d'un  rocher  volcanique  qui  s'élève  du  milieu 
d'un  riche  vallon. 

Sur  la  plate-forme  de  te  rocher  sont  les  ruines 
imposantes  de  L'ancien  château  qui  lui  donoa  son 
nom. 

On  a  émis  beaucoup  d'opinions  diverses  sur  ToriT 
gine  de  ce  château  ^  soit  à  cause  des  prodiges  reli- 
gieux qui  ij  sônt*opérés,  dit^on^  du  temps  du  par 
ganisme^  soit  à  cause  des  singularités  qu'on  y  re^ 
marque  y  ou  des  antiquités  qui  s'y  trouvent. 

En  montant  pour  arriver  sur  le  plateau  du  rocher, 
nous  nous  sommes  arrêtés  près  de  l'église,  qui,  très- 
anciennement  construite  à  mi-côte,  paraît  renfermer 
dans  ses  murs  des  débris  bien  plus  anciens  encore. 
Eq  effet ,  on  y  aperçoit  çà  et  là  de  grandes  pierresi 
en  granit,  on  grès  blanc,  bien  taillées^  ayant  des 
trous  pratiqués  exprès  pour  faciliter  et  affermir  les 
constructions  selon  l'usage  des  Romains.  On  croit 
que  quelques-unes  ont  <^ontenu  des  inscriptions, 
pu  des  restes  de  sculpture,  ce  que  nous  n'avons 
pu  reconnaître.  Le  seul  objet  qui  ait  attiré  notre 
attention  et  dont  nous  donnons  le  dessin  sous  Iç 


pS  MEMOIRES  DE  LA  SÔCrÉTE  ROYALE 

n*3,  (planche  If^ )  est  une  pierre  tumulâire,  d^un 
grès  blanc^  qui  se  trouve  maçonnée  dans  le  mur  ex* 
térieur  du  sanctuaire  de  l'église,  à  une  élévation  de 
9^,742  à  i2™,994  (3o  à  4o  pieds).  Son  inscrîptioii , 
qu'on  peut  lire  ainsi  ;  Deo  optimo  maaèimo ,  Jidii 
MarviUani  manibus ,  atteste  qu'elle  avait  été  placée 
autrefois  sur  la  tombe  d'un  personnage  romain. 

Ces  premières  observations  ne  sont  pas  sans  inlé* 
rêt;  elles  se  lient  assez  naturellement  aux  découvertes 
faites  depuis  très-long-tçmps  par  une  foule  de  cu- 
rieux* 

Une  fois  parvenus  sur  le  haut  du  rocber  et  au 
milieu  des  ruines ,  nous  avons  chercbé  et  trouvé, 
presque  enfoui  dans  une  tertre  en  culture ,  et  sous 
un  amas  de  piertes,  l'objet  qui  excitait  le  plus  notre 
curiosité,  et  qui  a  exercé  la  plume  de  tant  d'écrivains 
et  l'imagination  des  savans  de  pliïsieurs  siècles  ;  c'est 
une  tête  colossale,  qu'on  dit  représenter  celle  à^ji- 
poUoîiy  tête  qui,  par  les  oracles  qu'elle  rendait,  a 
donné  de  la  célébrité  au  rocher  de  Polignac. 

Parmi  plusieurs  auteurs,  Mon^aucon^  CajUiSy 
Scipioniy  Gruter,  et  plus  récemmeiit  M.  Ftiufds 
de  Saint-Fond  ^  dains  ses  Essaie  sur  les  volcans  dii 
Velay,  ont  donné,  de  cette  tête,  ttàe  description plui 
OU  moins  systéfttatique ,  et  m^me  un  dessin  itléxàét. 

Grutèr,  eh  assurant  que  cette  tête  est  èélle  d^A-' 
pollon,  veut,  quoiqu'eû  exprimant  des  doutes,  que 
ce  soit  elle  qui  ait  fait  donner  au  château  te  noiit 
$ jipolliniacum ,  d'où  s'est  formé  celui  de  Polignac; 


i)ES  iNTIQtlAlREâ  bË  ^RANCt.  ^i 

et  il  est  à  observer  que,  d'après  l'orthographe  et  la 
prononciation  du  Yelay,  le  mot  Poli§nac  devait  s'é- 
crire originairement  Polùihac* 

Quoi  qu'il  en  soit  de  Topinion  de  Gruter  et  de  tant 
d'autres  qui  se  contrarient,  il  n'en  reste  pas  moios 
vrai  que  cette  tête ,  qui  est  devenue  un  monument 
célèbre,  est  susceptible  de  donner  beaucoup  à  ré- 
fléchir. Sa  dimension  est  colossale  ;  comme  elle  a 
été  fort  mutilée ,  on  peut  supposer  qu'elle  était  de 
forme  ronde  et  d'un  diamètre  de  i",2$g  (4 pieds); 
aujourd'hui  elle  a,  dans  ses  cassures,  i  *",  19^  (3  pieds 
8  pouces)  de  Large,  sur  o°',975  (5  pieds)  4e  haut* 

Une  chose  qu'il  est  facile  de  vérifier  encore,  c'çst 
qu'elle  n'a  jamais  pu,  par  derrière,  la  forme  bombée 
d\ine  tjêtç;  qu'au  contraire,  elle  n'a  jamais  été  qu'un 
masque  énorme  qui  ii^a  point  appd;ctenu  à  une 
statue. 

M.  Faujas  assure  que  Scipioniy  dans  la  gravure 
qu'il  en  a  donnée ,  l'a  mal  rendue  ;  il  en  donne  lui- 
même  un  dessin  nouveau,  dessin  qu'il  a  fait  faire, 
dit-il ,  avec  le  plus  grand  soin^  et  cependant  ce  dessin 
est  inexact  et  ne  rend  nullement  le  caractère  de  tête* 
Il  annonce  que  le  nez  en  est  mutilé,  et  il  le  donne 
formé  de  manière  qu'on  doit  croire  qu'il  p'a  rien  de 
l'original;  il  avapce  aussi  que  la  bouche  en  est  béante, 
et  il  la  dessine  telle ,  tandis  qu'on  ne  distingue ,  au 
milieu  d^une  barb.e  t]pès- volumineuse ,  qu'Un  trou 
ovale ,  qui  paraît  avoir  servi  k  l'introduction  d'un 
tul^e  ou  pprte-yoix;  et ,  s^  cette  tête  reqdait  des  ora- 
cle, le  but  de  L'ouvjerture  s^e;spUque  naturellement* 


I, 

^4  S]^OiR£S  DE  p  SOCIÉTÉ  KOTÂLS 

Dans  cette  dernière  hypothèse,  nous  essaierons 
tine  explication  qui  rentrera  dans  l'opinion  générale, 
et  lui  donnrera  uoe  sorte  de  consistance. 

« 

Mais  avant  taut^  nous  devons  dire  que  la  tête  est 
largement  dessinée,  que  le  travail  en  est  hardi,,  que 
le  ciseau,  de  l'artiste  qui  l'a  sculptée  dans  un  beau 
''  blac  de  granit  en  a  fait  sortir  une  physionomie  im- 
posante et  majestueuse  :  nous  en  donnons  une  es- 
quisse (planche  V,  n<>  i^^ 

Et ,  pour  arriver  sans  efforts  à  une  explication 
raisonnée ,  pour  Tappûyei»  plus  que  sur  des  conjec- 
tures, nous  allons  donnersuccessivement  une  idée 
des  autres  objets  curieux  que  nOus  avons  rencontrés 
sur  le  rocher  de  Polignac ,  et  qui  se  rattachent  à  l'ôn- 
sembledes  faits  historiques  que  nous  désirons  exposer 
et  que  nous  espérons  faire  apprécier. 

Ce  qui  mérite  d'abord  tin  exàtnen  particulier  ^stune 
grande  excavation^  vulgairement  nommée  \e Préci- 
pice. Cest  une  espèce  d^énorme  puits ,  parfaitement 
rond^  et  taillé,  avec  beaucoup  d'art,  dans  le  rocter; 
il  a  i3",644  (4^  pieds)  de  circonférence  à  son  ou- 
verture.En  1779,  il  avait  encore  53*^,600  (164  pieds) 
de  profondeur^  quoique  déjà  des  portes  en  fer  qu'on 
y  avait  précipitées,  à  ce  qu'il  parait,  lors  de  quelques 
séditions,  s'y  étaient  embarrassées  dans  leur  cfaute, 
et  avaient  arrêté  et  amoncelé  depuis  une  grandie 
quantité  de  pierres.  Aujourd'hui  on  estime  que  sa 
profondeur  n'est  plus  que  de  26  mètres  (80  pieds), 
parce  qu'on  y  a  jeté,  dans  ces  derniers  temps,  les 


.'/ 


^  *  ■  fc'., 


décombres  provenant  de  la'  démolition  du  château. 
Sa  forme  intérieure  est,  dil-oii,  celle  d'un  cône  ren- 
tersé,  ce  qu'on  ne  peut  plus  voîi*  :  il  serait  même 
impi^udent  de  chercher  à  s'en  assurer,  le  parapet  en 
ayant  été  renvel'sé,  et  la  pelouse  qui  l'entoure  for- 
mant Un  bord  glissant  et  dangereux. 

La  tradition  populaire  veut  que,  de  cette  excava- 
tion ,  il  y  ait.  eu  un  conduit  correspondant  à  la  statué 
d^Jpollon,  dont  la  bouche  béante  rendait  des  Oracles, 
et  que  les  prêtres  du  dieu  arriéraient  au  fond  dit 
précipice  par  la  cas^e  d^une  des  maisons  du  bourg. 
Cette  ttadition  est  précieuse  à  recueillii*;  l'idée -qui 
s'est  conservée  ainsi  est  spécieuse ,  elle  facilitera 
notre  conclusion. 

Sur  la  même  ligne  que  le  précipice ,  et  1 1  mètres 
(trente  pieds)  plus  loin,  vers  l'occident,  se  trouve  une 
autre  excavation  beaucoup  plus  petite,  puisqu'elle 
û'aque  l",02  (3 pieds)  de  diamètre  à  soii  ouverture; 
sa  profondeur  est  de  3 '",599  à3™,248(8ài()  pieds), 
6t  porte  à  nu  sur  le  rocher  de  Lave.  Clle  paraît  nV 
toir  jamais  contenu  d^eau*  Sa  forme  intérieure  est  à 
peu  près  celle  d'une  bouteille  qui  va  en  diminuant  de 
bas  en  haut  :  là,  elle  se  termine  par  un  beau  bloc  de 
granit  de  o",65o  (deux pieds)  dehaut,  bien  taillé  cir- 
culairement  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur.  Il  est  orné 
de  moulures  d'une  proportion  agréable  et  d'un  dessin 
régulier.  Sa  forme  donne  l'idée  d  un  autel  antique^ 
Nous*  en  traçons  une  esquisse  (planche  f^j'n®  2^. 

On  sait  que  celte  excavation ,  ainsi  décorée  à  sal 
^rperficie,  se  trouvait  jadis  dans  l'intérieur  d'uni 


1^6  HiMÔlEËâ  Dit  tA  SOClixi  ÈOYÂit 

édifice.  Le  dessus  de  la  première  moulure  consiiervé 
des  restes  d'agrafes  en  fei*^  et  dix  à  douze  trous  qui , 
sans  doute  ^  ont  contenu  d^autres  agrafes.  Ces  ob- 
servations sopt  essentielles  à  saisir;  et  il  n'est  pas 
moins  utile  au  déyeloppement  de  notre  opinion  de 
faire  remarquer  que ,  dans  le  fond  d6  Texcavation, 
il  existe  une  issue  aboutissant  à  un  bâtiment  en  ruine> 
anciennement  voûté. 

Nous  devons  parler  encore  d'une  espèce. de  por- 
tique resté  debout  au  milieu  des  ruines.  Son  ar- 
chitecture ne  paraît  pas  être  aussi  antique  que  Tédi- 
fice  auquel  il  aurait  servi  d'entrée  ;  ce  qui  s'explique 
lorsqu'on  sait  que,  dansles  pretniers  siècles  de  TEglise, 
les  évêques  du  Velay,  par  leurs  prédications ,  sou- 
levèrent des  portions  considérables  du  peuple  et  ren- 
versèrent plusieurs  monumens  de  la  religion  païenae. 
C'est,  entre  autres,  le  sort  qu'éprouva  l'Idole  de  Po- 
lignac  y  comme  on  le  verra  dans  une  citation  posté* 
rieure.  Il  est  donc  à  croire  qu'après  quelques  sédi- 
tions apaisées,  et  peut-être  long-temps  après,  les  sei- 
gn jurs  de  Polignac  relevèrent  ce  portique ,  et  q,ue 
son  architecture  a  dû  se  ressentir  du  goût  du  moyen 
âge.  Il  est  essentiel  d'observer  que  ce  portique  ne 
peut  ^voir  été  celui  d'une  chapelle  chrétienne  , 
puisque  la  chapelle  du  château,  récenm;ient  démolie, 
existait  non  loin  de  là. 

Mais  ce  qu'il  j  a  d'intéressant,  c'est  U  position  du 
portique,  l'emplacement  de  l'édifice  auquel  il  appar- 
tenait et  la  continuation  du  mur  de  façade  orné  d'ime 
frise^  dont  il  reste  encore  une  partie  vers  la  4^oitC' 


DBS  /ANTIQUAIRES  DB  FRANGE.  97 

On  en  tire  natur ellement  la  conséquence  que^  puis- 
qu'il existait  un  temple  sur  le  rocher  de  Polignac ,  ce 
portique  en  formait  Tentrée,  et  que  ce  temple ,  par 
l'étendue  que  ses  restes  annoncent,  renfermait,  dans 
son  enceinte  et  vers  le  fond  à  droite,  la  plus  petite 
desdeui  excavations  qui  se  trouve  exactement  dans 
cette  direction. 

Une  autre  circonstance  à  noter  particulièrement, . 
c  est  que,  vers  le  bas  du  village,  on  voyait  encore, 
au  commencement  du  i8*  siècle,  sur  l'emplacement 
actuel  de  la  maison  de  M.  .Vialatte,  les  débris  d'une 
espèce  d'oratoire ,  ou  saçellum;  que,  là,  probable-^ 
ment,  les  pèlerins,  dans  une  première  station,  dépo- 
saient leurs  offrandes,  et  qu'interrogés  sur  les  ques- 
tions qu'ils  voulaient  faire,  on  y  préparait  les  ré- 
pon$es  qu'ils  allaient  entendre  ensuite,  dans  Tin- 
tériieur  du  temple ,  au  haut  dû  rocher. 

Quant  à  la  communication,  elle  devait  avoir  lieu 
par  une  issue  dont  M.  Vialatte  a  lui-même  fait  mu- 
rer l'entrée,  parce  que  les  pierres  qui  se  détachaient 
des  voûtes  humides  l'avaient  encombrée,  et  en  re^v 
daient,  chaque  jour,  l'accès  plus  dangereux.  Cette 
issue  aboutissait  à  la  grande  excavation  qui ,  alors , 
par  son  vastfe  entonnoir,  répandait  l'air  et  la  lu- 
mière dans  toutes  les  avenues  souterraines,  ^etde  là 
conduisait  aux  habitations  des  prêtres  et  à  la  petite 
excavation  surmontée,  dans  un  sanctuaire  du  temple, 
de  l'espèce  d'autel  dont  nous  avons  donné  le  dessin  , 
autel  que  fermait  hermétiquement  le  manque  co- 
ir.  7 


gS  MSHOIRËS  DE  Là,  SOCIÉTÉ.  ROYAtE 

lossal  d'ÂpoUoD ,  ainsi  qu'il  appiaraît  encore  pàt  les 
trous  et  les  agrafes   n  fer  qu'on  y  remarque. 

Ceci  rend  toute  naturelle  l'explication  du  mode 
employé  pour  faire  sortir  les  oracles  par  la  bouche 
toujours  ouverte  delà  divinité. 

Mais  continuons  nos  recherches  et  arrivons  à 
la  découverte  qui ,  seule  y  nous  a  conservé  une  date 
certaine  et  vient  à  l'appui  de  la  tradition. 

Au  bas  àxi  portique  ^  un  peu  vers  la  gauche ,  se 
trouvent  dix  à  douze  belles  pierres^  en  grès  blanc 
très-dur  :  elles  sont  bien  taillées  y  et  des  trous  prati- 
qués^ suivant  l'usage  des  architectes  romains  ^  pour 
lès  fixer  dans  de  grands  édifices,  annoncent  leur  an- 
cienne destination. 

Parmi  ces  pierres,  il  en  est  une  contenant  inscrip- 
tion très-importante;  elle  est  bien  gravée.  Les  lettres, 
à  l'exception  d'un  seul  chiffre,  sont  bien  conservées 
et  encore  lisibles,  mais  elles  commencent  à  s'alté- 
rer beaucoup.  Cette  pierre  a  o",895  (  35  pouces  ) 
de  long,  sur  0^,487  (18  pouces)  et  0^,379  (12 
pouces)  de  hauteur.  La  moulure  qui  l'encadre  est 
bien  sculptée.  L'inscription  qu'elle  retrace  à  bien 
été  citée  par  M.  Faujas ,  mais  inexactement ,  sans 
interprétation,  sans  réflexions  aucunes,  et  sans  faire 
observer  que  le  premier  X ,  qui  commençait  la  der- 
nière ligne,  avait  été  mutilé  et  avait  disparu,  ce  qui 
importe  surtout  pour  les  dates  et  les  faits  historiques. 


Sa,S  JLJSiTJfiVUWS  PE  FRANCE.  .99 

Voici  ceUe.  ittscription  : 

TI  CLÀVDIVS  CAES 
ATG  GERMANIC 
t»OWT  MAX  TRIB 
POTEST  V  IMP 
, .  m  PP  CQS  llll 

Tlberius  ClaudiuSj  Gœsarj  AugustuSjCermahicuSyPontifex 
maximus ,  trlbunidâ  potestate  \j  imperator  XXI ,  pater 
painœ^  eonsulatu  IV. 

Gqoiqq^  0a  le  saiit^  elle  atteste  la  présence^  et  en 
même  temps  la  piété  de  l'empereur  Clau4e. 

£q  e£Eet;  des-  traditions  oiiales^  des  relations 
pleines  d'intérêt ,  et  de  très-anciens  manuscrits  s'ac- 
cordent à  dire  que  ce  prince  vint  en  pompe ,  de  Lyoïî 
à  Polignac,  consultei*roracle  d'Apollon;  qu'il  y  laissa 
des  marques  de  sa  munificence  et  de  sa  piété ,  et 
que  les  prêtres  constatèrent  cet  événement  par  une 
inscription  qu'ils  firent  placer  sur  les  murs  extérieurs 
du  temple. 

Ici  l'époque  est  précisée  ;  elle  constate  que  les 
(^ades  de  Polignac  étaient  déjà  célèbres  sous  le 
quatrième  consulat  de  Claude  ^  l'an  de  Rome  798^ 
et  de  ;notoe  ère  le  47*. 

Au  surplus  ;  cette  espèce  de  pèlerinage  du  prince 
qui,  avec  le  iitce d^JEmpeteur  et  de  Pète  de  ïa  patrie^ 
avait  reçu  cdui  de  Grand-Pontife  ^  -çon^^ï  avoir 
pour  but  d'accréditer  la  sagesse  de  l'oracle  et  la 
puissance  des  prêtres; d'autant  plus  qu'à  cette  époque 
te  religion  chrétienne  prenait  déjà  de  l'influônce. 

7* 


100  KBMOIRES  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

Peut-être  aussi ,  et  ce  but  eût  été  plus  politique  et 
plus  grand ,  Toulait-il  avoir  la  gloire  d'achever  Toeuvre 
de  Tibère,  et  de  se  faire  ordonner,  par  la  divinité , 
de  déployer  une  fermeté  doot  on  ne  le  croyait  pas 
susceptible  en  portant  avec  force  le  dernier  coup 
à  la  religion  sanguinaire  des  Druides.  C'est  en  effet 
sous  son  règne  que  fut  enfin  proscrit  ce  culte  bar- 
bare qui  perpétuait  Tusage  des  sacrifices  humains. 
Cet  acte  seul  mérite  à  F^empereur  Claude  une  place 
dans  la  mémoire  des  hommes,  et  fait  oublier  quel- 
ques-unes des  faiblesses  et  des  fautes  de  son  ifègne. 

Maintenant  appuyons-nous  sur  (Quelques  citations 
qui  vont  nous  conduire  à  une  conclusion  simple  et 
historique. 

Si  nous  ouvrons  l'Histoire  du  Languedoc ,  une 
Dissertation  savante  sur  les  Volces^  et  plusieurs 
Chroniques  du  pays ,  nous  y  trouvons  la  preuve  qu'il 
existait  un  temple  d^ Apollon,  fameux  par  ses  ora- 
cles, près  des  frontières  de  r  Auvergne  et  sur  les  con^ 
fins  du  F'elay;  et  c'est  bien  la  position  de  Polignac. 

Si  nous  consultons  une  histoire  particulière  du 
Puy,  écrite,  au  xvf  siècle,  par  le  jésuite  Odo  de 
Gissey,  nous  y  rencontrons  la  même  preuve  dans  ce 
passage  :  «  Saint  Georges,  qui  fut  le  premier  évéque 
«  du  Velay,  n'épargna  rien  contre  le  paganisme , 
«  baptisant  à  troupes  les  gentils ,  abattant  leurs 
«  temples  y  et  particulièrement  il  mit  par  terre  le  si- 
ce  mulacre  d'Apollon ,  lequel  on  adorait  sur  le  haut 
ce  roc  de  Polignac.  » 


])E8  ANnQUAIRSSr  DS  FRAKCE.  101 

n  cite  ensuite  y  en  parlant  du  rocher  de  Saint- 
Michel ,  au  Puj,  ces.yers^.plus  anciens  qye  ce  qu'il 
écrit  lui-même  : 

c  D'un  château  imprenable  il  est  aroisioé^ 
«  Où  du  Lator^ien  le  peuple  enûiéj^iné, 
«  Sur  le  trépied  fatal  cpnsultait  les  orctclee; 
«  C'est  d'où  les  Polignacs  illustres  sont  sortis.  » 

Un  autre  ouvrage ,  à  peu  près  du  même  temps , 
par  l'ermite  Théodore ,  nous  confirme  dans  la  même 
opinion^  et  nous  fixe  snr  l'étjmologie  du  nom  de 
Polignac.  Au  liv.  I*',  chap.  V,  il  dit,  en  parlant  de 
saint  Georges  : 

«  Infatigable  qu'il  était  à  poursuivre  ses  saintes 
«  victoires  y  il  allait  attaquer  la  gentilité  dans  les  en- 
«  droits  ou  la  réputation  de  quelque  idole  la  rendait 
«  plus  puissante;  et  le  seigneur  de  PolignaCy  obstiné 
«  à  adorer  son  Apollon  y  lui  ayant  fermé  son  château 
«sans  le  vouloir  entendre,  on  tient  que,  par  la 
«  vertu  de  ses  prières,  il  renversa  le  faux  simulacre 
«  dont  on  voit  encore  les  restes  couchés  par  terre.» 

Et  plus  loin,  liv.  III,  chap.  III,  il  ajoute  : 
«  Pour  faire  connaître  la  grande  antiquité  de  la 
«  famille  de  Polignac,  il  faut  savoir  qu'à  cause  de 
«  Y  idole  de  son  château,  elle  portait  le  nom  d^Apol' 
w  linaire. 

Il  cite  à  l'appui  ce  passage  latin  : 

«  Domus  Apollinarium  antiquissimay  nomenque 
«  Âpollinare  adhuc  hodiè  retinet  et  Polignac  ab  in- 
«<  digeni$  indigitatur.  —  Savaron  in  Sidon.  Lib.IY» 


lOâ  uéitotAts  n  LA  soGliilà  hotale 

Ce  nom  d'Apollihaire,  antique  et  primitif,  se  trouve 
conservé  par  un-  auteur  célèbre  qui  Ta  toujours  porté 
lui  -  même  ;  c'est  le  fameux  Sidonius  ÀpoUmaris , 
évêque  de.  Glennont  au  v''  siècle,  , 

Nous  lisons,  daDsTnade  sesnombrelixet  doctes 
écrits,  que  son  gtmd-p€i%  fat  le  premier  de  la 
race  des  Poîignac  qui,  VersTân  4oo,  embrassa  le 
christianisme;  ce  qu'atteste  encore  Tépitaphe  sui- 
vante qp'il  lui  fit  : 

«  J£èsc  sed  lUasàma  digniias  probatur, 

«  Quçdjrotftem  cruce,m^nbrafofUe  pufgans^ 

«  Primus  de  ruimero  patrum  suorUTn, 

«  Sacris  sacrilegis  renuntiaffit,  » 

■  *  r    * 

ËnjSa^  en  rassemblant  tout  ce  qui  précède^,  en 
Uant  entre  «Ues  toutes  les.  par  ^ûçs^  nous  croyons  ppu- 
voir  établir  les  faits  avec  une  sorte  de  certitude ,  et 
dire  historiquement  ; 

Il  existait  sur  le  rocher  de  Bolijgnac  un  lempje  con- 
sacré à  Apollon.  ' 

La  famille  des  Polig^nac  >  Fune  des  pluis  anoiciçêpes 
de  France,  en  a  tiré  son  nonu 

Ce  temple  d'Apollon  était  devenu  célèbre  par  les 
oracles  qui  s'y  rendaient. 

En  Tan  4^  de  notre  ère ,  Fempereur  Qaude ,  qui 
était  né  âi  Ljon ,  et  qui  a  toujours  favorisé  ces  con- 
trées ,  y  vînt  lui-même  consulter  la  divinité  et  accré- 
diter  sa  réputation  et  sa  puissance. 

Plusieurs  débris,  qu'on  retrouve  encore',  révèlent 
les  irioyens  seèrets  qu'employaient  les  prêtres  pour 
faire  parler  leur  dieu  et  en  Imposer  aux  peuples. 


Pf$  AN7*IQUfIR]E^  p^  l^J^kJiCE.  103 

La  fi^re  colossale  d'ÂpollQn^  dont  1^  bouche  était 
puyerlje,  fermait  à  plat  |e  dessus  d'qn  autel  qui  3e 
trouvait  (îan,s  le  sanctuaire  oriental  du  temple.  Cet 
autel  était  évidé  dans  son  intérieur,  et  formait  comme 
le  tujau  extérieur  d'une  excavation  conîcjue ,  du 
fond  de  laquelle  une  issue  conduisait  à  quelques 
salles  où  se  tenaient  des  prêtres,  et  au  sacelîum 
construit  au  bas  du  rocher. 

Les  communications  souterraines  étaient  facilitées 
par  une  vaste  çt  profonde  excavation ,  en  forme  d'en- 
tonnoir, qui ,  percée  perpendiculairement  de  la  cime 
da  roc  jusqu'à  sa  base ,  répandait  l'air,  la  lumière  et 
la  salubrité  dans  tous  ces  antres  du  mystère  et  de  là 
superstition. 

C'est  dans  le  sacelîum  que  les  peuples  déposaient 
leurs  vœux  et  leurs  offrandes.  Les  ministres  du  dieu 
en  étaient  instruits  aussitôtparles  issues  intérieures; 
ies  oraoles  s^préparadentj  et,  loT«que4és  consultans 
avaienft  <>btéhù  rentrée  du  temple'et  du  s^nctiiaire, 
ces  oracles,arrivant  par  quelques  règles  d'acoustique 
bien  calculées,  sortaient  par  la  "bouche  d'ÀpoUon ,  et 
pprta^eQt  dans  les  âmes lel^xlans  lés  aspriis le  trouble, 
le  j^e^tcl  èl  la  persiiAâîon. 

{T.ei  est,  ce  BOUS  semble,  le  système  le  plus  simple 
auquel,  on  puisse  raisonnablement  s'arrêter;  mais 
qu'd  nous  soit  permis  de  ne  point  quitter  l'article 
de  Poligoac,  sans  exprimer  un  vœu  :  c'est  qu'on 
j|[Har. on  ^puisse  fouiller;  à; fond  la  grande  excavation. 
Tout  por.te  à  crQire  qii'il  s'y  trouverait  des  fragmeus 
d'^rçhjt^ottiiie ,  des  stajtueâ,  des  colonnes ,  et  peut- 


104  MÉMOiaES  DE  LÀ  SOCU&TÉ  KOYAJLB 

être  des  inscriptions  qui  donneraient  un  nouvel  in* 
térêt  à  l'histoire  de  cet  antique  et  célèbre  château , 
et  lèveraient  tous  les  doutes  sur  la  nature  et  l'impor- 
tance de  ses  monumens* 

Nous  terminerons  par  cette  réflexion  conso- 
lante^ que  font  naître  les  pieuses  fraudes  dont  on 
retrouve  les  preuves  au  milieu  des  rqines  :  c'est  que 
la  religion  païenne^  en  faisant  tomber  la  religion 
des  Druides .  commença  à  adoucir  les  mœurs .  et 
qu'elle  servit  de  transition  pour  arriver  à  celle  des 
chrétiens^  et  par  suite  à  la  civilisation  des  peuples. 


NOTICE 

Sur  qudques  fêtes  et  difertissem^ns  populaires  du  départe- 
ment des  Deui^Sèvres;  par  M.  le  baron  Dirriir^  membre  de 
la  Société. 

JLu.  Société  royale  des  antiquaires  ^e  délasse  quel- 
quefois de  ses  études  sérieuses  en  écoutant  le  récit 
Baïf  des  mœurs  de  la  campagne.  Dans  le  tableau  des 
divertissemens  champêtres  et  des  jeux  de  l'enfance , 
elle  retrouve  souvent  des  traces  des  lois  civiles  et  des 
coutumes  religieuses  d€s  anciens  peuples. 

'  On  croit  donc  ne  pas  lui  déplaire  en  lui  présentant 
une  notice  sur  les  fêtes  populaires  conservées  dans 
une  partie  du  Poitou.  EHe  y  verra  quelques  détails 


DES  ANTIQUAIBES  DB  FIANC]^.  lo5 

déjà  disséminés  dans  divers  mémoires  statistiques  ; 
mais  il  j  en  a  d^autres  qui,  jusqu'à  présent,  sont  restes 
inédits  et  qui  ne  manquent  point  d'intérêt. 

Il  faut  à  ITiomme  des  délassemens ,  et  ragriculteur 
a  les  siens.  Taptôtie  citadin  parle  avec  mépris  des 
plains  qu'on  goûte  aux  champs ,  comme  pour  se 
persuader  que  lui  seul  sait  sentir  et  jouir  ;  tantôt  il 
les  loue  à  outrance ,  comme  pour  se  dispenser  de 
plaindre  les  durs  travaux  qui  les  précèdent  et  qui  les 
suivent.  Les  plaisirs  du  villageois  sont  comme  ses 
mets;  ils  sont  plus  simples  et  plus  rares  que  les  nôtres, 
mais  il  y  apporte  plus  d'appétit.  Nous  nous  moquons 
de  son  ignorance  ;  mais  il  a  l'esprit  de  son  état ,  et 
cet  esprit-là  n'est  pas  toujours  le  nôtre.  D'ailleurs , 
il  sait  aussi  prendre  sa  revanche  et  rire  à  nos  dépens, 
témoin  cette  chanson  en  patois  vendéen ,  publiée 
dans  les  mémoires  de  l'Académie  celtique ,  tome  3, 
page  370. 

Les  hàbitans  du  département  des  Deux -Sèvres 
sont  essentiellement  agricoles  f  surtout  dans  la  Gâ- 
tine ,  toutes  leurs  idées  se  portent  vers  la  terre  qu*ils 
cultiveiît,  et  vers  le  Dieu  qui  la  rend  féconde.  Ce 
que  leurs  usages  ont  de  particulier  doit  donc  se  rap- 
porter à  Fâgricukure  et  à  la'  religion. 

Quelle  joie  éclate  à  la  récolte  des  foins!  Le  travail 
deK  fauches  est  pénible  ,  mais  c'est  à  faner  qu'on  se 
dédommage.  On  chante,  on  folâtre ,  le  vin' est  pro-, 
digue  ;  et  ceux  qtii  n'ont  point  cette  récolte  à  faire 
vont,  cotnme  en  partie  de  plaisir,  offrir  leurs  ser- 
vices à  leurs  voisins ,  sans  autre  intérêt  que  de  se 


io6  MEmui^  pf  i^  $ociiji  npyfix 

réunir,  de  causer  franchemeut.  derire  de  J)On  cœtfr, 
et  de  trouver  le  soir  un  repas  frugal  assaisgnné  par 
la  gaieté. 

Les  plaisirs  de  la  moisson  ne  sont  pas  moins  vifs. 
Chaque  matin  avant  Tauror^^  le  son  du  cornet  ou 
du  limaçon  de  mer  se  fait  entendre  ;  le  moissonneur 
se  lève,  saisit  safauciUe.et  son  portoir^  la  bande 
joyeuse  se  forme,  et  Ton  part  pour  le  champ  que  le 
maître  a  désigné  dès  la  veille.  On  a  réglé  d'avance  à 
qui  appartient  l'honneur  du  premier  sillon ,  et  datls 
quel  ordre  les  autres  doivent  suivre.  Le  cœur  est  ra- 
rement étranger  à  cette  distribution  ;  chaque  garçon 
se  place  auprès  de  sa  maîtresse  ;  il  l'aide ,  et  Içç  doux 
propos  font  oublier  le  poids  du  travail  et  du  spjeil. 
Apporte-t-on  la  soupe,  tous  approehept,  on  s'asseoit 
à  l'entour,  on  rit,  on  plaisante  ;  mais  celui  qui  s'é- 
carte  de  la  décence  est  puni  aussitôt.  Il  reçoit  m^  le 
derrière  un  nombre  de  coups  proportionné  à  la  gr^t- 
vité  de  sa  fautej  un  sabot  est  l'instrument  du  suppjice. 
Après  le  repas  on  accorde  une  dççai  -  hwj^e  au  som- 
meil ,  et  l'on  se  remet  ensuite  à  l'ouvragç  daj(is  le 
même  ordre  qu'auppiravant.  La  nuit  venue,  les  noyç^j^s- 
sonpeur^  se  rassemblent  par  troupi^s  ;  une  fille  chanje 
à  plein  gosier ,  tous  Jui  répondent  si^r  le  mem^  t^aç , 
etl'onrentre  ainsi  au  village. 

La  moisson  est  finie ,  c'est  un  jpur  ^  trîp|r\plie. 
Pendant  que  les  hommes  tr^^vaislleAt  encore  fi  r^^LS- 
sembler  les  gerbes  et  àpharger  la  cUar^'çtjte,;le& filles 
préparent /«  ^erhe  de  /^«./^/?/zi7/e./ Trois  loç^uç^.b/a-- 
gupltes  soutiennent  plusieurs   cerceaux  garçuis  ^e 


085  Alin<^UAIBS8  M  FiUNGX.  lé^ 

nilùfis  et  d'épis  dont  la  paille  est  réunie  ave<^réx^ 
trémitë  des  baguettes len  un  seul  faisceau.  Celui  qui, 
pciidant  toute  la  moisson  ',  a  tenu  le  premier  sillon  ^ 
a  le  droit  de  porter  cette  gerbe  dTionneur.  Nouveau 
Triptplème,  il  monte  sur  le  devant  du  char.  La  troupe 
le  suit.  Les  cris  de  hu  !  iou  !  et  les  sons  rauques  du 
cordet  annoncentia  fête  de  Cérès.  On  arrive  à  la  mé- 
tairie, un  festin  j  attend  les  moissonneurs,  le  v4n 
coule  à  grands  flots  ;  au  premier  silence  de  Tâppétit 
succèdentbientètles  transports  d'unegaieté  bruyante^, 
et  des  danses  terminent  cette  heureuse  journée. 

Le  battage  des  grains  se  fait  aussitôt  après  la  mois- 
son ;  c'est  le  plus  fatigant  des  travaux  rustiques  ; 
cependant  les  batteurs  trouvent  moyen  de  Tégayer 
en  infligeant  des  peiues  à  ceux  qui  enfreignent  les 
réglemens  de  la  police  de  IWre.  La  correction  ordi- 
naire consiste  à  renverser  le  délinquant  sur  un  hallin, 
drap  de  grosse  toile  rousse ,  que  quatre  hommes  ro- 
bustes tiennent  par  les  coins.  On  lui  fait  faire  ainsi 
plusieurs  fois  le  tour  de  Taire ,  et  mille  éclats  de  rire 
accompagnent  cette  promenade.  Le  battage,  comme 
la  moisson,  se  termine  par  une  fête  connue  sous  le 
nom  de  bourlot.  Ce  qui  la  caractérise  particulière- 
ment ,  ce  sont  les  plaisanteries  que  font  les  battetirs 
en  enlevant  la  dernière  gerbe;  ils  y  attachent  une 
grosse  corde,  et  feignent  de  tirer  de  toutes  leurs 
forces  sans  pouvoirrébranler;  mais  bientôt  le  maître 
apporte  du  vin ,  et  la  gerbe>  d'abord  si  pesante  ,  est 
enlevée  sapsTi^sist^^nc^e.  ;. 

€e.n^xi  jde  bourkA Àonfié  atix  fâlesTfuiitenmnent 


1 08  &(£tfOIRES  DE  lA  SOdiri  ROYALE 

les  principales  récoltes  ^  la  moisson,  et  là  veadaDige  ^ 
aurait-il  quelque  rapport  au  bouluton  djes  Grecs^  si- 
gnifiant le  moment  où  l'on  oie  les  bœufs  <j[e  dessous 
le  joug,  le  repos,  le  soir?  * 

Pendant  Fhiver  les  solennités  religieuses  occupent  le 
cultivateur^  et  sont  pour  lui  une  nouvelle  occasion  de 
divertissemens.  Par  exemple,  le  jour  de  la  Toussaint, 
la  jeunesse  se  rassemble  dans  les  champs,  allume 
de  grands  feux  de  fougère^  d'épines  >  de  feuilles  ou 
de  chaume  I  et  y  fait  cuire  des  châtaignes.  Gela  s'ap- 
pelle^wra  7e  brasilUt.  On  danse  autour  du  feu ,  on 
s'arrache  les  châtaignes,  on  se  pousse ,  on  crie^  on 
fait  grand  tumulte ,  et  chacun  rentre  chez  soi  plus 
content  que  s'il  sortait  de  l'opér^. 

La  veille  de  Noël ,  après  souper,  on  se  réunit  chez 
les  métayers  les  plus  aisés.  Le  maître  dé  la  maison 
se  fait  apporter  une  souche  énorme  ^  et  entouré  de 
tous  les  assistans  recueillis  dans  le  respect  et  le  .si- 
lence )  il  répand  sur  cette  bûche  d^  l'eau  et  du  sel.£Ille 
est  ensuite  mise  au  feu  pour  brûler  pendant  les  trois 
fêtes  ;  mais  on  aura  bien  soin  d'en  conserver  un  tison 
pour  le  rallumer  toutes  les  fois  qu'il  tonne  ;  le  village 
sera  ainsi  préservé  de  la  foudre.  Cette  cérémonie 
achevée,  chacun  prend  place  autour  du  foyer;  ou 
chante  des  noëls  poitevins  aussi  burlesques  mab  bien 
moins  gracieux  que  les  noëls  bourguignons;  et,  après 
la  messe  de  minuit,  on  revient  faire  un  copieux  ré- 
veillon (i). 

(i)  Les  Uarseillais  prétendent  que  ce  sont  eox  qui;^  les  pre- 
miers^  ont  pratiquéla  céréoionie  de  la  bûche  de  Noël.  Je  respecte 


DBS  ANHQU AIRES  DB  FRAKCE.  lOg 

Le  jofir  de  la  Parification,  le  laboureur  ne  manque 
jamais  de  faire  des  crêpes^  a(în>  dit-il,  qUe  ses  fro- 
mcBs  ne  soient  point  cariés. 

Le  dimanche  des  rameaux,  il  plante  dans  chacun 
de  ses  champs  une  branche  de  buis  bénit.  Le  jeudi- 
saint  est  cmplojé  en  exercices  de  piété,  et  à  chasser 
le  lièvre  dé  pâques.  Le  vendredi,  après  Toffice,  on 
s'occupe  exclusivement  du  verger;  on  greffe,  on 
sème  différens  légumes  ;  oh  ne  manque  pas  surtout 
de  semer  de  la  giroflée,  dans  la  croyance  qu'elle  sera 
double.  Le  samedi  se  passe  à  faire  des  pâtés  de  ha- 
chis de  viande  et  d'œufs  durs  ;  on  en  fait  dans  tous 
les  ménages;  il  j  en  a  un  pour  le  maître  et  sa  femme, 
soutent  un  pour  chaque  enfant  et  chaque  domes- 
tique. 

cette  opinion,  mais  je  vais  rappeler  comment  la  même  céré- 
monie s'exécute  enCorse.  «  La  veille  de  Noël,  on  met  une  grosse 
(  bûcke  sur  le  feu,  et  Ton  prépare  un  bon  souper.  Au  moment 
«  de  se  mettre  à  table  ^  le  père  de  famille  fait  mettre  tous  ses 

<  enfans  à  genoux  autour  de  la  cheminée,  tepant,  ainsi  que 
«  lui,  à  la  main  une  feuille  de  laurier;  le  père  tient  de  plus  ^n 
«  terre  rempli  de  y  in.  Lorsque  chacun  a  pris  place,  il  récite 
«  quelques  prières;  il  ordonne  ensuite  à  ses  enfans  de  jeter 
9  leur  feuille  de  laurier  dans  le  feu,  par  rang  d'âge,  en  com- 

<  mençant  par  le  plus  jeune;  la  mère  les  imite,  et^  après  elle, 
«  le  père  y  jette  à  la  fois  sa  feuille  et  son  vin.  Dans  quelques 
«  autres  parties  de  l'île,  cette  coutume  est  un  peu  différente, 
«  Sur  la  table,  où  le  souper  est  ser?i,  on  place  un  grand  verre 
«  de  vin  ;  le  père  de  famille  prend  une  petite  portion  de  chaque 
*  mets  et  la  jette  dans  ce  verre;  et,  après  avoir  récité  des 
«  prières  >  il  répand  ces  libations  sur  la  bûche  de  Noël.  » 


1 


La  veiUe  de  la  Saint-Jean  est  une .  grande  £âte 
pour  les  campagnes,  ^rës  le  coucher  du  soieiL» 
chacun  porte  son  fagot  sur  la  place;  oa  en  forme  une 
pyramide,  et  le  curé  vient  processionnellement  y 
mettre  le  feu.  Cette  flamme  pétillante  fait  tressaillir 
tous  les  cœurs ,  la  joie  brille  sur  tous  les  visages. 
Déjà  les  jeunes  gens  de  Tun  et  de  Tautre  sexe  se  tien- 
nentparla  main,  et  s'ébranlent  pour  daoser  autour 
du  feu  nouveau.  Mais  les  chefs  de  famille  ont  là;  et , 
avant  de  céder  la  place  à  cette  jeunesse  impatiente, 
il  faut  que  chacun  passe  par  la  flamme  salutaire  le 
gros  bouquet  de  bouillon  blanc  et  de  branches  de 
noyer  qui,  le  lendemain  avant  l'aurore^  doit  être 
placé  au-dessus  de  la  porte  de  la  principale  étable. 
Enfin  la  cérémonie  est  achevée,  les  jeunes  gens  restent 
maîtres  de  l'arène,  le  silence  est  rompu,  les  groupes 
s'élancent,  les  cris  de  joie  retentissent,  on  danse, 
on  chante;  et  cependant  les  vieillards  se  chaufleut, 
et  mettent  de  la  h^âis^  dans  leurs  sabots  >  comme 
préservatif  çantxe  utie  foule  de  maux« 

Uû  feu  de  jodc  est  d'étiquette  en  Poitou  dans  tautes 
kfs  réjouissances  publiques.  On  tourne  trois  fois  au- 
tour avant  de  l'allumer ,  comme  les  anciens  Grecs 
tournaient  trois  fois  autour  de  leurs  bûchers  funé- 

•  •  • 

raires  et  expiatoires  • 

Les  foires  sont  la  grande  partie  de  plaisir  et  la 
graine  affaire  du  campagnard.  Il  y  agiote  sur  le  bé- 
tail; il  y  règle  ses  intérêts  avec  le  marchand  delaine, 
avec  le  marchand  de  vin,,  avec  sop  propre  taire; 
il  y  loue  des  domestiques*  Up  chaojip.de  .fov'ie  est 


DES  ANTIQpÂIftEâ  DÉ  ÎPRANCE.  1 1 1 

pour  loi  &è  qti^^Bl  la  bourse  dans  tiilé  ville  de  dOiri- 
lûerce.  Le  JJluà  souvenfl  il  y  va  par  curiosité  ^  sachant 
qu'il  trouvera  fcôhlpagnie  au  cabaret ,  et  que  des 
danses  termineront  la  journée-  Lés  colporteurs  v 
étalent  leut^s  rubans  dè^  et  de  soie^  leurs  bagues  de 
plomba  leurs  croix  d'argent,  leurs  petits  bijoux  de 
similor.  Les  chaudronniers  dressent  contre  les  arbres 
leurs  trophées  de  poêlons  et  de  marnai  les.  On  respire 
le  parfum  de  ces  bonnes  ybu^ce^  célébrées  par  Ra- 
belais, et  des  anguillettes  salées  que  les  gourmands 
font  frire  par  tronçons.  On  mange  sur  l'herbe  au 
bruit  des  chevaux ,  des  mules ,  des  bœufs ,  des  mou- 
tons, des  pourceaux  qui  hennissent,  qui  braient,  qui 
mugissent,  qui  bêlent,  qui  grognent,  et  des  conduc- 
teurs qui,  le  bâton  levé,  crient  plus  haut  que  tous 
ces  animaux  ensemble  pour  réprimer  leur  pétulance. 
Une  foire  poitevine  ne  ressemble  pas  mal  à  un  bi- 
vouac de  Tartares. 

Pendant  Fêlé ,  il  y  a  beaucoup  de  ballades  ;  elles 
accompagnent  dans  chaique  village  là  fête  patronale. 
Les  hommes  y  jouent  à  la  boule;  c'est  le  jeu  le  plus 
en  vogue,  maïs  il  n'est  pas  le  seul.  On  connaît  aussi 
le  tir  de  l'ôie  au  bâton  ;  qu  bien  c'est  un  oiseau 
qu-on  suspend  à  une  corde  entre  deux  arbres  éle-- 
vés ,  et  que  les  joueurs  doivent  tirer  à  l'arc ,  les 
yeux  bandés.  La  jeunesse  ne  s'amuse  guère  à  tout 
cela;  elle  danse ,  l'objet  d'une  ballade  ede  danser. 
Les  danses  sont  très-gaies ,  et  animées  de  gestes  et 
de  cris  :  hal  de  Saintonge,  gavotte^  menuet^  branle 
de  Poitou.  Ce  dernier  fut  jadis  fort  à  la  mode  ;  on 


112  MÉMOIRES  pE  lA  SOGlilA  EOYA  U 

en  donnait  le  spectacle  à  Louis  XI  pour  dissiper  ses 
terreurs.  La  i^èze  ou  musette  est  Tinstrument  du 
pays  ;  quelquefois  on  se  donne  le  luxe  d'un  violon , 
souvent  aussi  tout  Torchestre  consiste  en  une  vieille 
femuie  chantant  un  air  monotone  et  sans  paroles. 
Dans  quelques  villages  de  Gatine^  les  jeunes  gens 
sont  fort  habiles  à  danser  sur  les  maiûs ,-  les  pieds 
en  Fair  ;  ils  soutiennent  cet  exercice  pendant  trois 
quarts  d^heure,  sans  rompre  la  mesure.  Dans  la  même 
contrée,  on  aime  aussi  les  jeux  de  course,  et  tous  les 
âges  j  prennent  part.  On  forme  ordinairement  trois 
quadrilles;  l'un  est  composé  desgarçonsi  le  second 
des  papas  ;  on  relègue  au  dernier  les  hommes  ma*»- 
riés  qui  n'ont  point  d'enfans,  et  que  par  dérision  on 
appelle /72u/e;^.  Rarementceux-ciremportentleprix. 
Après  ces  jeux,  il  se  trouve  toujours  quelqu'un  qui 
divertit  l'assemblée  par  des  tours  de  souplesse  y  ou 
par  une  harangue  burlesque  dans  le  genre  de  Mi- 
chel Morin.  Une  gatlnelle,  qui  ne  danse  pas,  tâche 
au  moins  de  jouer  à  Vembertounage  avec  son  pat*- 
souniery  c'est-à-dire  avec  le  valet  qui  sert  avec  elle 
dans  la  même  métairie.  Ils  s'asseoient  tous  deux  par 
terre,  l'un  devant  l'autre;  et,  s'appujant  pieds  contre 
pieds,  se  tenant  par  les  mains,  ils  se  balancent  par 
un  mouvement  de  tangage.  C'est  ce  qui  a  fait  aussi 
donner  à  ce  jeu  le  nom  de  vogue  la  galère.  Le  nom 
patois  diembertounage  signifie  jeu  d'amourette.  Jadis 
on  appelait  A^r/o^rhomme  qui  entre  tenait  une  cour- 
tisane ;  et  l'italien  dit  encore  imbertonnavsi  pour 
inamovani ,  s'«raouracher.  Le^  filles  qu'on  voit  jouer 


DBS  ANTrQUiÛTlËS  DE  FRANCE.  11$ 

à  ce  jeu  ne  trouvent  pas  Cacilement  à  se  marier,  et 
les  confesseurs  ont  soin  de  le  défendre.  ■- 

C'est  dans  les  ballades  que  se  forment  les  tendres 
engagemens.  Une  jeune  fille  serait  bien  honteuse  si 
elle  ny  paraissait  avec  uh  jeune  homme  qui  lui  tire 
les  doigts,  car  c'est  ainsf  qu'on  file  le  parfait  amour. 
Dans  l'intervalle  des  danses,  on  voit  le  galant  debout 
devant  sa  maîtresse ,  le  coude  lourdement  appuyé  sur 
son  épaule,  et  la  main  glissée,  en  tout  bien  et  tout  hon- 
neur,, dans  l'épais  corset  que  souvent  aucun  fichu  jde 
recouvre  ;  de  l'autre  main,  il  lui  tient  un  doigt  qu'il 
serre  fortement;  ils  se  regardent  en  silence,  et  res- 
tent immobiles  durant  des  heures  entières  dans  cette 
muette  contemplation. 

Les  villageois  ont  leurs  veillées ,  réunions  plus 
joyeuses  cyie  les  cercles  brillans  de  nos  cités.  En 
Gâtine,  ces  veillées  se  tiennent  souvent  dans  des  car- 
rières, dans  des  cavernes  où  l'on  n'entre  que  par  une 
ouverture  fort  étroite.  Le  lieu  le  plus  obscur  est, 
choisi  de  préférence.  C'est  là  que,  chaque  soirj  à  la 
pâle  lùeurd'une  lampe,  les  mères  et  les  filles  se  ras- 
semblent pour  caquetem  et  pour  filer,  les  garçons 
pourvoir  leurs  maîtresses.  La  bergère  laisse  tomber 
son  fuseau,  l'amant  s'empresse  de  le  ramasser;  voilà 
une  déclaration  dans  les  formes ,  et  quelques  pru- 
neaux qu'elle  lui  donne  attestent  qu'elle  n'est  point 
iosensihle.  Cependant  on  raconte  des  histoires  épou- 
vantables-de  revenans,  de  loups-garous,  de  sorciers 
auxquels  les  habitsms  de  cette  dontréè  ont  encore* 
bcauo«a[^defoi.  Uiflî^tnaladie  est'uti  sort  qu'on learâ 
IV.  8 


]  1 4  ifÉuoinEs  i^E  LA  ^ciiii  royale 

]eté,  et  ib s'adressent  au  devin.  Celui-ci^  pour  gué- 
rir la  fièvre ,  prononce  des  paroles ,  attache  au  cou 
du  malade  un  sachet  d'herbes  cueillies  en  nombre 
impair  avant  le  lever  du  soleil,  avec  défense  de  rou- 
vrir/ car  un  seul  regard  sufiirait  pour  faire  perdre 
à  ces  herbes  toute  leur  vertu.  S'agit-il  d'une  entorse, 
le  tùucheur  est  appelé  ;  il  s'arme  d'une  hache  et 
frappe  un  grand  coup  contre  terre  entre  les  jambes 
du  patient,  lia  tué  le  chat ^  et  le  malade  est  guéri; 
car  c'était  un  chat  invisible  qui  s'attachait  des  griffes 
et  des  dents  au  pied  de  ce  pauvre  honune;  et  occa- 
sionnait ses  cruelles  douleurs. 

Les  fêtes  de  l'été  ont  développé  les  iorclinations  ; 
l'automne  est  la  saison  des  mariages.  Le  fiancé  i  ac- 
compagné d'un  de  ses  parens  et  d'un  parent  de  sa 
prétendue,  va  faire  les  invitations^  en  réglant  scru- 
puleusement l'ordre  de  ses  visiter  sur  les^'différens 
degrés  de  parentés  Dans  chaque  maison ,  il  attache 
au  lit  du  mdtre  uii  bouquet  de  laurier  orné  de  ru- 
bans, et  il  répète  partout  le  même  compliment  dont  le 
protocole  est  aussi  immuable  que  celui  delà  chslncel- 
lerie  romaine.  Ces  tournéej^  ne  se  font  pas  sans  boire. 

Le  jour  de  rhjmen  est  annoncé  dès  l'iurore  par 
des  coups  de  pistolet.  Les  jeunefs  filles  font  la  toi- 
lette de  la  mariée;  elles  rabattent  les  longues  barhes 
de  sa  coiffe ,  elUs  lui  arrangent  uti  chaperon  de  clin- 
quant,  et  chacune  a  soin  d'y  mettre  une.  épingle  : 
épingle  mystérieuse  im'elles  reprendront  à  la  toi- 
lette du  soir  el  qui  .Leup  iera  trouver  dea  maris. 
Paré%  d'un  beau  ficbv  d^  Roi|e^jL>a  pièce  (  d'ast<^ 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  Il5 

mac.)  cbaoïarnée  de  rubans  et  de  galons^  une  pe^ 
lotte  et  une  bourse  pendaol  à  sa  ceinture^  Tépoifoe 
vient  s'assicoir  au  milieu  de  sa  famille  et  des  nom- 
breux conviés.  Elle  marque  son  moûde^  c'est-^à-^dire 
qu'elle  distribue  le8  livrées,  et  en  échangé  cKacufi 
lui  donne  une  pièce  de  monnaie  et  tm  baiséir»  On 
déjeûne  et  Ton  se  rend  à  Tautet  ;  au  moment  du  dé^ 
part,  let  pleurs  sont  d'étiquette  indispensable.  Elle 
est  conduite  par  son  père  ou  son  plus  proche  pai^ent; 
et^  aussitôt  après  la  bénédiction  nuptiale,  elïepa^^ 
sous  la  garde  du  plus  proche  parent  de  Tépoux  ;  il 
répond  d'elle,  et  doit  raccompagner  sans  cesse  jus- 
qu'au soir.  La  cérémonie  faite,  les  jeunes  filles |ûon- 
trent  avec  orgueil  l'énorme  bouquet  qu'elles  ont  pt*é^ 
paré  pour  la  mariée  (i);  elles  rattachent  à  son  côtéèn 
chantant  une  complainte  où  i^ont  retracées  toutes  les 
peines  de  son  nouvel  état  :  i>ous  n'irez  plus  au  bal , 
madame  la  mariée  j  s^ous  garderez  la  maison ^  tandis 
que  nous  irons.  Ge  bouquet,  qu'en  certains  endroits 
ou  appelle  épine ,  est  un«  vraie  cotne  d^abondance. 
Il  est  composé  d'une  glande  brandie  de  laurier  en^ 
rubannée,  chargée  de|  fleurs  et  des  fruits  de  la  iai- 
son.  On  retourne  en  même  pompe  chez  la  ma* 
rîée;  on  porte  devant  elle  une  ^enouitle  garnie  de 
Un ,  présent  de  sa  tendre  mèr^et  symbole  des  Ira* 
vaux  domestiques.  Des  coups,  de  pistolet  accompa- 

(t)  Dans  lesTilIages  protestaàs,  la  fille  qui  n'a  pas  su  garder 
sa  virginité  ne  porté,  lé  jour  de  ces  noces,  ni  cKaperon,  ni 
bouquet,  ni  ceinture;  eHe  a  une  coiffe  de  kiûe.  . 

81      • 


1 1 6  MEMOIRES  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

gnent  les  cris  /om  /  lou!  on  croit  entendre  les  ber- 
gers d'Arq^die  chantant  leur  lo  paian.  Le  festin  est 
servi;  soixante  canards  ou  poulets  rôtis  au  four  ex- 
citent l'appétit  des  convives.  Tous  les  honneurs  sont 
pour  la  mariée  ;  son  gros  bouquet  est  attaché  à  la 
muraille,  au-dessus  de  sa  tête  :  le  marié  reste  debout, 
occupé  à  servir  pendant  tout  le  repas.  On  chante  , 
on  boit ,  on  danse  ;  l'épouse  dok  danser  avec  tous 
les  hommes  et  en  être  embrassée.  Pans  quelques 
cantons,  l'usage  est  de  Ibi  prendre  un  soulier  qu'on 
renaplace  par  un  sabot ,  pour  montrer  que  la  bonne 
ménagère  est  boiteusie  et  ne  sort  pas  de  chez  elle  ^  l'é- 
poux i^chete  ce  soulier  moyennant  un  écu.  Ailleurs, 
on  ne  prend  lé  soulier  de  la  mariée  que  lorsque  le  pa- 
rent qui  la  garde  a  eu  l'imprudence  de  la  quitter  un 
instant;  les  jeunes  gens  s'emparent  du  soulier  et  vont 
le  ferrer ,  ce  qui  donne  lieu  à  beaucoup  de  risées , 
souvent  à  des, querelles.  La  nuit  venue,  de  nouvelles 
chansons  et  des  tiotemens  de  verres  annoncent  à  la 
mariée  l'heure  de  la  retraite  ;  déjà  un  des  garçons 
de  la  noce  lui  a  pris  furlivevient  la  jarretière  pour 
être  coupée  et  distribuée  le  lendemain.  Cet  usage 
figurait  déjà,  il  y  a  deux  mille  aàs,  dans  les  noces  grec- 
ques et  romaines;  la  jeune  vierge,  en  allant  au  temple, 
jivait  soin  de  r^ver  avec  une  riche  agrafe  le  côté 
gauche  de  sa  tunique ,  pour  laisser  voir  une  jarre- 
tière ornée  de  perles  et  de  pierres  précieuses*  Elle 
la  déposait  sur  l'autel  dé  Junon  Pronuba  ,  et  elle 
distribuait,  au  nom  de  la  déesse  ,   aux  jeunes  gens 


DES     ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  II7 

de  la  noce  de  petits  bouts  de  ruban  de  la  même  cou- 
leur que  cette  jarretière. 

La  timide  épouse  a  quitté  la  danse*  pour  se  retirer 
dans  une  maison  étrangère.  Ses  compagnes  la  sui- 
vent, la  déshabillent,  et  bientôt  elles  font  place  à 
répoux.  Souvent  celui-ci  dérobe  à  toute  la  noce  la 
connaissance  du  lieu  où  il  a  fait  préparer  la  couche 
nuptiale;  ce  sera  quelque  endroit  écarté,  une  grange, 
un  colombier.  Il  y  entraîne  son  épouse,  il  joue  pour 
un  moment  le  rôle  de  ravisseur.  CVst  ainsi  que,  dans 
Tanci^ine  Sparte  où  l'auteur  d'Anacharsis  nous 
montre  tant  d'usages  analogues  aux  mœurs  draidi- 
ques,  l'époux  enlevait  l'épouse  delà  maison  pater- 
nelle, pour  figurer  que  les  liens  qui  l'attachaient  à 
sa  famille  étaient  rompus.  L'enlèvement  des  Sabines 
ne  fut  peut-être  pas  autre  chose.  Deux  ou  trois  heures 
après  >  on  cherche  la  retraite  cachée  où  l'hymen  cé- 
lèbre ses  mystères.  Quelque  jeune  fille  est  toujours 
dans  la  confidence  et  montre  le  chemin.  Gn  a  pré- 
paré une  soupe  à  l'oigaon.  Le  vase  qui  la  contient 
est  porté  par  deux  honim^s  vigoureux  sur  un  bran- 
card couvert  d'une  nappe  blanche,  et  tout  le  cor- 
tège se  ren4  à  la  porte  de  la  chanibre  nuptiale  dont 
il  faut  demander  l'entrée  par  lïne  chanson.  La  soupe 
est  posée  svtv  le  lit  des  mariés  ;  ils  mangent,  on  mange 
avec  eux;  on  leur  essuie  fréquemment  la  bouche 
avec  une  serviette ,  et  aux  àssistans  avec  des  plumes 
de  coq  saupoudrées  de  poivre.  Les  époux  ainsi  res- 
taurés, on  leur  souhaite  un  bon  reste  de  nuit,  et  l'on 
va,  «ur  nouveaux  frais ,  danser,  chanter  et  boire  à 


1  i8  MÉtiOIRL^  DE  LA  SOCIBIE  ROYAtI 

lew*  hooi^eur.  Le  leodemaia  fnatio^  après  imcopieax 
déjeûner ,  vient  le  traînebalais.  C'est  une  promenade 
poiir  laquelle  les  gens  de  la  noce  se  travestissent 
et  s^'affubJient  de  tous  les  déguisemens  ridicules  qu'ils 
peuvent  ioi^agiaer.  L'un  s'empare  d'une  brocbë  à  la- 
quelle tiennent  un  pain  et  un  morceau  de  rôt;  un  autre 
poTte  un  baril  j  celui-ci  uae  quenouille  et  des  fu- 
seau^s:^  Dana  le  temps  que  les  citadin^  enveloppaient 
eacore  leurs  cb^veux  dans  un  rubao  de  queuç  ou 
dans  un  sac  de  tafletas  noir ,  les  campagnards  les 
siag;eaien.t  ca  s'atlachant  au  dos  une  longue  gueue 
de  paille  ou  un  battoir  à  lessive.  Le  baril  se  remplit 
dans  chaque  maison  que  Ton  visite  i  on  fait  boire 
Içs  passans^et  on  leur  passe  une  plume  sur  la  bouche^ 
cQmme  pour  leur  dire:.vous  n^  tâterez  pas  du  reste. 
Le  joyeux  cortège  est  ouvert  par  les  époux  marchant 
gravement  et  ayant  devant  eux  un  violon  ou  une 
musette;  il  est  fermé  par  d^ux  homme&  dont  Fu&> 
armé  d'upibuet^  chas$e  la  noce  devant  lui>  et  l'autre 
avec  ua  balai,  nettoie  les  rues  et  fait  disparaître  les 
vestige^  de  cette  petite  orgie. 

Le^  petites  villes  ont  conservé  une  bii^nne  partie 
de.  ces  mœurs  simples  et  de  cette  gaité  champêtre. 
Quejquesrunes  ont  eu  aussi  des  divertissemens  par- 
ticuliers qui  leur  étaient  propres.  Telles,  étaient  les 
bacheleries  de.Ghatillon  et  de  Gbanipdeniep  qui  sont 
tombées  en  désuétude  par  le  malheur  des  temps; 
telle  est  la  bachelerie  de  Mellei  qui  subsiste  encore. 
On  va  décrire  ces  fêtes  de  la  jeunesse. 

Il  faut  se  rappeler  qu'on  donnait  autrefois  le  titre 


DfiS  ANTIQUAIRES  DE  FRANC£.  1  IQ 

de  bachelier  à  tm  faune  homnie  à  marier.  Cette  ac- 
ception s^est  maintenue  dans  les  contrées  qti'arro$e 
la  Cbarente^Inférieiure;  on  dit  le  bachelier  d'une 
demoiselle  pour  désigner  le  Jeune  faonsme  qui  ïcrî 
fait  la  cour.  ï)einéine,  hacheletté  signifiait  jaîdiâUïie 
jeune  fille,  et  à  Metz  on  dît  encore  une  bacelle. 

La  fête  de  Châtiltoh  commençait  le  dernier  Ven- 
dredi du  mois  d'avril  à  midi.  Les  jeunes  gens  dte  la 
ville  et  ceux  de  la  petite  paroisse  de  Saint-Jouîn  qui 
en  est  comme  le  faufeourg,  composant  deux  froupes 
de  bacheliers,  vêtus  élégamment,  Tépée  au  côté; 
la  cocarde  au  chapeau ,  et  suivis  de  musiciens  »  rétt' 
daient  visite  à  toutes  les  mariées  de  l'ànûéé,  offraient 
à  chacune  un  bouqueÉ  de  fleurs  d'oi^ange,  et  les  fai- 
saient danser.  Le  samedi  au  soir,  les  bacheliers  eties 
ïiouveltes  meeviéeÈ fessaient  le  mouton.  Sùrtin  <ôù^ 
neaW  debout  et  serVâht  de  table,  on  servait  dit  pain 
et  du  vin  pour  lé  repas  d'un' ftioutôn.  Quand  l'ani- 
mal avait  bu  et  ni^ngé,  ce  qùll  ne  faisait  pas  tôu- 
toars  dé  bonne  grâce,  là  derhière  mariée,  anôiée 
d'une  baguette  /  lui  faisait  faire  trois  fois  Te  tour  du 
tonneau  ;  ensuite  chaque  bachelier  le  prenait  sur 
son  doë  et  le  faîisait  tourner  trois  fois  antoui^  de  sa 
têïè.  Là  jourûëQse  terminait;  encôi*e  par  des' danses. 
Le  dîùianche,  pendant  la  riiessé ,  les  bacîieliers  se 
plaçaient  à  la  porté  dés  deiix  églises  paroissiales, 
strpêlaient  la  première  paysanne  qui  en  sortait,  et 
dansaient  avec  elle  ia  danse  dé  la  bergère.  Hs  pre- 
naient ensuite  de'3  vêtemens  entièreriaeiit  blancs,  et 
montaient'  sur  des  chfevaux  ornés  de  rubans.  Le$ 


1  20  HinOIIlBS  DE  I.i.  SOUSTS  ROYALE 

deux  premiers  et  les  deux  derniers  mariés  de  YdiUixéei 
en  habits  de  noces,  portant  chacun  un  drapeau,  et 
une  épée  nue  avec  une  orange  à  la  pointe,  montaient 
aussi  à  cheval  et  accompagnaient  les  hacheUers. 
Après  plusieurs  promenades  dans  la  ville ,  le  cortège 
se  rendait  dans  une  prairie  destinée  à  la  course.  Là 
oa dansait  de  nouveau r  puis  on  remontait  à  cheval; 
cha^i^un  vidait  un  verre  de  vin  et  le  jetait  en  Tair  ; 
partant  aussitôt  à  bride  abattue,  on  galopait  dans  la 
campagne,    ensuite  on  rentrait  en  ville  et  Von  se 
réunissait  devant  le  château.  Les  deux  premiers  ar- 
rivés dç^s  Badbeliers  de  Gbâtillon  et  de  ceux  de  Saint- 
Jouin  étaient  proclanxés  rois  de  la  fêle,  et  couron- 
nés parla  main  qui  leur  était  la  plus  chère.  Les 
jeunes  filles  ne  manquaient  pas  de  se  trouver  à  ;  cette 
cérémonie,et  c'étaient  toujours  elles  qui  donnaientles 
COuronnes.LOn  dansait  toute  la  soirée,  et  le  re$te  du 
mois  se  passait  en  visites  e t  endanses  chez  les  nouveaux 
mariés^ Enfin,  le  5o avril,  pendant  lanuit,lesbache- 
liers  plantaient  le  mai  et  ornaient  les  portes  de.  toutes 
les  maisons,  de  rameaux  de  verdure  et  de  guirlandes 
de^fleurs. 

Cette  fête  galante,  qui  rappelle  un  pep  les  anciens 
taujçnois,  a  subsisté  jusqu'en  178g.  Les  détails  ense- 
l*aien.t,absolument  ignorés  aujourd'hui  si  M.  Joufneau 
des  Loges,  l'un  des  zélés  correspondans  de  la  Société 
des  Antiquaires,  n'eût  pris  soin  db  les  consigner^dans 
les  affiches  du  Poitou  y^  journal  qu'il  rédigeait  avant 
la  grande  catastrophe  dont  la  ville  de  Ghâtillon  fut 
une  si  déplorable  victime.  Depuis  la  pacification  on  a 


DES  ANTIQUAIKES  PB  FRANGE.  121 

essayé  de  renouveler  cette  féte^  «n  supprimant  la 
cérémonie  du  /wow/onye^^e  dont  rallégorie  n'est  plus 
comprise^  mais  on  danse  mal  sur  les  cendres  ;  cet 
essai  n'a  pas  eu  de  suite. 

N'est-ce  pas  une  sorte  de  bachelerie  que  cette 
fête  arménienne  décrite  par  M.  C/ri/erf  dans  le  se- 
cond volume  des  mémoires  de  la  Société  Royale  ? 
Jadis,  au  commencement  du  printemps  y  on  faisait , 
dit-il,  un  feu  sacré  en  allumant  un  bûcher  sur  la 
place  publique.  Une  lampe  allumée  a  ce  feu  était 
conservée  dans  chaque  temple  pendant  tàute  Vannée. 
Cette  cérémonie  se  fait  maintenant  à  la  Chandeleur 
avec  une  pompe  religieuse,  et  les  jeunes  gçhs  mariés 
dans  le  courant  de  Vannée  ont  le  droit  d^ allumer  ce 
hUcker. 

La  bachelerie  de  Champdenier  éiait  moins  ga- 
lante que»  celle  de  Ghàtillon.  EUe.  avait  lieu  le  jeudi- 
gras  et  durait  jusqu'à  la  fin  du  carnaval.  Xous  les 
mariés  de  Tannée ,  lestement  habillés,  sans  armes  ni 
bâtons,  se  réunissaient  dan&un  pré  qu'on  nomme  tn- 
CQve  pré  de  V  éteuf.  Chacun  déposait  d'abord,  comme 
en  jeu,  une  pièce  de  vaisselle  d'étain.  On  traçait  un' 
cercle  au  milieu  du  pré  avec  Tétepdard  de  la  bache- 
lerie. Le  premier  marié  de  l'aqnée  s'avançait,  tenant 
à  la  main  un  éteuf  ou  pelotle  de  velours  cramoisi 
garnie  de  clous  dorés  et  dç  rubans  de  diverses  cou- 
leurs. Il  jetait  cette  pelotle  dans  le  cercle,  et  tous 
se  mettaie4:it  à  courir  pour  la  ramasser.  Celui  qui 
pouvait  l'atteindre  et  l'apporter  sur  la  place  du  mar- 
ché, était  proclamé  roi  de  la  bachelerie  s'il  était  du 


I  2  2  MEMOIRES  DE  LA  S^ClÉli  ROYALE 

nombre  des  nouveaux  mariés  ;  et  s'il  était  des  anciens, 
il  gagnait  la  vaisselle.  On  pron^nait  le  Vainqueur  en 
triomphe  )  et  plusieurs  maisons  du  bourg  lui  payaient 
certaines  redevances  en  vin  ou  en  confitures. 

On  va  s'étendre  un  peu  plus  sur  la  bachelerie  de 
Melle^  parce  qu'elle  a  survécu  aux  orages  politiqties. 
Elle  est  même  le  résultat  d'une  fondation. 

On  ignore  quand  et  par  qui  eUe  fut  instituée.  Les 
titres  de  la  fondation  n'étaient  pas  mieux  eonnns'  il 
y  a  trois  cents  ans  qu'aujond'hui ,  mais  elle  fut  tou- 
jours exactement  servie.  On  sait  seulement  par  tra- 
dition que  le  fondateur^  auquel  on  ne  connaît  d'autre 
nom  que  celui  de  Bachelier,  avait  de  grands  biens , 
qu'il  en  légua  une  partit^  au  prieuré  de  Saint-Pierre 
de  Melle ,  ordre  de  Saint-Benoît^  et  entre  autres  un 
pré  appelé  le  pré  Bachelier^  dont  le  produit  devait 
servir  à  doter  la  bachelerie.  Le  tombeau  de  ce  fon- 
dateur se  voyait  naguère  à  l'extrémité  du  cimetière, 
derrière  le  chœur  de  l'église  Saint-Pierre,  à  côté  du 
chemin  <;onduisant  à  ce  pré.  Tous  les  ans,  ce  tom- 
beau était  reblanchi  la  veille  de  la  pentecôte.  Le 
pré  a»»  été  vendu  comme  bien  national,  mais  avec  ré- 
serve expresse  des  droits  de  la  ville,  suivant  l'antique 
usager  Les  droits  de  la  ville  sont  de  jouir  de  cette 
propriété  aussitôt queTherbe  est  fauchée  et  enlevée, 
jusqu'au  mardi  de  Pâques  de  Tannée  suivante.  Ceux 
de  la  bachelerie  commencent  alors.  Sont  bacheliers 
tous  les  jeunes  gens  nés  à  Melle,  et  non  mariés.  Ils 
se  rendent  à  Thôtel-de-ville  le  mardi  de  Pâques , 
avant  midi,  avec  leur  chef  ou  capitaine  de  l'année 


\ 

\ 


DES  iiNTIQUAIRËS  DE  FRANCE.  1^3 

précédente.  Les  ma^strats  se  réuaissenf  à  cette 
jeunesse  y  et  Foo  va  en  cortège  sur  le  pré  de  la  foD- 
dation  pour  élire  et  proclamer  le  nouveau  capitaine 
bachelier,  qui  devra  présider  aux  fêtes  de  la  badie- 
lerie  le  jour  de  la  Pentecote.L'élection  se  fait  ainsi  : 
Le  capitaine  de  l'anu^e  précédente  tient  en  main 
uûe  itrancbe  de  sanle  ;  les  jeuoea  gens  forment  un 
grand  cercle  ^  dont  il  fait  deux  fois  le  tour»  en  com^ 
mençant  par  la  droite  du  maire;  il  présente  à  chacun 
la  branche  de  saule  j»  disant  Y^z  voulez-vous?  Au  troi- 
sième tour^  il  la  donne  à  celui  qui  déclare  Taccepter. 
Ce  cérémonial  est  consigné  dans  une  ordonnance 
imprimée,  rendue,  sur  le  réquisitoire  du  procureur 
do  roi ,  au  siège  de  Melle,  le  27  avril  1771  ^Celui  qui 
a  reçu  la  branche,  la  plante  aussitôt  sur  le  pré  9  en 
signe  de  prise  de  possession ,  et  il  est  proclama  ca- 
pitaine bachelier  pour  Tannée.  Il  défend  Ventrée  du 
pré,  et  j  interdit  le  pacage  jusqu'à  la*  qaizaiae 
avant  la  Pentecôte.  Si,  après  les  trois  tours,  personne 
D'accéptait  la  brancke  de  $aule ,  le  bachelier  qui 
loffre  serait  tenu  de  garder  encore  pour  une  année 
ce  signe  du  commandement  ;  mais  il  ne  pourrait  lé 
conserver  plus  long-lemps,  et  la  troisième  année  le 
produit  du  pacage  dans  le  pré  Bachelier  serait  a:d- 
ministre  par  le  maire,  au  profit  de  la  ville,  à  charge 
par  celle-ci  de  servir  à  Téglise  Saint-Pierre  Toblation 
prescrite  par  le  fondateur.  Si-  le  bachelier  qqi  doit 
présenter  la  branche  venait  à  mourir  ou  à  se  marier, 
la  présentation  se  ferait  par  Fun  de  ses  prédécesseurs 
non  marié,  la  bachelerie  et  le  mariage  étant incom* 


124  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

patibles.  Quinze  jours  avant  la  Pentecôle,le  bachelier 
ouvre  le  pré}  tous  leshabitans  de  Melle  ont  alors  le 
droit  d  j  envoyer  paître  leurs  chevaux  et  gros  bétail, 
en  lui  payant  vingt  sols  par  tête.  Le  pacage  est  in- 
terdit aux  moutons  et  aux  pourceaux,  et  il  cesse  en- 
tièrementla  veille  delà Pentécôte.Aussitôt  après  cette 
fête,  commençait  autrefois  la  jouissance  du  prieur  de 
Saint-Pierre  ;  les  produits  du  pré  lui  appartenaient 
jusqu^à  la  fenaison  ;  il  n'y  pouvait  récolter  qu'une 
herbe  par  an,  et,  dès  que  cette  herbe  était  enlevée, 
le  droit  de  la  ville  recommençait.  Rien  n'est  changé 
à  cet  égard;  l'acquéreur  du  pré  i^eprésente  Fancien 
prieur. 

Le  jour  de  la  Pentecôte,  le  capitaine  bachelier, 
suivi  de  ses  musiciens  qui ,  la  veille ,  ont  donné  des 
sérénades  auxdames,$e  rend,à  sept  heures  du  matin, 
au* lieu  qu'il  a  désigné  pour  le  repas  de  la  fête.  Il 
marque  d'un  ruban  tous  les  bacheliers  qui  se  pré- 
sentent; et  il  leur  fait  servir  à  déjeuner  à  ses  frais. 
Tous  se  réunissent  ensuite  à  l'hôtel-de-ville  pour 
aller  de  là  à  l^église  Saint-Pierre.  Les  tambours  les 
précèdent,  les  magistrats  ferment  la  marche  ;  quatre 
jeunes  bacheliers  portent  le  pain  à  bénir.  On  entre 
à  Saint-Pierre  après  avoir  salué  le  tombeau  du  fon- 
dateur; les  bacheliers  sont  reçus  par  le  clergé  qui 
chante  un  F'eni  Creator  :  il  y  a  grand'messè  et 
sermon.  Le  capitaine  bachelier  doit  à  l'église  une 
livre  de  cierges  pour  l'autel ,  un  écu  pour  le  sonneur, 
et  le  pain  bénit,  qu'il  offre  lui-même  aux  magistrats 
et  fait  ensuite  distribuer  au  peuple.  Après  l'office, 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  125. 

le  cortège  salue  de  nouveau  la  tombe  du  fondateur, 
Oq  dîne,  soit  en  pique  -  nique,  soit  aux.  frais  du 
capitaine,  s'il  peut  faire  cette  dépense  qui  n'est  pas 
pour  lui  d'obligation  ;  on  va  ensuite  à  vêpres  et  au. 
salut.  Les  cérémonies  religieuses  étant  terminées, 
on  danse  d'abord  dans  le  pré  Bachelier  y  puis  dans 
une  salle  où  les  daipes  sont  réunies  en  grande  parure. 
Le  capitaine  bachelier  offre  un  bouquet  à  une  de- 
moiselle de  son  choix ,  qui  est  proclamée  reine  de 
la  bachelerie.  Le  lendemain ,  bal  général  également 
d'obligation  pour  le  capitaine  bachelier;  l'invitation 
est  faite  tant  en  son  nom  qu'en  celui  de  la  ba- 
chelière. Toutes  les  dépenses  de  cette  journée  sont 
à  la  charge  du  bachelier  ;  et  là  finissent  les  de- 
voirs qu'il  a  coatractés  en  acceptant  la  branche  de 
saule. 

Le  4  avril  1809  ^^^^*  ^^  mardi  de  Pâques,  jour  dé- 
signé pour  la  réélection  de  ce  chef  de  la  jeunesse. 
Le  capitaine  bachelier  de  l'année  précédente  , 
M.  Alexandre Ajmé,neyov\dLVii  point  quitter  l'exer-. 
cice  de  sa  charge  sans  rendre  un  hommage  éclatant 
à  la  mémoire  du  fondateur  de  la  bachelerie ,  avait 
choisi  ce  jour-là  pour  la  translation  de  ses  cendres 
dans  l'église  de  Saint-Pierre.Lecortége,coniposéd'un 
clergé  nombreux,  des  magistrats ,  de  la  jeunesse  de 
Melle ,  et  d'une  foule  de  curieux  accourus  de  toutes 
les  villes  voisines,  se  transporta  au  tombeau. On  leva 
la  grosse  pierre  qui  le  couvrait  :  ce  sépulcre  parut 
n'être  pas  le  lieu  primitif  de  l'inhumation,  mais  plutôt 
Teffet  d'une  première  translation  déjà  opérée  depuis 


1^6  UÉMOlItES   ra  LA  SOCIÉTB  KOTALE 

long-temps;  les  restes  d'ossemens  ne  s  y  trouvaient 
point  dans  Tordre  naturel.  C'était  un  cercueil  de 
pierre  long  de  a^^SS,  plein  de  sable.  Les  os,  qu'on 
voyait  bien  avoir  été  remués,  étaient  comme  mas- 
tiqués dans  ce  $able  ;  par-dessus  il  y  avait  des  mor- 
ceaux de  tuiles  et  d'ardoises.  On  trouva  parmi  ces 
débris  une  médaille  de  cuivre,  sans  millésime,  re- 
présentant d'un  côté  un  guerrier  à  cheval ,  une  lance 
à  la  main,  le  cheval  couvert  d'une  housse  avec  écus- 
son  aux  trois  fleurs  de  lis;  pour  légende,  prœlio 
terribilis.  Au  revers,  Técusson  des  rois  de  France,  et 
au  bas  ce  signe  composé  de  deux  C  croisés  OC  : 
parla  victovia  clen^ens.  On  croit  que  celte  médaille 
est  du  temps  de  la  première  translation,  et  bien  pos- 
térieure à  la  mort  du  fondateur  de  la  bachelerie. 
Aucune  date  n'était  inscrite  ni  dans  le  cercueil  ni  sur 
1^  pierre  tumulaire.  Après  les  cérémonies  religieuses, 
les  ossemens  furent  recueillis  par  le  prêtre  officiant 
et  placés  dans  une  urne  couverte  d!un  drap  blanc, 
dont  quatre  jeunes  bacheliers  tenaient  les  coins.  Un 
nouveau  tombeau  de  marbre  blanc ,  élégamment 
sculpté,  était  préparé  dans  Téglise  de  Saint-Pierre. 
Ce  fut  là  qu'avec  rautorisatiori  dç  l'évêque,  le  prêtre 
officiant  déposa  les  restes  du  fondateur,  avec  une 
lame  de  plomb  sur  laquelle  était  transcrit  le  procès* 
verbal  de  cette  cérémonie.  Deux  tables  de  marbré 
noir  décorent  ce  tombeau  :  sur  Tune  on  lit  une  ins- 
cription française  rappelant  la  date  de  cette  trans- 
lation et  le  nom  du  bachelier  qui  en  fit  la  dépense  et 
les  honneurs  ;  sur  l'autre  sont  ces  vers  latins  attribués 


M8  ANTIQUAIRES  DE  FRANCS.  Ï2J 

à  M.  Lemaire,  et  où  Ton  reconnaît  aisément  son 
beau  talent  : 

Qaem  tejgU  albeiiti  tumnlo  lapis  iste  sepultupn 

l¥on  omnis  periit ,  quamris  post  funera  Mellœ 

lt(to  âobolem  colebs  neo  nomen  liquerit  ullum , 

YiYÎt  io  fiBternum  solemni  munere  notus. 

Yere  novo  qooties^  Teterum  de  more  parentum^ 

Innupti  juyenes  legata  ad  prata  Tocati ,    . 

Ter  salice  oblatâ,  rë^em  sacrare  parabunt. 

Et  quotîes  ad  festa ,'  choris  saltantibus ,  ibit 

iUquales  ducens  virgo  r^gina  puellas  ^ 

Nos  memori  ad  tumulum  Teniemus  voce  canentes  : 

Salve  5  ô  lœtiti®  dator^  ô  pater  aime  jocorum  ! 

Salve  iterum  I  Dum  vioa  riri  cboreasque  jurentus , 

Dum  patriam  cives,  dum  prolem  mater  amabit^ 

Semper  erupt  celebrata  pia^  tua  muuera  Uelte. 

Niort^  chef-lieu  du  département,  n*a  aucune  fête 
de  ce  genre ,  aucun  divertissement  qui  lui  soit  propre; 
mais  il  serait  curieux  de  rechercher  Torigine  de  deux 
vieux  proverbes  qui  s'appliquent  à  cette  ville,  et  que 
Leroux  rapporte  dans  son  dictionnaire.  Pnendre  le 
chemin  de  Niort  signifie,  dit  cet  auteur,  nier,  ne 
point  dire  la  vérité,  mentir>  cacher,  celer,  se  dé- 
fendre de  quelque  chose.  Il  prétend  aussi  qu'on  dit 
d'une  fille  laide ,  quelle  est  la  reine  de  Niort,  mal- 
heureuse en  iecjwfe.  Quelque  fait  particulier,  quelque 
anecdote  bien  ancienne  aura  sûrement  donné  lieu 
à  ces  dictons  malins,  dont  on  ne  pourrait  plus  au- 
jourd'hui faire  l'application  j  car  les  Niortaises  Sont 
généralement  fort  jolies;  et  si  quelque  chose  distingue 
le  caractère  poitevin ,  c'est  la  franchise. 


1 


28  MiMOlRES  DE  LA  SOCltTl  BOYAtS 


NOTICE  SUR  SAINT-  SAENS , 

Par  M.  BosQuiE»,  receyear  de  renregistremeDt.  * 

^aiht-Sabws,  bourgde  Normandie,au  pays  de  Caux, 
dans  la  vallée  d'Arqués,  à  six  lieues  de  Rouen ,  sept 
de  Dieppe  et  à  trois  lieues  de  Neufcliâtel,  doit  son 
origine  à  Sidonius  (Saëns), moine  de  Jumiège^  qui 
vint  s'y  établir  vers  Tan  670. 

n  y  fut  envoyé  par  Saint-Philibert  et  Saint-Ouen, 
qui  obtinrent  de  Théodoric  F',  surnommé  Thierry  lU, 
l'établissement  d'un  monastère  en  ce  lieu  inhabité 
jusqu'alors;  et^  comme  premier  abbé,  il  lui  donna 
son  nom  qu'il  a  transmis  depuis  a  toute  la  paroisse. 

Nous  ne  dirons  rien  des  successeurs  de  Saint-Saëns 
dans  le  viii  siècle,  ni  de  la  destruclion  totale  ou 
partielle  de  ce  monastère^  qui,  vers  l'an  860,  dut  être 
ravagé  par  Hastings,  gouverneur  de  Bier  ou  côte  de 
fer. 

Nous  préférons  passer  à  l'an  ip4o,  où  Saint-Saëns, 
érigé  en  paroisse,  avait  pour  seigneur,  Richard ,  vi- 
comte de  Rouen. 

Richard  eut  pour  successeur  Lambert,  qui,  en 
1 066, accompagna  Guillaume4e-Batard  à  la  conquête 
de  l'Angleterre.  Après  Lambert,  vint,  en  1106,  Hélie 
de  Saint-Sanës,  comte  de  la  Flèche  et  d.u,  Maine  :  il 
épousa  une  des  filles  naturelles  de  Robert  II ,  duc.de 
Normandie,  fils  de  Guillaume  I,  et  petit-fils  de  Ro- 


DES  jLNTIQCàniSS  DE  FRANGE.  129 

bertle  Diable  :  il  reçut  en  dot  de  sa  femme,  Arques, 
Bures  et  une  province  adjacente. 

Hélie  était  un  personnage  important,  ainsi  qu'on 
va  le  voir;  mais  auparavant  il  est  bon  de  se  rap- 
peler : 

i^  Que  Guillaum<e-le-Conquérant  eut  trois  en- 
fans. 

Le  premier,  nommé  Robert  dit  Courte-heuse  où 
Courte-botte,  fut  duc  de  Normandie  ; 

Le  second,  nommé  Guillaume  Leroux,  fut  roi 
d'Angleterre  ; 

Le  troisième,  qui  fut  Henri  1*%  n'eut  en  partage  que 
de  l'argent  et  les  biens  de  sa  mère. 

2^  Qu'en  1100,  Guillaume  Leroux  fut  tué  à  la 
chasse  par  Gautier ,  son  favori. 

5*  Qu'en  i  io6 ,  Robert  fut  fait  prisonnier  par  son 
frère  Henri  à  la  bataille  dé  TinchebrJ^y ,  et  envoyé 
en  Angleterre  où  on  lui  creva  les  yeux  ;  il  y  mourut 
en  prison,  et  ne  laissa,  pour  lui  succéder,  que  Guil- 
laume Cliton,  encore  enfant. 

4®  Que  Henri  ne  manqua  pas  de  profiter  de  ces 
deux  événemens  pour  se  faire  couronner  roi  d'An- 
gleterre et  duc  de  Normandie ,  malg;^  e  le  droit  que 
son  neveu  avait  à  ce  duché. 

Cette  usurpation  mit  bientôt  Henri  en  guerre 
avec  le  roi  de^France,  qui  employa  toutes  ses  forces 
pour  faire  rendre  au  jeune  Guillaume  le  duché  de 
son  père. 

Henri,  qui  connaissait  tous  les  droits  de  son  neveu 
IV.  9 


\  • 


l30  UÉMOIHES  DE  LA  SOCIÉTÉ  HOYALB 

et  qui  craignait  ses  partisans^  chercha  de  son  côté 
les  moyens  de  s'en  emparer  partout  où  il  pourrait 
le  trouver. 

U  apprit  qu'il  était  caché  dans  le  château  de  Saint- 
SaënS;  nommé  depuis  le  CatelUer. 

Pour  l'y  surprendre ,  il  envoya  le  comdte  de  Va- 
renne  avec  une  escorte  qui  arriva  un  dimanche  ma- 
lin quand  on  sortait  de  la  messe  ;  un  des  domestiques 
d'Hélie  en  fut  averti ,  et  on  n'eut  que  le  temps  de 
faire  évader  le  jeune  homme  dans  la  forét^  d'oà  on 
le  fit  passer  chez  Foulque,  comte  d'Anjou^  pour  le 
mettre  à  l'abri  des  poursuites  de  son  oncle. 

Hélie,  comme  on  le  voit,  devait  être  un  puissant 
seigneur,  et  son  château  de  Saint-Saëns  un  château 
fort  :  ses  possessions,  ses  titres  et  le  dépôt  qui  lui 
avait  été  confié  en  sont  la  preuve. 

Hélie  eut  pour  successeur  Mathieu  qui,  en  ii5o, 
fit  de  grands  dons  aux  moines  qui  occupaient  le  mo- 
nastère de  leur  premier  fondateur  :  ces  donations 
furent  confirmées  en  i  i  53  par  Hugues,  archevêque 
de  Rouen.  *   <  , 

Ici  et  pour  quelque  temps  se  perdent  les  noms  et 
la  trace  des  seigneurs  de  Saint-Saëns,  qui  ont  été 
probablement  victiméis,  comme  tant  d'autres ,  de  la 
fureur  des  croisades,  ou  qui  ont  péri  dans  les  guerres 
de  seigneur  à  seigneur  si  fréquentes  alors. 

Il  ne  nous  reste  donc  plus  qn'à  parler  de  leur  châ- 
teau, de  ses  retranchemens ,  et  des  armes  dont  on  se 
servait  pour  la  défense  bu  pourFattaque. 

Ce  château,  dans  son  origine,  contenait  neuf  à  dix 


DES  ANTIQUAIKES  M  FEANGK.  l5l 

• 

acres  de  terrain;  il  était  placé  sur  le  point  le  plus 
éminent  du  bourg  pour  mieux  le  dominer^  et  du  côté 
de  la  forêt  il  était  protégé  par  deux  camps  qui  con* 
serrent  encore  leur  premier  nom,  Fun  nommé  le 
Camp-TioUyelVaLUivele  Camp-Auger. 

Il  était  environné  de  trois  fossés  successifs  de 
cbacun  dix  mètres  de  largeur  sur  autant  de  pro- 
fondeur y  qui  formaient  trois  retranchemens  :  leur 
surface  extérieure  était  hérissée  de  glandes  ^  amas 
de  petits  galets  formant  un  corps  tellement   dur 
que  rien  ne  peut  le  dissoudre  ) ,  et  c'est  cependant 
à  côté  de  ces  glandes  qu'on  trouve  aujourd'hui  un 
grand  nombre  de  petites  broches  de  fer  de  0^,217 
à  o",244'd©  longueur  sur  0°,007  Carrées  d'épais- 
seur, terminées  par  de  petits  dards,  les  uns  droits 
et  les  autres  fourchus  i  que  le  temps  et  la  rouille 
ont  respectés^  mais  que  le  feu  a  bientôt  dissous  pour 
ne  plus  laisser  voir  que  la  broche;  c'était  sans  doute  ce 
qu'on  lançait  à  l'aide  des  arbalètes  dont  on  se  servait 
dans  ces  temps  reculés;  comme  s'en  servit  elle-même 
u.Defille  naturelle  de  Henri,  femme  d'Eustache,  qui,  en 
1 1 19,  en  blessa  son  père  au  siège  de  Breteuil.  Quoi- 
que l'époque  de  la  destruction  de  ce  château  nous 
soit  inconnue,  tout  porte  à  croire  qu'elle  a  du  avoir 
lieu  vers  la  fin  du  xii*  ou  le  commencement  du  xiii 
siècle,  pnisqu'eni4oo,  de  vieux  chênes  en  couvraient 
déjà  la  surface. 

Il  nous  reste  maintenant  à  découvrir  la  forme  et 
l'étendue  de  ce  château,  dont  les  murs  avaient  dix- 
huH  et  vingt  pieds  d'épaisseur.  Sa  face  vers  Saint- 

9* 


c 


l32  MitfOiaSS  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

SaëDs  était  flanquée  de  plusieurs  ayaot-corps^  et  il  y  a 
lieu  de  croire  que  son  intérieur  contient  quelques 
souterrains  (  au  moins  c'est  ce  que  Ton  remarque 
dans  presque  tous  les  anciens  châteaux)  qui  ser- 
vaient àefuit^e  aux  assiégés. 

Si  les  nouvelles  fouilles  que  nous  projetons  nous 
procuraient  quelques  découvertes  qui  nous  parus* 
sent  dignes  d'être  transmises  à  la  Société  Royale  des 
Antiquaires  de  France,  nous  nousismpresserions  de 
répondre  à  la  demande  qu'elle  a  bien  voulu  aous 
faire  par  sa  lettre  du  7  novembre  dernier. 

On  a  dû  exploiter  autrefois  dans  la  forêt  de  Saînt- 
Saëns,  dite  forêt  d'Eavy,  des  mines  de  cuivre  et  de 
fer  ;  on  y  voit  encore  des  excavations  considérables  ; 
il  a  existé^  non  loin  d'ici ,  un  moulin  à  cuivre  (1)  et 
une  fonderie  de  fer  (2).  C'est  dansjes  fosses  énormes 
de  la  même  forêt  qu'on  a  dû  les  tirer  ;  mais^  soit  que 
ses  mines  aient  été  épuisées ,  soit  que  les  différentes 
fouilles  qui  y  ont  été  faites  pendant  la  révolution 
n'aient  pas  été  assez  complètes ,  on  n'y  a  rien  ou 
presque  rien  trouvé. 

Cependant  M.  Boulenger,  ingénieur  à  Rouen, 
maintenant  ingénieur  en  chef  à  Mont-de-Marsan , 
département  des  Landes,  après  avoir  retrouvé  l'an- 
cienne route  de  Rouen  à  Dieppe,  nommée  le  che- 
min des  Romains  et  vulgairement  le  chemin  des  Fées, 
a  lui-même  trouvé  quelques  morceaux  démines  dans 

(1)  A  Bellencombre. 
(:0.  A  Saînt-Saëns. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FEANCE.  i33 

le  bois  de  la  ci-devant  abbaye  de  Saint-Saëns>  qui  a 
fait  partie  de  la  même  forêt  d'Eavy. 

Enfin  ce  qui  confirme  nos  conjectures,  c'est  qu'il 
j  avait  autrefois  à  Saint-Saëns  un  assez  grand  nombre 
depetites  forges  qui  avaient  droit^en  i322,de  prendre 
livrée  dans  la  forêt  movennant  une  rétribution  an- 
nuelle ;  les  forges  à  coutelier  payaient  beaucoup 
moins;  une  rue  entière  portait^  dès  i4oo,  comme  au- 
jourd'hui^ le  nom  de  rue  des  Forg'es;  et^  à  cinq  à  six 
pieds  au-dessous  de  sa  surface,  on  trouve  encore 
d'anciens  petits  fourneaux. 


OBSERVATIONS 

Sur  plusieurs  lettres  inédites  de  François  et  Henri  >  ducs  de 
Gasie;  par  Itt.  BBEAiAT^-SAinis-Paix,  membre  Résident. 

VJLAUiXE  DB  LoARAmE^  comte  de  Guise,  après  avoir 
disputé  inutilement  la  souveraineté  de  la  Lorraine  à 
Antoine,  son  frère  aîné,'  qu'il  prétendait  n^être  pas 
légitime,  vint  s'établir  en  France,  où  il  possédait 
d'ailleurs  plusieurs  terres,  au  commencement  d«* 
xvf  siècle,  avec  Jean  son  autre  frère.Voy.  Varillm , 
àan$  Bajrle ,  au  mot  Guise  {Claude  de  ),  note  A. 

Celui-ci  devint  cardinal  et  obtint  plusieurs  arche- 
vêchés et  évêchés,  et  un  grand  nombre  d'autres  bé-- 
néfiçes. 


l34  MEMOIHES  DE  hk  SOCIETE  ROTAIE 

Claude  parvint  aussi  à  des  emplois  considérables,* 
et  Ton  érigea  en  sa  faveur,  en  i527,  le  comté  de 
Guise  en  duché-pairie ,  chose  qu'on  ne  faisait  ordi- 
nairementi  disent  les  historiens,  qu'en  faveur  des 
princes  du  sang.  — Voy.  Falincourt ,  Vie  de  Fran- 
çois de  Lorraine^  duc  de  Guise  ,  1681,  pcig*  2  ;  jin~ 
selmcy  Genéalog.  de  la  maison  de  France  ,  tom.  '3, 
pag.  478. 

François  P%  principal  auteur  de  la  fortune  de  cette 
maison,  conçut  ensuite  de  la  méfiance  pour  elle.  On 
assure,  1^  qu'en  mourant  il  recommanda  à  son  fils 
Henri  II  de  prendre  garde  à  l'ambition  des  Guises , 
et  de  ne  pas  leur  accorder  de  l'autorité.  —  (  Voj. 
Bajlcy  ibid.y  note  B,  Mémoires  de  Condé^  édition  de 
.  Lengletj  T.  I ,  pag.  5oo  )  ;  a®  qu'il  ne  souffrait  pas 
qu'on  leur  donnât  et  qu'ils  prissent  en  France  le  titre 
de  prince,  qui  alors  était  censé  n'appartenir  qu'aux 
membres  de  la  famille  royale.  On  yit  même  Pierre 
Tiizet,  preihier  président  du  parlement  de  Paris,  dé- 
fendre à  un  avocat  d'un  des  Guises  de  leur  donner 
cette  qualité  en  plaidant,  et  la  faire  effacer  des  re« 
g^stres.  —  Voy.  La  Place  ^  Commentaire  de  V état 
de  la  religion  sous  Henri  II  ^  François  II  et  Char^ 
les  IX, iô66y  fol.  65 3  Bajrle,  ihid.^note  C  ;  et  ci^^piis 
nptre  appendice,  §  I",  n^  8. 

Henri  II  aurait  pu  profiter  de  la  leçon  de  Fran- 
çois P^En  1 547,  époque  de  son  avènement  au  trône, 
Claude  et  Jean  de  Lorraine  étaient  fort  âgés  j  à  leur 
mort ,  qui  survint  au  bout  de  deux  ou  trois  années, 
en  1 55o,  il  lui  eût,  par  exemple,  été  facile  de  trans- 


.***'- 


DES  ANTIQU AIRES  DE  FltAN«£.  i35 

porter  à  d'autres  familles  ceux  de  leurs  bénéfices 
ou  emplois  qui  n'avaient  pas  été  assurés  à  la  leur. 
Mais  Jean  avait  su  procurer  à  sa  maison  un  appui 
tout  puissant^  en  négociant,  même  avant  le  nouveau 
règne,  le  mariagb  d'un  de  ses  neveux,  le  marquis  de 
Mayenne ,   depuis  duc  d'Âumale,  troisième  fils  de 
Claude,  avec  une  des  filles  que  Diane  de  Poitiers  , 
maîtresse  du  roi,  avait  eue  de  sonmari Louis  deBrézé* 
Maulevrier  (Voy.  ci-après  même  §  I",  n®  8)  ;  et  un 
autre  neveu  de  Jean,  Charles,  si  connu  dans  l'his- 
toire sous  le  simple  nom  de  cardinal  de  Lorraine , 
sut  aussi,  après  la  mort  de  Jean,  acquérir  les  bonnes 
grâces  de  la  favorite  parades  complaisances  peu 
dignes  d'un  homme  de  son  rang  et  de  sa  profes- 
sion (i).  Subjugué  par  Diane,  Henri  accabla  en  quel* 
que  sorte  de  dignités  et  de  puissance  les  enfans  de 
Qaude  de  Lorraine- 
Ces  enfans  étaient  en  grand  nombre  (Voy.  ^n- 
selme^  supra,  tom.  3,  p.  485).  Il  suffît,  potlr  l'objet  de 
notre  mémoire  d'en  indiquer  trois;  i  et  2.  Les  mômes 
d)icd'Âumale  et  cardinal  de  Lorraine,dont  le  dernier 
possédait  et  cumulait  tout  à  la  fois,  contre  toutes  les 
règles  canoniques ,  sept  ou  huit  archevêchés  ou  évé- 
chés  et  plusieurs  abbayes  considérables. — (Voy.  Mo- 
rén,  mot  Charles  de  Lorraine),  dont  en  un  mot  l'o- 
pulence était  égale  à  celle  de  quelques  souverains  ; 

(i)  Garolus...  in  aretiorem  Pictaviensis  familiarîtatem.... 
turpibus  obsequiis  cum  se  insinuaTisset.'  — -  De  tbouj  ïih,  26^ 
ad  ann.  i55o^  édiL  1620^  T.  I^  p.  182. 


•  I 


l56  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  EOTUK 

3.  François  y  leur  frère  ainé^  duc  de  Guise,  pair  ; 
grand-chambellan  et  grand-veneur  de  France ,  gou- 
verneur de  Dauphiné  et  de  Champagne  j  et  dans  la 
suite  lieutenant-général  de  tout  le  royaume.  , 

Quoique  le  .pouvoir  des  Guises  parût  parvenu  à 
son  plus  haut  période  sous  Henri  II,  il  était  au  moins 
balancé  jusqu'à  un  certain  point  par  le  crédit  du  fa- 
meux connétable  Anne  de  Montmorencj,  favori  par- 
ticulier de  ce  prince,  et  dont  le  fils  aîné  épousa  (  en 
1557)  la  fille  naturelle  et  reconnue  de  Henri  y  et  lé 
second  fils  (en  i558)  une  petite  fille  de  Diane  de 
Poitiers  et  de  Louis  de  Brézé. —  (  Voy.  Anselme  , 
tom.  I,  p.  i56j  tom.  3,  p^  6(>4)«  Cette  espèce  d'équi- 
libre fut  bientôt  rompu. 

En  iSSg,  la  mort  funeste  de  Henri  plaça  ^ur  le 
trône  Marie  Stuart,  nièce  des  Guises  et  épouse  de 
François  n^  prince  valétudinaire  y  faible^  sans  aucun 
caractère  y  qui  transmit  sur-le-champ  aux  oncles  de 
Marie  à  peu  près  toute  son  autorité,  comme  ODle  vit 
presque  aussitôt^  puisqu'ils  forcèrent  le  fils  du  conné* 
table  y  gendre  de  Henri  II,  à  céder  au  duc  de  Guise 
la  charge  importante  de  grand-maître  de  la  maison 
du  roi.  —  (  Voy.  La  Place  y  suprciy  fol.  4i  ;  Moreriy 
motMontmorenci{  François^, 

Les  Guises  formèrent-ils,  dès*  lors ,  comme  on  le 
leur  reproche,  le  projet  de  frayer,  à  leur  famille  une 
voie  au  trône  de  France?...  Au  premier  aperçu,  cela 
parait  peu  probable,  puisque  le  roi  avait  trois  frères, 
e^qu'il^existaitJune  branche  nombreuse  de  princes 
du  sang,  celle  de  Bourbon. 


i 


MS  ▲HTlQCilUS  DE  F&AIICI.  l5j 

Toutefois  f  diverses  circonstances  purent  leur  faire 
naître  cette  idée;  i  et  2 .  L'aîné  (  depuis  Charles  IX  ) 
des  trois  frères  du  roi  n'avait  que  huit  ou  neuf  ans  , 
et  un  propos  indiscret  attribué  au  connétable  de  Mont- 
morency avait  du  jeter  quelques  doutes  sur  leur  légi* 
timité  i  3.  Le  chef  de  la  branche  de  Bourbon  était 
Antoine  ^  roi  de  Navarre ,  prince  sans  talens  ef  ^ans 
caractère^  et  dont  les  Guises  surent  en  effet  dans  la 
suite  faire  un  des  plus  fermes  soutiens  de  leur  cause. 

Les  calvinistes^  il  est  vrai ,  pouvaient  présenter  un 
appui  aux  Bourbons  et  se  rallier  sous  les  étendards 
du  frère  puîné  d'Antoine,  Louis  prince ^de  Gondé , 
homme  très«yaleureux  et  dont  la  fougue  imprudente 
était  tempérée  et  guidée  par  les  avis  du  sage  amiral 
de  Coligny.         *^ 

Mais^  pendant  que  les  deux  frères  Guise  avaient 
dirigé  toutes  les  affaires  du  royaume,  il  leur  avait  ^ 
été  facile  de  reconnaître  combien  le  parti  protes- 
tant était  inférieur  en  noinbre  et  en  crédit  au  parti 
catholique. ...  En  le  privant  d'ailleurs  de  son  chef  le 
plus  redoutable ,  il  était  permis  d'espérer  qu'on  le 
soumettrait  sans  beaucoup  d'efforts,  et  l'on  sait  que, 
sans  la  mort  inopinée  de  François  II  (  5  décembre 
i56o),  Condé,  quoique  second  prince  du  sang  de 
France,  aurait  porté  sa  tète  sur  ud  échafaud.— Voy. 
La  Place  y  suprà,fbL  116  et  suw.  ;  Garnier^  tom.  28, 
p*  544  6t  suiv.    V 

Les  lettres  autographes  etinédites  du  duc  de  Guise^ 
que  nous  soumettons  à  la  société  (Voyez-en  le  texte 
ou  l'extrait,  ci-après  à  V Appendice,  $•  1")?  tendent  à 


l38  MÉMOIRES  DE  LA  SOClilé  ROYALE 

donner  quelque  poids  à  ces  considératioDS,  ^que  nous 
ne  présentons  au  reste  que  comme  des  conjectures. 

Une  première  chose  frappe  à  l'aspect  de  ceslettres^ 
c'est  leur  signature.  Toutes  les  trois  portent  pour 
souscription  le  simple  nom  de  baptême  du  duc,  c'est- 
à-dire  Francots.  — Voy. d.  Appendice ^^V^^  n**  i, 
a  et  7.    . 

Cependant  il  est  d'usage,  depuis  bien  des  siècles, 
que  les  scjuls  souverains  et  les  membres  de  leurs  fa- 
milles emploient  une  semblable  signature;  encore 
cela  ne  s'applique«t-il  point  aux  parens  éloignés, 
puisque,  dans  leur  ^ignature^  ils  ont  soin  de  joindre 
le  nom  de  leur  branchera  leur  nom  de  baptême , 
comme  on  le  voit  au  siècle /les  Guises,dans  celles  des 
princes  de  la  branche  de  Bourbon,  qui^  à  l'excep- 
tion d'Antoine,  que  sa  qualité  de  roi  de  Navarre  dis- 
pensait de  ce  soin,  signent  Louis  de  Bourbon,  Fran- 
çois de  Bourbon,  etc..  Si  les  Guises  faisaient  partie 
delà  famille  régnante  en  Lorraine,  ils  s'étaient  cons- 
titué les  sujets  du  roi  de  France,  en  se  faisant  natu- 
ralisa Français  (en  i5o6...  Voy.  Anselme  ^  supra  y 
tom.  3,  p.  485),  et  en  acceptant  de  lui  des  emplois- 
Ils  avaient  donc  dû  dès*lors  abandonner  le  mode 
de  souscription  propre  à  des  souverains,  ou  à  des 
princes  de  familles  souveraines. 

C'est  en  effet  ce  qu'on  voit  dans  beaucoup  d® 
lettres  autographes  des  Guises  recueillies  dans  les 
manuscrits  de  Gagnièreset  de  Béthune.Ils  n'y  signeja* 
pas ,  il  est  vrai,  de  leur  nom  de  dignité ,  mais  ils 
ajoutent  toujours  à  leur  prénom  leur  nom  de  fanii"^* 


MS  A»nQt AIBES  DE  FRANCS.  1  Sg 

Ainsi  le  duc  d'Âumaie  signe  €laude  de  Lorraine  ;  le 
marquis  d'Ëlbeuf^  René  de  Lorraine;  le  duc  de 
Majenne^  Charles  de  Lorraine;  son  frère^  le  fameux 
balafré ,  Henri  de  Lorraine  ;  le  comte  de  Vauder- 
mont,  Niàolas  de  Lorraine,  etc. — Voj.  mss.  Ga^ 
gnières,  vol.  5^8, fol:  5i,  35,  55  à  6i,  8y  à  95, 
i5i,  157, 169,  etc. 

Mais  ce  qu  il  y  a  de  plus  singulier,  c'est  que  le 
même  François  de  Guise ,  dans  les  lettres  autogra- 
phes conservées  également  par  les  manuscrits  de 
Bétfaune ,  signe  aussi,  ou  Françoys  de  Lorraine  tout 
au  long  comme  dans  les  lettres  (1)  des  i5  octobre 
i56oet  12  novembre  i56i  (dJmss.,  \^ol.  86y^, fol.  60, 
et  voL  SGy^yfol.  12  )  ;  ou  bien  Françojrs  de  Lor"'^ 
par  abréviation  du  mot  Lorraine ,  comme  dans  celles 
des  25  et  26  février,  19  et  28  mars  et  6  septembre 
1559,  8  septembre,  7,  10 et  24  octobre,  et  12,  i3  et 
28  novembre  i56o,  et  dernier  janvier  i562.  (  Ibid., 
w/.  8674 >  foL  3,  6,  11,  1 5,  34  36,  52,  59,  ji,  79, 
81  ;  w/.  S6y 6,  fol.  2). 

Ces  lettres  sont  adressées  au  connétable  de  Mont- 
morency (pour  la  plupart),  ou  aux  maréchaux  de 
Montmorency  et  d'Auville  ses  fils,  ou  à  Jacques^ 
seigneur  d'Hùmières. 

Les  trois  lettres,  signées  siimplevaent François ,  le 

(1)  Alêtme  signature  dans  une  lettre  de  i559,  ®^  quatre  de> 
iSGâ^adres&é^s  au  parlement  de  Paria,  aux  princes  palatins  et 
de  Wirtemberg,  et  au  connétable  de  Mautcnorency,  et  publiées 
dans  les  Mémoires  de  Condé,  T.  1,  p.  3ig;  T.  ill,  p.  528, 
53o  et  566  ;  T.  IV,  p.  224. 


/ 
I 


l40  MÉMOIRES  DE  LÀ  SOCliti  EOYiXE 

sont^  Tuae  aux  consuls  >  et  les  deux  autres  au  parle- 
ment de  Grenoble. 

Le  duc  espérait -il  que  ces  deux  autorités^  étant 
fixées  dans  une  province  éloignée  de  la  capitale  , 
connaîtraient  bien  moins  Tétiquette  que  les  Mont- 
morency et  d'Humières,  seigneurs  attachés  à  la  cour, 
et  ne  réclameraient  point  contre  sa  manière  étrange 
de  signer  ?...  Gela n^est pas  probable^  puisqu'il  j avait 
beaucoup  de  gentilshommes  dans  le  parlement  de 
Grenoble. 

Espérait-il  seulement  d'accoutumer  les  provinces 
à  le  voir  agir  en  souyerain,  même  dans  des  corres* 
pondanceis  officielles?...  On  serait  en  quelque  sorte 
autorisé  à  le  penser^  surtout  si  Ton  se  rappelle  que 
les  Guises  avaient  souffert  que  divers  écrivains  ita- 
liens leur  donnassent  le  nom  de  ducs  d'Anjou  qui 
n'appartient  qu'à  la  maison  de  France.  (  Voy.  Valin- 
court  y  supra,  p.  12;  Mémoires  de  Condé,  tom.  1, 
p.  §25  e^SSi),  et  que^  sous  le  règne  même  de  Fran- 
çois 11^  on  leur  reprocha^  dans  divers  pamphlets ,  de 
prétendre  être  les  descendans  en  droite  ligne  de 
Charlemagne^  et  de  regarder  Hugues  Gapet  conune 
l'usurpateur  d'un  trône  appartenant  à  leurfamiUe» 
—  Voy.  LaPlacCySupràyfol.  42  ;  Mémoires  de  Condé^ 
tom.  1,  p.^'ji(i). 

(1)  Us  renouvellèrent  ces  prétentions  sous  Henri  III,  dans 
une  généalogie  qu'ils  publièrent  en  Lorraine,  et  oà  ils  se  fai- 
saient descendre 4e  Charles,  duc  de  la  Basse-lorraine^  oncle 
paternel  du  dernier  r<^  Garloyingien.  Réimprimée  à  Paris  en 
i58o,  et,  ce  qu'il  y  a  de  singulier,  açecprmUgc  du  roi,  elle 


DES  ANTIQUAIRES  IMS  FRANGE.  l4l 

Mais,  nous  devons  l'avouer^  nous  avons  trop  peu 
de  pièces  du  genre  dès  trois  lettres  précédentes  pour 
présenter  cette  idée  autremeutque  comme  une  con- 
jecture abandonnée  à  Finvestigation  des  sa  vans. 

DU  MASSACaRE  DE  VÀSSY: 

Les  deûsL  Ic^ttres  de  François  de  Guise  au  parle- 
ment de  Grenoble  ;  surtout  la  seconde,  peuvent  four- 
nir quelques  documens  sur  les  causes  du  massacre 
de  Vassy,  qui  fut  le  signal  des  guerres  civiles-reli- 
gieuses dont  la  France .  fut  désolée  pendant  trente 

ans.       . 

D'après  la  permission  accordée  aux  huguenots  par 
L'édit  de  janvier  i562^  de  tenir  des  prêches,  excepté 
dans  les  villes.  (Yoy.  Gamievy  œjcix,  ^20.  )  On  ea 
avait  ouvert  un  dans  une  grange,  à  Yassj  ,  bourg 
éloigné  de  cinq  lieues,  de  Joinville  en  Champagne , 
où  résidait  Antoinette  de  Bourbon- Vendôme  ,  mère 
du  duc  de  Guise. 

Selon  les  écrivains  catholiques,  tels  que  Garnier 
(Hist.  deyelly  ,  xxXy  1  «4)^  Antoinette  sollicita 
son  fils,  qui  se  rendait  à  Paris  avec  sa  compagnie  dé 

fut  réfutée  la  même  année  dans  une  dissertation  manuscriie 
adressée  au  ïoî,et  qu'on  trouve  aux  mss.  de  BétIiune,vol.  8785, 
f.  98  à  io3^  —  Yoj.  aussi  Farillas  dans  Bqylâ,  mot  Guise 
{Henri) f  note  C,  et  notre  Histoire  de  Cujas  {Paris y  1821), 
note  igS,— Mêmes  prétentions  dans  un  autre  ouvrage,  publié 
en  1559, sous  1®  ^i\xe à! Origine  généalogique, tXa.yoj.  Feyrety 
Bibl.  hiMtor. ,  n*  18,874. 


1^2  IfSHOHIES  DE  U  SOGl£li  ROTAIE 

gendarmes»  d'empêcher  ce  conventicule.  Le  duc  le 
loi  promit  si  cela  se  pouvaitsans  contreyenir  àl'édit 
Il  passe  à  Vassy  le  i"  mars  i562,  met  pied  à  terre 
pour  entendre  la  messe»  et,  sans  sortir  de  l^église , 
envoie  La  Brosse ,  fils  de  son  lieutenant ,  et  deux 
pages  inviter  le  ministre  à  lui  venir  parler.  On  ferme 
brusquement  la  porte  aux  envoyés.  Us  j  heurtent 
avec  rudesse  ;  quelques  hommes  sojrtent  et  les  char- 
gent de  coups.  Le  duc  et  La  Brosse  père  accourent  et 
sont  blessés  à  coups  de  pierre.Les  hommes  d'armes, 
furieux  â  cet  aspect»  forcent  la  grange^  et  massacrent 
ou  blessent  beaucoup  de  monde.  On  varie  sur  le 
nombre  -,  mais  Yalincourt^  écrivain  d'autant  moins 
suspect  que  sa  Vie  du  duc  de  Guise  est  moins  une 
histoire  qu'un  panégyrique ,  compte  près  de  soixante 
personnes  tuées  et  plus  de  deux  cents  blessées. 

D'après  ce  récit»  les  protestans  furent  les  agres- 
seurs. On  pense  bien  que  leurs  auteurs  présentent 
l'affaire  sous  un  tout  autre  aspect  (  Yoy.  Mémoires 
de  Condéy  tom.  'ô^p.  m  à  lAg;  ;  et  Bayle  va  jusqu'à 
soutenir  que  le  massacre  fut  prémédité.  —  Voy.  li/., 
mot  Guise ( François) y  note  D. 

Nous  examinAmes  ce  point  d'histoire  il  y  a  quel-- 
ques  années.  Voici  le  résultat  de  nos  recherches  et 
réflexions  tel  que  nous  le  trouvons  consigné  dans  une 
note  manuscrite  sur  le  passage  de  Garnier  déjà  cité. 

<c  Après  avoir  lu  avec  attention^  soit  ce  que  dirent 
dans  le  temps  Théodore  de  Bèze  et  le  duc  de  Guise 
(  dans  Garnier  y  ih.,p.  7,  4g  et  3i8  ),  soit  ce  que  rap- 
portent le  président  de  Thon  {lilf.  îlg,  an.  1S62;  lié. 


DES  ANliQUAIRES  M  FlRANCE.  l43 

S^tfA.  i563,  édit,  de  1620,  tom.2yp.  77,  786^  3S4), 
et  d'antres  auteurs,  et  pesé  les  circonstances ,  le  ca- 
ractère, les  intérêts,  etc.  de  Guise,  de  ses  serviteurs  et 
des  protestans,  je  crois  que  Guise  ne  médita  point 
le  massacre  ;  mais  je  suis  persuadé,  1  ^  qu'il  ne  fit  *" 
rien  pour  le  prévenir,  et  qu'il  n'agit  que  lorsque 
f  affaire  étaîttrès»  avancée  ;  de  so*rte  que  l'on  peut  en 
conclure  qu'il  n'était  pas  fâché  que  les  protestans  de 
ce  pays  reçussent  une  correction  qui  pût  éloigner 
leur  prêche ,  mais  sans  avoir  Tintention  de  faire  une  ' 
boucherie  ;  2^  que  les  gens  dé  Guise  furent  les  agres- 
seurs ,  cela  est  même  de  toute  évidence.  » 

«  Le  récit  de  Garnier  est  d'une  grande  mauvaise 
fois.'» 

On^voit  que  nous  n'avions  pas  adopté  l'opinion  de 
Bajle  sur  la  préméditation  du  massacre.  Cet  habile 
dialecticien  la  fonde  sur  divers  aveux  échappés  di- 
rectement ou  indirectement  aux  historiens  les  plus 
favorables  aux  Guises ,  tels  que  Varillas.  Selon  ce 
dernier,  les  chefs  des  catholiques  avaient  bien  le 
dessein  d'attaquer  les  calvinistes  ;  mais,  quoique  à  ce 
dessein  se  trouvât  joint  le  désir  d'obliger  sa  mère,  le 
duc  de  Guise  comptait  empêcher  le  prêche  à  Vassy 
sans  violer  l'édit,  parce  qu'il  espérait  que  sa  seule 
présence  suffirait  pour  dissiper  l'assemblée  des  cal- 
vinistes. 

Bajle  observe,  entre  autres,  à  ce  sujet,  que  comme 
le  duc  ne  pouvait  supposer  que  sa  seule  présence  dé- 
tournerait des  sectaires,  fort  zélés,  d'une  pratique 
long-temps  défendue  et  tout  récemment  autorisée 


i44  uitfoiMs  BB  ik  Bocxkrk  kotàu 

par  un  édit»  il  fallait  bien  qu'il  fût  déterminé  à  user 
de  violence  eavers  eux.  Il  cherche  ensuite  à  établir 
que  le  duc  voulait  faire  abolir  cet  édit  /  afin  d'insi- 
nuer qu'un  homme  qui  travaillait  à  détruire  une  loi 
ne  devait  pas  être  très*disposé  à  s'y  conformer  avec 
scrupule. 

Si  Bajle  avait  eu  connaissance  de  nos4ettres^  elles 
lui  auraient  fourni  de  bien  ibrts  ai^umens  en  faveur 
de  son  système. 

La  prenûère^en  effet>  prouve  combien  le  duc  était 
animé  contre  les  protestans  (J^oje^'la  ci-^près ,  à 
V Appendice ,  §  T',  n^  a  ). 

Il  l'écrivit  le  a5  juillet  i56i  y  au  moment  où  Ton 
venait  à  peine  de  dresser  l'édit  connu  sous  le  nom 
de  juillet;  qui  défendait  aux  calvioistes  toute  assem- 
blée publique  ou  privée  pour  leurs  prêches^  proscri- 
vait leurs  ministres^  déférait  aux  évéques  la  connais- 
sance du  crime  d'hérésie était  en  un  mot  un 

vécitable  édit  de  persécution  (i).  Gonune  si  le  duc 
craignît  que  ces  mesures  violentes  n'éprouvassent  le 
plus  léger  retard  ou  le  plus  faible  adoucissement 
dans  leur  exécution^  il  prend  lui-même  des  mesures, 
quoiqu'un  ^tef  soin  ne  fût  point  de  sa  compétence, 
pour  faire  envoyer,  en  son  absence,  et  par  un  de  ses 
affidés,  l'édit  au  parlement  de  Grenoble,  etlaisseune 

(i)  Il  fut  délibéré  4ans  des  assemblées  tenues  aa  parlement 
dés  le  19  juin,  et  qui  se  prolongèrent  pendant  pingt jours,  — 
Voy.  Oarnierj  zxix,28i.  —  Si  Ton  ajoute  à  cela  le  temps 
qu'exigea  la  rédaction  (V.  id,^  282),  on  yiii  qu'il  ne  put  guère 
être  prêt  avant  le  20  juillet. 


DSS  ANTIQUAIRES  DE  FHANGE.  l45 

dépêche  où  il  presse  cette  cour  d'en  hâter  la  publi- 
cation et  d'employer  la  force  pour  surmonter  toute 
résistance*....  en  un  mot,  pour  faire  en  sorte  ,que 
dans  peu  de  jours  >  dit-il ,  il  ny  ait  personne  qui  ne 
vive  selon  l'église  romaine .  •  '• 

Il  parait  qu'il  d#nnait  en  même  temps,  et  dans  le 
même  but  >  des  ordres  sépères  à  Lamolhe«Gondrin  > 
sonl  eutenant  >  au  gouvernement  de  Dauphiné;  car, 
dès  le  3o  juillet,  Lamothe-Gondrin  écrivit  au  parle- 
ment pour  .savoir  s'il  avait  reçu  Tédit  (  Voy*  ci-après 
l'Appendice,  $  T'^n?  5), et  enfin  lui  envoya»  dès  le  i5 
aoùty'son  secrétaire  pour  lui  porter  cet  édit  {f^oy. 
ûf.  n^6  ),  en  le  chargeant  d'instructions  verbales  sans 
doute  rigoureuses,  puisque  cet  envoi  était  iqutile, 
le  parlemient  ayant  déjà  reçu  l'édit  directement  du 
ministère,  comme  le  prouvent  deux  lettres  ;  l'une  du 
roi,  Tautrejde  Catherine  de  Medicis,  des  ag  et  3i 
juillet  {J^oy.  id.  n^*  5  et  4  ). 

On  sent  quel  parti  Bayle^'eût  tiré  de  cette  extrême 
activité  du  duc  de  Guise  ou  de  ses  afddés ,  à  faire 
publier  un  édit  de  proscription^  surtout  lorsqu'il 
l'aurait  rapprochée ,  soit  de  la  rigueur  qu'ils  appor- 
tèrent dans  son  ezécution,pi!iisqueLaniothe«G6ndrin 
fit  pendre  un  ministre  et  plusieurs  habitans  de  Ydr 
lence(/^o;^.  La  Place,  sup.,  p.xSx',  Çhorier,hist.  de 
Dauph. ,  ij ,  555  ) ,  soit  de  la  eondui^e  du  duc  relati- 
vement à  l'édit  de  tolérance  du  mois  de  janvier  sui- 
vant, qui,  Qtmme  on  Ta  vu ,  permettait  les  prêches 
hors  d^s  tilles  ;  conduite  sur  laquelle  la  seconde 
IV.  iQ 


1 46  ftXHOIRES  DB  LÀ  SOCIÉTÉ  ROYALE 

lettre  de  ce  {>rinee ,  comparée  à  (|uelqués  faits  f 
fournit  matière  à  bien  des  réflexions. 

Elle  fut  écrite  au  même  parlement >  du  château 
d'Esclaron  en  Champagne^  le  5  mars  i5&2^  ou  le  sur- 
lendemain du  massacre  de  Vassy.  (Voyez-la  ci^après 
à  l*  jéjfpendice  y%  I",  DPjy  avec  les  remarques  à  la  suite  é 

Si;  comme  le  duc  l'assure  et  Comme  le  répètent 
Varillas  et  autres ,  ce  massacre  fût  survenu  contre 
son  intention;  s'il  ne  fût  point  allé  à  Vassy  ayee  des 
projets  de  violence,  el  enfin  s'il  eût  voulu,  au  con- 
traire, qu'on^jBxécutât  l'édit  de  janvier ,  le  cœur  navré 
d*kvoir  vu  massacrer  par  ses  soldats  soixante  person- 
nes et  blesser  plus  de  deux  cents,  dans  sa  première 
démarche  auprès  du  parlement,  surtout  rentrant  alors 
en  France  après  un  voyage  en  Alsace  (i^oy/  mêmes 
re;/ir7r^2^e^),il  aurait  manifesté  ses  regrets  ou  au  moins 
son  désir  d'employer  des  mesures  qui  ne  pussent  pas 
donner  lieu  à  de  si  funestes  catastrophes,  et  enfin  son 
désir  aussi  qu'on  fît  observer  Tédit  de  janvier*. . 

Bien  loin  delà,  sans  dire  un  seul  mot  de  cette  ca- 
tastrophe, il  s'y  plaint  des  insolences  des  protestass; 
il  invite  le  parlement  à  f  ai^e  punir  et  châtier  ceux 
qui  seront  coupable^  de  rébellion;  ajoutant  qu'il  a 
donné  ordre  ^t  moyen  à  la  Mothe-Goifdrin  de  lui 
prêter  main- forte  >  à  ce  Gondrin  qui  avait  récemment 
fait  pendre  plusieurs  calvinistes. 

Enfin  le  duc,  àqui^a  qualité  de  grând-oâicier  de 
la  maison  du  roiimposaitplus  strictement  qu'à  beau- 
coup d'autres  l'obligation  de  désirer  l'exécution  des 


DES  ANTIQUAÏHS  DE  FRANG3È.  '  1^7 

Drdres  de  son  souverain  et  d'y  veiller  dans  ses  gou- 
vernemens ,  réprimande  le  parlement  de  Grenoble 
d'avoir  publié  Tédit  de  janvier  sans  attendre  le  parti 
que  prendrait  â  cet  égard  -le  parlement  de  Parié , 
qui  devait,  dit-il,  lui  servir  de  modèle,  et  qui,  en  effet, 
avait  jusque-là  refusé  opiniâtrement  d'enregistrer 
redit,  et  iib  Teoregistra  ensuite ,  le  4  ou  5  mars , 
(w/.  Garnier  xxix,  443  à  477)  que  par  provision!.. 
Un  homme ,  on  le  répète ,  qui  n'aurait  pas  prémédité 
le  massacre  de  Vas»y>  ou  même  qui  en  aurait  eu 
quelque  regret,  se  serait-il  conduit  de  la  sorte  ?.•. 

Telles  sont,  sans  doute,  quelques-unes  des  bbser- 
yations  que  les  lettres  soumises  à  la  société  eussent 
fourni  à  Bayle... 

Quoiqu'elles  soient  très^  fartes  en  faveur  de  son 
système >  nous  aurions  bien  delà  peine  à  nous  per- 
suader qu'un  guerrier  illustre  et  qui  donna  de  nom- 
breux exeiiifiles  d'humanité  et  de  générosité,  tel  que 
le  duc  dé  Guise,  eût  médité  de  safig  fftrfd  l'attaque 
et  lé  massacre  dé  pauvres  paysans  Sans  irrites  et  Sans 
moyens  efficaces  de  défense,  parmi  lesquels  se  trou- 
vaient beaucoup,de  vieillards,  de  femmes  et  d'enfans. 

Mais  nous  ne  pouvons  dissimuler  non  plus  qu'elles 
donnent  beaucoup  de  poids  aux  conclusions  que 
nous  avions  di^jâ  ïitét^  de  îi6s  pirèthîèrès  -rèbher- 
êtes;  saVoir,  que  le  duc  ne  fit  rieft  pour  préve- 
nir une  catastrophe  et  qu*iï  lut  au  làpins  coupable 
d'unes  exW'èfne  rtégiigence,  pem-êt«  fl*rême  d'une 
négligence  volontaire  ;  car  on  sent  bien  que  s'il  s*é- 
tait  seulement  conformé  à  ce  que  lui  prescrivaient 


10* 


l48  MiAOIRES  DK  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

les  règles  les  plus  simples  de  la  discipline  militaire  ; 
s'il  eût,  par  exemple,  défendu  à  ses  soldats  de  s'ap- 
procher, sans  un  ordre  formel,  de  la  grange  où  se  te- 
nait le  prêche,  toute  cette  scène  horrible  de  carnage 
se  fut  réduite  à  quelques'injures  ou  à  quelques  rixes 
sans  aucune  effusion  de  sang. 


APPENDICE» 


§  I**.  —  Piiùeà,  ou  extraits  de  pii0$»  relatives  aux  ùb- 
servaticns  priêédentes,  et  mises  ê9us  les  jeUx  de  la 
SodéU  des  Antiquaires,  suivies  de  quelques  remarques» 

1.  ExtraH  d^lne  lettre  du  dac  de  Guise  aux  consuls  de  Gre^ 
noble ^  du  8  feyrier  i555  (  i556,  nouyeau  style  ). 

1 1  leur  donne  ayis  que  les  états  de  D^uphinè  sont  convoqués 
pour  être  tenus  à  Grenoble  le  i5  mars  suivant.  Elle  est  écrite 
par  un  s^rétaire  et  datée  de  Pont-le-Yoj,  le  8  février  i555. 
Au  bas  il  y  a  de  la  maiki  du  duc, 

Totre  bon  amy 

a.  Lettre  du  duc  de  Guise  au  parlement  de  Grenoble,  du  a5 
juLllet  i56i   (i). 

«  Messieurs,  pour  ne  retarder  la  publication  de  Tédit  fait 

(i)  Les  Lettres  mioiérot  s  à  7  appartiennent  à  H.  GhampoUion-FJ^ac, 
associé  corrtf  pondant  de  rinstitnt ,  qni  a  bien  Toola  nons  penn^tre  d'en 

faire  usage» 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRAIHGÏT.  l^^ 

sur  la  conclusion  dernièrement  prise  en  l'assemblée  des  princes^ 
sieurs  du  conseil  priyé  de  Sa  Majesté ,  et  de  ceux  de  sa  cour 
de  parlement  de  Paris  pour  obyier  aux  séditions  qu*on  peut 
voir  préparées  s*il  n'j  est  remédié,  j'^ayisé,  étant  contndnt 
d'aller  accompagner  la  reine  d'Ecosse  5  douairière  de  France  > 
jusqu'à  son  embarquement  qui  se  doit  faire^  Calais ,  laisser 
cette  dépêche  à  un  de  mes  gens,  afin  que,  si t^ que  Ie<tit  édit 
sera  publié  en  ladite  cour  de  parlement  à  Paris,  il  ne  faille  le 
TOUS  enyoyer  pour  laire  le  semblable  de  yotre  côté,  et  pour  ce, 
messieura,  que  c'est  cho$e  qui  s'est  faite  en.  si  grande  et  si 
hoDorable  assemblée  et  avec  si  mûre  délibération,  je  yous 
prie  ne  faillir,  incontinent  ladite  publication  faite  en  yotre- 
dite  cour  de  parlement^  d'enyojer  les  copies  dudit  ëdit  par  tous 
les  bailliages  et  sénéchaussées  pour  le  faire  entend)re  par  tous 
les  lieux  et  endroits  de  leurs  jurisdictions  ;  etoùil  adviendrait 
qu'il  y  eût  aucuns  qui  se  youlsissent  de  taq^  «'oublier  qae  d'y 
coDtreyenir  et  se  préparassent  d'y  résister ,  j'écris,  outre  la 
force  que  lesdîts  baillis  et  sénéchaux  peuvent  avoir,  vous  en 
faire  bailler  telle  et  si  suffisante  que  yous  et  eux  soyez  obéla  ;  à 
quoi ,  puisque  c'est]  pour  la  conservation  de  l'autorité  du  roi , 
j'ai  telle  fiance  en  yous  que  je  tiens  pour  si  gens  de  bien,,  que 
Dieu  vous  fera  la  grfice  de  contenir  toutes  chcfses  en  si  Iv^nne 
paix  et  union,  qu'il  n'y  aura  personne  dans  peu  de  jours  qui 
ne  vive  Catholiquement  et  selon  l'église  romaine,  ainsi  quf'/ 
a  été  fait  par  le  passé.  Priant  Dieu,  messieurs,  vous  donnée 
ce  que  plus  désirez.  »   De  Poissy,  ce  a5  jour  de  juillet  i56i» 

(  Plus  bas  de  sa  main  )  Votre  bien  bon  amy 

FRiNÇOTS. 

Adreêse  aitreuêra!'^  Messieurs,  tenant  la  cour  de  parlement 
de  mon  gouvernement  de  Dauphiné  <>  « 

Hemarque»  Dans  la  copie  ci-dessus  comme  dans  les  suir 
vantes,  on  n'a  fait  que  substituer  l'orthographe  et  la  ponctuation 
uiodernes  aux  anciennes. 


l5o  MÉMOIRES  OB  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

5.  Extrait  d'une  lettre  du  roi  (  Charles  IX  )  au  parlemeat 
de  Grenoble,  datée  de  Sqint^Germain-en-I^i^ye^  le  20  juillet 
i56i. 

Il  lui*eitV0le  yidlt  &il  pour  appuiser  les  trouble»  (c'est  Tédit 
de  }alUfet)  y  ftToe  ordre  de  le  faire  enrefi9ti>er^  publier  et  eb- 
v^rrei,  La  lettre  e»t  signée  Charles^  et  coBtre^sigoée  par  uq 
aterâtaire  d-^tat. 

•  •  •  . 

é.  JE^^traii  d'une  lettre  de  Catherine  de  Médicia  an  môme 
parkHaent,  datée  du  même  lieu»  le  Si  Juillet  i56i. 

C'est  une  aqnonce  de  l'envoi  annoncé  au  n**  3...  Elle  enjoint 
de  ^enir  I4  main  à  ce  que  l'édit  soit  observé  étroitement^  car 
le  npial  presse...  Elle  est  ^îgnée  Catherine^  et  cgntre-signée. 

5.  Extrait  d'une  lettre  du  même  parlement  à  Hector  de  la 
lifothe-Gondrîny  lieutenant  du  duc  de  Guise,  au  gouvernement 
de  Çauphiné^  datée  de  Grenoble»  le  2  août  i56i. 

Otkj  répond  à  une  lettre  du  3o  juillet  où  Lamothe-Gondrin 
demandait  si  Ion  avait  reçu  redit  précédent  »  qu'on  n'en  a 
aucune  nouvelle;  ce  qui  n'était  pas  étonnant  »  puisque  Tédit 
noyant  été  envoyé  que  le  3i  juillet  {paye»  n®  4  )  ne  pouvait 

entote  être  parvenu  à  Grenoble; 

\  .  • 

6.  Lettre  de  Lamothe-Goadrin  au  même  p^rlemept»  datée  de 
Vaknce^le  i3  août  i56i. 

II  lui  envoie  par  Fc^ure,  son  secrétaire,  1°  l'édît  déRbéré  en 
rassep^Uéei  de  Paris  sur  les  différends  de  la  religion  (  même 
édit  de  juillet  )  ;  2**  une  lettre  qu'il  a  reçue  du  roi  à  cette  occa- 
sioU'.  !|l  demande  que  le  parlement  s'accorde  avep  lui  sur  les 
mesures  d'exécution  et  ajoute  :  <<  Me,  remettant  du  surplus  sui: 
ledit  Faure,  lequel  je  vous  prie  ,  messieurs ,  vouloir  croire 
comme  vous  feriez  moi-même,...»  (  Elle  €st  signée  de  sa 
ms^in  ). 


/ 


DES  ANTIQUAia£S  DE  FRANGE.  J.5i 

\ 

7,  Lettre  du  duc  de  Guise  ei^  même  parlement  1  dalée  d'£s« 
daïQQ  (à  quelques  lieues  de  Vassy)  fe  3  mai»  iMa  (  ffq>^&  ol« 
après  les  remarquer  )• 

«  Messîem's ,  le$  plaintes  que  j'ai  eofitinuellement  ^es  in^ 
solences  et  rebettîons  dont  usent;  ceux  qui  font  profeSsion'de 
suivre  Fégifdé  quMb  disent  réformée,  me  fait  tous  en  écrire 
ee  petit  mot  pour  tous  prier  autant  affectuensemént<[ue  je  puis^ 
é*j  Toulchr  avoir  soigneusement  Fœil  de  votre  c^étet  de  faire 
punir  et  châtier  ceux  que  vous  trouverez  autetirs'et  coupables 
desdîtes  rebellions,  au  grand  mépris  et  contemneuient  de  l'au- 
torité du  roi  et  de  sa  justice,  outre  Toffense  que  Dieu  première- 
axent  en  reçoit,  chose  qui  ne  se  doî^  permettre.  Je  ne  veux,  ou* 
blier  aussi  de  vous  dire  qu'ayant  été  fait  comme  j'ai  entendu 
un  dernier  édit,  que  vous  vous  iussîez  bien  passade  le  rotce- 
voir  et  faire  publier  par  delà^  que  vous  n'eusaieii  vu  pre.mîërc- 
mentoon^me  la  cour  de  parlement  de  Paris  en.  aurait  usé,  qui 
est  rexepople  et  le  mln>ir  de  tonlçs  les  autres  ;  dont  je  vous  ai 
bien  voulu  avertir  pour  ^aucQup  de  bonaes  considérations 
qu'on  peut  avoir  là-dessus,  ce  me  seinblc, 

Messieurs  ,  ^e  prie  sur  oè .  notre  seigneur  de  vous  tenir 
louJQursi  en  sa  tfôs-sainte  et  digne  garde.  Ecrit  à  £s<dî^on  rce 
3  mars.  4^    r  - 

P,   S.  Je  sais ,  messieurs  ,  que  vous  me  pouvez  allé- '     ' 
guer  que  la  force  n'est  point  en  vos  mains  pour  vous  faire 
obéir;   Mais  vous  avez  M.   De  la  Mothe-Gondrin  qui  y 
saura  pourvoir  selon  le  pouvt)ir  qu'il  en  a  et  le  moyen 
que  je  lui  en  ai  donné. 

(  Ensuite  ici  de  la  main  du  duc  )         Voire  bien  bon  amy 

*      FBA.NÇOYS. 

Remarques,  On  voit  que  l'année  manque  à  la  date,  ^ais  il 
s'agit  évidemment  de  1662^  nouveau  style.  En  premierïicu,îlcst 
question,  dans  la  lettre,  de  l'édit  dernièrement  fait  ou  édit  de 
janvier.  En  dcusi^me  lieu,  on  à  note  au  dos  répondu  le  25 


l52  MEMOIRES  DB  LA  SOCIETE  KOYAIE 

mars  i56:»;  et  comme  à  Grenoble  Tannée  commençait  à  Noef^- 
cela  ne  peut  se  rapportera  une  année  postérieure,  chose  d'atl* 
leurs  impossible,  puisque  le  duc  îal  tué  ^a  ft^rier.  i563;  en 
troisième  lieu,  dansf  la  minute.de  Ja  réponse  du  parlement  .qui 
est  jointe  à  la  lettre,  on  accuse  ladrécepiictn  de  i^eUe^ci,  comme 
étant  du  3  du  présent,  ce  qui  exclut  aussi  une  année  anlérjeHre; 
enfin  on  s'y  lélicite  de  son  retour  en  France,  et  Ton  sait  qu'a- 
près un  Toyage  en  Alsace  pour  négocier  la  neutralité  des  princes 
luthériens  allemands,  le  duc  rentra  en  France  yers  la  fin  de  fë- 
Trier  i562  ^Yoyei  GarnUr,  t.  29^  à  lafin). 

8.  Nous  dÎ8on8,ci-deyant  p.  i34,  qu'on  assure  que  François  I** 
ne  souffrait  pas  qu'on  donnât  aux  Guises  et  qu'ils  prissent  en 
France  la  qualité  de  princes,  etc. 

Nous  citons  à  cette  occasion  le  président  Laplace  et  Bayle , 
qui  l'a  cité  lui-même.  Laplace  (  f.  6'^  et  65  )  rapporte  un  dis- 
cours adressé  de  TÎre  voix,  en  i56o,  par  Régnier  de  la  Planche 
à  Catherine  de  Médîcis,  où  il  expose  que,  quand  le  duc  d'Au- 
male  se  maria,  François  P'  ne  youlut  pas  permettre  que  sa 
femme  fût  habillée  en  princesse  le  jour  de  ses  noces  ;  disant 
«qu'il  aoTOulait  communiquer  les  honneurs  qui  n'appartiennent 
qu!aux  princes  du  sang,  à  ceux  de  Lorraine,  et  que  s'ils  youlaient 
fiiire  des  (les)  princes,  qu'ils  les  allassent  faire  hors  du  royaume 
à  leurs  dépens.  » 

Cette  assertion,  répétée  par  Bayle,  nous  a  jeté  dans  un  grand 
embarras  dont  nous  n'avons  pu  nous  tirer  qu'après  de  longues 
et  ennuyeuses  recherches.  Presque  tous  les  biographes  et  généa- 
logistes ,  tels  qu'Anselme  (  IlisL  généalogique  de  la  maison 
de  France  9  Uj,  491),  Moreri  [mox Lorraine- Aumale  y  n'4f«), 
D.  Calmet,  [^Hiat.  de  Lorraine  ^  1728^  J^'*^  ^  P*  GLxxni  f 
cLxxriii) ,  l'auteur  de  la  yie  de  Coligny  (  1686,/?.  io3) ,  etc. 
fixent  positiyement  le  mariage  du  duc  d'Aumale  ayec  Louise 
de  Brézé,  fille  de  Diane  de  Poitiers^  au  premier  août  1 54/  :  or , 
François  !•'  était  mort  dès  le  3i  mars  précédent  ;  il  n'ayait 
donc  pu  rien  régler  sur  le  mariage  du  duc  d'Aumale. 


bCS  ANTIQUAIMS  DE  frange/  i55 

Il  y  il  appareaoe  que  cette  objeétioD  fut  faite  à  Bayle^  dont  le 
dictionnaire  ne  parut  qu'après  ia  pretnière  édition  d'itne  partie 
de  l'outrage  d'Anselme.  Il  fit  consulter  le  célèbre  généalogiste 
d'Hocier^  et  celoi-ci  répondit  que  le  duc  d'Aumale  ayaitdûse 
marier  en  i546,  puisque  OQUlaume  de  Poitiers  >  onde  de 
Louise  de  Brézéyla  nomme  dans  son  testament  du  12  mars  1 546, 
comme  déjà  épouse  de  ce  prince. 

Mais  comme  plusieurs  éditions  d'Anselme  (1728)9  de  Moreri 
(1725  )  et  de  D.  Calmet  (i7!)S);  de  beaucoup  postérieures  à 
Bajle ,  ont  continué ,  aux  passages  indiqués  ci-dessus/ à  fixer 
au  premier  août  1647  le  mariage  du  duc  d'Aumale,  nous  ayons 
dû  examiner  ayec  soin  ce  point  de  critique;  d'autant  que ,  d'une 
part ,  ce  sont  des  auteurs  du  plus  grand  poids  en  semblable  ma- 
tière, et  que,  de  l'autre,  le  premier  d'entre  eux,  Anselme ,  ou 
ses  continuateurs  indiquent  précisément,  et  cela  sans  rien  cban- 
ger  à  la  même. date  du  premier  aoûta547,  le  testàmentide 
Guillaunae  de  Poitiers  sur  lequel  se  fondait  le  généalogiste 
d'Hozief  pour  reporter  le  maria^  à  l'an  i546.^ 

Selon  Anselme,  en  effet  {e,  u ,/?.  1207),  Guillaume  de  Poitiers 
fit  deux  testamens  ;  le  premier  rapporté  par  Ducbesne  {Preui^ea 
de  l^hist.  des  comtes  de  Valentinoie)  j  le  la  mars  i546;  le 
deuxième,  le  lA  août  i547,  dont  il  y  a  une  copie  à  la  bibliothèque 
du  Roi,  recueil  de  Gagnières,  n*"  1718. 

Nous  ayons  d'abord  yérifié  le  passage  cité  de  Ducbesne  ,  et 
nous  ayons  été  assez  heureux  pour  trouyer  l'exemplaire  qui  a 
appartenu  successiyement  à  Pierre  d'^ozie^  et  à  Louis  et 
Charles  ses  fib,  et  qui  est  surchargé  de  leurs  remarques  manus- 
crites (il  y  en  a,  entre  autres,  à  l'article  du  même  Guillaume  de 
Poitiers).  Le  testament  y  est  rapporté  en  extrait.  Après  y  ayoir 
institué  la  fameuse  Diane,  sa  sœur,  il  y  fait  une  première  subs- 
titution en  fayeur  «  des  enfaps  que  Dieu  pourra  donner  ci-après 
0  à  Louise  de  Brézé  sa  fille,  femme  de  illustre  prince ,  monsei- 
«  gneur  Claude  de  Lorraine,  marquis  de  Mayenne.  »    • 

Bden  de  plus  formel  que  ce  passage ,  car  Claude  de  Lorraine 
fut  appelé  marquis  de  Mayenne,  jusqu'à  la  mort  de  son  père, 


1  o4  MEMOIRES  DE  LA  âOClÉTÉ    ROYALE 

en  liSo,  époque  où  il  deyint  duc  d'Aumale  en  remplacement 
de  son  frère  aioé  François^  qui  laî*même  devint  duc  de 
Gttise*  Mais  il  restait  à  esauûoer  si  Dudbesne  imppcMrtaît  exac- 
tement ta  date  elle-même  et  si  cette  date  elle-même  n'était  pas 
fatttiTe.Or,nous  avons  trouTédaaft  une  copie  du  testament  dite 
dans  le  temps  même  et  placée  à  la  bibliothèque  du  lOi  parmi 
les  papiers  de  la  maison  de  Poitiers  {oabmei  cUb  généalogies)^ 
\  ^  que  Duchesne  a  rapporté  très-exaotement  le  passage  ci^deasus; 
tk"*  qu'il  n'y  a  pas  d'erreur  dans  ]a  date,  puisqu'on  ajoute  aux  mot& 
19  mats  iâ46  (c'est-à-dire  1647,  nouveau  style),  ceux-ci , 
règruuUtrèS'ohréâienprwce  François ,  et  François  I*'  ne  mou- 
rut que  le  5 1  du  même  mois  de  mars  1547. 

A  l^garddu  deuxième  testament  de  Guillaume  de  Poitiers, 
qu'Anselme  (  D,  p.  S07  )  dit  être  du  i4  août  1Ô47  ,  et  dont 
une  copie  ancienne  est  aussi  parmi  les  mêmes  papiers,  on  n'y 
trouve  rien  qui  détruise  l'indication  positive  du  mariage  con- 
tenu dans  le  testament  de  i5A6. 

Mais  ce  n'est  pas  le  seul  document  irrécusable  qui  établit 
que  le  mariage  du  marquis  de  Mayenne,  depuis  duc  d'Au- 
male^  est  antérieur  à  la  mort  de  François  V\  D.  Calmet  rap- 
porte \m  extrait  des  cérémonies  faites  aux  obsèques  du  duc  de 
Lorraine,  François ^  les  i5  et  16  d'août  i5A6,  d'après  l'ouvrage 
de  Duboulai,  héraut  d'armes  de  Lprraine  et  témoin  oculaire. 
On  y  cite  les  princes  et  princesses  de  la  maison  de  Guise  qui 
y  assistèrent,  et  notamment  Claude,  marquis  de  Mayenne,  et, 
à  deux  reprises,  la  marquise  de  Mayemie.,qm  se  plaça  dans  les 
tribttnes  des  églises  de  Saint-Georges  et  des  Cordeliers. 

Il  est  donc  bien  certain  que  leur  mariage  est  antéri.^ar  ou 
i5  août  1&46.  N'est«il  pas  un  peu  étrange  queD.  Calmet  ait 
oublié  cette  circonstance  dans  sa  préface  du  premier  volume 
où,  comme  on  l'a  vu,  il  fixe  le  mariage  au  premier  août  1Ô47 , 
ou  bien  peut-être  la  variation  des  dignités  des  Guises  P  car,  on 
Ta  dit ,  François  fut  d'abord  duc  d'Aumale ,  et  Claude,  seule- 
ment après  lui,  l'aura-t-elic  induit  en  erreur,  comme  beau- 
coup d'autres  biographes  ? 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE,  i  55 

^  H,  Lettres  de  Henri,  duc  de  Guise ,  fils  de  Françoisy 
et  surnommé  le  Balafré»  suivies  de  quelques  remarques. 

N,  B,  Nous  avons  trouvé  les  troî^  lettres  suivantes  en  faisant 
les  recherchés  dont  Textraît  est  ci-devant. Elles  nous  ont  paru  si 
curieuses  par  Tesprit  et  fénergie  que  le  duc  de  Guise  y  montre, 
quoiqa'à  peine  âgé  de  six  ou  sept  ans  (1)9  que  nous  les  avons 
copiées  et  communiquées  à  la  Société  royale  des  Antiquaires 
à  la[^suite  des  observations  relatives  aux  lettres  de  François,  duc 
de  Guise,  père,  et  la  Société  a  arrêté  qu'elles  seraient  po^ 
bliées  en  même  temps  que  celles-ci.  Nous  nous  bornerons  à 
y  joindre  des  remarques  pour  I^&cIaircissement  de  quelques 
passages  ( ceux  qui  sont  eii  italiques). 

Au  reste,  ces  lettres  sont  adressées  par  Henri  à  François 
son  père,  qui  était  passé  en  Italie  à  la  fin  de  i556  et  eii  fut 
rappelé  vers  le  mois  d'août  155/  après  la  funeste  joùri\èe  dé 
Saint'Quentin  ;  elles  sont  en  original  dans  les  manuscrits  de 
Gagûière,  B'.  R. ,  vol.  348,  f.  i5i,  i53et  iS/i 

l' rentière  lettre  du  Balafré. 

Mqnsbigkeur^ 

Je  me  recommande  très-humblement  ù  votre  bonne"  grâce. 
Je  suis  |)îen  aise  d'avoir  entendu  que  vous  vous  portez  bien  et  que 
ayez  passé  les  Monts  en  bonne  santé,de  quoy  j'en  remercie  Dieu 
qui  lui  a  pieu  vous  bailler  si  bonne  fortune  que  d'être  passé 
en  bonne  santé  et  en  bonne  prospérité.  S'il  vous  plaist  entendre 
de  nos  nouvelles,  de  ce  que  nous  avons  faist  depuis  votre  par* 
temcnt  de  la  cour;  nous  avons  fait  bonne  chière  et  tant  couru 
de  lièvres  que  les  paiges  laissaient  les  croustês  pour  manger  le 

fi)  Il  étiiit  né'lc  3r  d^cembxt  i55o  (Voy.  HifoTeri  ^  mot  I^rraine^ 
QuifCt  n**  xzj  ),  et  ks  iettre«^  sont  de  Janvier»  avril  et  oqtobre  155;. 


l56  MétfOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

dedans  et  tous  asseure  qu'ils  n'ayafent  point  mal  aux  dents. 
Monsieur  des  Fossés  m'a  donné  des  leyrettes  qu'il  n'y  en  a 
piûnt  de  meilleures  à  la  cour.  Je  les  avons  fait  courir  à  la 
Muette  avec  madame  de  Castre^  etluy  ayons  pendu  le  collier, 
mais  elleoiarait  plus  fort  que  ses  leyriers;  et  ce  jour-là  nous 
nous  trouvâmes  à  la  mort  du  cerf,  où  le  roi  me  donna  le  pied 
du  cerf  pour  mon  droit  qui  portait  quatorze.  Mais  j'en  ayions 
peu  detfantflVLS  décent  et  yingt.Mais  depuis  ce  temps- là j'ayons 
été  en  grand  danger,  car  le  jour  des  Innocens  nous  a  fait  belle 
j^nr,  car  madame  Isabeau  était  yenue  pour  nous  donner  les 
mn^censj  mais  j'étions  déjà  leyé,  et  le  duc  de  Bat^ière  qui  est 
Tenu  aussi  pour  nous  les  donner  a  esté  bien  estrillé  ;  et  si  je  les 
ayons  donnés  à  monsieur  de  Lorraine  dedans  son  lit.  Je  ferons 
bon  guet  à  l^adyenir  de  peur  des  coups.  Je  suis  devenu  un  peu 
bon  et  ne  s'en  fault  guières  que  nous  ne  soyons  d'accord.  Le  petit 
père  me  vient  toujours  quereller ,  mais  je  le  bourre  bien.  Le 
roi  noua  a  promis  des  hacquenées  à  moy  et  à  mon  cousin  >  mais 
'  le  ne  les  tenons  pas  encore. 

MonseigneujÇ  après  vous  avoir  averty  de  la  bonne  santé  de 
monseigneur  le  cardinal  mon  oncle^  je  vous  présenteray  mes 
Irès-faumbles  services  vous  suppliant  très-humblement  que  si 
vous  Toyez  monsisîgneur  mon  grand-père  et  madame  ma 
grand'mère  à  Ferrare,  que  je  leur  présente  mes  très-humbles 
recommandations  à  leur  bonne  grâce.  -De  Saint-Germain  ce 
jour  des  Innocens. 

Votre  très-humble  et  très  obéissant  fils, 

Le  raiNce  de  joinviude. 


Seconde   lettre. 


BltaiSEI^VXVB, 


J'ay  à  cette  heure  encore  un  beau  petit  frère  que  madame 
ma  mère  m'a  fait  à  Nanteuil  incontinent  que  je  fus  parti  pour 


DES  ANTIQOAIRES  DE  FRANCE.  167 

aller  à  Reims  ayec  monsieur  mon  oncle.  On  m^a  dit  que  c'est 
bien  le  plus  beau  et  le  plus  gras  du  monde.  J'ai  ouy  de  beaux 
sermons  que  faionsieur  mon  oncle  a  faits  à  Reimsy  mais  fe 
Toas  promets  que  je  ne  les  saurais  raconter  tout  du  long,  car 
ils  étaient  si  très-longs  qu'il  ne  m'en  souvient  pas  d^la  moitié. 
II  m'a  fait  porter  son  aumusse  devant  luy  et  m^a  demandé  si 
je  ne  voulais  pas  être  chanoine  à  Reims;  mais  je  lui  répondis 
que  j'aimerais  mieux  être  auprès  de  voUs  pour  rompre  une 
lance  ou  uneépée  sur  quelque  brave  espagnol  ou  bourguignon  9 
pour  éprouver  si  j'^  bon  bras^  car  j'aime  mieux  escrimer 'on 
rompre  lance  que  d'être  toujours  enfermé  dans  une  abbaye  «veO 
le  froc.  Monseigneur,  j'ay  vu  ma  sœureX  ma  cousine  d'Aumate 
aussi  qui  sont  bien  saiges  et  bien  jolies.  Elles  m'ont  prié  fous 
présenter  leurs  très-humbles  recommandatigps  à  votre  bonne 
grâce  et  à  tous  messieurs  mes  oncles  aussi.  Madame  ma  grand'-** 
mère  a  fait  ses  pâques  à  Reims  avec  monsieur  mon  oncle^ 
etpuys  elle  est  venue  trouver  madame  ma  mère  à  Nanteuil^  la* 
quelle  se  porte  fort  bien,  dieu  mercy.  Ily  a  un  be$u  jeu  de  paille* 
maille  à  Nanteuil  que  madame  y  a  fait  foire.  J'ayme  bien  mon 
frhre  Charles  et  m,on  frère  Louisj  car  ils  sont  les  plus  jolis  du 
moade.  Mais  je  ne  spais  quand  j'aurai  veu  mon  petUfrère,  le* 
quel  j'aimerai  mieux.  Je  serai  leur  gouverneur  et  leur  appren- 
drai leur  cour.  L'on  m'a  dit  que  le  Roy  de  Nauarre  setB.  par- 
rain de  mon  petit  frère,  je  ne  sçais  encore  quel  nom  il  lui  don- 
nera, faon, cousin  a  été  malade  à  Nanteuil^  mais  il  se  porte  fost 
bien  maintenant  et  est  de  retour  à  la  cour. 

Monseigneur,  le  chanoine  est  venu  à  Nanteuil  venir  ma- 
dame ma  mère.  Il  a  deux  bonnes  levrettes  qui  sont  à  vous  s'il 
vous  plaist  les  recevoir.  Je  les  vous  garderai  jusques  à  votre 
retour.  On  avait  dit  à  madame  ma  grand'mère  que  j'étais 
opiniâtre,  mais  Des  Fossés  fait  bien  veoir  du  contraire;  car  si 
jç  l'étais]  il  ne  m^épargnerait  pas  le  bois  de  britlon.  JH^dame  ma 
tante  d'Ulbœuf  est  à  Nanteuil  qui  se  porte  fort  bien  et  m'a 
prié  vous  faire  ses  très-humbles  recommandations  à  votre  bpnne 
grâce  et  à  tous  messieurs  mes  oncles.  Brusquet  a  été  ce  matîn^ 


i58  MÉSIOIMS  DE  lA  30CIÉTB  ROYALE 

à  notre  lever^  je  tous  promets^  plus  plaisant  que  jamais^  et  Stic 
qui  lui  a  bieti  fait  la  guerre  ;  et  si  ne  se  fût  bien  contenu,  il  luy 
eût  décousu  ses  chausses. 

Monseigneur^  la  faim  nous  presse  d'aller  dîner;  qui  nae  gar- 
dera de  faire  une  lettre  si  longue.  Je  toUs  |)rdmëts  que  j'ayons 
bon  appétit. 

Monseigneur,  je  supplie  le  créateur  tous  donner  en  par- 
faite santé  très-longue  et  très-heureuse  TÎe,  prompt  retour  par 
ûeçÙL  j  comme  madame  ma  mère  le  désire  et  moi  aussi.  Mon 
cousin  et  moy  nous  recommandons  trës-humblement  à  yotre 
bonne  grâce  et  à  tous  messieurs  no$  onchs.  De  Tillers-Goterets 
ce  37  d'ùtril. 

Voire  très-humble  et  très-obéissant  fils, 

L«  PAIKCB  M  JOIKTIUJB. 

s 

v;  Troisième  lettre» 

Monseigneur^ 

*  ydA  entendu  que  tous  êtes  en  chemin  pour  tous  en  reyenir^ 
de  quoi  je  suis  mervelHetisement  aise  et  madame  ma  mèir^qoi 
'Yoas  désire  bien  ea  ce  lîéu.  Vous  la  trouTerez  st  poMant  très- 
bien^  Dieu  mercy,  et  aassi,  ïùt»  petits  frères  et  mié  étteur  qui 
sont  tenus  ici  attendre  Totre  bienrenue.  J'espère  vous  donner 
|e  plaisir  de  trois  bonnes  levrettes  et  un  léyrier  qui  ne  se  lais- 
sent rien  échapper  deyant.  Nous  avons  pendu  lé  tfAlttt  àu  Aoy 
q«l  l'a  perdn  contre  noiis  et  s'il  tous  i^arira  à  yoire  ân^lvèé  nous 
lé  yous  pendrons  et  crois  que  tous  ne  le  gaigne^^iez  pas.  Gepen*- 
dant  }e  prie  le  Créateur  qu'il  yous  doifti  m<mse)gneur  en  très- 
'bonne  saUté  Irès-bngne  et  tfè9  bonne  yie^  et  moî  la  grûoe  de 
tous  yoir  bientôt  en  la  bonne  prospérité  qtte  je  désire.  De  St- 
Germaiii'4^  2  d'octobre  1557.        • 

Totre  très-humblè  et  très-obéissant  fils, 

Henry  dé  Lorraine* 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRAlTCE.  1 5q 


REMARQUES  SUR  CES  LETTRES. 

1.  Page  i55.  —  Les  pages  laissaient  les  croustes..,.  Nous 
n'ayons  point  trouvé  l'explication  de  ce  terme  dans  Dufouillous 
(édition  de  id85  in-4*')  ^  autres  anciens  auteurs  qui  ont  traité 
de  la  vénerie;  mai|s  en  faisant  attention  aux  expressions  suivantes 
pour  manger  le  dedans ,  il  est  à  présumer  qu'il  s'agit  de  la  tête, 
des  pieds ,  en  un  mot  des  parties  les  moins  déliœtes,  et  qu'à 
raison  de  Tabondance  de  la  chasse,  on  arait  permis  cette  fois 
aux  pages   de  manger  les  filets,  cftc. 

2.  Page  i56.  —  M.  Des  Fossés,..  Il  paraît  qu'il  s'agît  de 
80D  instituteur  en  ténerîe  (Il  faut  se  rappeler  que  son  père 
était  grand  veneur...  F'oyes  cî-devant, /?.  i36). 

3.  Page  i5t. — Je^  huons... he^  littérateurs  jfjie  cette  époque 
avaient  abandonné  cette  association  étrange  du  singulier  et  du 
pluriel  :  mais  nous  l'avons  trouvée  dans  les  lettres  de  plu- 
sieurs prÎBces  et  seigneurs,  et  même  dans  une  lettre  écrire  en 
1575  par  Charles  IX,  dont  on  connaît  le  goût  pour  la  littéra- 
ture (Voyez  manuscrits  de  Béthune^  ifol.  8676,  folio  6S). 

4.  Pagei56. —  Madame  de  Castre...  Diane  ^  fille  naturelle 
de  Henri  II,  veave  d'Horace  Farnèse^  duc  de  Castro.,  elle  fat 
remariée  le  3  mai  1667,  quatre  mois  après  la  lettre,  à  François, 
duc  de  Btentmorenpy,  fils  du  connétable. 

6.  Page  i56^  —  Lui  avons  pendu  le  collier..^  Nous  n'avons 
rien  trouvé  sur  ce  point  dans  les  auteurs  indiqués  au  n""  1..II 
paraît,  en  combinant  cette  lettre  et  la  3*  (  F",  cî-devant , 
pag.  i58),  que  c'était  un  jeu  de  chasse  qui  consistait  à  attacher 
un  coRier  à  l'un  des  chasseurs ,  et  que  eehit-ci  le  gagnait  s'il  ne 
se  laissait  pas  atteindre  à  la  course  de»chevatix ,  et  le  perdait 
dans  le^s  contraire. 


% 


l60  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

6,  Page  i56.  —  Le  pied  du  cerf  pour  mon  droit  qmporiaii 
quatorze....  Il  entend  ici  par  son  droite  le  cerf  qu'il  poursuîyait 
directement^  car  c'est  le  terme  par  lequel  on  les  désigne  pour 
les  distinguer  des  cerfs  qui  donntnt  le  change ,  croisent  y  s'é-. 
cartent^  etc. —  Foir  Dufouilloux ^  supràjfoL  53.... 

7.  Page  i56.  ^-  Qui  portait  quatorze....  Ceci  désigne  un 
cerf  de  six  ans,  qui  àoit porter  la,  \k  ou  16  cornettes  ou, ra- 
mures à  son  bois.  —  V.  Dufouilloux^  /•  199  ▼*"• 

8k  Page  i56.  —  «r^n  avions  vu  devant....  Ce  sont  les  cerfs 
qu'on  a  fait  partir ,  mais  .qu'on  ne  poursuit  point.—  V.  DufouHr- 
louXy  ib.f.2^y  5i  9  33^  etc. 

g.  Page  1 56.— Madame  Isaheau....  Elisabeth  ou  Isabelle 
de  France,  fille  de  fleuri  II,  née  le  iZ  ayril  i545,  mariée  le  22 
juin  1 55g  à  Philippe  II,  roi  d'Espagne.  (Bouchet,  annal. 
d'Aquitaine,  dit  qu'elle  fut  baptisée  sous  le  nom  à^ Isaheau). 

10.  Page  i56. — Donner  les  Innocens....^  C'était  ancienne- 
ment donner  lé  fouet  par  plaisanterie ,  le  matin  du  troisième 
jour  après  la  fête  de  Noël,  qu'on  nomme  le  jour  des  Innocent 
(  28  décembre  )•  » 

«  Cette  coutume  d'infliger  une  punition  sans  motif  ayait  été 
introduite  en  mémoire  du  massacre  des  enfans  du  territoire 
de  Bethléem,  ordonné  parflérode.  9  — Dictionnaire  des  pro- 
verbes français,  1821,/).  236. 

11.  Page  1 56. — Le  duc  de  Bavière..,..  Comme  presque 
.tous  les  princes  des  branches  nombreuses  de  la  maison  de  Ba- 
vière prenaient  le  titre  de  ducs  de  Bavière^  il  est  difficile  de 
savoir  précisément  quel  est  celui  qu'on  désigne  ici.  Nous 
présumons  qu'il  s'agit  de  Guillaume  Y ,  de  la  branche  de  Mu- 
nich, né  en  i548  et  marié  en  1S68  à  Re^ée,  fille  de  François, 
duc  de  Lorraine,  et  sœur  de  Charles  Il^dont  on  va  parler. 

12.  Page  i56. — A  monsieur  de  Lonvùne...  C'est  sans.doute 
Charles  II,  duc  de  Lorraine,  né  en  i543,  frère  de  Renée 
{^poyez  n.  10),  et  cousin  issu  de  germain  du  Balafré. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  '       l6l 

i5.  Page  xb6*^~  Le  petit  père.,.  Probablement  son  préeep-* 

teur. 

i4.  Page  iSè.-^Le  cardinal  mon  oncle Le  eardinal 

Charles,  dont  on  a  parlé  ci-devant  pag.  i35. 

i5.  Page  i56.  — Mon  grand-^pére  et  ma  grande  mère  ,  à 
Fermre^.,.  Hercule  d'Est,  duc  de  Ferrare,  et  Renée  de 
France,  son  épouse,  fille  de  Louis  XII...  Leur  fille, Anne  d'Est, 
arait  épousé,  le  4  décembre  1649,  François  de  Guise. 

16.  Page  156. — \CeJour  des  Innocens..,.  Il  y  a  une  erreur .. 
dans  cette  date.  D'une  part,  la  tournure  de  la  lettre  montre 
qu'elle  a  dû  être  écrite  après  le  jour  des  Innooens,  ou  apirë«  le 
38décembre  i556;  et,  de  l'autre,  François  n'étant  parti  pour  son 
Expédition  d'Italie  qu'à  la  fin  de  ce  mois  {Poy.  Garniery  xxi/i/\ 
3oo),on  ne  pouvait  avoir  encore  des  nouvelles  de  son  passage 
des  Monts...  Peut-être  est-ce  le  jour  de  Saint-Vincent ,  ou  22 
janyier  iSij  (  nouveau  style  ) ,  que  le  Balafré  aura  voulu 
mettre. 

17.  Page  i56.— *i^  prince  de  Joi/ii^ilie....  Henri,  II  avait 
érigé  en  principauté  la  terre  de  Joinville,  dès  1552  ,  en  &veur 
de  Fiinçois  de  Guise.  Son  fils  aîné  en  porta  le  titre -peitdant  la 
Tiède  François.  Cette  lettre  et  la  suivante  sont  les  seules  où , 
seas  doutei  faute  d'expérience,  le  Balafré  signa  d'im  nom  de 
dignité,  contre  l'usage  de  sa  maison. 

18.  Page  iS'j.^^A  Reim^.*.  Le  cardinal  de  Lorraine  (fl^y. 
ci-devant  p..  i35  )  était  archevêque  de  Reims. 

ig.  Page  167.  — *  Ma  eoàuré..  Gatiberine-Mariè  de  Lorraine- 
Guise,  née  le  18  juillet  i65i ,  mariée  en  1670  à'Louls  dé  Bour- 
bon, duc  de  Montpensier,  et  si  connue  par  sa  haine  furieuse 
contre  Henri  lïï,  au  tempsde  la  ligue. 

20.  Page  \5y.'-^  Ma  cousine  d*jéum^le:{','y'éàtlïeT\ne  de 
Lorraine^Aumale,  fille  de  Claude  (  Foy,  ci-de?ant  page  i35  }, 
IV.  IX 


I 

l62  MéMOlUfi  DB  LA  SOCIÉTt  ROYALe 

née  le  S  octobre  iô^^  nariée  ea  1Ô69  à  Nicolas  de  iiOlrratâe^ 
duc  de  Iklcrcœur^  son  oncle^  à  la  mode  de  Bretagne. 

ai.  Ptigexbj.^^Mon  frkre  Charles., .>  Le  fameoz  duc  de 
Mayenne  9  né  le  26  mars  iS(4. 

asp.  Puge  xS^j .  ^^  Mon  frire  Louis...  Le  non  moins  fameux 
cardinal  de  Guise^  massacré  à  Blois  en  1588,  né  le  6  juillet 

25.  Pcige  iSj.-^Mon  petit  frère. é.  Cet  enfiint  mourut  en 
bas  fige.  '  ^ 

a4.  PàgeiS'f.  —  Le  roïde  Naparre...  Antoine dcBourbon, 
pér«  de  Henri  IV. 

25.  Page  1-57.  -^Moneouùn,.*  Ce  ddit  êltë  Henri  de Lor- 
raîne-Aumale,  comte  de  Saiot-VaUier^aé  ea  iM^^  nm^ea 

36.  Page  lèj.'-^Le  b&hide  BriObn...  C'était  sans  doute  une 
péuitence  que  le  Teneur  infligeait  à  ses  éléyes. 

•ajr.  Page  tij.-^Ma  tante  d^Elbcèuf....  Louise  dé  Kîeux, 
Mariée  lé  ^fetriéi"  l5Sd  âRedé  de  Lorraine,  marquis  û^tà^à^ny^ 
frère  de  Trkiài^oîi^  dé  Giihé. 

28»  Page  i5fi.'*-'Bmàq^Aeei..  VsmcQnbo^fkwiikYtBtnçoÏBÏ''. 

Ibid.  Page  i58.  -'-Stic....  C'était  apparemment  un  autre 
bouÏÏbn.deoouri 

2g.  PageiSS.  —  ^Tessieur^  tio^  ondes...  Le  (dut)  de  Guise 
avait  enotnénésaTeD  lui  eo;  Italie  ^sieurs  de  stà  frères,  entre 
autfffis  le  dioe  d'Aumale.  -^  Fhy*  GamUti  4^^*i  J^etâd^*. 

3o<  Page  iSS. — Pour  vous  en  revenir...  {"saupois  arriva  à 
6aint-Germain-en-Laye  vers  le  milieu  d'octobre.  -—  Voyes 
iHtf  TAou  ad^ann.  x^j^Vb.v^  . 

« 
,     .    .    •  1,1''  JLia«rf4MtftA«ÉMM 


/ 


0E&  ANTÎQLAIU8  M  FRANGE.  l65 


.        [  -  ="  -  ^         '  fa— .»->—; -,L-^ 


MÉMOIRE 

SUf  ie  câœp  roiUflin  de  Fains;  prëâ  dé  Bar-le-DuC;  par 
M.  J.  F.  G«Eél>eR>  corredpomkiit  de  la  Société. 

Lbs  bistatîetis  de  la  Lôfraine  n'ont  fUrëéquç  riéa  dit 
d'un  Bûei^n  camp  dont  oh  aperdoitlès  vestiges  à  trois 
quarts  de  feeué  de  flar-le-Duc,  sur  là  rive  gauche  de 
l'Ouate  •  Ce  sioiiutnent  mérite  néaWtûOins  de  fixer 
TattentioB  des  antiqtiaires  j  eh  ce  qu'il  peut  concou- 
rir à  répandre  qnelquë  lumière  sur  Thistoire  des  Ro- 
mains et  leiir^  dpétatioiis  milttâii^es  dans  la  Gaule 
Belgique. 

Peu  de  pays  ont  éprouvé  autant  de  révolutions 
que  cétix  qui  forttiaient  ànciennémeiat  les  provinces 
de  Lortàitie  et  du  Bstti:*ois.  La  plupart  de  leurs  villes 
Obiétè  détruites  OU  sdilt  devenues  de  simples  b<iur- 
gddes  ;  d'autres  ont  changé  de  nomë  eh  passant  sous 
de  tiotiveaux  maîtres;  Les  Homaihs  leur  éh  imposè- 
rent iôrsqu^ils  s'y  établirent ,.  et  les  cônqùérans  qui 
yinrenrt  après  eux  suivirent  cet  exemple  :  de  là,  la 
difficulté  de  reconnaître  aujourd'hui  la  position  de 
certains  lieux  désignés  dans  les  anciennes  cartes  sous 
des  noms  barbares  ou  latins. 

Danville,  en  sa  Notice  de  la  Gaule ^  noys.  fait  re- 
marquer que  c'est  *sur  les  voies  qui  servaient  à  la 
communication  des  villes  que  se  trouvent  presque 
toujours  les  Fine»  mentionnés  dans  les  itinéraires , 

11* 


l64  HillOlRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

et  il  ea  donne  pour  exemple  une  position  que  celui 
d'Antonin  marque  entre  Âugusta  Suessionum  (  Sois- 
sons  )  et  Durocortorum  (Reims).  Il  cite  un  autre 
Fines  sur  la  route  de  P^irodunum  (  Verdun  )  à  Dwo- 
durum  (  Metz  ),  et  pense  qu'ici  Fines  désigne  les  an- 
ciennes limites  du  Verdunois  et  du  pays  qu'avaient 
occupé  les  Mediomatrici.  Enfin ,  on  trouve  dans  les 
tables  de  Peutinger  ad  Fines  entre  Nasium  (  Nais)  et 
Tullum  (Toul)  sur  le  chemin  de  Reims  à  Metz  ^  et 
on  lit  à  la  suite  de  Nasium  le  nombre  XTV  qui  ex- 
prime la  distance  de  cette  ancienne  ville  à  la  posi- 
tion de  Pines.%n  e£Fet;  i4  M.  pas  romains,  d'après  les 
supputations  d'Ammien-Marcellin,  formaient  près 
de  10  lieues  gauloises  (7  de  nos  lieues  ),  distance 
très-exacte  de  Nais  à  Foug  (  Fagus  )• 

il  est  vrai  que  Dan  ville  incline  à  donner  kFinesXdi 
position  qu'occupe  aujourd'huile  village  de  jPam^ dans 
le  Barrois  ;  mais  ce  sentiment  ne  saurait  se  concilier 
ni  avec  les  supputations  de  la  table  de  Peutinger,  ni 
avec  l'ordre  dans  lequel  les  lieux  y  sont  dénommés, 
malgré  Fautorité  de  quelques  auteurs ,  tels  que  le 
P.  Benoit  Picard ,  qui  n'a  pas  craint  d'intervertir  cet 
ordre,  en  plaçant  ad  Fines  entre  Caturices  et  Na- 
sium,  tandis  que  ce  lieu  est  marqué  sur  la  table  entre 
Nasium  et  Tullum  (1)/ 

(i)  Itinéraire  â^Anlonin.  Table  de  Peutinger, 

Caturigis.  ...     M.  P.  IX.   Caturices.  .....     IX. 

Nasium M.  P.  IX.   Nasio .     XIV. 

Tullum M.  P.  XYI.Fines V.  ! 

TuUio.  .•...•  J    X*      .  ! 


Des  antiquaires  de  i^rance.  i65 

Pout'DOus;  qaelqqe  séduisante  que  nous  paraisse 
Une  opinion  qui  abrégerait  nos  recherches ,  et  prê- 
terait à  nos  conjecfui^es  le  témoignage  de  plusieurs 
écrivains  recommandables ,  nous  n'hésiterons  point 
à  la  rçjeter,  parce  que  nous  sommes  convaincus  que 
le  village  de  Foug ,  entre  Void  et  Toul,  près  de  la 
route  militaire ,  est  le  i^ne^deTitinéraire.Des  ruines 
qui  se  trouvent  en  cet  endroit  nous  confirment  ea- 
core  dans  ce  sentiment ,  quoique  Durival  (  Mémoires 
sur  la  Lorraine  )  pense  qu'elles  appartenaient  à  des 
ouvrages  du  1 1  ou  i  a**  siècle.  Nous  les  avons  exa- 
minées avec  beaucoup  d'attention,  et  nous  avons  re- 
connu qu'elles  reposent  sur  d'autres  ruines  qui  of- 
frent des  traces  de  la  construction  romaine.  Ajoutons 
que  Foug  est  sur  la  lisière  du  Pagus  Tullensisy  con- 
fiuant  au  Pagus  Bedensis;  ce  qui  nous  semble  jus- 
tifier son  ancienne  dénomination,  ad  Fines. 

Si  nos  conjectures  ne  nous>  ont  pas^  égarés ,  nous 
aurons  trouvé  le  point  d'où  doiveût  partir  nos  re-^ 
cherches;  car  de  ce  que  Tltinérake  d'^ntonin  ne 
mentionne  aucun  établissement  des  Romains  à  la 
position , de  i^a//2^,  près  de  Bar-le -Duc ,  nous  devons 
conclure  que  les  ouvrages  >  dont  les  ruines  se  voient 
dans  les  environs,  ont  été  construits  postérieurement 
au  règne  de  l'empereur  Antonin( an  i6i  de  J.  C,  ). 


Extrait  de  If  histoire  de  Thul , 

-.^     7    n    D  •'      ^  -^^  fines»   .   »    .  M.   P.   V. 

par  le  P.  Picard.  •'  •  _    ,«- 

^  Nasîo M.  P.  IX. 

Caturices.  ...     M,  P.  IX.   Tullio  ....    .  M.  P.  XVI 


l66  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Jules-Cé^ar  entra  dans  les  Gaules  55  ans  afant 
J.  Gv  et  epemployaneuf  à  les  soumettre.  Se^^cces* 
seurs  s'y  maintinrent  jusqu'à  Glpvis  qui  les  ep  chassa 
entièrement,  après  avoir  vaincu  Siagrius  dans  les 
plaines  de  Soissons. 

La  durée  de  roccupatiofi  ^es  Roxnains  a  donc  été 
de  54i  ans;  mais  le  silence  qu'a  gardé  Ji;'autear  de 
V Itinéraire  sur  la  station  militaire  de  Fains  ea  B^r- 
rois  nous  autorise  à  retrancher  de  ce(  esp4PÇ  les 
âi6  années  écoulées  dçpuis  Tinvasion  de  Jules-César 
jusqu'au  temps  de  l'empereur  auquel  on  attribue  gé- 
néralement cet  Itinéraire.  Ainsi  no^  recherches  doi- 
vent se  renfermer  dans  Tin tervalle  de  3»  5  an?  çoui- 
pris  entre  la  fin  du  règne  d'Antonin  et  la  d^éifaite  de 
Siagrius. 

Mais  le  champ  est  vaste  encore;  et,  pour  ne  rien 
hasarder  sur  un  sujet  qui  inérite  d'être  approfondi , 
nous  croyons  nécessaire  de  rappeler  d'abord  les  prin- 
cipes de  castraïQétation  suivis  chez  le  peuple  auquel 
on  doit  les  monumens  qui  nous  occupent,  nous  réser- 
vant de  faire  sortir  nos  preuves  de  l'anal/se  des  ou- 
vrages que  nous  décrirons,  et  de  déterminer  ensuite 
l'époque  de  Leur  construction  par  le  secours  de  l'his- 
toire et  des  médailles  trouvées  sur  les  lieux. 

Les  Rondins,  ditPolybe,  suivi  peut  toujours  l'ex- 
cellente maxime  de  se  retrancher  dans  leurs  camps, 
eussent-ils  dû  n'y  passer  qu'une  seule  nuit.  De  là  cette 
locution  si  ordinaire  dans  les  auteurs  latins  priniis 
castris ,  secundis  castris,  etc.,  pour  exprimer  l'ordre 
des  jours  de  leurs  marches. 


t>U  ANXIQUAia£6  M  VRADiCB^  167 

Les  eamps  de  passage  s'appelaient  subita  tempo- 
ranea ,  tumultuaria  castra  ;  on  désignait  jsous  le  n<»n 
de  stativa  ca$tra  ceux  où  Ton  devait  passer  quelque 
temps. 

Dè3  qu'on  avait  trouvé  ane  position  coaunode^  où 
rarmée^  à  labri  de  toute  surprise,  pût  se  procurer 
facilement  du  bois ,  du  fourrage  et  de  Teau  >  on  tra- 
çait Teaceinte  du  camp,  et  Tou  élevait  des  retran*- 
cbemens^  dont  la  solidité  était  subordonnée  au  ténsips 
que  Ton  devais  demeurer  en  cet  endroit. 

Le  retrancben)jent((^iz//um)  des  camps  de  passage 
n'avait  guère  que  5  pieds  de  baut.  Il  était  formé  d'un 
mur  de  ga^^on  derrière  lequel  se  jetaient  les  terres 
qu'on  tirait  du  fossé ,  dont  la  profondeur  ordinaire 
était  de  6  à  7  pieds,  sur  8  à  9  d'ouverture.  Des  pieux 
de  4  pieds  et  demi  de  haut  {sudes)  que  les  soldats 
avaient  coutume  de  porter  dans  leurs  marcbes,  cou- 
ronnaient le  rempart ,  au  mojen  des  rameaux  flexi- 
bles qui  les  unissaient  y  d'un  rang  de  palissades  à 
l'abri  duquel  les  légionnaires  défendaient  Tapprocbe 
des  ouvrages. 

Les  camps  destinés  aux  quartiers  d'été  etd'biver 
{œstiva  et  hiberna  castra  )  exigeaient  plus  de  temps 
et  offraient  plus  de  solidité.  Le  fossé  avait  quelque- 
fois jusqu'à  âo  pieds  de  largeur  et  une  profondeur 
proportionnée  à  cette  ouverture.  Le  retranchement 
était  non  seulement  surmonté  de  palissades^  mais 
encore  défendu  par  des  tours  en  bois  à  plusieurs 
étages^  placées  à  100  pieds  de  distance  les  unes  des 
autres  sur  toutes  les  circonférences ,  et  d'où  les  sol- 


l68  M£MOIKES   DE  ta  SOCIETE  ROÎALË 

dats  lançaient  des  traits  sur  les  assiégeaas.  Souvent 
ces  tours  étaient  unies  par  des  galeries  qui  multi'^ 
pliaient  les  mojens  de  défense  y  et  d'oùToti  observait 
les  mouvemens  de  rennëmi. 

L'enceinte  des  camps  se  réglait  sur  le  nombre  des 
troupes  et  la  quantité  àes  bagages  et  des  machines 
de  guerre.Une  armée  consulaire,  composée,  au  temps 
dePoljbe,  de  18,600  hommes,  y  compris  les  alliés, 
devait  occuper  un  espace  de  1 12,896  toises  en  carré, 
suivant  la  description  qu'on  trouve  en  cet  auteur  ;  ce 
qui  donné,  en  admettant  une  figure  quadrangulaire, 
336  toises  pour  chacune  des  quatre  faces. 

Les  tentes  distribuées  sur  le  même  plan  laissaient, 
entre  leur^  dernières  lignes  et  les  retranchemens ,  un 
videdelSoà  200  pieds  qui  facilitait  la  circulation 
des  troupes 'et  les  mettait  à  l'abri  du  trait  et  des  ma- 
tières enflammées  que  l'ennemi  aurait  pu  lancer  pen- 
dant la  nuit« 

Les  camps  consulaires  avaient  quatre  portes,  sui- 
vant ce  que  nous  apprend  Tite-Live ,  qui  a  suppléé 
au  silence  que  garde  Polybe  à  ce  sujet  :  X^prétorienne 
(  praetoria  )  qui  regardait  ordinairement  l'orient ,  Tar- 
toée  ennemie,  ou  la  route  qu'on  devait  suivre  si l'oû 
était  en  marche  ;  la  qaestorienne  ou  dècumané  (  de- 
cumana),  qui  lui  était  opposée;  et,  sur  les  deux 
faces  latérales ,  la  droite  principale  (priricipalis  dex- 
tera  ),  et  la  gaiiche  principale  (principalis  sinistra). 

On  sait  que  les  Romains  durent  plus  d'une  fois  le 
succès  de  leurs  armes  à  la  précaution  qu'ils  avaient 
de  se  retrancher  en  tout  temps ,  et  à  la  perfection 


bfe^  ANtlQUAÎRES  DE  FRANCE.  l6g 

et  à  la  solidité  de  leurs  ouvrages.  Leurs  camps  étaient 
de  véritables  forteresses  d*où  ils  observaient  l'enneftii 
pour  Fattaquel:  dès  que  roccasion  leur  semblait  fa- 
vorable, et  qui  leur  offrait  au  besoin  un  refuge 
qu'il  était  bien  difficile  de  forcer.  «En  quelque  lieu 
«  qu'ils  portent  la»  guerre,  dit  Flav.  Josephe  {His- 
^  toire  des  juifs  ) ,  ils  ne  sauraient  être  surpris , 
«f  parce  qu'avant  que  de  pouvoir  être  attaqués , 
«  ils  fortiâent  leur  camp,  non  pas  confusément  ni 
«  légèrement ,  mais  d'une  forme  quadrangulaire  ;  et 
«  si  la  terre  y  est  inégale ,  ils  l'aplanissent ,  car  ils 
«  mènent  toujours  avec  eux  un  grand  nombre  de 
«  forgerons  et  autres  artisans  pour  ne  manquer  de 
«  rien  de  ce  qui  est  hécessaire  à  la  fortification.  » 

Il  semblerait,  diaprés  ce  passage  de  Josephe,  et 
ce  que  nous  apprend  Poïybe  de  la  figure  des  camps 
romains,  qu'ils  fussent  tous  quadrangulaires.  Cepen- 
dant nous  trouvons  chez  nous  plusieurs  de  ces  ouvrages 
d'une  forme  différente,  tels  que  les  camps  de  César 
àPéquigny  sur  la  Somme,  à  Saint -Leu  sur  l'Oise'; 
ceux  de  l'Etoile  sur  la  Somme,  et  de  Vissan  dans  le 
Boulonnais.  Les  deux  premiers  étaient  triangulaires, 
et  les  deux  autres  ovales.  Le  camp  consulaire  de  iVû- 
sium  (dont  la  description  paraîtra  dans  l'ouvrage  de 
M.  Denis) forme  un  parallélogramme  irrégulier.  Il 
est  donc  plus  paisonnabïe  de  croire  qu'alors  comme 
de  nos  jours  ',  la  forme  des  camps  était  réglée  par  la 
disposition  du  terrain,  qui  ne  se  prêtait  pas  toujours 
à  celle  qui  paraît  avoir  été  préférée  dans  ces  temps 
reculés. 


1 70  MSICOIUâ  DE  LA  SOGI]StÉ  ROYALE   ' 

Les  anciens  comme  les  modernes  avaient  soin  de 
se  couvrir  d'uûe  rivière  y  d'un  mariais,  ou  d'uu  ravin 
lai^e  et  profond  ;  et^  s'ils  étaient  dominés  par  une 
montagBe^  ils  ne  manquaient  pas  d'y  établir  un  petit 
camp  (castellum),  où  ils  jetaient  une  ou  deuxco- 
horte3  9  et  qui  conwiuniquait ,  quand  le  terrain  le 
permettait^  au  camp  principal. 

On  en  trouvera  un  exemple  dans  l'ouvrage  que 
M.  Denis  va  publier  sxxvNasium^  et  les  vestig^e^  d'eu- 
vrages  que  nous  allons  explorer  sur  le  mont  de  Fains 
nous  en  offrent  un  autre. 

Cette  montagne  est  couronnée  par  Un  plateau  for- 
mant un  parallélogramme  irrégulier  de  2^0  mètres 
de  long  sur  85  mèttres  de  large  à  l'extrémité  supé- 
rieure ,  et  no  mètreâ  à  l'extrémité  inférieure. 

C'était  sur  ce  plateau  que  le  castellum  était  assis. 
Le  ravin^  au  fond  duquel  coule  TOrnàin^se  prolOQgç 
sans  interruption  depuis  l'angle  gauche  de  la  tête  du 
camp  {Yoj.pl.  VI ^  G)  {1),  jusqu'à  l'angle  opposé 
sur  une  pente  moyenne  de  i5o  mètres;  de  sQrte  que  la 
position  est  entièrement  escarpée  ^  excepté  du  ^pté 
dg  sud  j  qui  communique  à  une  plaine  où  nous  espé^ 

(1)  La  planche  YI  présente  le  plan  gèométral  du  oainp 
[paBtellu7n\  de  Faios  et  dés  enTÎrcnS;  levé  au  mois  d'avril  1818. 

Légende  du, plan,  A ,  terré- pleio  du  camp.  B,  tète  du  camp. 
C,  fossés.  D,  escarpement  à  Pouest.  B^  escarpement  atmord. 
F;  escarpement  à  l'est.  Q,  perte  prétorienne.  H,  4sbeinin  de  la 
ririère.  I  y  porte  principale  de  droite*  J»  plateau  am  nîreau.  du 
camp.  K,  YÎllage  de  Fains.  L^  hôpital  militaire.  M>  moulin. 
N  y  différens  lieux  où  l'on  a  trouvé  des  tombeaux. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCB.  17I 

roos  retrauyer  plus  tari)  l^s  traces  du  camp  principal. 
  200  mètres  au-delà  de  TOrnain,  pass^^  sur  une  Jî^e 
presque  parallèle  au  cours  de  la  rîvièrt)  >  raucieone 
voie  romaine  qui  cooduisait  de  Reimf  à  Metz ,  par 
Nasium,  TuUum  ^tScarpana. 

Les  fortifications  de  la  facç  de  l'ouest  (  D  )  sQt^t 
les  seules  qui  se  soient  conservées,  lie  reqtp^t  sub- 
siste dans  son  entier  dcpuis^Tas^lgl^  droit  jusqu'à 
la  porte  pratiquée  à  l'angle  gauche.  Il  s'élève  de 
%  mètres  9^4  (9  pieds)  au-dessus  du  terre-pkiin 
du  campf  etdç^àp^tir  du  fond  du  fossé  (3)^ 
ce  qui  donne  à  ce  fos^ié  une  profondeur  de  i  mètre  ^ 
624(5  pieds  )  sur  3  mètres 900  ^  4  inètres,3po  ^envi- 
ron 12  à  i3  pieds)  d'ouverture. 

L  escarpement  4es  trois  autres  f^ces  {pL  VI j  D,  E, 
F)  n'avait  pas  permis  d'y  creuser  des  fossés;  on  s'étiiît 
borné  ^  y  élever  ua  rempart  qui  >  étant  perpendicu- 
laire au  r^'vin ,  s'y  est  écroulé  par  la  suites  des .  teinp$^ 
mais  dont  il  reste  encore  assez  de  vestiges  pour  q^i'on  . 
puisse,  par  leur  s^ours,  distinguer  l'enceinte  du 
camp^  quand  pn  ne  serait  paa  guidé  p^^r  la  forme  du 
terrain, 

X^  long  de  la  face  droite  (  D  )  ik%'^^  un  chemin 
(  H  )  où  l'on  recfmnait  l'ouvrage  des  Romains.  Il 
e^t  coiostruit  sur  d^  terres  visiblement  rapportées , 
et  tourne  autour  de  la  montagne  y  en  se  dirigeant 
vers  la  xivic^  où  il  allait  vraisemblablement 
aboutir.  Il  est  par  couséque^l  aisé  d^  concevoir 
l'usage  ;iuquel  il  était  destiné.  La  porte  qui  s'ouvrait 


172  MÉMOIRES  DE  LA  SOGlÉTiS  ROYALE 

de  ce  côté  était  celle  que  lies  Romains  nommaient 
principale  de  droite. 

Cet  indice^  joint  aux  autres  conjectures  que  nous 
avons  tirées  de  la  disposition  du  terrain  y  ne  nous  per- 
met p^s  de  méconnaître^  dans  Touverture  pratiquée 
au  retranchement  conservé  (  G  ) ,  la  porte  préto^ 
rienne.  C'était  de  là  que  partait  le  chemin  qui  com* 
muniquait  du  camp  d'observation  au  camp  principal. 
Les  traces  en  ont  à  la  vérité  presque  entiëreaient 
disparu  en  cet  endroit  ^  parce  que  la  bonne  qualité 
du  terrain  l'a  fait  rendre  depuis  long-  temps  à  la  cul- 
ture, mais  on  les  retrouve  à  80  mètres  de  là  sur 
les  parties  du  sol  où  il  n'a  été  possible  d'entre- 
prendre aucune  espèce  de  labour. 

Le  castellum  de  Fains  y  d'après  son  étendue ,  ne 
pouvait  cpntenir  qu'une  cohorte. 

Nous  espérons  pouvoir  déterminer  plus  tard  ,  à 
l'aide  de  ces  données,  la  position  du  camp  principal. 
Si  le  succès  couronne  nos  efforts,  nous  nous  empres- 
ser(Ki9  d'en  faire  hommage  à  la  Société. 

Rapprochons  maintenant  les  portions  de  chemin 
qui  se  sont  conservées  aux  endroits  que  nous  venons 
d'indiquer,  des  principes  de  ce  genre  de  construc- 
tion chez  le  peuple  auquel  on  attribue  cet  ouvrage. 

Les  Romains,  comme  on  le  sait,  divisaient  leurs 
chemins  en  trois  classes  : 

i®  Les  routes  militaires  {viœ  militares)  propre- 
ment dites,  par  où  les  armées  faisaient  leurs  marches, 
et  près  desquelles  on  avait  établi  des  camps  de  dis- 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRAfiCE.  173 

tance  en  di$tairce.  Telles  étaient  dans  la  Gaule  Bel- 
gique celles  qui  vont , 

1^  DeSainte-Menéhould  à  Verdun,  et  de  Verdun 
a  Metz  : 

2®  De  Metz  à  Dieùze  et  à  Sarrebourg  ; 

3*^  De  Meury  à  Metz,  passant  par  Toul; 

4**  De  Reims  à  Nais  ,  Toul,  Scarpone  et  Melz. 
a®  Les  chemins  de  traverse  qui  coupaient  les  routes 
principales,  et  facilitaient  le  passage  des  troupes 
dun  lieu  à  un  autre. 

3°  Les  chemins  privés  (  vice  privatce  )  par  lesquels 
les  habitations  communiquaient  entre  elles. 

On  peut  juger,  par  Fétat  dans  lequel  se  sont  main- 
tenus les  chemins  romains  qui  nous  restent,  de  Té- 
tonnante  solidité  de  ces  ouvrages.  Leur  largeur  res- 
pective fait  reconnaître,  sans  le  secours  des  anciens 
itinéraires,  l'usage  auquel  ils  étaient  destinés.  Du 
reste,  leur  construction  était  à  peu  près  uniforme. 

On  commençait  p^r  jeter  das^  las  fondations  un 
lit  de  ciment  composé  de  chaux  mêlée  de  sable  y  sur 
lequel  on  établissait  une  maçonnerie  en  pierres  plates, 
deo"  271a  o"  325  (dixà  douze  pouces)  d'épais.  Cette 
maçonnerie  .était  recouverte  d'une  couche  de  pierres 
rondes  mêlées  avec  des  morceaux  de  briques,  d'un 
nouveau  lit  de  ciment  blanchâtre,  enfin  d'une  couche 
de  cailloux,  de  o'",i3i  à  iÇ5  (cinq  à  six  pouces) 
d'épaisseur.  TQutes  ces  matières  se  sont  confon- 
dues sur  les  parties  encore.  .  iieconnaissables  du 
chemin  (  H  )  qui  conduisait  du  camp  à  la  rivière, 
parce  que  les  terres  rapportéesqui' les  supportaient 


174  UEMOItlËS  DE  LA  SOGUBTÉI  ROYALE 

se  sont  en  part^  écroulées  dans  le  ratin  ;  mais  on 
les  tetrouTC  dans  leur  ordre  respectif  an*  endroits 
conservés  de  la  voie  de  comn^miicafionf  des  denx 
camps.  Seulement  le  ciment  qui  unissait  les  deux 
couches  supérieures  a  disparu^  soit  qull  ait  été 
dissous  par  l'action  de  Teau  secondée  par  le  frotte- 
ment continuel  des  cailloux^  soit  qu'on  le  con- 
fonde avec  le  sol  qui  est  de  la  même  couleur. 

fia  relevant  Terreur  commise  par  des  historiens 
accrédités  sur  la  position  de  Vad  Fines  des  tables^ 
nous  nous  sommes  imposé  la  tâche  de  faire  quel- 
ques recherches  sur  Fépoqile  de  la  fondation  de 
Fains. 

Ce  village,  situé,  comme  on  Ta  vu,  à  trois  quarts  de 
lieue  de  Bar-4e-Duc,  est  Tun  des  plus  ancietis  de  la 
province.  Il  en  est  parlé  dans  une  charte  d*Othon  P' 
de  Tan  693 ,  ainsi  que  dans  l'acte  dé  confirmation 
donné  en  1072  par  Pibon  ,  quarantième  évéqtié  de 
Tout,  en  faveur  de  Tabbaye  de  Saint-Evré.  Nous 
en  reculerons  Forigine  jusqu'au  temps  des  ouvrages 
dont  nous  nous  occupons  avec  d'autant  plus  de  fonde- 
ment que  les  camps  romains,  comme  on  lé  sait , 
attiraient  ude  foule  de  marcbasd^  qui,'ne  pouvant 
pénétrer  dan^  Feiiceinte  des  ouvrages ,  se  fixaient 
dans  le  voisinage  ,  et  j  bâtissaient  des  baraques  et 
des  maisons.   De  ces  établissèmens  accidentels  se 
sont  formées  par  la  Suite  des  temps  des  bourgades,  et 
même  des  villes  dont  quelques-^  unes  subsistent  en- 
core anjourd%ifi ,  prindpaleinen  t  ^tir  les  bords  des 
fleuves  et;  près  des  anciennes  rôtîtes  militaires. 


bES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  1^5 

La  situation  de  Fains  à  l'extrétpité  du  Barfois 
(Pagus  Sarensis)  du  côté  du  Pertois  (Pagus  Par- 
tensis)  îuslifiesft  déoominaûon  ,  leç  Romakis  étante 
ainsi  que  nous  Tavons  dit>  dans  Tusage  de  désigner, 
sotis  le  nom  Ai^FineSy  tous  les  lieux  qui  se  trouvaient 
dans  une  pareille  position.  Ce  nom  de  Fines  a  passé 
(laâs  Aoire  ^langue  avec  oiïe  légère  âdtération^  car, 
quoiqu'on  prononce  Fins ,  on  écrit  communément 
Fain$  ou  Freins. 

.  Après  nous  être  aidés  des  secours  de  Vétymologie, 
nous  allons  essayer  do  déterminer,  par  des  faits  his* 
toriques  et  le  témoignage  dek  monumens  numisma- 
tiques,  Fépoque  où  les  Romains  occupèrent  la  po- 
sition Faùi%  et  j  construisirent  les  ouvrages  que  nous 
avons  décrits. 

Nous  sommes  en  possession  de  divers  objets  trouvés 
daûs  Feuceinte  du  castelluni  de  Fains.  Us  nous  ont 
été  remis  par  le  propriétaire  du  sol  et  consistent  en  : 

\^  Plusieurs  médailles  à  Teffiigie  de  Septime-Sé- 
vère^  de  sa  mère,  de  sa  femme  et  de  ses  fils; 

a^  Un  plomb  de  maçon  ou  de  charpentier  (/^er- 
pendiculum)  y 

3<>  Des  fragmens  de  patères ,  d'amphores  et  d'au- 
tres vases  de  toutes  les  couleurs^.  Un  de  ces  tes- 
sons  f  en  terre  rouge  ,  porte  l'empreinte  d'un  lion 
d  une  assez  belle  exécution  ; 

4®  Une  lame  de  couteau  ; 

5®  Des  jetons  en  ivoire  j 

6^  Des  moi^s  débride,  des  clous  à  tète  globuleuse, 
d'une  forte  dimension,desvirofes  d'outils,  etc. 


176  MEHOIKES    DE   LA   SOCIÉTÉ   ROYALE 

7®  Des  débris  de  javelots  ; 

&^  Beaucoup  d'ossemens  d'hommes  et  d^animaux. 
On  découvre  souvent  dans  les  environs  des  squelettes 
entiers  renfermés  dans  des  coi&es  de  pierre. 

M.  de  Maillet;  en  ses  mémoires  alphabétiques  sur 
le  Barrois ,  parle  d'une  pierre  trouvée  de  son  temps 
dans  les  environs  de  Fains  avec  cette  inscription  : 

CHIFFSE 
SAGRAE 
GASSIVS 
IvrONIME. 

Nous  avons  examiné  ce  reste  de  monument ,  qui 
a  été  employé  à  la  construction  d'une  maison  dé  la 
rue  de  Veel  dans  le  village  de  Fains.  La  pierre  a 
0",8i2  (  deux  pieds  et  demi)  de  long,  sur  o"*,487 
(dix-huit  pouces)  de  large.  Les  caractères,  de  o'',o54 
(  deux  pouces  )  de  long ,  sont  altérés  en  quelques 
endroits,  mais  encore  très-lisibles.L'estimable  rédac- 
teur du  Narrateur  de  la  Meuse ,  qui  a  bien  voulu 
nous  associer  quelquefois  à  ses  savantes  recherches  ^ 
pense*que  cette  inscription  signifie  : 

». 
CoHORTi  Hastat^,  Impkrantibus  Filiis  duobus 

SEvERI  , 

SACRuM  AEdificavit 

GASSIVS 

MONIMEntum. 


DES  ANTIQUAIKES  DE  FRANCS.  ]  77 

Nous  partageons  d'autant  plus  volontiers^ cette 
opinion  (pue  les  médailles  découvertes  sur  les  lieux 
semblent  placer  la  construction  du  castellum  sous 
les  règnes  de  Sévère  et  de  ses  fils. 

Consultons  l'histoire  ^  et  elle  nous  offrira  des  évé- 
nemens  qui  viendront  appuyer  cette  conjecture. 

En  Tannée  ig3^  Albin  passa  en  Angleterre  ^  et  fut 
proclamé  empereur  par  les  armées  des  Gaules  en 
même  temps  que  Sévère  recevait  ce  titre  de  celles 
d'Illjrie,  et  Niger  de  celles  de  Syrie. 

L'année  suivante^  Albin  revint  dans  les  Gaules  et 
y  fut  joint  par  Sévère,  qui,  après  une  guerre  de  trois 
aos,  l'obligea 'à  se  donner  la  moirt  pour  éviter  de 
tomber  entre  les  mains  de  son  vainqueur. 

Demeuré  seul  maître  de  l'empire.  Sévère  se  ren- 
dît à  Rome,  d'où  il  revint  en  Tan  208,  pour  aller 
faire  la  conquête  de  l'Angleterre.  Sa  femme  et  ses 
deux  fils  l'accompagnèrent  dans  cette  expédition  ; 
et,comme  ils  durent  passer  par  Nasium  et  par  Foins, 
il  est  vraisemblable  que  ce  fut  à  cette  occasion  qu'il 
fut  élabli  des  camps  sur  cette  ligne,  soit  pour  pro«- 
léger  la  route  de  Sévère  et  de  sa  famille,  soit  pour 
maintenir  son  autorité  dans  les  Gaules,  où  les  amis 
d'Albin  cherchaient  à  exciter  des  soulèvemens, 

Nous  voici  arrivés  à  l'an  2 1  a  ^clans  l'espace  de  trois 
cent  vingt-cinq  ans  que  nous  avions  à  parcpurir,  de^- 
puis  la  fin  du  règne  d'Antonin-le-Pieux  jusqu'à  Tex- 
pulsion  des  Romains  sous  Glovis  en  ^&6.  Les  deux 
cent  soixante«-quinze  années   qui  suivent,   depuis 

IV,  U 


178  MÉMOIRES  DE  LÀ  SOCIÉTÉ  ROYALE 

211  jusqu'à  cette  dernière  époque  >  ne  nous  offrent 
aucun  événement  qui  ait  pu  donner  lieu  à  des  cons- 
tructions militaires  dans  les  Gaules.  Dion  nous  ap- 
prend (liv.  55  )  qu'en  Tan  a  18,  les  Romains  n'avaient 
que  trois  légions  pour  garder  les  frontières  d'Alle- 
magne et  le  passage  du  Rhin.  Ce  ne  fut  qu'en  556 , 
sous  le  règne  de  Julien  ^  que  la  guêtre  recommença 
dans  ce  pays.  Ce  prince,  en  se  rendant  éeDurocorto- 
rum  ÇSit]xas^)kD€cempagi{jyituze)y  tomba  dans  une 
embuscade  des  Allemands  ,  et  eut  beaucoup  de 
peine  à  sauver  son  arrière -garde,  qui  resta  engagée 
dans  les  bois.  Dix  ans  après ,  Jovin,  que  Valeutinien 
avait  envoyé  d^nis  les  Gaules,  surprit  à  son  tour  les 
Allemands  près  de  la  forteresse  de  Scarponay  et  les 
battit  en  plusieurs  rencontres.  Enfin ,  en  4^0,  Attila , 
qui  occupait  cette  même  forteresse,  dirigea  sur  la 
route  de  Reims  des  détachemens  qui  détruisirent 
Tullum  et  plusieurs  autres  places. 

On  pourrait  donc  supposer  avec  quelque  vraisem- 
blance que  les  ouvrages  de  Fains  furent  construits 
dans  le  cours  de  ces  guerres  ou  de  celles  quisùivir ent; 
mais  ce  qui  nous  fait  rejeter  cette  opinion,  c'est  que 
dans  le  grand  nombre  de  médailles  qu'on  a  recueil- 
lies, soit  dans  le  terre-plein  du  Castellum,  soit*  dans 
les  environs,  il  ne  s'en  trouve  aucune  qui  soit  posté- 
rieure aux  règnes  de  Sévère  et  de  ses  fik. 


DES  ANXÏQUÀIRliS  M  FaÀNCE.  179 


■«M. 


MEMOIRE 

Sut  les  Monumens  du  moyea  âg^^  du  f  ajd  Chartralo  ;  par 
M.  de  fiuBiusnfiif,  correspoftdaot  de  la  Société  Aoyale  d«s 
Aatiquaires  de  France. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

• 

J'ai  déjà  entretenu  la  Société  Royale  des  Antiquaires 
de  France ,  des  anciens  moniimens  existans  dans  le 
département  d'Eure-et-Loir,  qui  répond  aujourd*hui 
à  Tancien  pays  Gfiartrain  ;  je  lui  ai  communiqué  des 
descriptions  et  des  dessins  exacts  des  monumens  cel- 
tiques que  Ton  y  rencontre,  et  sur  lesquels  jusqu^à 
ce  jotir on  n'avait  que  des  notions  infidèles  (i).  Mais 
dans  la  tournée  que  je  Ss  en  i'8i4,  dans  cette  partie 
de  la  France,  les  antiquités  druidiques  ne  furent 
pas  exclusivement  Fobjet  de  mes  recherches;  nombre 
de  monumens  du  moyen  âge  s'oflPrirent  à  mes  regards, 
et  méritèrent  de  ma  part  une  observation  d'autant  plus 
approfondie ,  qu*ils  se  rattachent  à  des  points  impor- 
tans  de  notre  histoire,  et  rappellent  de  grands  noms, 
d'illustres  souvenirs. 

(1)  Ces  descriptions  et  ces  figures  ont  été  publiées  dans  le 
second  volume  des  Mémoires  de  la  Société  Royale,  pag,,  i54 

et  sttif , 


12* 


l80  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Ce  sont  les  résultats  de  mes  observatioDs  que  je 
mets  aujourd'hui  sous  les  yeux  de  mes  collègues.  Je 
vais  décrire  les  monumens  que  j'ai  vus,  que  j'ai  des- 
sinés sur  les  lieux. 

Ville  et  château  de  Dreux.  —  Le  premier  endroit 
où  je  m'arrêtai  après  avoir  qiiitté  Paris,  fut  Dreux, 
ville  ancienne,  située  sur  la  rivière  d'Eure,  et  dont  le 
nom  rappelle  celui  d'une  auguste  famille ,  rameau 
de  la  maison  de  France ,  et  le  souvenir  d'une  bataille 
sanglante,  livrée,  en  i56â,  entre  les  catholiques  et 
les  protestans. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  discuter  sur  l'étymologie 
du  nom  de  cette  ville,  que  l'on  fait  venir  de  celui  de 
Druides ,  parce  qu'on  prétend ,  je  ne  sais  sur  quels 
fondemens , .  que  les  Druides  des  Gaules  avaient 
dans  ce  lieu  leur  principal  établissement.  Tout  parait 
/  prouver,  au  contraire,  que  c'était  à  Chartres,  ou  tout 
auprès,  qu'avaient  lieu  leurs  rassemblemens  solen- 
nels, à  en  juger  par  les  monumens  nombreux  qu'on  j 
voit  encore  et  dont  on  ne  rencontre  aucun  dans  les 
environs  de  Dreux. 

Le  premier  objet  qui  attira  mon  attention  dans 
cette  ville,  est  son  antique  château,  dont  les  ruines 
s'élèvent  encore  sur  la  coUine  qui  la  domine  du  côté 
du  nord. 

  mesure  que  la  puissance  des  grands  vassaux  et 
des  seigneurs  de  grands  fiefs  acquérait  de  la  consis- 
tance, Farchitectuse  militaire  de  leurs  châteaux  pre- 
nait un  développement  plus  vaste  et  déployait  cette 
majesté  imposante  et  chevaleresque  que  nous  admi- 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  l8l 

rons  encore  dans  les  forteresses  qui  nous  sont  restées 
de  ces  temps  :  monunaens  intéressant  d'une  époque 
remarquable ,  où  Théroïsme  exerçait  contre  la  bar- 
barie une  lutte  victorieuse  qui  préparait  à  la  France 
des  jours  de  splendeur  et  de  gloire. 

Le  sol  français  était  naguère  encore  couvert  de 
ces  demeurés  antiques  des  preux,  nobles  asiles  de 
l'honneur  et  de  la  ^loyauté,  où  la  galanterie  tempé- 
rait râpreté  des  mœurs  guerrières  de  nos  aïeux ,  où 
le  seigneur  déployait  envers  l'étranger,  quel  qu'il 
fût,  sa  magnificence  hospitalière,  où  se  réunissait  en 
temps  de  guerre  l'élite  d'une  chevalerie  valeureuse, 
et  où  se  rassemblait  pendant  la  paix  une  cour  aimable 
et  brillante.  A  l'époque  désastreuse  d'une  révolution 
sans  exemple  et  dont  les  plaies  profondes  ont  tant  de 
'peine  à  se  cicatriser,  ces  châteaux,  regardés  comme 
des  monumens  de  tyrannie,  furent  anathématisés , 
les  sicaires  infâmes  d'un  gouvernement  monstrueux 
ordonnèrent  d'en  anéantir  jusqu'à  la  trace  :  ils  furent 
trop  obéis,  et  Tobscur  artisan  s'empressa  d'abattre 
les  tours  majestueuses  du  château  de  ses  anciens 
maîtres  j  son  vil  marteau  fit  tomber  des  murailles  que 
souvent  n'avaient  pu  ébranler  les  mains  glorieuses 
des  héros  de  la  patrie,  que  n'avaient  même  pu 
détruire  celles  du  temps,  plus  puissantes  encore. 
Plusieurs  cependant  échappèrent  à  ce  désastreux 
vandalisme,  et  furent  oubliés,  mais  ils  n'en  dispa- 
raîtront pas  moins  bientôt  du  sol  de  cette  France 
dont  ils  furent  si  long-temps  la  défense  et  l'orgueil. 


l82  MÉMOIRES  DE  LfL  SOCIÉTÉ  ttOYALE 

Arrdché^  à  leurs  anciens  propriétaires^  cbaqire  jonf 
Tacquéreiif  avide  les  détruit  potir  en  tendre  les  ma- 
tériaiKit.  Qu'importe  à  son  âme  flétrie  que  ce  château 
qn'il  démolit  rappelle  le  nom  d'une  famiUe  dont  la 
patrie  s'honore,  ou  qu'il  se  rattache  au  sbuTenir  de 
quelque  événement  glorieux  de  notre  histoire  ?  Ce 
n'est  ni  de  la  gloire  ni  de  ^honneur  qu'il  vent,  c'est 
de  l'or*  —  Eh  bien  !  soit  ;  qu'on  lui  en  jette ,  que  le 
gouvernement  le  satisfasse,  mais  qu'il  saifve  au  moins 
un  débris  de  la  demeure  des  Du  Guesclin,  des 
Ba^^ard ,  afïn  que  nous  puissions  montrer  à  nos  ne- 
veux une  pierre  qui  nous  rappelle  encore  la  présence 
et  les  vertus  de  ces  grands  hommes  (  i)  ! 

Tant  de  causes  destructives  ont  concouru  à  l'anéan- 
tissement de  nos  anciens  châteaux,  que  ceux  qui 
subsistent  encore  sont  dans  l'état  le  plus  délabré. 
Le  château  de  Dreux  est  un  des  plus  considérables  et 
des  plus  importans  par  sa  position ,  son  étendue  et 
riliustration  de  ses  anciens  possesseurs.  11  est  com- 

(  t  )  On  achève  de  démolir  en  ce  moment  le  château  de  Bajard^ 
en  Danphiné;  celui  de  Fougères^  près  Rennes;  de  Clisson,  au 
pays  de  Keti,  tiC.  etc.;  èëltti  de  Du  Guesclîn^  entre  Broon  et 
Montauban  est  abattu  depuis  long- temps.  Je  renouyelle  iei  le 
Toeu  «sprimé  bien  des  fois  dans  Tenceinte  de  la  Société  Royale 
des  Antîquaîrc&  de  France,  qu'elle  fasse  une  adresse  à  Son  £xc. 
le  ministre  de  Tintérieur,  pour  le  prier  de  prendre  des  mesures 
qui  puissent  arrêter  le  cours  de  ces  destructions  déplorables. 
C'est  à  la  Société  quMl  appartient  de  faire  une  telle  démarche, 
j'ose  dire  même  que  ce  lui  est^n  devoir. 


I 


DES  ANXWVAIRESD5.  FRANCE.  l83 

pose  de  pluaieurs  corps  d'ouvrages  généralement 
construits  en  cailloutages^  comme  presque  tous  les 
châteaux  de  la  Beauce  et  du  Perche ,  où  la  pierre  de 
taille  est  rare* 

La  priocipale  enceinte  est  un  rempart  de  figure 
oblonguë ,  flanqué  de  ^ouzb  tours  et  appuyé  de  plu- 
sieurs contre-forts  ;  ces  tours  sont  rondes,  à  Texcep- 
tioQ  de  deux  du  côté  de  Touest,  qui  sont  carrées. 
Ces  remparts  et  ces  tours  sont  maintenant  ruinés 
jusqu'à  la  moitié  de  leur  hauteur ,  de  sorte  que  leur 
couronnement  n'existe  plus.  Tout  indique  que  le 
château  de  Dreu^  fut  bâti  u  la  fin  du  dixième  siècle , 
ou  au  plus  tard  dans  le  commencement  du  onzième. 
Il  est  facile  de  voir  que  les  barbatanes  et  les  meur- 
trières, pratiquées  dans  plusieurs  tours  pour  j' pla- 
cer de  Tartillerie^  ont  été  faites  long-temps  après 
leur  édification  première. 

Le  portail  bâti  au  côté  méridional  de  l'enceinte 
est  singulier  en  ce  qu'il  n'est  accompagné  d'aucune 
défense,  chose  extraordinaire;  c'est  un  édifice  carré 
avec  une  porte  cintrée  dont  la  voûte  est  assez  éle- 
vée et  présente  l'ouverture  destinée  au  passage  de 
Vassommoir.  En  dehors  de  cette  première  voûte 
est  un  avant-corps  flanqué  de  deux  contre  -  forts , 
et  ajant  une  arcade  de  forme  ogive,  qui  se  lie 
avec  la  voûte  dont  nous  venons  de  parler.  Cet 
avant-corps  a  été  bâti  postérieurement  au  reste  de 
l'ouvrage;  son  arca'de  a  aussi  une  ouverture  pour 
laisser  tomber  un  assommoir,  grosse  poutre  f étirée 


1 


l84  M£JlOlft£S  Dfi  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

avec  laquelle  on  écrasaîtlesassaillaoslorsqu'ilsayaient 
forcé  le  pont-leyis  et  lia  herse  des  anciennes  forte- 
resses. 

Extérieurement >  à  la  première  enceinte^  est  un 
ravelin  dont  la  muraille  est  fort  épaisse  ;  il  part 
de  [Fangle  du  portail^  et,  décrivant  à  peu  près  un 
den;ii- polygone^  va  se  terminer  à  Tune  des  deux 
petites  tours  qui  défendent  la  porte  de  communica- 
tion de  la  première  avec  la  seconde  enceinte  dont 
nous  parlerons  tout-à-l'heure. 

Du  côté  du  nord  se  voient  les  restes  d'une  tour 
énorme  (i),  abattue  actuellement^  mais  qui  était 
jadis  entièrement  revêtue  en  pierres  de  taille.  Cette 
tour  était,  dit-on ,  le  donjon  :  elle  était  si  élevée  que 
des  vieillards  qui  Font  vue  dans  sou  entier  m'ont  as- 
suré qu'elle  s'apercevait  de  Chartres  qui  en  est  éloi- 
gné de  six  grandes  lieues. 

La  chapelle  était  dans  la  première  clour  ;  il 
n'en  reste  plus  maintenant  que  le  massif  dç  la  base 
du  clocher  et  l'arcade  du  portail,  dont  le  nouvel  ac- 
quéreur du  château  a  trouvé  le  travail  si  précieux 
qu'il  n'a  pas  voulu  la  détruire  et  l'a  laissé  subsister 
pour  servir  d'entrée  à  un  jardin  qu'il  a  planté  dans  la 
cour  du  château. Cette  arcade^  est  soutenue  par  deux 
pilastres  et  deux  colonnes  engagées;  elle  est  en  eifet 
décorée  avec  assez  de  délicatesse  ;  on  y  voit ,  avec 
plusieurs  rangs  de  moulures  en  zigzag,  qui  carac- 

(i)  Sur  lesquels  od  a  établi  un  télégraphe. 


DBS  ANTIQUAIRES  DE  FRAUCE.  l85 

térisent  Tarcliitecture  du  temps^  et  qui  régnent  dans 
tout  le  pourtour  de  Farchivolte^  des  ornemens  en 
feuillage  d'assez  bon  goût;  les  chapiteaux  des  co- 
lonnes en  sont  pareillement  enrichis. 

Une  porte  pratiquée  à  Fest ,  conduit  de  la  pre- 
mière enceinte  dans  une  seconde  plus  étendue^  mais 
plus  délabrée^  et  à  peu  près  de  même  forme  ]  cette 
porte  est  flanquée  de  deux  petites  tours  rondes 
revêtues  en  pierres  de  taille- 
La  seconde  enceinte,  presque  entièrement  ruinée 
dq  côté  du  nord,  ne  présente  que  deux  tours;  Tune 
au  midi ,  l'autre  à  l'est ,  niais  cette  dernière  paraît 
avoir  été  très-importante  et  destinée  à  la  défense 
principale  de  toute  celte  partie  du  dhâteau.  Outre 
que  soiv  diamètre  est  double  de  celui  des  autres,  elle 
est  environnée  d'un  fossé  particulier,  lequeLest  lui- 
ixiénie  entouré  extérieurement  d'un  mur  circulaire 
très-épais;  le  tout  est  au  sommet  d'un  monticule  fac- 
tice ,  ce  qui  me  ferait  cwire  que  c'est  là  le  véritable 
donjon  du  château  ou  réduit  dans  lequel  la  garnisoq, 
se  retirait  à  la  dernière  extrémité,  et  non  pas  la  tour 
sur  laquelle  on  a  élevé  un  télégraphe ,  et  de  laquelle 
nous  avons  parlé  ci- dessus. 

Ce  château  était  un  des  principaux  boulevards 
des  domaines  propres  de  la  couronne  de  France , 
du  côté  c^e  la  Normandie;  il  les  défendait  contre 
les  incursions  des  Ânglo-Normands ,  et  fut  assiégé  à 
différentes  époques. 


/ 


l86  MÉMOinE^  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Dreux  avait  autrerois  le  litre  de  coxnté  y  et  a  tou- 
jours appartenu  à  des  seigneurs  de  distinction. 
Louis-le-Gros ,  roi  de  France^  le  donna  en  apanage 
à  son  fils  Robert  ;  il  passa  ensuite  dans  la  maison 
de  Thouars ,  et  fgt  cédé  au  roi  Charles  V,  en  1 376. 
Charles  YI,  en  i38i ,  Je  donna  à  Marguerite  de 
Bourbon  9  femme  d'Arnaud  Amanjeu,  sire  d'Albret, 
grand  chambellan  de  France.  Sa  postérité  posséda 
ce  comté  jusque  sous  le  règne  de  Henri  II,  où ,  par 
arrêt  du  parlement,  du  4  mars  1 55 1,  il  fut  de  nou- 
veau, réuni  à  la  couronne.  Il  fut  ensuite  donné  suc- 
cessivement à  Catherine  de  Médicis,  puis  à  François 
de  Valois ,  et  passa  enfin  dans  la  maison  de  Nemours. 

Après  son  château,  Dreux  n'offre  plus, grand'cjhose 
de  remarquable  ;  ses  rues  ,  comme  celles  de  toutes 
nos  anciennes  villes,  sont  étroites  et  tortueuses  j  on 
y  voit  plusieurs  nâaisons  fort  vieilles,  bâties  en  co- 
lombage et  dans  le  style  gothique. 

L'église  principale ,  dédiée  à  Saint-Pierre ,  offre 
deux  genres  d^architecture  appartenant  à  des  époques 
différentes  ;  toutes  les  parties  basses  sont  évidemment 
du  treizième  siècle,  les  colonnes  en  sont  écrasées  et 
courtes,  surmontées  de  chapiteaux  grossiers  et  très- 
simples;  les  voûtes  et  arcades  sont  en  ogive ,  mais  le 
clocber  et  les  autres  parties  hautes  de  l'édifice  ont  été 
refaits  dans  le  seizième  siè<ile.  Cette  église  ne  ren- 
ferme aucun  monument  remarquable. 

L'hôtel  de  ville  ,  qui  est  un  bâtiment  carré  fort 
élevé,  date  aussi  du  seizième  siècle,  et  présente  un 


DES  ANTIQUÂIKES  DE  FRANCE.  187 

jûélaxige  de  mauvais  goût  du  style  gothique  et  de 
larchitecture  grecque  adoptée  à  l'époque  de  la  re- 
naissance des  arts. 

Il  n'existe  presque  plus  rien  des  anciennes  fortifi- 
cations de  la  ville  ,  je  n'en  ai  vu  qu'une  tour  hexa-- 
gone  et  un  bout  de  rempart  qui  s'étend  le  long  de  la 
rivière  d'Eure. 

En  quittant  Dreux ,  je  me  rendis  à  Chartres,  chef- 
lieu  du  département  d'Eure-et-Loir  ,  capitale  du 
ci-devant  pajs  Chartrain  et  des  vastes  domaines  des 
anciens  comtes  de  Chartres ,  de  Blois  et  de  Cham- 
pagne,  ville  dé  la  plus  h^ule  ancienneté  qui  était 
Toppidum  des  Carnutes ;  le  nom  de  carnutes  {car- 
nutum  )  d'où  dérive  celui  de  Chartres,  vientlui-même 
du  mot  celtique  karn ,  qui  signifie  pierre  sacrée  y  et 
auquel  les  historiens  romains  ont  adapté  leur  termi- 
naison latine.  Il  n'est  pas  surprenant  de  voir  porter 
ce  nom  de  karn  à  un  lieu  <](ui  était  le  chef-lieu  des 
druides  des  Gaules,  et  où  se  voient  encore  de  vastes 
débris  de  leurs  monumens.  En  Irlande,  en  Ecosse 
et  dans  les  îles  Schetland,  les  cercles  de  pierre  ou 
enceintes  druidiques  portent  encore  en  langue  du 
pays  ce  même  nom  de  ^«r/^. 

Avant  la  révolution ,  il  n'existait  peut-être  pas  en 
France  de  ville  qui  renfermât  dans  son  enceinte  plus 
de  mdnumens  curieux  de  notre  histoire  ;  la  destruc- 
tion de  la  plupart  des  églises  en  a  fait  disparaître 
une  grande  partie  ;  mais  il  eii  reste  encore  un  assez 
grand  nombre  pour  occuper  pendant  plusieurs  mois 
nn  archéologue  studieux  et  assidu.  Je  regrette  que  le 


l88  MEilOlREs»  DE  LA  SOCIÉTÉ  nOYÂlE 

temps  no  m'ait  pas  permis  de  les  décrire  tous;  mab 
d'autres  parties  du  département  méritant  aussi  mon 
attention  ^  et  le  temps  que  je  devais  rester  en  chaque 
endroit  étant  en  quelque  sorte  limité  d'avance ,  il  a 
fallu  me  borner  aux  objets  principaux ,  à  ceux  sur- 
tout qui,  jusqu'ici;  sont  demeurés  les  moins  connus. 

Fortifications  de'  Chartres. — Nous  parlerons  d'a- 
bord de  l'enceinte  des  fortifications  de  la  ville  bâtie 
dansle  douzième  siècle^  et  qui  subsistait  encore  dans 
son  entier. 

L'art  de  fortifier  les  villes  et  les  places  avait  pris  à 
cette  époque  une  extension  remarquable.  Cet  art' 
prit  naissance  en  France  vers  la  fin  du  huitième  siè- 
cle (i);  les  premières  forteresses  ne  furent  alors  que 
des  tours  isolées^  élevées  sûr  un  tertre  factice  ;  on  y 
ajouta  ensuite  une  cour  enceinte  d'une  haute  mu- 
raille ;  peu  après  on  défendit  l'extrémité  de  cette 
cour  opposée  à  la  tour,  par  une  seconde  tour.  L'art 
se  perfectionnant  en  raison  de  la  multiplicité  des 
guerres  occasionnées  par  l'abus  du  système  féodal^ 
pn  augmenta  €t  on  renforça  l'enceinte  de  la  cour  ; 
on  en  fit  un  remjpart  flanqué  de  nouvelles  tours  sur- 
montées elles-mêmes  de  tourelles ,  et  on  construisit 
dans  l'intérieur  divers  bâtimeps  de  servitude.  La 
grosse  tour  primitive  fut  toujours  co;:)servée  sous  le 
nom  de  Donjon /kl  fut,  par  sa  force  et  sa  hauteur,  le 

(i)  II  m'est  bien  déôiontrè  qu'avant  cette  époque  il  D'y  avait 
^n  France  ni  ville  ni  châteaujc  fortifiés  de  noiurailles  et  de 
tours. 


DES    ANTIQUAIRES  B£  FRANCS.        *  189 

lieu  de  refuge  ou  dernière  ressource^  des  assiégés. 

On  ne  connaissait  guère  encore  au  douzième  siècle 
Tart  des  ouvrages  avancés ,  en .  sorte  que  les  assié- 
geans  parvenaient  de  suite  au  corps  de  la  place.  Nous 
avons  été  à  même  de  faire  cette  remarque  dans  plu- 
sieurs villes  anciennes^  et  ici  dans  celle  de  G];iartres« 
Gepehdant  elle  passait  p^ur  forte,  même  long-temps 
après  rinvention  de  l'artillerie  pyrobalistique,  puis- 
que Henri  lY  l'assiégea  en  iSgi  sans  pouvoir  la 
prendre.  Ses  fortifications  consistent  en  une  enceinte 
de  muraille  fort  élevée,  appuyée  sur  un  terre-plein 
de  plusieurs  toises  de  largeur,  et  flan/juée  de  grosses 
tours  rondes  ;  le  tout  bâti  en  blocaille ,  à  l'exception 
des  ouvrages  des  portes  qui  sont  en  pierre  de  taille* 
Ces  portes  sont  au  nombre  de  sept  ;  savoir  :  la  porte 
Drouais^'  ainsi  nommée  parce  qu'elle  donne  du  côté 
de  Dreux ,  celle  de  Saint- Jean,  Châtelet,  desËpars, 
Saint-Michel,  Morard  et  Guillaume. Cette  dernière 
a  quelque  chose  d'imposant  par  son  apparence  gu/er- 
rière  ;  elle  est  flanquée  de  deux  grosses  tours  unies 
par  une  courtine  et  couronnée  d'une  galerie  saillante 
à  créneaux  et  mâchicoulis.  Cette  porte  est  voûtée  en 
ogive;ou  rmnarque  encore  s^us  la  voûte  la  coulisse  de 
la  herse  et  l'ouverture  qui  donnait  passage  à  Tassom- 
moir  ;  on  voit  aussi  celles  par  où  passaient  les  flèches 
du  pont-levis  ;  à  côté  est  une  autre  petite  porte  ou 
guichet  pour  les  rondes  de  nuit. 

La  porte  Guillaume  tire  son  nom  de  celui  d'un 
évéque  de  Chartres,  sous  l'épiscopat  duquel  elle  fut 
bâtie. 


igo  ^    MÉMOIRES   p&  LA  SOCIÉTÉ  KOYALE 

Cathédrale  de  6Vi/zr^7:e^. —-Passons  maintenant  à 
l'examen  de  ce  que  la  TiUe  renfei^me  de  plus  remar- 
quable y  sa  cathédrale ,  le  plus  vaste^  le  plus  magni- 
fique y  le  plus  imposant  des  monumen»  gothiques  de 
la  France. 

On  peut  dire  réellement  que  cette  cathédrale  est 
le  chef-d'œuvre  des  monumens  d'architecture  de  ce 
genre  ;  j*en  ai  observé  un  nombre  considérable^  mais 
je  n'en  ai  vu  aucun  qui  réunisse,  comme  celui-ci,  à 
l'étendue  du  plan  ,  à  ta  grandeur  des  proportions  , 
l'étonnante  hardiesse^ de  construction  et  Tadmirable 
délicatesse  des  détails  d'ornemens  qui  y  sont  répan- 
dus avec  profusion.  Cet  édifice,  qui,  par  une  espèce 
de  miracle,  n'a  que  peu  souffert  des  dévastations  ré- 
volutionnaires ,  est  une  mine  presque  inépuisable 
pour  un  antiquaire;  enrichie  de  statues,'  de  bas-reliefs 
exécutés  à  des  époques  différentes,  c'est  un  véritable 
musée  de  sculpture  française  de  tous  les  âges  où 
l'on  peut  embrasser  d'un  seul  coup  d'œil  les  progrès 
successifs  de  l'art,  et  la  chronologie  des  costumes. 

Tous  les  annalistes,  Xpns  les  historiens  du  pays 
Chartrain  s'accordent  à  dire  que  la  cathédrale  de 
Chartres  a  été  fondée  6n  1020  par  Tévêque  Fulbert, 
et  qu'on  n'a  été  que  vingt-huit  ans  pour  l'achever 
telle  que  nous  la  voyons  aujourd'huL  Cette  dernière 
assertion  nous  parait  évidemment  erronée  ;  d'abord 
il  parait  fort  extraordinaire  qu'un  aUssî  immense  bâ- 
timent n'ait  coûté  que  vingt-huit  années  de  travail , 
tandis  que  la  cathédrale  de  Paris,  beaucoup  m'oins 
spacieuse  et  moindre  dans  toutes  ses  proportions ,  a 


DES  ANTIQi: AIRES  DB  FRANCE.  i^i 

été  près  de  cent  aus  à  ériger;  mais  une  preuve  bien 
plus  palpable  que  Tédification  de  celle  de  Chartres  a 
doré  plus  de  vingt-huit  ans,  c'est  qu'elle  est  presque 
en  «Htier  bâtie  selon  le  stjle  gothique-arabe  qui  ne 
fut  adopté  en  France  qu'au  retour  de  la  première  croi- 
sade, c'est-ià-dire  après  l'an  1099;  le  style  gothique 
IcHâbard  usité  antérieurement ,  et  par  conséquent 
sous  répiscopat  de  Fulbert,  ne  s'y  remarque  que 
dans  un  seul  endroit ,  la  partie  intérieure  du  portail 
qui -est  éfFectivementla  plus  ancienne;  là  seulement 
on  voit  quelques  cintres  pleins ,  des  voussoirs  petits 
et  nombreux ,  les  moulures  dentelées ,  etc. ,  qui  ca- 
ractérisent le  gothique  lombard.  Je  citerai  pour 
exemple  de  ce  style  le  portail  de  la  chapelle  du 
château  de  Dreux-  Partout  ailleurs  ce  sont  des 
ogives  j  des  découpures  arabesques,  des  voûtes  à 
airête,  des  colonnes  fuselées ,  tous  les  attributs  enfin 
qui  sont  propres  au  genre  d'architecture  que  nos 
Croisés  ont  rapporté  d'Orient  et  qu'cm  adopta  univer- 
sellement en  Europe,  comme  un  monument  de  leurs 
expéditions. 

3e  conclus  de  là  que,  si  la  cathédrale  de  Chartres 
a  été  effectivemefit  fondée  en  1020  sous  l'épiscopat 
de-'Fulbert,  ses  trava(ux  ont  été  conduits  très-lente- 
ooent,  et  que  tout  ce  qui  s'en  est  trouvé  achevé  à  la 
fin  du  onzième  siècle  ne  consistait  guère  que  dans 
révise  souterraine  et  une  partie  du  portail;  tout  lé 
reste  a  bien  certainement  été  édifié  après  Tan  1  loo. 
Avant  l'an  10209  il  e;s:istait  sur  le  même  emplace*- 
ment  une  église  plus  ancienne  et  dont  la  fondation 


ig2  1IÉH0IRB8  D£  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

remontait  au  sixième  siècle  ;  elle  fut  ravagée  au  neu- 
vième par  les  Normands  ;  mais,  lorsque  Tevêque  Ful- 
bert fit  rebâtir  la  cathédrale  actuelle ,  il  fit  adroite- 
ment entrer  dans  sa  construction  plusieurs  débris  de 
Tancienne^entre  autres  des  statues  échappées  aux  dé- 
vastations de  ces  barbares,  et  qui  représentaient  des 
personnages  illustres  de  notre  monarchie.  Cette  in- 
telligente précaution  nous  a  conservé  de  précieux 
monumens  4'une  époque  reculée  et  dont  il  ne  nous 
reste  qne  peu  de  choses  bien  authentiques  en  ce 
genre.  On  voit  encore  des  exemples  d'un  semblable 
fait  dans  la  réédification  d'autres  églises  où  Ton  re- 
marque des  parties  beaucoup  plus  anciennes  que  le 
reste  de  l'édifice  • 

Ces  statues  du  sixième  siècle  sont  donc  ce  que  la 
cathédrale  de  Chartres  nous  présente  déplus  ancienr 
elles  sont  placées  dans  les  arcades  du  grand  portail 
et  adossées  à  des  colonnes  ;  elles  offrent  au  prenaier 
coup  d'œil  tous  les  caractères  qui  distinguent  parti- 
culi^rementles  statues  de  la  première  race,  qui  nous 
ont  été  conservées  dans  d'autres  monumens,  ou  dont 
il  nous  reste  des  figures  exactes,  c'est-à-dire  qu'elles 
sont  démesurément  alongées,  que  leur  visage  est 
aplati,  leurs  bras  très-courts  >  les  draperies  de  leurs 
vétemens  chai*gés  d*une  multitude  de  plis* brisés  sans 
art  et  sans  intention  ;  enfin,leur  tête  est  environnée  du 
Umbeou  cercle  lumineux  dont  on  ornait  jadis  celledes 
images  des  saints,  des  rois  et  des  héros.  On  j  retrouve 
en  tout  le  même  stjle  de  sculpture  que  dans  les  sta- 
tues qui  décoraient  le  portail  de  Saiat-Germain-des- 


DES  anuquàihes  de  FKANCE.     '  igS 

Prés  à  Paris,  celui  de  Notre-Dame  de  Gorbeil  ^  de 
Saiat-Ayoul  de  Provins,  etc.,  bâtis  par  les  eiifans 
deClovis.  On  reconnaît  en  outre  que  la  pierre  dont 
sont  faites  ces  statues  n^est  pajs  de  même  nature  que 
celles  dont  sont  faites  les  autres,  disséminées  daqs  les 
côtés  et  les  deux  péristyles  de  l'édifice,  et  exécutées 
au  doui^ième  siècle ,  qu'elles  sont  bien  plus  usées 
par  la  vétusté^-  et  plus  mutilées. 

Elles  ont  été  déjà  en  partie  figurées  par  Montlau- 
coQ,  dans  ses  Monumens  de  la  monarchie  française  ; 
mais  ces  figures  sont  sii  mauvaises,  si  éloignées  de  la 
vérité ,  qu'elles  n^en  peuvent  même  donner  la  plus 
légère  idée,  M.  Willemain  en  a  aussi  fait  graver 
quelques-unes  dans  son  bel  ouvrage  sur  les  monu-^ 
meDS  français  inédits;  ses  figures  sont  aussi  exactes 
que  celles  deMontfaucon  le  sont  peu,  c'est«*à-dire 
qu'elles  ne  laissent  rien  à  désirer  sous  ce  rapport 
non  plus  que  sous  celui  de  l'exécution  de  la  gravure. 

Tandis  que  nous  étions  sur  les  lieux,  nous  eussions 
bien  voulu  pouvoir  les  dessiner  toutes  ;  mais  le  temps 
ne  nous  l'ayant  pas  permis ,  il  a  fallu  nous  borner 
aux  plus  remarquables;  nous  allons  en  donner  la 
description ,  suivant  les  dessins  que  nous  en  avons 
faits  d'après  nature  avec  tout  le  soin  possible.  Nous 
observerons  avant  tout  qu*il  est  bien  difficile  d'expli- 
quer les  statues  en  question ,  rien  ne  désignant  po- 
sitivement quels  personnages  elles  représentent  :  on 
ne  peut  les  soupçonner  que  sur  des  indices  souvent 
fort  vagues,  mais  quelquefois  pourtant  assez  positifs 
IV.  x3 


]  94  M£M0XR£5  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

pour  qu'on  en  puisse  tirer  des  inductions  presque 
certaines. 

Nous  mettons  en  première  ligiîe  celle  que  nous 
croyons  être  Clovis  I.  Elle  représente  en  effet  un 
prince  dont  la  coiironne,comme  celle  des  empereurs 
d'orient  dont  ce  roi  avait  adopté  le  costume,  est  un 
simple  bandeau  orné  de  pierreries ,  sans  fleurons , 
rayons,  fleurs  de  lis,  ni  trèfles.  Il  porte  la  barbe,  et 
ses  cheveux  longs  flottent  sur  les  épaules  ;  sa  robe 
et  son  manteau,  élégamment  drapés,  sont  ornés  d'une 
riche  broderie.  Quoique  l'effet  de  ce  costume  soit 
ici  grossièrement  rendu  par  les  artistes  du  temps  , 
on  peut  juger  par  aperçu  de  sa  magnificence,  de  sa 
pompe,  et  se  former  une  idée  du  haut  degré  où  le 
luxe  était  dès-lors  parvenu  chez  les  Francs  prodi- 
gieusement enrichis  au  sixième  siècle  par  les  dé- 
pouilles desYisigotbs,  desRomains  et  des  Lombards. 

Le  sceptre  qu'il  tient  dans  sa  main  gauche  est 
très-mutilé,  maison  reconnaît  encore  aisément  l'aigle 
qui  le  surmontait  et  qui  se  voyait  également  sur  le 
sceptre  du  Clovis  de  Saint-Gern;iaîn-des-Prés. 

Par-dessous  son  ntanteau,  il  porte  une  tunique 
(  super  tunica  )  relevée  par  une  ceinture  et  ornée  de 
broderies,  et  sous  la  tunique  une  longue  robe  tom- 
bant jusqu'aux  pieds • 

Sa  chaussure  est  remarquable  en  ce  qu'elle  est 
pointue  ,  fort  découverte  et  absolument  de  la  forme 
des  souliers  de  fenime  de  notre  temps. 


D£&  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  igS 

Voici  sur  quels  iodices  nous  pensons  que  cette 
^atue  représente  Glovis  I  ;  d'abord  la  forme  de  sa 
oouroane  semblable ,  coiïime  nous  venons  de  le  dire, 
à  celle  des  empereurs  d'orient,  et  Ton  sait  queUem^ 
pereur  Anastase  décerna  à  Glovis  les  signes  de  la  di- 
gnité impériale. 

En  second  lieu ,  le  sceptre  orné  d'un  aîgle  que 
Ion  ne  voit  dans  les  statues  mérovingiennes  qu'à 
celles  de  Clovis  ;  enfin,  à  la  forme  àfi  sa  chaussure  qui, 
pareillement ,  semble  leur  être  particulière  (  à  une 
seule  exception  près  dont  nous  allons  parler  tout  à 
l'heure  ),  Montfaucon  observe  que  toutes  les  statues 
connues  de  Clovis  la  portent  de  cette  manière.  Nous 
avons  constaté  ce  fait  d'après  lequel  ce  célèbre  an- 
tiquaire pense  que  cette  espèce  de  souliers  était  un 
signe  particulier  de  la  dignité  consulaire;  il  appuie 
cette  opinion  sur  ce  qu'on  en  voit  de  semblables  aux 
pieds  du  consul  représenté  dans  un  calendrier  peint 
et  écrit  sous  Tempereur  Constance ,  fils  du  grand 
Constantin,et  duquel  il  donne  la  figure,  planche  XXX 
du  supplément  de  son  Antiquité  expliquée. 

A  côté  de  Clovis  on  voit  une  statue  de  femme 
représentant  une  reine ,  que  nous  cro/ons  être 
Clotilde  son  épouse  ;  elle  a  la  tête  ceinte  d'une 
couronne  qui  n'est  qu'un  simple  diadème ,  et  porte 
d'ailleurs  un  costume  particulier  aux  femmes  de  la 
première  race  ;  c'est  une  espèce  de  corset  ou  corps 
de  jupe  d'une  forme  analogue  à  celle  des  anciennes 
cuirasses  ropiaines  9  et  faite  d'une  étoffe  gaufrée  à 
réseaux,  qui  était  tissue  d'or  et  d'argent.  Ce  cor- 


\ 


10 


196  MÉMOIRES  DE  LA  SOaÉxi  ROYALE 

set  a  les  manches  longues  et  étroites;  une  ceinture 
tressée  entoure  la  taille  et  a  de  longs  pendant  ;  la 
robe  est  longue  j^  et^  par-dessus  le  tout,  est  un  man- 
teau agrafé  sur  Tépaule  droite.  Les  cheveux  sont 
séparés  sur  le  front,  et  forment  deux  grandes  tresses 
qui  tombent  à  droite  et  à  gauche. 

Le  costume  de  cette  statue  est  absolument  sem- 
blable à  celui  de  la  Clotilde  qui  se  voyait  à  Sain  t-Ger- 
main-des-Prés/ à  l'exception  que  les  longs  cheveux 
4e  celle-ci,  au  lieu  d'être  tressés ,  étaient  noués  de 
distance  en  distance  avec  des  rubans,  comme  cela  se 
voit  aussi  dans  la  statue  de  la  même  princesse  qui 
décorait  le  portail  de  l'église  de  Corbeil,  et  qui  est 
aujourd'hui  placée  à  l'entrée  du  caveau  sépulcral  de 
Saint-Dénis  (1). 

La  conformité  qui  existe  entre  notre  statue  de 
Chartres  Qt  celles  de  la  reine  Clotilde  que  nous  ve- 
nons de  citer,  la  place  qu'on  lui  fait  occuper  immé- 
diatement à  cQté  de  Glovis ,  nous  portent  à  croire 
qu'elle  représente  la  même  princesse.  Aureste,/elle 
a  beaucoup  souffert  des  mutilations  du  vandalisme  ; 
une  partie  du  visage  et  les  mains  sont  brisées.  Sans 
doute  elle  portait  un  sceptre  en ,  la  qualité  d'époose 
d'un  roi  de  Paris. 

(1)  Cette  précîeusç  statue  a  été  préservée  de  la  destruction 
par  notre  sayant  confrère  Lenoir  qui  l'a  consenrée  long-temps 
dans  le  musée  qu'il  ayait  fondé  ;,  établissement  qui  lui  donne 
tant  de  droits  à  la  reconnaissance  des  amis  des  arts  et  de  la 
France  monarchiqne. 


DES    ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  197 

Une  troisième  statue  çst  celle  d'un  prince  dont 
la  couronne,  assez  simple,  est  ornée  de  pierreries  ; 
il  a  la  barbe  et  les  cheveux  longs ,  est  vêtu  d'une  tu- 
nique courte  ,  par-dessous  laquelle  est  une  longue 
robe;  un  manteau  est  sur  ses  épautes,  tousses  vête- 
meas  sont  ornés  d'une  riche  broderie.  Dans  sa  main 
droite,  quia  été  brisée,  il  tenait  un  sceptre  dont  on 
voit  encore  une  partie;  de  la  gauche  il  soutient  un 
livre,  ou,  comme  le  croit  Montfaucon,  un  étui  ren- 
fermant une  charte;  ce  qui,  selon  lui  >  est  un  indice 
que  les  statues  qui  en  portent  représentent  des  fon- 
dateurs ou  des  bienfaiteurs  des  églises  Quelles  se 
voient.  Cette  supposition  est  assez  naturelle;  il  est 
certain  que  les  images  des  princes  ou  princesses  dont 
les  largesses  avaient  contribué  à  l'édification  de 
ces  monumens  pieux ,  devaient  y  être  co;isacrées. 

Si  je  considère  que,  de  toutes  les  statues  d'homme 
qui  décorent  le  portail  de  la  cathédrale  de  Chartres, 
celle  de  Clovis  et  celle-ci  sont  les  seules  qui  portent 
le  sceptre,  je  serai  porté  à  croire  qu'elle  représente 
Childebert;  cette  opinion  est  appujée  sur  une  obser- 
vation très-judicieuse  de  Montfaucon  qui  a  remar- 
qué ,  diaprés  l'examen  d'un  grand  nombre  de  monu- 
mens mérovingiens,  que  sous  la  première  race  il  n*y 
avait  que  les  rois  de  Paris,  c'est-à-dire  ceux  de  la 
France  propre ,  qui  eussent  le  droit  de  porter  le 
sceptre  comme  signe  de  leur  suprématie  sur  les 
autres  princes  français.  Or,  Childebert  fut ,  comme 
l'on  sait,  celui  des  quatre  fils  de  Clovis  auquel  le 
royaume  de  Paris  échut  en  partage  après  la  mort  de 


I 
j 


igS  HEMOIBES  DE  lA  SOGUÊTÉ  ROTAtE 

son  père.  De  toutes  les  statues  de  rois  du  portail  de 
Saint-Germain-des-Prés ,  il  n*y  ayait  pareillement 
que  celles  de  Glovis  et  de  Childebert  qui  portassent 
le  sceptre. 

Si  Ton  admet  que  cette  statue  soit  effectivement 
Childebert ,  celle  qui  suit ,  et  qui  est  placée  à 
côté ,  représente  indubitablement  la  reine  Ultro- 
gothe  son  épouse.  Son  vêtement  a  presque  la  même 
forme  que^celui  du  roi;  elle  a  sur  la  tête  une  cou- 
ronne fleuronnée  d'où  pend  un  voile  rejeté  en  ar- 
rière ;  elle  tient  d'une  main  un  sceptre  fort  long, 
de  l'autre  un  cartouche  déroulé  indiquant  probable- 
ment une  charte  de  donation. 

La  richesse  du  costume  de  la  cinquième  statue 
nous  annonce  pareillement  en  elle  une  princesse  du 
plus  haut  rang;  sa  tête  est  ornée  d'une  couronne 
d*où  pend  un  voile  court  rejeté  en  arrière ,  et  une 
guimpe  qui  couvre  tout  le  col  et  une  partie  du  sein» 
Ses  cheveux  sont  partagés  en  deux  fort  longues 
tresses  terminées  chacune  par  une  grosse  perle  ;  sa 
robe  est  serrée  par  une  ceinture  nouée  en  avant  et 
ayant  de  longs  pendans,  comme  celle  que  nous  avons 
vue  à  la  statue  de  Ciotilde;  cette  robe  a  des  manches 
fort  larges  ornées  de  broderies,  ainsi  que  le  manteau 
qui  la  recouvre.  I 

Cette  princesse  lient  dans  ses  mains  un  livre  ou 
une  charte  de  donation  dans  son  étui,  mais  n'a  point 
de  sceptre. 

Elle  nous  fournit  ici  l'occasion  de  faire  une  réfu-- 
tation  importante  : 


DES  ANTIQUAIRES  DIS  FRANCK.  IQQ 

Ea  18 13,  M.  Ledru,  avocat  du  Mans,  membre 
de  la  société  des  arts  de  cette  ville,  et  corresjlondant 
de  la  ci-devant  académie  celtique ,  publia  une  notice 
sur  les  statues  mérovingiennes  de  V église  cathédrale 
du  Mans  ;  il  en  apporta  lui-même,  en  18 1^,  un 
exemplaire  dont  il  fit  hommage  à  la  Société  Royale 
des  Antiquaires  de  France.  J'étais  alors  à  Paris,  et  j'a- 
vais rhonnêur  de  siéger  à  la  société  qui  crut  devoir 
me  désignes  pour  lui  faire  un  rapport  sur  le  petit 
ouvrage  de  M.  Ledru ,  qu'elle  me  chargeait  d'exa- 
miner; j'acceptai  cette  tâche  d'autant  plus  volontiers, 
qu'ayant  naguère  fait  un  voyage  au  Mans,  je  con- 
naissais parfaitement  les  monumens  dont  il  s^agissait. 

J'eus  l'honneur  d'exposer  dans  mon  rapport  à  la 
Société  un  fait  que  je  lui  remets  aujourd'hui  sous  les 
yeux;  c'est  que  le  portail  latéral  de  l'église  de  Saint- 
Julien- du-Mans  où  se  voient  les  statues  dont  parle 
M.  Ledru,  et  qu'il  a  cru. mérovingiennes,  a  été  érigé 
dans  le  douzième  siècle,  que  ce  portail  et  tous  ses 
accessoires  ont  été  copiés  sur  l'arcade  centrale  du 
portail  de  la  cathédrale  de  Chartres  avec  la  plus  scru- 
puleuse exactitude  et  l'attention  la  plus  minutieuse. 
Ces  «statues  sont  donc  en  tout  pareilles  à  celles  que 
nous  décrivons  ici ,  mais  elles  sont  bien  moins  an- 
ciennes, et  il  est  facile  de  s'en  apercevoir  à  la  pre- 
mière inspection  ;  elles  sont  moins  efiilées ,  mieux 
proportionnées,  moins  plates  ;  les  draperies  de  leurs 
costumes  ont  plus  de  moelleux  et  de  naturel,  on  n  y 
Reconnaît  plus  du  tout  le  oiseau  des  sculpteurs  du 
sixième  siècle  dont  celles  de  Chartres  montrent  si 


300  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  BOYALE 

bien  rempreinte  :  néanmoins  M.  Ledru  les  a  cru  de 
ce  temps;  et  s'il  en  avait  vu  les  originaux  à  Chartres, 
il  ne  Jût  pas  tombé  dans  celte  erreur.  Il  à  essayé 
de  les  expliquer ,  et  c'est  ce  qui  nous  a  donné  occa- 
sion de  parler  ici  de  son  ouvrage,  parce  qu'il  a  pré-- 
tendu  que  la  copie  qu'on  voit,  au  Mans,  de  notre 
statue  est  la  reine  Gothèce,  fename  de  Clodomir, 
XQi  d'Orléans  et  fils  de  Clovis  L  Gomme  il  ne  fonde 
cette  opinipn  sur  aucun  raisonnement  solide  >  nous 
ne  Tadopterons.j^as  ici ,  sans  toutefois  la  rejeter  non 
plus  absolument  ;  mais  jusqu'à  ce  que  nous  ajons  ac- 
quis^des  renseignemens  plus  positifs,  nous  laisserons 
celte  statue  au  rang  des  indéterminées.  M.  Willer 
main  l'a  parfaitement  bien  figurée  dans  ses  Monu- 
ment français  inédits  ^ 

Au  nombre  des  statues  qui  ont  fixé  mon  atten- 
tion est  celle  d'Un  très-jeupe  homme,  car  il  n'a 
pas  de  barbe,  c'est  le  seul  de  tous  les  princes  qui  se 
voient  à  ce  portail  qui  soit  dans  ce  cas;  sa  tête,  tou-- 
jours  accompagnée  du  limbe,  est  ceinte  d'un  dia- 
dème sans  fleurons.  Il  est  vêtu  d'une  longue  robe 
serrée  autour  dn  corps  par  une  large  ceinture  qui 
offre  beaucoup  de  plis;  il  a  par-dessus  un  manteau 
agrafé  sur  l'épaule  gauchiç ,  et  est  chaussé  de  cette 
espèce  de  souliers  très-découverts  que  jusqu'ici  les 
Antiquaires  n'ont  rem  arqués  qu'aux  statues  de  Clovis. 
Cette  clfaussure,  la  couronne  des  empereurs  grecs 
que  cette,  statue  perle  sur  sa  tête  ,  nous  portent  à 
croire  qu'elle  représente  un  fils  ou  au  moins  un  petitf 
fils  de  Clovis  destiné  à  porter  un  jour  comme  lui  1^ 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE;  201 

attributs  de  la  dignité  impériale^  dans  le  dernier  cas^ 
ce  serait  peut-être  Théodebert/fils  deThierry ,  jeune 
prince  d'une  haute  espérance,  et  qui,  par  sa  valeur 
guerrière,  marcha  sur  les  traces  de  son  aïeul  ? 

Le  personnage  que  représente  la  statue  qui  suit 
est  encore  plus  difficile  à  expliquer  que  le  précé- 
dent; la  draperie  de  son  costume  est  remacquable 
par  son  genre  qui  se  rapproche  beaucoup  de  celui 
des  statues  de  la  belle  antiquité.,  et  qui ,  traitée  par 
un  artiste  habile ,  serait  d'un  très  -  beau  caractère. 
Cette  statue  tient  en  main  un  parchemin  roulé ,  et , 
au  lieu  de  couronne,  a  sur  la  tête  une  espèce  de 
calotte  cannelée  ou  à  côte  de  melon. 

Montfaucon  a* déjà  remarqué  cette  coiffure  dans 
d'autres  monumens  de  là  première  race,  mais  dont 
il  n'a  pas.  donné  l'explication  bien  positive. 

Où  la  voit  sur  la  tête  d'une  statue  représentée /?te/i- 
che  X,  fig.  2  de  ses  Monumens  de  la  monarchie 
frunçaîse.  Celle  statue,  qu'il  ne  tiomme  pas,  existait, 
dit-il,  dans  la  partie  la  plus  ancienne  du  cloître 
de  Saint- Denis;  mais  il  était  aisé  de  voir  qu'elle  y 
avait  été  rapportée  et  qu'elle  avait  été  antérieure- 
ment placée  dans  un  autre  endroit;  elle  était  effec- 
tivement d'une  antiquité  plus  reculée  que  la  partie 
de  l'édifice  où  l'a  vue  notre  célèbre  antiquaire. 

Une  autre  de  ces  statues  est  celle  d'un  prince  ; 
nous  ne  pouvons  non  plus  hasarder  d'expliquer  po- 
sitivement cette  statue,  ni  même  d'une  manière 
conjecturale  ;  rien  de  particulier  ne  caractérise  le 
prince,  il  tient  un  livre  dans  ses  mains. 


^02  MEÎIOIRES  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

Enfin  nous  avons  remarqué  la  statue  d^une  prin- 
cesse dont  le  costume  présente  quelque  singularité  ; 
elle  porte  un  corset  gaufré  comme  celui  de  Clplilde 
dont  nous  avons  parlé,  mais  ce  corset  est  ouvert  par- 
devant  dans  sa  partie  supérieure,  de  sorte  qu'il  laisse 
par  là  apercevoir  un  vêtement  de  dessous.  Sa  robe 
a  de  très-larges  manches;  elle  a  une  ceinture  à  longs 
peudaus  :  sa  tête  est  ceinte  d'une  couronne  assez 
simple  ;  elle  a  un  voile ,  un  manteau^  et  le  sceptre 
qu'elle  tient  dans  sa  main  gauche  nous  annonce  en 
elle  réponse  d'un  roi  de  Paris,  et  probablement  Tune 
des  femmes  de  Clotaire  I. 

Telles  sont  }es  plus  remarquables  des  statues  du 
portaildela  cathédrale  de  Chartres.  Ce  même  por- 
tail offre  en  outre  une  u!iultitude  de  détails  intéres- 
sans  ;  on  y  voit,  comme  dans  toutes  les  anciennes  égli- 
ses, un  zodiaque  complet,  et,  dans  le  sommet  d'une 
des  ogives  derla  grande  arcade,  un  bouclier  revêtu 
d'ornemens  assez  curieux  ;  il  est  du  genre  de  ceux 
que  portait  la  cavalerie  aux  onzième  et  douzième 
siècles,  c'est-à-dire  très-grand,  de  forme  triangulaire 
un  peu  arrondie  à  sa  partie  supérieure.  Ces  boucliers 
ou  écus  ne  s'embrassaient  pas,  c'est-à-dire  ne  se  pas- 
saient pas  au  bras  gauche  dont  le  cavalier  avait 
besoin  pour  manier  la  bride  de  son  cheval  ;  ils  se 
portaient,  dans  le  combat,  suspendus  au  col  par  une 
large  courroie  et  recouvraient  tout  le  côté  gauche 
du  corps  de  l'homme  ;  dans  le  repos  ou  dans  les 
marches,  on  le  pendait  à  l'arçon  de  la  selle. 

Toutes  les  statues  et  bas-reliefs  qui  décorent  les  deux 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  20iJ 

péristyles  du  nord  et  du  sud  de  la  cathédrale  dont 
nous  parlons,  sont  bien  visiblement  du  même  temps 
que  les  parties  de  Tédifice  où  ils  sont  placés,  c'est- 
à-dire  du  douzième  siècle.  Les  statues  sont  en  grand 
nombre  et  représentent  des  saints  ou  des  apôtres  ; 
une  seule,  au  péristyle  septentrional,  est  une  femme, 
etparaîtmême  être  une  fenlme  de  distinction.  Unique 
de  ce  sexe  au  milieu  de  toutes  les  autres,  elle  dut 
naturellement  attirer  mon  attention  et  me  faire  faire 
quelques  conjectures  sur  le  personnage  qu'elle  pou- 
vait représenter.  Je  présumai  que  ce  pouvait  être 
Ledgarde,  femme  du  fameux  Thibaut  II,  dit  le  Tri- 
cheur, comte  de  Chartres,et  l'une  desfemmescélèbres 
de  son  siècle;  ce  qui  me  porte  à  le  croire,  c'est  que, 
de  toutes  les  princesses  qui,  après  la  première  race 
de  nos  rois,  ont  fait  des  legs  pieux  à  l'église  de  Char- 
tres, la  comtesse  Ledgarde  est  celle  qijd  a  répandu 
avec  le  plus  de  profusion  ses  donations  et  ses  bien- 
faits. Il  est  donc  assez  naturel  de  penser  que  sa  sta- 
tue ait  été  placée  au  lieu  où  on  la  voit;  mais  elle  n'a 
toutefois  été  faite  que  près  d'un  siècle  et  demi  après 
la  mort  de  l'original ,  et  n'est  qu'un  tardif  hommage 
rendu  à  sa  mémoire. 

Cette  statue  porte  en  effet  le  costume  caractéris- 
tique des  femmes  du  douzième  siècle;  elle  a  la  tête 
enveloppée  d'une  guimpe  surmontée  d'un  bandeau 
plissé  qui  en  fait  le  tour  ;  ce  bandeau,  qui  se  faisait 
d'un  linge  très-fin  et  bien  empesé,  afin  de  lui  donner 
de  la  roideur,  a  un  peu  l'apparence  d'un  couroane 
radiale  ;  on  ne  le  remarque  dans  aucun  monument 


!204  MÉMOIRE^  D£  LA  SOCIETE  ROYALE 

antérieur  au  douzième  siècle,  et  on  ne  le  retrouve  plus 
après  le  règne  de  Saint-Louis.  H  parait  donc  n'avoir 
été  en  usage  que  de  iioo  à  1270  ou  1280  au  plus 
tard.  Sa  robe  est  longue,  très-ample  et  serrée  au- 
tour de  la  taille  par  une  ceinture  ;  un  long  manteau, 
signe  de  la  noblesse  de  sa  naissance,  est  attachée  à 
ses  épaules,  et  elle  a  des  ga^ts  aux  mains. 

Ledgiarde,  comtesse  de  Chartres,  était  fille  d^Her- 
bert,  comte  de  Vermandois,  et  nièce  de  Hugues  Ca- 
pot, roi  de  France  ;  elle  avait  épousé  en  premières 
noces,  Guillaume  Longue  Epée,  duc  de  Normandie  ; 
après  la  mort  de  ce  prince,  elle  se  remaria  en  911 
à  Thibaut-le-Tricheur.  Elle  en  ept  un  fils  qui  Suc- 
céda à  son  père  sous  le  nom  de  Eudes  I,  mais  dont 
elle  fut  long-temps  tutrice.  EUle  fut  renommée  par 
sa  piété  et  la  force  de  son  caractère,  elle  fit  un  grand 
nombre  de  donations  et  de  fondations  pieuses  dans 
ses  états  ,  particulièrement  à  la  cathédrale  et  à  l'ab- 
baye de  Saint-Père  de  Chartres.  Elle  mourut  le  i4 
novembre  981.  La  statue  que  nous  venons  de  décrire 
et  que  nous  présumons  la  représenter  ne  lui  a  donc 
été  érigée  que  long-temps  après. 

Ledgarde,  conformément  à  ses  derniers  vœiax,  fut 
inhumée  sous  le  chapitre  de  Téglise  de  Saint-Père  de 
Chartres,"  elle  défendit  de  lui  élever  aucun  monu- 
ment fastueux  ,  et  une  simple  pierre  plate  couvrait 
sa  sépulture  ;  seulement  long-temps  après  ,  on  y  fit 
graver  ses  armoiries  qui  sont  de  gueules  diapré  d'ar- 
gent à  la  face  de  sable. 


'% 


MS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  2o5 

Son  tombeau  fut  ouvert  en  1712  ;  on  y  trouva  son 
squelette  parfaitement  conservé,  elle  devait  être  de 
la  pbs  haute  stature^  puisque  ce  squelette  avait  six 
pieds  deux  pouces  de  longueur.  A  Tun  de  ses  doigts 
était  un  anneau  d*or  très-fort,  et  très-épais ,  orné 
d  une  émerâude,  sur  laquelle  efeit  gravé  un  lion  te- 
nant une  feuille  de  trèfle  dans  Tune  de  ses  pattes. 
Autour  dû  chaton  on  lisait  ces  mots  PAX  XPI. 

Le  péristyle  méridional  est  aussi  décoré  dé  beau- 
coup de  statues  quij  comme  celles  du  côté  opposé, 
représentent  toutes  des]  saints  et  des  prélats,  à  l'ex- 
ception de  deux,  qui  sont  deux  chevaliers  dans  leur 
costume  militaire  ;  elles  nous  ont  paru  les  pluis  inté- 
ressantes dans  cette  partie  de  l'édifice,  et  nous  les 
avons  décrites  le  plus  exactement  possible. 

La  première  de  ces  statues,  dont  la  proportion  est 
un  peu  plus  forte  que  nature,nous  paraît  représenter 
Hélie  de  la  Flèche ,  comte  du  Maine ,  mort  en  1 109, 
en  revenant  de  la  Croisade  où  ses  exploits  Tavaiebt 
rendu  célèbre;  ce.  qui  nous  le  fait  présumer,  est 
là  grande  croi^;  ^ancrée  que  l'on  remarque  sur  le 
boucher  qu'il  dent >  et  qui  est  absolument  semblable 
àt^eUeque  Ton  voyait  sur  le  bouclier  de  la  statue 
tumulaire  du  même  guerrier  dans  l'élise  delà  Cou- 
ture du  Mans ,  ou  il  était  inhumé. 

La  statue  de  Chartres  est  d'ailleurs  armée  de 
même ,  c'est-à-dire  d'un  haubert  avec  tous  ses  ac- 
<^^sobes;  mais  elle  est  sans  casque,  et  a  soncha- 


206  MÉMOIKES  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

peron  rabattu  ;  ea  outre  y  elle  a  uue  longue  cotte 
d'armes  par-dessus  son  armure  ;  de  la  main  gauche , 
elle  s'appuie  sur  son  écu  ;  elle  tient  de  la  droite 
sa  bannière  roulée  autour  d'une  pique  ;  son  épée  est 
suspendue  à  un  baudrier» 

Héiie  fut  un  desi^  principaux  seigneurs  dont  les 
largesses  contribuèrent  à  l'édification  de  la  cathé* 
drale  de  Chartres;  il  paraît  donc  tout  simple  que  sa 
statue  y  soit  placée. 

Sur  l'espèce  de  cippc,  ou  plutôt  cul-de-lampe , 
qui  soutient  cette  statue ,  est  sculpté  un  bas-relief 
alléo'orique  fort  singulier;  il  représente  une  espèce 
de  diable  ou  démon  cornu ,  assis  sur  un  piédestal 
élevé;  un  chevalier,  armé  de  son  haubert,  est  à  ge- 
noux à  sa  droite,  et  semble  l'implorer,  tandis  qu'à  sa 
gauche,  un  autre  personnage,  ayant  la  couronne  en 
tête  et  l'épée  nue  à  la  niain  (  mais  sans  armure  ) , 
semble  le  menacer.  Nous  n^avons  pu  découvrir  à 
quoi  ce  sujet  bizarre  pouvait  faire  allusion  dans 
l'histoire  du  comte  du  Maine» 

La  seconde  statue  de  chevalier,  qui  se  voit  au 
même  péristyle,  est  absolument  dans  le  même  éqiii^ 
page  ;  sa  tête  est  nue  et  sa  barbe  longue  ;  le  cha- 
peron du  haubert  est  rabattu  ;  les  gantelets  de 
maille  retroussés  laissent  apercevoir  une  partie  de 
la  manche  du  gambeson ,  vêtement  de  taffetasbourré 
et  piqué  qui,  couime  on  le  sait ,  se  portait  alors  sous 
l'armure  de  fer. 

Rien  n'indique  d'une  manière  positive  quel  pei^ 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  207 

sonoage  cette  statué ,  représente  ;  cependant  on 
pourrait  peut-être  y  reconnaître  Etienne,  comte  de 
Chartres  et  de  Blois,  celui  de  tous  les  guerriers  de 
son  temps,  dont  la  munificence  aie  plus  contribué 
à  élever  et  enrichir  Téglise  de  Chartres. 

Il  tient  une  pique  dans  sa  main  droite  ;  sa  gauche 
estappujée  sur  un  bouclier  orné  d^une  grande  croix 
aa  centre  de  laquelle  est  une  espèce  de  rosace.  Par- 
dessus son  haubert,  il  a  une  longue  cotte  d'armes,  et 
sonépée  est  suspendue  à  son  côté  par  un  baudrier. 

Le  cul-de-lampe  qui  supporte  cette  statue  est. 
aussi  orné  d'un  bas-relief,  mais  qui  n'est  ici  sans 
cloute  qu'un  simple  jeu  de  l'imagination  de  ^artiste; 
il  représente  l'exécution  d'un  homme  condamné,  à 
la  roue ,  et  peut  par  conséquent  constater  l'ancien- 
neté de  ce  genre  de  supplice* 

On  voit  entre  les  arcades  de  ce  même  péristyle 
un  grand  nombre  de  petits  bas-reliefs  représentant 
différeus  sujets  ^  deux  nous  ont  paru  devoir  être 
,  mentionnés  particulièrement  ;  le  premier  repré- 
sente un  guerrier  à  genoux ,  il  est  revêtu  de^  son 
haubert  et  de  sa  cotte  d'armes ,  a  l'épée  ceinte  et 
la  couronne  en  tête;  un  prélat,  debout  devant 
lui,  s'appuie  d'une  main  sur  sa  crosse,  et ,  de  son 
autre  rtiain  qui  a  été  brisée ,  paraît  lui  présenter 
quelque  chose  ;  ce  bas-relief  ne  porte  aucune  ins- 
cription explicative,  mais  tout  nous  porte  à  croire 
qu'il  représente  Etienne ,  comte  de  Chartres ,  rece- 
vant la  croix  des  mains  de  l'évêque  Yves  ;  ce  qui 
semble  confirmer  cette  opinion ,  c^est  que  le  se- 


208  M£MOIBES  DE  LA  SOCIÉli  ROYALE 

cond  bas -relief,  placé  au-dessous  de  celui-là  ^  nous 
montre  le  même  guerrier  recevant  des  mains  d'un 
moine  le  bourdon  et  la  panetière,  marques  de  son 
pèlerinage. 

En  convenant  avec  nous  que  le  guerrier  représenté 
dans  ce  bas-relief  est  un  croisé  se  préparant  à 
partir ,  on  pourrait  nous  objecter  que  ce  croisé  peut 
être  tout  autre  que  le  comte  de  Chartres;  mais  la 
couronne  qu'il  porte  sur  sa  tête ,  repousse  cette  ob- 
jection ;  elle  indique  un  prince  souverain ,  et  ici  ce 
•ne  peut  être  un  autre  que  celui  que  nous  désignons. 

Etienne  était  un  des  plus  renommés  parmi  les 
chefs  de  la  première  croisade;  cependant,  rebuté 
des  revers  sans  nombre  que  les  croisés  avaient 
éprouvés,  il  quitta  Tarmée  pendant  le  siège  d'An- 
tioehe,  et  revint  en  France ,  où  le  rappelait  d'ailleurs 
son  amour  excessif  pour  sa  femme  Adèle  >  seconde 
fille  de  Guillaume-le-Conquérant  ;  étant  ensuite  re- 
tourné en  Palestine,  Etienne  fut  tué  en  1102  ,  à  la 
bataille  deRamâ. 

Les  monumens  de  sculpture  et  d'architecture 
ne  sont  pas  les  seuls  dignes  de  remarque  dans  la 
cathédrale  de  Chartres;  ceux  de  la  peinture  sur 
verre  méritent  aussi  Tattention  de  Tantiquaire,  et  ses 
nombreux  vitraux  bien  conservés  sont  extrêmement 
curieux,  ils  représentent  généralement  des  sujets 
tirés  de  TEcriture  Sainte  ou  des  personnages  illus- 
tres des  douzième  et  treizième  siècles.  On  j  voit 
le  maréchal  Clément  du  Mez ,  Pierre  de  Dreux,  duc 
de  Bretagne ,  Amaury  de  Montfort,  Guillaume  de 


DES  ANTIQUAIRES  D£  F^IANCS.  3^ 

la  Fertc,  le  roi  Loub  IX,  etc.  elc.  Tous  ces  persoa* 
nages  ^  la  plupart  à  eheval^  sont  représentés  dajps 
leur  costume  militaire.  Nous  en  avons  remarqué 
\in  qui  donne  une  idée  juste  de  l'armure  du  trei*- 
zième  siècle  ;  c'est  Pierre  de  Dreux ,  duc  de  Breta- 
gne ,  Tun  des  guerriers  les  plus  célèbres  de  celte 
époque.  Son  armure  consiste  en  un  haubert  complet 
ou  cotte  de  mailles  à  manches .  avec  des  chausses 
de  mailles  ;  par-  dessus^  il  .porte  sa  cotte  d'armes , 
vêteaient  d'étoffe  assez  semblable  à  une  dalmatique 
sans  manche  et  serrée  à  la  ceinture  par  le  baudrier 
qui  soutenait  Fépée.  Cette  cotte  d'armes  ne  tombé 
qu'aux  genoux  dans  la  figure  dont  nous  parlons; 
mais  aux  onzième  et  douzième  siècles,  elle  était 
beaucoup  plus  longue  et  descendait  jusqu'à  la  che- 
ville du  pied. 

Le  casque  de  Pierre  de  Dreux  est  de  la  forme 
commune  à  tous  ceux  du  temps  de  saint  I^uis , 
c'est-à-dire  qu'il  est  aplati  et  comme  tronqué  au 
sommet ,  ce  qui  lui  donne  à  peu  près  la  forme  d'un 
tambour.  Cette  sorte  de  casque  ou  heaume  a  par 
devant  une  visière  grillée  qui  se  levait  et  s'abaissait 
à  volonté;  on  le  mettait  par -dessus  la  coiffe  de 
maille  ou  chaperon  ,  qui  tenait  à  la  partie  supérieure 
du  haubert. 

Les  éperons  que  porte  ici  le  prince  de  Bretagne 
sont  de  simples  pointes  de  fer  sans  molettes,  ainsi 
que  nous  les  voyons  généralement  représentés  dans 
leô  monumens  des  onzième  et  douzième  siècles  ;  ce 

IV.  i4 


200  MÉMOinES  DE  LA  SOCIETE  EOTALE 

n'est  qo'à  la  fiû  du  treizième  que  l'oo  commença  à 
ajouter  la  molette  aux  éperons  des  cavaliers»   . 

Le  bouclier  de  Pierre  de  Dreux  est  blasonne  de 
ses  armoiries ,  c'est-à-dire  échiqueté  éCoret  dazur^ 
armes  dé  la  maison  de  Dreux  ^  au  franc  quartier 
àCherminei  qui  est  de  Bretagne* 

SECONDE  PARTIE. 

« 

Si  la  nature  de  l'ouvrage  dans  lequel  je  publie  ce 
travail  ne  m'eût  forcé  de  me  renfermer  dans  les  li- 
mites d'un  simple  mémoire ,  j'aurais  pu  m'étendre 
davantage  sur  les  antiquités  de  la  ville  de  Chartres, 
et  principalement  sur  sa  cathédrale,  dont  les  détails 
suffiraient 9  comme  je  l'ai  dit  ci-dessus,  pour  occu- 
per pendant  plusieurs  mois  la  plume  et  le  crayon 
d'un  antiquaire  assidu. Mais,  obligé  de  me  restreindre 
et  de  me  borner  seulement  à  décrire  les  objets  les 
plus  temarquables ,  je  quitte  l'antique  métropole  des 
Carnutes,  et  je  transporte  avec  moi  mes  lecteurs  au 
village  moins  antique  de  Morancez  dont  j'ai  déjà  eu 
occasion  de  les  entretenir  en  parlant  des  monumens 
druidiques  qui  l'environnent  (i). 

Église  de  Morancez. — Ce  village  ,  à  une  petite 
lieue  de  Chartres ,  renferme  un  édifice  d'une  haute 

(i)  Voyez  dans  le  tome  II  des  Mémoires  de  la  Société 
Ro]rale  des  Antiquaires  de  France  le  Uémoire  sur  les  antiquités 
druidiques  du  pays  Ghartraiu. 


0E5  ÀKTIQqAI&ES  DE  FRANCE»  2^1 

ancienneté,  son  église,  dont  nous  allons  décrire  la 
façade. 

Le  plan  de  cet  édifice  e^t  un  carré  lon^;  il  n  y  a 
ni  bas-côtés  ni  chapelles  latérales  ;  la  façade  en 
pierre  de  taille  est  appuyée  de  quatre  contre-forts, 
entre  lesquels  se  voient  deux  petites  fenêtres  cin- 
trées, et  une  espèce  d'avancée  tenant  lieu  de  porche, 
sous  laquelle  est  le  ]portail. 

Ce  por4ail>  absolument  dans  le  style  d  architec- 
tare  appelé  ^^^vcomeniiongothùfue'-lombard,  con- 
siste en  trois  arceaux  concentriques  et  à  plein-cintre 
omés  chacun  d'une  ntoulure,  et  de  cet  ornement  en 
zigzag  si  commun  dans  lesédi&>es  antérieurs  ait 
douzième  siècle; ces  arceaux  sont  supportés  par 
des  colonnes  engagées,  dont  les  chapiteaux  sont 
décorés  d'ornemens  fort  simples  ;  Tun  de  ces  chapi- 
teaux, le  premier  à  gauche  du  portail,  diffère  de 
tous  les  autres;  on  ny  voit  autre  chose  que  la 
figure  très  -  grossièrement  exécutée  dun  animal 
quadrupède  dont  il  serait  difficile  de  déterminer 
lespèce;  on  le  prendrait  pour  un  bœuf  s'il  avait 
eu  des  cornes,  mais  tel  qu'il  est  il  a  plutôt  l'ap- 
parence d'un  hippopotame.  Au  surplus,  il  est  fort 
douteux  que  l'artiste  barbare  qui  l'a  sculpté  ait  eu 
l'intention  d'imiter  un  animal  connu ,  et  peut-être 
celui-ci  n'est -il  dû  qu'à  un  pur  caprice  d'imagina-r 
tien. 

On  peut  remarquer  de  l'anklogie  entre  le  portail 
de  Téglise  de  Morancez  et  celui  de  la  chapelle  du 

i4* 


2. 12  MÉHOIMS  DE  LA  SOCIETE  ROTAU 

château  de  Dreux  décrit  précédemmeut;  mais  il  a 
moins  d'ornemens  et  n^estpas,  à  beaucoupprès^  aussi 
léger  ;  je  le  crois  donc  plus  ancien^  et  je  pense  (pie 
celte  église  date  au  moins  du  dixième  siècle^  tandis 
que  je  ne  fais  remonter  qu'au  onzième  la  construc- 
tion de  la  chapelle  du  château  de  Dreux. 

Les  monumens  de  ces  temps-là.  sont  devenus  telle- 
ment rares  en  France  par  suite  du  vandalisme  révo- 
lutionnaire (  vandalisme  qui  continue  toujours  à 
exercer  ses  fureurs  sous  d'autres  formes  >  mais  mal- 
heureusement avec  les  mêmes  résultats);  ils  sont , 
dis-je^  devenus  si  rares^  qu'on  ne  saurait  trop  s^«m- 
presser  d'en  recueillir  des  dessins  et  de  les  publier 
avant  qu'ils  n'aient  entièrement  disparu  de  notre 
sol;  c'est  ce  qui  nous  a  porté  à  ne  négliger  aucune 
occasion  de  les  faire  connaître. 

A  la  vérité,  s'ils  sont  sur  le  point  d'être  anéantis  to- 
talement en  France,  l'Angleterre  eii  renferme  un 
grand  nombre  que  Ton  s'y  garde  bien  de  détruire,  et 
qui  peuvent  être  regardés  dans  le  fait  comme  appar- 
tenant à  l'archéologie  et  à  l'histoire  de  France,  puis- 
qu'ils ont  été  érigés  par  les  Normands ,  compagnons 
et  successeurs  de  Guillaume-le-Conquérant.  Tels 
sont,  par  exemple,  les  châteaux  de  Colchester,  de 
Tremâten,  de  Douvres,  d^Hédingham,  la  Tour  dé 
Londres  ,  etc. ,  tous  construits  selon  ce  style  appelé 
gothique-lombard ,  quoiqu'il  ne  soit  pas  plus  parti- 
îier  à  la  Lombardie  qu'à  toutes  les  autres  parties  de 
TEurope,*  dans  lesquelles  il  était  d'un  usagé  presque 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  2'>5 

universel  ,depviis  lachiUe.de  Tempire  romain  jus- 
qu'au  retour  de  la  première  croisade.  . 

C'est  ici  le  cas  de  faire  une  remarque  importante 
pour  ceux  qui  se  livrent  à  Télude  des  antiquités 
dumojen  âge  :  les  antiquaires  anglais  ont  un  tout 
autre  système  que  le  nôtre  relativement  aux  dif- 
féren&  genres  d'architecture  des  édifices  de  ce4;te 
époque >  et  ce  système  est  évidemment  erroné;  ils 
altrihuent  aux  Saxons  le  genre  que  nous  appelons 
/o/7iA«rt/(  dénomination  vicieuse  d'ailleurs ,  et  qu'il 
faudrait  supprimer  ),  et  ils  donnent  le  nom  d'archi- 
tecture normande  à  celle  que  nous  appelons  ordinai- 
rement gothique,  et  que  l'on  doit  à  plus  juste  titre 
i^omvutv  arabe  on  orientale  y  puisque  c'est  dans  l'O- 
rient que  nos  croisés  en  ont  élc  chercher  les  modèles 
dont  les  formes  ogives  font  le  caractère  le  plus 
saillant. 

C'est  une  grande  erreurd'attrihuer  aux  Saxons  les 
nionumens  du  stjle  lombard;  d'abord,  parce  que> 
comme  nous  venons  de  le  dire,  ce  style  était  général 
en  Europe  avant  Je  douzième  siècle  ,  et  n'était  nulle- 
nient  particulier  aux  Saxons  ;  ensuite  parce  que  les 
Saxons  n'ont  réellement  laissé  en  Angleterre  aucun 
monument  d'architecture  remarquable;  que,  désa- 
veu des  meilleurs  antiquaires  anglais,  leurs  édifices 
étaient  construits  en  bois,  et  qu'ils  n'avaient  ni  châ- 
teaux forts  ni  citadelles  en  pierre,  et  encore  moins 
d'églises.  Ce  fut  Guillaume-le-Conquérant  qui  kâtit 
en  Albion  les  premi^îrs'  temples  et  les  premières  for- 
teresses-en  pierre. 


254  MEMOIRES  l>£  LA  SodlÉTÉ  ROITALE  . 

m 

Quant  au  tiU^  d'architecture  uormande  donné  à 
celle  qui  nous  vient  d'Orient  et  qui  fut  aussi  géné- 
rale dans  toute  l'Europe  depuis  le  douzième  jusqu'au 
seizième  siècle,  il  est  aussi  impropre  que  Taulre,  n'é* 
tant  pas  du  au 'génie  des  ^Normands  qui  ne  l'adop- 
tèrent eux-mêmes  dans  leurs  édifices  que  près  «d'un 
siècle  après  l'expédition  de  Guillaume,  et  après  avoir 
couvert  l'Angleterre  de  monumens  construits  dans 
ce  g^nre^que  lesÀnglais  appellent  au  jourd'huitS'aaro/}. 

Nous  avons  fait  ici  ces  observations,  parce  qu'il 
serait  à  propos  de  s'entendre  sur  ce  sujet  et  d'adop- 
ter, dans  Tétude  de  la  science  des  antiquités  comme 
dans  celle  des  sciences  exactes,  une  technologie  gé- 
nérale ,  unanime ,  établie  sur  des  observations  judi* 
cieuses  et  des  faits  bien  constatés,  et.  non  pas  ba$ée 
sur  des  préventions  chimériques. 

Église  du  Moustoir.  —  En  quittant  Morancez,  je 
me  dirigeai  sur  Gellàinvilie,  village  dont  j^ai  parlé 
dans  mon  mémoire  sur  les  monumens  druidiques 
des  environs  de  Chartres,  et  près  duquel  se  voit  un 
cromjech.  Je  fus  ensuite  à  AUonne,  sur  la  route  d'Or- 
léans, puisâu  Moustoir,  où  il  j  a  une  fort  vieille  église 
dont  le  clocher  est  une  grosse  tour  carrée  sans 
flèche,  comme  le  sont  tons  ceux  des  églises  antérieu- 
res au  temps  des  croisades.  L'idée  de  surmonter  les 
clochers  de  flèches  pointues  et  élevées  est  due  à 
riniitation  qu'on  a*  voulu  faire,  dçs  minarets  des 
mosquées ,  dont  nos  croisés  avaient  admiré  dans  le 
Levant  la  hardiesse  et  l'élégance. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  2ôS 

Château  de  Tkoury.  —  En  continuant  de  me  di- 
riger au  sud,  j'arrivai  à  Thourj,  assez  gros  bourg 
sur  la  roule  de  Paris  à  Orléans,  entre  Montlhéry  et 
Etampes  ;  là,  je  vis  les  ruines  d'un  antique  château 
qui  joua  un  rôle  important  dans  les  guerres  féodales 
du  règne  de  Louis-le-Gros ,  sur  le*  théâtre  desquelles 
je  me  trouvais  alors ,  car  le  territoire  de  Thoury  est 
contigu  à  la  commune  du  Puiset^  lieu  célèbre  dans 
DOS  annales  guerrières» 

L'enceinte  principale  du  château  de  Thoury  n'existe 
plus,  on  en  distingue  néanmoins  le  plan  par  le  con- 
tour des  fossés  qui  l'environnaient;  elle  était  circu- 
laire, et  ne  parait  pas  avoir  été  garnie  d'ouvrages 
avancés. 

Du  milieu  de  cette  enceinte  s'élève  le  denjon  : 
c'est  une  tour  carrée  ayant  à  l'un  de  ses  angles 
une  tourelle  dans  laquelle  est  l'escalier  qui  con- 
duit aux  différens  étages.  La  partie  supérieure  de 
ce  donjon  est  ruinée;  ainsi  on  n'en  voit  plus  le 
couronnement.  Le  premier  étage  est  éclairé  sut  le 
devant  par  deux  fenêtres  cintrées  placées  l'une  à 
côté  de  l'autre. 

Le  château  de  Thoûry  fut  démantelé  en  même 
temps  que  celui  du  Puiset  par  ordre  de  TabbéSugieri 
mais  commeil  était  beaucoup  moins  fort  et  beaucoup 
moins  redoutable ,  Suger  se  contenta  d'en  faire  raser 
les  remparts^  le  donjon  fut  épargné,  et  subsista  ainsi 
jusqu'à  nos  jours. 

Jans^iUe.  —  De  Thoury  je  me  rendis  à  JanvîUe. 
Celle  petite  ville,  d'après  nos  anciennes  chroniques, 


236  llÉMOlftSS  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALK 

étdit  uue  place  très-forte,  et  je  désirais  la  visiter  d'au- 
tant plus,  que.  Fon  m'avait  assuré  que  ses  anciennes 
fortifications  existaient  encore.  Je  fus  surpris,  en  y 
arrivant,  de  voir  qu'elles  ne  consistaient  qu'en  une 
simple  muraille  d'enceinte  qui  n'était  flanquée  que 
d'une  seule  tour  dont  il  ne  restait  plus  que  la  base  ; 
à  la  vérité,  à  en  juger  par  son  diamètre,  elle  devait 
être  énorme  ;  mais ,  toute  forte  qu'elle  put  être,  dlle 
ne  pouvait  iléfendrequ'un  côté  de  la  ville ,  et  le  reste 
m'a  paru  bien  faible  ;  même  malgré  le  fossé  à  fond 
de  cuve  qui  ennronne  l'enceinte. 

Je  parcourus  les  communes  de  Poinville  et  de  Sen- 
tilljr-la-Moustier  sans  y  trouver  rien ^e  remarquable, 
mais  une  découverte  intéressante  m'attendait  au  vil- 
lage de  Mervilliers;  c'est  un  bas-relief  très-curieux 
placé  au-dessus  de  la  porte  latérale  de  son  église  dent 
l'architecture  est  un  gothique  d'un  fort  bon  style» 

Avant  de  décrire  ce  bas -relief^  nous  ferons 
observer  que  probablement  il  provient  d'un  autre 
lieu,  et  qu'il  avait,  dans  le  principe,  fait  partie 
d'un  autre  édifice  beaucoup  plus  ancien  ;  en  effet, 
il  est  sculpté  sur  une  pierre  taillée  en  demi-cercle 
et  destinée  à  être  placée  dans  l'archivolte  d'une 
porte  à  cintre  plein ,  au  lieu  qu'il  est  actuellement 
enca^é  dans  une  ogive  où  Ton  voit  qu'il  a  été  rap- 
porté et  ajusté  tant  bien  que  mal.  Les  figures  qu'il 
représente  sont  d'environ  un  pied  de  proportion  et 
d'une  exécution  grossière. 

Au  milieu ,  on  voit  un  prince  assis  sur  une  espèce 
de  trône^  et  vêtu  d'une  tunique  et  d'un  manteau  ;  il 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  257 

tient  un  sceptre  à  la  niaîn  gauche  ,  mais  n'a  pas  de 
couronne  sur  la  tête,  ce  qui  semblerait  indiquer  que 
ce  n'est  pas  un  roi  ni  même  un  grand  vassal  delà  cou- 
ronne de  France ,  mais  seulement  quelque  seigneur 
suzerain  9  quoique,  d'une  autre  part,  le  sceptre  qu'il 
tient  soit  pourtant  une  attribution  propre  à  l'autorité 
royale-  Aussi  ce  personnage  est  le  plus  difficile  à  ex- 
pliquer dans  Le  bas-relief  en  question. 

De  sa  main  droite,  qui  est  étendue,  il  parait  rece- 
voir quelque  chose  que  lui  présente  un  chevalier  à 
genoux ,  armé  de  pied  en  cap  d'un  haubert  avec  ses 
chausses  de  mailles ,  et  dont  la  tête  est  recouverte 
d'ua  casque  hémisphérique  sans  visière ,  nasal ,  ni 
gorgerin. 

Derrière  ce  chevalier,  on  aperçoit  son  cheval  que 
sou  écujer  tient  d'une  main ,  tandis  que  de  l'autre  il 
porte  répée  dé  son  maître ,  laquelle  est  couverte  de 
son  fourreau.  Le  cheval  n'est  pas  en  proportion  avec 
les  autres  figures  du  bas-relief;  il  est  beaucoup  plus 
petit. 

A  la  gauche  du  baS-relief  est  un  ecclésiastique  re- 
vêtu de  ses  habits  sacerdotaux ,  ilparait  bénir  le  pré- 
sent qa'oflFre  le  chevalier ,  et  on  voit  près  de  lui  un 
autel  sur  lequel  est  un  bénitier. 

Derrière  l'autel  est  une  figure  plus  petite  que  les 
autres  et  qui  représente  un  homme  assis  dans  une 
espèce  de  fauteuil,  écrivant  quelque  chose  sur  un 
parchemin  qui ,  se  déroulant  en*  forme  de  cartouche, 
va  entourer  tout  le  pourtour  supérieur  du  bas-relief 
et  est  chargé  d'une  longue^scription  en  caractères 


233  MÉMOIRES   1)£  LA  SO^IÉXK  ROYALE 

majuscules  gothiques  é videuiment  du  onzième  siècle. 
Elle  est^  au  premier  abords  assez  difficile  à  déchiffrer, 
parce  que  les  mots  n'en  sont  pas  séparés.  Voici  néan- 
moins comme  j'ai  cru  qu'il  fallait  la  lire  : 

Guillermus  similiter  cuncessit  Renbaudus  miles  mi- 


chis  tulit  edheres  gâtas  psentes  haberet. 

« 

Au-dessuii  de  la  tête  du  prince  est  représenté  Dieu 
le  père  tenant  une  main  élevée^  et  tenant  de  Fautre 
un  livre  ouvert.  Sur  sa  poitrine  est  figurée  une  espèce 
de  roue  rayonnée,  peut-être  est-ce  une  image  du  so- 
leil ;  deux  figures  d'anges^  sortapt  d'un  nuage,  Ten- 
censent  à  droite  et  à  gauche. 

Contre  la  tête  du  même  prince  on  lit  le  nom  N.  For- 
gitJtë:  au  bas  du  bas-relief  et  sous  les  pieds  de  Téciiyer, 
onlit  Herbertus.  Au-dessous  du  chevalier  et  de  l'ec- 
clésiastique étaientpareiilement  écrits  d'autres  noms, 
mais  ils  sont  maintenant  si  mutilés  qu'il  m'a  été  im- 
possible de  les  lire. 

L'inscription  du  cartouche  t[ui  contourne  le  bas  - 
relief ,  en  mauvais  latin ,  ne  m*a  pas  semblé  aisée  à 
expliquer  d'une  manière  satisfaisante >  d'autant  plus 
qu'elle  ne  mentianne  pas  le  pefôonnage  principal  de 
l'action;  ce  Forgius  qui ,  je  l'avoue,  est  embarras- 
sant, car  ce  nom  ne  se  rencontre  nuUe  part  dans 
notre  histoire  ni  dans  les  ânhales  du  pays  Chartrain. 

Il  paraît  cependant  que  ce  monument  représente 
unhommage  et  une  donation  dont  prend  acte  l'homme 
assis  derrière  l'autel  et  dans  l'attitude  de  quelqu'un 
* 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  2ÔQ 

qui  écrit.  On  né  peut  juger  de  Tobjet  de  la  donatioû 
présenté  par  le  chevalier  à  genoux  ;  il  semble  que  ce 
soitune  espèce  d'urne  ou  de  vase  couvert. Le  seigneur 
le  reçoit  de  sa  main  et  en  fait  don  à  l'église  dont  le 
ministre  est  placé  près  de  lui.  Vûici,  je  crois,  comme 
on  pourrait  traduire  l'inscription^  en  appliquai  tou- 
tefois lenom  de  Guillermos  ou  Guillelmus  à  ce  sei- 
gneur qui  nous  est  inconnu,  malgré  le  mot  Forgius 
écrit  sur  sa  tète  : 


Guillaume  accorda  pareillep:)ent  à  Beimbaud  les 
dons  et  les  présens  que  lui  avait  apportés  l'héritier 
du  chevalier  Michel. 

Quoiqu'aucune  date  ne  se  voie  sur  ce  bas^relief , 
la  forme  des  caractères  de  l'inscription  et  celle  de 
l'armure  et  des  costumes  des  personnages  qui  y  sont 
représentés  ne.peuvent  laisser  douter  qu'il  n'appar- 
tienne  aux  roonumens  du  onzième  siècle. 

Château  duPuiseU — Un  des  principaux  points 
de  reconnaissance  qi|i^  je  m'étais  proposé  dans  ma 
tournée  en  Beauce  était  le  fameux  château  du  Pui- 
5et,  si  renommé  jadis  par  la  puissance  et  la  valeur 
de  ses  seigneurs  héréditaires  et  par  les  guerres  si 
longues  dont  il  a  été  l'objet  ;  il  a  fi^lu,  pour  le  ré- 
duire ,  toutes  les  forces  du  roi  de  France  (  Louis-le- 
Gros)  et  trois  années  de  combats  et  de  cafnage.  Je 
pensais  que  c'était  rendre  à  notre  histoire  un  service 
essentiel,  que  de  faire  connaître  d'une  manière  pré- 
cise  ce  qui  nous  reste  encore  de  vestiges  d'une  for- 


a40  MÉMOIRES  0£  LA  S0C1£T£  ROYALE 

'    teresse  qui  a  joué  un  rôle  important  dans  nos  annales 
chevaleresques. 
^j  J'arrivai  au  Puiset.le  6  septembre  1.8 14>  c'est  un 

village  de  peu  d'apparence  $  mais  son  châteaui  fondé 
,  vers  le  milieu  du  dixième  siècle ,  fut  long^temps.  re- 
gardé comme  inexpugnable;  il  dopdinait  toute  la 
contrée^  et,  du  haut  de  ses  tours  menaçantes >le  sei- 
gneur faisait  trembler  et  plier  sous  son  joug  les  habi- 
tans  des  campagnes  environnantes. 

Vainement  les  seigneurs  de  Janville ,  de  Thoury 
•  et  de  Montlbérj ,  dont  les  domaines  touchaient  à  son 
territoire  ^  s'efforçaient  de  restreindre  sa  puissance  ; 
vainement  ils  tentèrent  à  plusieurs  reprises  d'atté- 
nuer Finfluence  de  ce  voisin  redout^le  ^  leurs  ten- 
tatives demeurèrent  sans  succès.  Lorsque  leurs  forces 
réunies  étaient  trop  supérieures  pour  que  le  seigneur 
duFuiset  pût  tenir  la  campagne  ^  il  se  retirait  dans 
"^  son  château  inaccessible;  ses  adversaires  avaient 
beau  Fy  assiéger  ;  ils  se  consumaient  en  vains  efffortS; 
et  bientôt  le  manque  de  munitions^  et  surtout  d'eau, 
dans  un  pays  d'une  extrême  sécheresse ,  Içs  forçait 
a  lever  le  siège  après  avoir  souffert  des  pertes  consi- 
dérables. .   • 

Il  parait  que  c'est  à  la  pénurie  de  l'eau  ,  extrême- 
ment rare  dans  tous  les  environs  où  il  n'y  a  dans  un 
espace  de  plusieurs  lieues  carrées  ni  source,  niétangs, 
ni  rivières;  il  parait,  dis-je,  que  c'est  à  cette  pénurie 
que  le  château  du  Puiset  doit  son  plus  grand  avantage 
de  défense.  En  effet,  privés  de  cet  objet  de  première 
nécessité,  etnepouratit  se  le  procurer  qu'avec  des 


V. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  2^1 

peines  et  un  temps  considérables^  les  troupes  assié- 
geantes ne  pouvaient  demeurer  long-tenips  devant 
la  place  y  tandis  que  la  garnison  ne  manquant  de  rien 
pouvait  se  fournir  pendant  un  fort  long  siège;  elle  se 
procuraittoute  Feau  qui  lui  était  nécessaire  au  naoyeu 
d'un  puits  tl'une  profondeur  immense  ^  pratiqué  au 
rez-de-chaussée  du  donjon.  C'est,  dit^on,  à  ce  puits, 
regardé  dans  le  pays  comme  une  merveille  >  que  le 
lieu  doit  son  nom  de  Pniset.  ^ 

Ainsi^  pendant  long-temps^  les  seigneurs  du  Pui- 
sety  dominateurs  tout-puissans  dans  les  riches  plaines 
qui  séparent  la  ville  de  Chartres  de  celle d^tampes, 
s'y  attribuaient  toute  espèce  de  suprématie,  levaient 
à  volonté  des  contributions  et  des  subsides,  rançon- 
naient  les  marchands , les  voyageurs,  et  bravaient 
impunément  l'autorité  du  roi  même.  • 

Louis-le-Gros  qui  passa  presque  toute  sa  vie  à 
guerroyer  contre  tous  ces  seigneurs  turbulens  et  in- 
disciplinaires  dont  les  états  touchaient  presqqe  àsa 
capitale,  après  s'être  rendu  maître  du  châWau  de 
Montjhéry,  assiégea  celui  du  Puisel.  Ce  ne  fut  qu'a- 
près une  guerre  de  trois  années ,  après  des  travaux 
infinis  et  des  dangers  sans  nombre,  qu'il,  parvint  à 
s'en  rendre  maib'e  et  à  faire  prisonnier  Hugues  qui 
en  était  seigneur,  et  l'un  des  plus  vaillans  guerriers 
de  sOn  temps.  Il  l'envoya  sous  bonne  escorte  à  Châ- 
teau-Landon,  où  il  le  fit  enfermer.  Sur  .ces  entrer 
faites  ,  le  comte  de  Corbeil  fut  tué,  Hugues-du-Pui- 
set  était  son  héritier  ;  mais,  pour  obtenir  sa  liberté,  il 
proposa  au  roi  de  lui  faire  la  cession  de  ses  droits  au 


a\2  HEHOIRES  DB  LA  SOCIÉXE  ROYALE 

comté  de  Gorbeil  s'il  conseataità  briser  ses  fers.  Le 
monarque  accepta  cette  propo$itioD*  A^p^ine  Hugpes 
fut-il  libre ,  que ,  ne  respirant  que  vengeance ,  il  re- 
conomença  ses  courses  dévastatrices  sur  les  terres 
du  domaine  de  la  couronne.  Louis  fut  derechef  as^ 
siiéger  lePuiset  et  pressa  le  siège  avec  vigueur,  résolu 
pour  cette  fois  de  ne  faire  aucune  grâce  à  Hugues.Le 
comte  de  Blois  accourut  au  secours  de  la  place,  mais 
fut  défait  par  Tarmée  royale  qui  ensuite  s'en  rendit 
maître.  Hugues  trouva  le  moyen  de  s'échapper  et 
de  se  soustraire  ainsi  au  ressentiment  de  son  sou- 
verain. Il  rassembla  quelques  troupes,  à  la  tête  des- 
quelles il  eut  encore,  en  rase  campagne,  quelques 
combats  de  peu  d'importance  contre  celles  de  Louis- 
leHrros;  cependant,  dans  l'une  de  ces  actions,  il  tua  de 
sa  main  le  grand^sénéchal  de  France,  Anselme  de 
Garlandes,  favori  du  monarque*  A  la  fin,  harcelé  et 
battu  de  toutes  parts^  par  Tarmée  royale  ,  il  crut  ne 
pouvoir  mieux  faire,  pour  éviter  le  sup|klice  qui  le 
men^LÇttit ,  que  de  quitter  sa  patrie  et  de  passer  en 
Palestine.  Sa  valeur  l'y  rendit  utile  auxcroisési;  elle 
fut  récompensée  par  le  don  que  lui  fit  le  roi  de  Je* 
rusalebi  du  comté  àe  Jaffa  ;  il  est  faux  qn^il  fut  mort 
avant  d'arriver  en  terre  sainte,  comme  le  prétend 
Velly.  Il  avait  un  fils  qui,  comme  lui,  portait  le  nom 
de  Hugues,  et  qui,  comme  lui>  fut  comte  de  Ja£Pa. 

Sous  le  règne  de  Louis-le-Jeune ,  son  sage  mi-^ 
nistre,  l'abbé  Suger,  craignant  que  des  circonstances 
imprévues  ne  fissent  retomber  la  forteresse  du  Poiset 
entre  les  mains  de  quelque  grand  vassal  qui  en  eûl 


/D£S  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  2^3 

fait ,  dans  Toccasion,  un  boulevard  de  rebeUion  ; 
Suger>  dis-je,  la  fit  entièrement  démaBrteler,  en  sorte 
quïlnen  reste  aujourd'hui  que  des  vestiges. 

Ces  restes  consistent  en  un  pan  de  la  muraille  ex- 
térieure et  la  partie  extérieure  du  donjon  élevé  sur 
une  butte  artificielle,  adjacent  au  portail^  où  se  voit 
aujourd'hui  un  corps-de-logîs  bâti  dans  le  seizième 
siècle  ,  et  qui  était  le  bailliage  et  le^char trier  de  la 
seigneurie  du  Puiset. 

Le  donjon  est  une  tqur  hexagone  d'un  diamètre 
considérable ,  il  est  bâti  en  pierres  de  taille ,  mais 
d  un  petit  volume.  S'il  en  faut  croire  la  tradition  du 
pays,  sa  hauteur  était  si  excessive  qu'on  le  voyait, 
d'une  part,  deMontlhéry,  et,  de  l'autre,  de  Chartres, 
qui  en  est  à  neuf  lieues.  Maintenant,  la  partie  la 
plus  élevée  de  ses  ruines  n'a  que  trente-six  pieds 
d'élévation  ;  au  rez-de-chaussée  sont  les  restes  d'une 
salle  voûtée ,  dans  laquelle  est  le  puits  dont  nous 
avons  fait  mention  ci-dessus. 

Les  autres  parties  du  château  furent,  dès  le  temps 
même  de  Louis4e-Jeune ,  rasées  jusqu'au  niveau  du 
sol;  mais  les  terres  qui,  avec  le  temps,  se  sont 
amoncelées  sur  les  fondations,  les  font  parfaitement 
distinguer,  et  permettent  de  suivre  l'ancien  contour 
de^  fortifications.  On  voittjue  leur  enceinte  fort  éten- 
due renfermait  trois  cours;  la  première  était  de  forme 
roude  et  dominée  par  le  donjon  qui  défendait  l'entrée 
du  château  ;  la  seconde,  beaucoup  plus  vaste,  était  en- 


2^4  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

vironnée  d'un  large  rempart  dbni  le  contour  enfermait 
un  pentagone  irrégulier  et  même  interrompu  d'un 
côté;  dans  un  endroit  où  se  voient  les  restes  d'une  se^ 
conde  tour  et  où  probablement  était  jadis  une  po- 
terne ou  fausse  porte. 

Ënfin^  à  l'extrémité  opposée  au  portail^  on  voit  les 
restes  de  l'enceinte  qui  entourait  la  troisième  cour, 
au  milieu  de  laquelle  était  une  tour  qui  ^  à  en  juger 
par  le  diamètre  de  sa  base>  devait  presque  égaler  les 
dimensions  du  donjon.  Cette  tour  était  pareillemeot 
bâtie  sur  une  motte  ou  hutte  artificielle  en  terre. 

Il  paraît  donc  que  trois  tours  seulement  faisaient 
la  principale  défense  de  la  forteresse  du  Puiset  ;  mais 
leur  force ,  leur  hauteur  prodigieuse ,  leur  structure 
gigantesque  les  rendaient  suffisantes  pour  faire  de  ce 
château  une  place  inexpugnable^  pour  le  temps  sur- 
tout y  si  l'on  considère  qu'il  est  situé  dans  un  pays  de 
plaines  qu'il  dominait  de  toutes  parts» 
-  Église  du  Puiset.  —  Outre  les  débris  de  son  châ- 
teau^ le  village  du  Puiset  possède  encore  son  église, 
dont  l'ancienneté  doit  attirer  l'attention  de  l'obser- 
vateur. Elle  a  été  érigée  dans  le  dixième  siècle;  son 
portail  présente  tous  les  caractères  de  Tarchitecture 
de  cette  époque  j  c'est  un  double  cintre.dont  le  su- 
périeur est  surmonté  de  moulures  ornées  de  zigzags 
dans  le  genre  de  ceux  que  nous  avonsobservés  à  Mo- 
rancez  et  au  château  de  Dreux. 

La  nef  de  celte  église  est  supportée  par  de  lourds 
piliers  dont  les  chapiteaux  écrasés  sont  ornés  de 


DES  ANTIQUAIRC5.de  FRANCE.    .  225 

laides  feuilles  analc^es  à  despàlmes  mal  exécutées; 
on  voit  sur  Tun  d'eux  des  entrelacs  dé  ceps  de  vigne 
et  de  grappes  de  rai^n. 

Tels  sont  les  monumens  les  plus  remarquables 
du  moyen  âge  que  j'ai  eu  rôccasion  d'observer 
dans  le  court  espace  d'une  quinzaine  de  jours 
employés  à  parcourir  une  partie  de  l'ancien  pays 
Ghartrain.  Un  plus  longséjour  dans  ce  paysm'aurait 
mis  à  portée  d'en  recc»inaitre  un  bien  plus  grand 
nombre ,  car  cette  partie  de  la  France  est  fertile  en 
monumens  historiques,  dont  on  ne  saurait  trop  con- 
server du  moins  la  mémoire.  Puisse  mon  faible  essai 
exciter  l'émulatioii  des  nombreux  correspondans 
que  la  Société  Rdyale  possède  dans  le  départe- 
ment d'Eure-et*-Loir  y  domiciliés  sur  les  lieux ,  pou- 
Tant  consacrer  à  leur  recherche  tout  le  temps  et 
les  moyens  qui  m'ont  manqué  !  ils  pourront  lui  offrir 
des  travaux  plus  importans  et  bien  plus  complets 
qae  le  mémoire  que  je  soumets  aujourd'fiui  à  l'exa- 
men et  aux  lumières  de  mes  savans  confrères. 


IV. 


i5 


!226  iMÉMOIRES  DE  LA  ^Clilt  ItOYALE 


■*      ■     > 


REGÏÎERCHES 

I 

I 

Sur  Tétymologie  et  Temploi  des  locutions  et  des  mots  qui  se 
sont  inlrodaîts  on  consenrés  dans  le  départemeat  de  TOroe^ 
et  qui  n*appartiéDiieiit  pas  à  la  Iang;6e  française  de  nos  jours; 
par  M.  Lottii  Du  Bou ,  correspondant  de  la  Société. 


AlkDlTtOHS  AUX  LBTTRES  A-^G  ^   iNSÉftàBS  BAItS   US    MCtfOIiXS  DE 

l'académie  celtique  ^  t.  T9  p.  39  a  5o  bt  1 73  4  iSo. 


./jLBJTER:  raccrocher,  recruter,  embaucher. 
Abîmer  :  gâter ,  salir ,  ravager. 

Jtcay  (d^)  ou  d'acaa'd  :  à  verses;  il  plmit  d'aca  ou 
d'acard. 

Accoufler  ou  accouver  (  s*  )  :  s'accroupir.  Allusion 
à  l'attitude  de  la  poule  qui  couve. 

Achocre  :  entêté,  hargneux. 

Acoué  :  attaché  à  la  queue.  Ces  chevaux  sont 
acoués,  sont  attachés  à  la  queue'  l'un  de  l'autre; 
du  vieux  mot  coucy  queue. 

Adreuger  y  adroger  :  vêtir  grotesquement  ;  ri- 
diculement. 

Afribondiy  afribouri ,  afribourdi  :  engourdi  de 
froid. 


H^t  i)NÏIQli  A»BS  BS  FRANC».  2  2^ 

yi^tic  ;  fréquaiilatîoû. 

JjffkMjusr  ($')  de  quelquuâ  :  fréquenteT  (piel- 
qu'un.  Le  verbe  el  son  substantif  s'einploient  tou- 
jours en  mauvaise  part 

Jgogonner,  voyez  Gog9n  :  adouoir ,  ama<touer. 

Âguiannou  >  aguilan  :  étretioes ,  mot  à  mt^t  :  au 
gui  Van  lieqf.  .Cette  expression  a  survécu  aux  vieux 
usages  de  nos  pères ,  lorsqu'ils  suivaient  le  dm- 
disoie. 

Àgônir,  agoniser  :  assaillir^  agoniser  quelqu'un 
ie  sottises  j  assaillir  quelqu'un  d'injures. 

j4/eu  :  enjeu. 

Atlucher  :  nourrir. 

Alœus^é  :  actif,  qui  s'emploie  vivement  à  Vœu- 
tre,  à  l'ouvrage. 

Alourdir  i  ennuyer. 

Albus^^r    :  affamer. 

Alovir^s*)  :  s'assoupir,  être  sur  le  point  de  s*en* 
dormir. 

Amomide  :  fou  de.  De  Momus,  dieu  delà  folie. 

Anchias  :  enfant  de  mauvaise  mine ,  qui  vient 
mal.  ' 

Andain  :  l'intervalle  entre  deux  pas;  dti  verbe 
iliJÎHien  andare ,  marcher,  aller^ 

Arbre  (bois  d')  :  bois  de  chauffage,  pommier 
ou  poirier,  arbres  par  excellence  des  pays  à  cidre. 

Arçonner  un  sabot  :  mettre  dessus,  pouv le  con- 
tenir et  l'etiipéefaeir  de  se  fendre,  un  cercle  de  fer 
ou  delailion,  placé  en  are. 

Arrolle  :  arroche. 

i5* 


L 


228  MÉMOIMS  D£  LA  SOCliXE  ROYALE 

An^ossir  \  rendre  rosse  :  arrossir  un  cheval ,  c'est 
le  noettre  hors  d'élat.de  servir  >  en  faire.nne  rosse. 

Au  :  avec. 

Aubensj  auhoons  :  aubier;  les  premières  couches 
blanches ,  albœ ,  d'un  açbre. 

Aideras  :  volailles^  et  par  extension  toute  sorte  d'a- 
nimaux que  l'on  élève ,  tels  que  lapins  y  dindons  etc. , 
du  mot  latin  cwes ,  oiseaux. 


Bâcler  :  fermer;  débacler  :  ouvrir,  en  parlant  des 
clôtures. 

Baïne  :  mauvaise  taverne. 

Baller  :  flotter,  être  près  de  tomber;  de  l'italien 
ballarCy  danser. 

BêchiUf  bêchine  :  nigaud-  On  appelle,  dans  l'Orne 
et  dans  le  Calvados,  baissins  y  gens  du  pays  de  bas, 
.  gens  du  bas  pays ,  les  manœuvres  qui  viennent  de  la 
basse  Normandie  pour  travailler  dans  la  haute. 
Baissin  n'a  nul  rapport  aiYec  bessin ,  le  territoire  de 
Bajeux,  comme  quelques  personnes  l'ont  cru ,  son 
origine  est  la  même  que  celle  de  Baissière  :  liqueur 
du  bas  y  du  fond  d'un  tonneau. 

Bedain  :  petit  veau,  sans  doutç  des  mots  bis  eï 
der^s  y  à  deux  dânts. 

Bedou  :  rouge-gorge,  oiseau. 

Bejuel  ou  bejuety  adverbe  :  en  sens  inverse,  être 
couché,  béjuely  se  dit  de  deux  personnes  qui  sont 
couchées  dans  le  même  lit  en  sens  opposé  l'un  de 
l'autre. 


DES  ANTIQUAIUS  DE  FRANCE.  929 

Bestial  :  bétail ,  singulier  de  bestiaux. 
Béte  :  ivre. 

Bêtev  (se)  :  s*enivrer ,  du  mot  italien  bere^  be- 
i^ere,  boire. 
Beucléi  lait  beuclé  ou  bêclé  :  lait  caillé.  , 
Bicttcoirty  biscacoin y  bicoin:  en  zigzags  de  côté 
et  d'autre. 

Biguenette  :  bigotte  ^^  acariâtre  et  hargneuse. 

Bihoraget  subst.  masculin  :  plantation  en  désor- 
dre ^  lieu  mal  cultivé ,  fouiUis. 

Binel  :  guignon^  jouer  de  binel. 

Bioche  :  petite  bie,  petite  cruche. 

Bionner  :  besogner  >  travailler, 
t   Birou  :,  roitelet ,  oiseau. 

Biscantine  ou  piscantine  :  piquette  ^  maiJ^vaise 
boisson.  • 

Bisque  :  poiré  faitav^c  des  poires  non{>as  pressur 
rées^  mais  jetées  simplement  dans  un  tonneau»  Par 
extension  mauvaise  boisson  y  piquette. 

Blèche  :  mou^  moQe,  en  parlant  des  poires  et 
des  nèfles. 

Bloque  y  s.  m.  :  pièce  de  deux  sous.. 

Boire  y  s.  f.  :  abreuvoir. 

Bondrée  :  femme  grosse  et  courte  coinme  une 
bonde*  .        . 

Bois-doux  :  réglisse. 

Bouchas  :  bondon  y  bouchon. 
Bmchilhn   :    poirier  0(1  pommier  sauvage ,  venant 
des  bois  y  des  bocages* 

Boudou/lé  :  boursoufflé  d'orgueil  blessé. 


^ 


23o  MÉMOIRES  DE  LA  fOCIEli  ROYALE 

Bousine  :  musette,  parce  qu'elle  était  faite  d'abord 
de  peau  de  bœuf. 

Bout  en  bout  :  entièrement.  JoinviUç  dit  :  «  iUeur 
»  fit  chanter  au  nom  de  Dieu  ce  beligne  (bymne)  : 
j)  .i^eni,  Creator spïritus  !  deboiit  en  bout.  » 

Brament  :  bravement. 

Branée  ou  brenée  :  son  délajé  avec  de  l'eau,  et 
mélangç  quelquefo^  avec  des  herbes ,  des  feuillages 
etc.,  pour  la  nourriture  des  animaux,  du  mot  d/'en 
où  bran,  son. 

BringCy  s.  f.  :  petite  verge. 

Bringée  :  fustigation  avec  de  petites  verges. 

Broubiquet  :  chèvrefeuille.  C'est  le  même  fond  d'i- 
dée, et,  à  proprement  parler,  les  mêmes  expressions, 
puisque  brou  signifie  feuille,  et  biquet  chevreau. 

Broe,  broue  :  écume. 

Brouée  y  bérouée  :  brouillard.' 

jBrouer ,  brouir  :  roussir ,  demi-bruler. 

Cabagétis  :  dépôt,  monceau  de  vieux^ meubles 
ou  de  vieilles  hardes. 

Caban ,  cabin  :  mauvais  cabinet.     • 

Cabine  :  petite  armoire. 

Cair  pour  clair,  liquide. 

CairaiUer  :  ne  boire  que  lebouiiloû  de  la  soupe, 
que  le  c/a/'r  du  potage» 

Cmfuetoire,  s.  f.  :  la  luette,  onomatopée  qui  a  la 
même  origine  que  le  mot  caquet.   ^ 

Carne  :   cbairogne ,  du  latin  caroy  carni^. 


Chawîr  :  avoir  Fair  sournois;  chauvir  de  l'œil , 
regarder  en  desspu$  d'uç^  inanière  ironique.  Chau- 
vir de  Toreille  y  en  parlant  d'un  animal  :  agiler  To- 
reille  avec  envie  d^  mal  faire. 

Chenolle  :  nuque,  etpq.r  extension  le.  col.  Dans 
le  dictionnaire  de  la  langue  romane ,  chenolle  è^t 
défini  la  trachée-artère. 

Chipotter  :  discuter  minutieusement  le  prix  d'une 
chose. 
Chon  :  grande  cuiller  de  bois. 

Ckôrer  :  se  trouver  dans  une  position  qui  àniioDce 
un  maj  prochain.  Le  temps  chôre  :  le  temps  me- 
nace de  pluie.  Il  se  dit  awsi  des  hommes  etdes  ani- 
mau^.^  Chorer  sîgnijGie  aussi  sommeiller  péniblement 
en  se  plaignants 

m 

Clacusse  :  piquette^  mauvaise  boisson.  " 

Ciboire  :  petite  seringue  en  sureau  avec  laquette 
les  enfans  font  jaillir  de  Teau.  Onomatopée. 

Cloquer  :  glousser,  en  parlant  du  cri  de  la  poule. 
Onomatopée. 

Closêtie  :  petite  fenne  close  de  haies  Ou  de  fossés. 

Cocane  :  narine. 

Cochelin  :  gâteau  long,  et  par  extension,  présent, 
cadeau.  C'est  aussi  le  nom  du  fruit  de  Féglantîer. 

Cœurailler  :  avoir  des  nausées,  avoir  mal  au  cœur. 

Cœurée ,  guérée  :  curée ,  proie. 

Chutrin  :  mauvais  lit. 

Corser  :  lutter  corps  à  corps. 


J 


â3â  MÉMOIRES  BS  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Cmsu  :  riche  ;  du  mot  co^^e^  parce  que  les  plantes 
a  gousses  qui  promettent  une  riche  récolte  ontbeau- 
^  coup  de  cosses* 

Cottir  j  faire  cottir  :  jaillir,  faire  jaillir. 

Couinneter  :  crier  éomme  un  lapin  ou  uo  lièvre 
qui  a  peur.  C'est  plutôt  une  onomatopée  qu'un  dé- 
rivé du  latin  cuniculus  ou  de  l'ancien  français  coniL 

Coulandage  :  gaspillage  d'une  maison  par  défaut 
d'économie. 

Coulandier  y  coulandière  :  qui  contribue  à  la  mau- 
vaise administration  et  à  la  ruine  d'une  maison. 

Crétine  :  crue  d'eau ,  du  latin  crescere ,  cretus. 

Crettéy  adj.  :  propre,  bien  mis,l)ien  nettoyé. 

Criochè  :  écfaasse  ,  béquilles;  sans  doute  à  cause 
de  leur  cri,  du  bruit  qu'elles  font  lorsqu'on  s'en  sert 
«n  marchant.  , 

.  Criquet  :  grillon.  De  l'anglais  cricket.  Onomato- 
pée. 

Dallée  :  flaque,  du  vieux  mot  dalle,  dallée  :  fossé. 
.  ^  Débréger  (  se  )  se  débarrasser ,  se  tirer  d'affaires. 

Déferner ,  v.  n.  :  déchoir. 

Dégréler(se)  :  se  divertir,  s'égayer. 

Démenter  (se  )  :  se  mêler  de. 

Dépatouiller  (se)  :  se  débarrasser,  se  tirçr  d'uo 
mauvais  pas. 

Dépétronner  un  arbre  :  arracher  les  rejetons  qui 
sont  au  pied. 

Détrat  :  sentier  battu,  du  Idilin  tràcfus .' 


L 


DES  ANTIQCAIRES  DE  FEINCE.  253 

Diffamer  :  gâter,  salir. 

Donrder  :  frapper  quelqu'un  Irès-forletnent,  très- 
lourdement. 


Echaller  :  pour  écaller,  qui  se  dit,  sur  d'autres 
points  du  département  de  l'Orne  ,  écorcér ,  écosser, 
tirer  de  la  gousse. 

Êchaubouiller  (s')  :  s'exténuer  de  chaleur  et  de 
fatigue. 

Echauguetter:  surveiller  exactement/ es pionner, 
du  vieux  mot  echaugueUCy  point  élevé  où  l'on  éta- 
blissait une  sentinelle  ;  du  latin  exciibiœ. 

Echaumitœr  ;  effaroucber  à  force  de  coups. 

Eclocu  :  le  dernier  éclos  d'une  nichée  d'oiseaux , 
de  poulet  S;  etc. 

,  Effoûillej  s.  f.  :  bestiaux  produits  ou  engraissés 
dans  une  année  par  une  ferme  «Vendre  son  effouille; 
l'efibuille  n'a  rien  valu  cette  année. 

Egohiner  :  blesser  beaucoup ,  égorger.  Au  figuré 
maltraiter  par  des  propos  graves  et  injurieux.  Du 
mot  égoïne  ,  petite  scie. 

EUnder  :  glisser  sur  la  glace. 

Elosser  ;  ébranler^  on  dit  ailleurs  locher  y  dans 
le  même  sens. 

£mbeiK>n   :  embarras. 

Embront  :  essor. 

Embrancher  :  prendre  son  essor. 

Emmiauler  :  tromper,  leurrer;  corruption  du 
verbe  emmieller,  ou  peut-être  ce  mot  vient  du  verbe 


2^4  MÉMOIRXS   DX    LA   SOClÉ'ns    ROYALE 

miauler^  appeler  par  miaulement, comme  font  les 
chais. 

Endemené  :  désordonné ,  évaporé  :  Brantontie  se 
sert  de  ce  qualificatif  pour  désigner  des  «femmes 
très-libres  i  femmes  galantes  jT .  IL 

Entors  :  tortù. 

Entre-tripier  (s*)  :  se  battre  à  outrance.  C'est 
peut-être  la  corruption  du  mot  étriper^  mot  fami- 
lier et  même  bas. 

Ereis ,  adv.  :  du  latin  rursus,  de  nouveau ,  traire 
les  vaches  ercis;  l'heure  d!ercis  (  à  laicptelle  on  les 

trait). 

Erigot  ;  corruption  du  mot  ergot* 

Eriisser  :  effeuiller  une  branche  avec  la  paume 
de  la  main. 

Esergoter  :  arracher  les  ergots,  ésergoler  un 
bœuf,  lui  faire  perdre  ses  ergots. 

Esseniller  :  éparpiller. 

Etouhhy  s.  f.  :  chaume  laissé  debout  et  dans  le- 
quel il  se  trouve  des  herbes  réservées  aux  mou- 
tons. 

Etriver  :  faire  étriver,  faire  endiabler,  agacer 
vivement  quelqu'un  ;  du  vieux  mot  estrif^  débat;/ 
dispute.  Martin  Franc ,  auteur  di|  Champion  des 
dames,  a  fait  un  traité  en  prose  et  en  ver/j,  intitulé: 
Leslrif  ou  le  Débat  de  fortune  et  de  vertu. 


DCS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  255 

Fel  :  faible. 

Ferlande  :  mauvaise  pièce  de  monnaie. 

Fermaigne  :  meuble  propte  à  l'enfermer  quel- 
ques effets. 

Vermine  :  même  signification,  et  par  extension 
un  mobilier  quelconque. 

Ferouesses  :  les  jambes ,  terme  de  mépris. 

Fersir  :  transir,  tremblotter. 

Pautible  :  coupable,  répréhensible ,  qui  a  fait 
une  faute, 

Flanner  :  flatter  quelqu'un  par  intérêt. 

Flarmeur  :  flagorneur,  vil  adulateur. 

Flaquin  :  maigre,  sans  doute  pour  flanquin, 
efflanqué. 

Frambir  .'fureter,  chercher  avec  une  attention 
rtiinutiéuse. 

^amboyer  :  curet ,  nétoyer,  en  parlant  des  en- 
fans,  des  bestiaux. 

Frette  :  long  bâton ,  du  latin  frétas ,  appuyé. 

Frimouse  :  figHKy  mine. 

Fr«,ymè/ avide  de. 

Gahfoiider  :  tripoter  une  chose .  ne  la  pas  mé- 
nager. 

Game  :  écume  à  la  gueule  d'un  animal. 

Gdn  :  gain. 

Gavignalle  :  ivresse  gaie,  du  vieux  moi  gestion, 
la  goi^  j  ivresse  de  celui  qui  s'est  passé  de  bon  vin 
par  la  gorge. 


236  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ   ROYALE 

Gégigne  :  ventre,  du  mot  gésier. 

GéoUe  :  arroche. 

Gobine  :  repas  de  gourmand,  du  verbe  gober. 

Godailler  :  boire  sans  raison.  Sans  doute,  de  Go- 
det; peut-être,  comme  le  pense  M.  Bastide ,  de  l'a- 
cadémie de  Berlin^  ce  mot  viendrait  de  goodale, 
bonne  bière.  Il  arrive  souvent  qu'en  passant  d'un 
idiome  dans  un  autre ,  les  mots  changent  d'accep- 
tion et  prennent  un  sens  défavorable;  c'est  ainsi 
que  nous  n'admettons  plus  qu'en  mauvaise  partie  mot 
hère,  un  pauvre  Aer^,  qui  vient  pourtant  du  latin  Ae- 
rus,  maître,  et  de  l'allemand  herr;  il  en  est  de  même 
du  mot  rosse  qui  est  dérivé  du  ro9s  allemand. 

Gogon  :  doux^  mignon  «  Vojez  Âgogonner. 

Gorre  :  truie. 

Gorret  ou gorrin  :  jeune  cochon,  du  grec  xMf^y 
d'où  les  latins  ont  tiré  gorreius.  On  disait  autrefois 
une  gorrière  pour  une  truie.  Court  de  Gébelin  dérive 
ce  mot  du  célticfae  gawri ,  crier. 

Gourgousser  :  murmurer,  en  parlant  de  l'eau  qui 
bout  ou  d'une  personne  qui  grommelé.  De  Gurges, 
sorte  d'onomatopée. 

Grog  ou  groc  :  aspérités  que  présente  la  boue  dur- 
cie par  la  gelée  et  qui  rendent  le  ehemin  raboteux. 
C'est  une  onomatopée. 

Grolley  s.  f.  ;  vieille  savate.  On  retrouve  ce  mot  en 
Savoie.  * 

Gué  (prononcé  g u-^)  ;  ruiné.  Ce  qualificatif  a 
la  même  origine  que  gueux.  Probablement  du  latin 


DES  ATCTIQUAIRËS  DE  FAÂISCE.  237 

çaeuus  >  à  vide  ^  dépourvu  y  en  substituant  le  G  au  Y  ; 
comme  gué  de  vadum  y  guêpe  de  vespa,  etc. 

Guéné  :  crotté. 

Guener  :  crolter. 

Guermenier.  (se)  :  se  mêler  de.  J^oyez  se  démen- 

Guiler  ;  crier  d'une  manière  aiguë. 
Gxwicherft 

Guinchûtter  :  lancer  des  œillades  amoureuses.  Il 
se  prend  en  mauvaise  part. .  . 


RAPPORT 

Sur  une  inscription  de  Vienne;  sur  les  pontifes  établis  dans  les 
villes  des  Gaules^  et  sur  le  sens  du  mot  Stips;  fait  à  la  So- 
ciété par  M.  >Du£Ài7tB^  membre  résident. 

J^ESSIEURS  y 

On  VOUS  a  demandé  Texplication  de  l'inscription 

suivante  : 

'ANNO 

C.  CALPURNII  PISONÎ 

M.  VETTII  BOLANI 

COS. 

PONTIF.  STIPE. 

Celte  inscription  ne^t  pas  inédite;  on  la  trouve 
imprimée  dans  plusieurs  recueils ,  mais  avec  quel- 


u5S  lUblOIRIS  DE  LA  SOCIÉTÉ  HOTAIE 

ques  différences  dans  sa  dernière  ligne.  Ici  on  Ut  : 
Pontif.  stipe  ;  dans  le  recueil  de  Gruter  ;  Ponlifex 
stipe  ;  dans  un  ouvrage  moderne  ,  intitulé  Histoùe 
du  baron  des  Adrets  y  où  se  trouve  recucilU  un 
grand  nombi^.  d'inscriptioûs ,  trouvées  dans  les  villes 
de  Grenoble  et  de  Vienne  ;  cette  dernière  ligne  est 
ainsi  écrite  :  Ponttf.  ex  stipe  (i). 

Ces  différences  font  désirer  la  connaissance  de  la 
véritable  leçon  de  cette  inscription  y  mais  elles  im- 
portent peu  à  son  explication. 

Ses  premières  lignes,  indiquent  d'une  manière 
très-précise  l'époque  où  fut  fondé  l'édifice  sur  le- 
quel elle  était  gravée.  Voici  comment  elle  doivent 
être  traduites  : 

«  En  Tannée  du  consulat  de  Caïus  Calpurnius 
«  Pison  çt  de  Marcus  Vettius  Bolanus.  » 

Ce  consulat  est  placé  sous  le  règne  de  Trajan,et 
en  Tannée  ii  i.  , 

La  dernière  ligne  de  cette  inscription ,  ces  mots  , 
Pontif.  stipe ,  se  rattachent  à  des  connaissances  his- 
toriques d'un  plus  haut  intérêt  ;  je  dois  m'y  arrêter. 

Le  mot  pontif  signifie-t-il  un  faiseur  de  pont? 
Y  avait-iTdes  pontifes  à  Vienne  ?  y  en  avait-il  dans 
les  chefs-lieux  d«  nations^  dans  les  métropoles  de 
province  ?  Trouvé-t-on  dans  les  inscriptions  des 
exemples  où  le  mot  «fcpa  soit  employé  ?  Ces 
questions  vont  être  l'objet  de  mes  recherches. 

D'abord  le  mot  pontif  ne  peut  signifier  ici  un 

(i)  Histoire  du  baron  des-  Adrets.  Notes,  p.  34. 


0£S  ANTIQUAIRES  DK  FRANC2.  239 

faiseur  de  ponts  ; .  ce  mot  a  py  avoir  dans  son  ori- 
gine cette  signification  ,  cooime  il  llndique  lui- 
même,  et  comme  l'attestent  plusieurs  écrivains  de 
l'antiquité ,  et  nolammei^  Zozime/sOit  pairce  que  les 
grands^-prêtres  des  Romains  étaient  >  dans  des  temps 
très-reculés  ,  constructeurs  de  ponts  ,  ou  parce 
qu'ils  se  bornaient  aies  consacrer;  mais,  sous  le 
règne  de  Trâjan,  ce  mot  Pontifex  signifiait  seule- 
ment le  premier  des  prêtres. 

Dans  les  douzième  et  treizième  siècles ,  il  existait 
une  association  de  religieux-maçons,  qui  prenaient 
le  titre  Aé frères  pontifes^  et  dont  là  principale  occu- 
pation était  la  construction  des  ponts;  mais  l'époque 
où  ponti^x  a  signifié,  chei;  les  Romains,  faiseur  de 
pont,  et  celle  où  cette  association  utile  a  fleuri ,  sont 
trop  loin  de  Fépoque  de  l'inscription  qui  nous  oc- 
cupe r  il  n'est  ici  question,  que  d^n  prêtre  qui  exer- 
çait la  suprématie  sur  les  autres  prêtres. 

Y  avait-il.  à  Vienne  ,  colonie  romaine ,  et  dans  les 
autres  villes  de  la  Gaule ,  chefs-lieu  de  nation ,  ou 
métropoles  de  province ,  un  prêtre  suprême  qualifié 
de  pontife  P 

J'ai  soigneusement  examiné  toutes  les  inscriptions 
découvertes  dans  la  ville  de  Vienne  et  dans  le  ter- 
ritoire viennois  ;  fai  vu  qu'il  y  existait  des  fia- 
mines  ^  des  flamminiques,  prêtres  et  prêtresses,  des 
sextum  vir  ^  ou  sé\?ir  augustaux  ;  mais  le  titre  de 
pontife  ne  se  trouve  qtîc  dans  l'inscription  dont  je 
m'occupe.^ 

Avant  de  rechercher  si ,  dans  les  autres  villes  co~ 


240  MEMOIRES   DE  LA  SOCII^Ti  ROYALE 

lonies  de  la.  Gaule  y  il  existait  un  prêtre  quaUfié  de 
pontife,  je  dois  dire  que  les  institutions  civiles  et  re- 
ligieuses des  villes  colonies  offraient  en  miniature 
Fioiage  des  institutions  de  Rome.  Âulu  Gelle,  dans 
ses  Nuits  aUiques  ^  dit  <c  que^  dans  leur  organisation, 
»  elles  prenaient  cette  métropole  pour  modèle  > 
»  qu'elles  avaient  leur  sénat ,  leurs  thermes  et  leur 
'»  capitole.  »  H  cite  pour  exemple  la  petite  colonie 
de  Tibur  qui ,  comme  la  capitale  du  monde ,  s'inti- 
tulait , .  dans  ses  actes  publics  y  senatus  populusque 
Tihurs.  Gicéron  parle  aussi  de  la  colonie  de  Gapoue, 
qui  y  quoique  nouvellement  érigée ,  avait  des  .ma- 
gistrats qui  se  qualifiaient  de  préteurs ,  se  faisaient  y 
dans  les  solennités,  précéder  par  des  licteurs,  et, 
lors  des  sacrifices,  prenaientla qualification  de ^ère^ 
eonscràs* 

Les  colonies  romaines  ^  dans  la  Gaule ,  devaient 
avoir  des  magistratures  semblables  à  celles  de  la 
ville  de  Rome,  et  des  magistrats  civils  et  religieux 
quaMés  comme  ceux  de  cette  métropole  de  Tem- 
pire.  Pli|Qe  met  au  rang  des  colonies  romaines  la 
ville  de  Vienne,  qui ,  en  cette  qualité,  pouvait  pos- 
séder un  prêtre  supérieur ,  honoré  du  titre  de 
pontife. 

Pour  établir  solidement  ce  point  de  la  question  , 
je  vais  rechercher  si  les  autres  colonies  de  la^aule 
avaient  des  pontifes. 

Dans  une  inscription  découverte  à.Fréjus,  co- 
lonie ,  on  voit  que  Quintus  Sotonius  ,  honoré 
de  plusieurs    fonctions  civiles  et  militaires ,   Test 


•^e^ 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  2^1 

aussi  de  celle  de  pontife  flamine  de  la  province 
narbonnaise. 
Sohnio...  pontifiijlamini  provinciœ  narbonnensis. 

Dans  la  colonie  de  Riez^  colonia  Reiorum  apoU 
linaria ,  on  a  découvert  une  inscription  portant 
que  Màrcus  Leverius  Fàbulator  était  flamine  de 
Rome  et  d'Auguste ,  quartumvir  et  pontife  de  la 
colonie  des  Réiens. 

Une  autre  inscription ^dont  Tépoque  est  de  Tan  2^5^ 
qualifie  Marins  de  pontife  perpétuel  de  la  càé  de 
Valence^  vUle  de  la  Viennoise  et  ancienne  colonie 
romaine  (i).  Ce  pontife  présida  à  la  cérémonie  re- 
ligieuse appelée  Taurobohy  célébrée  potfr  la  santé 
de  l'empereur  Philippe  et  de  sa  mère. 

Ce  même  Marius  est  qualifié,  dans  une  autre  ins-  ' 
criplion  de  procurateur  de  la  province  Ijonnaise  et  ' 
de  la  province  aquitanique^  et  porte ^  comme  dans  la 
précédente  inscription ,  le  titre  àe  pontife  perpétuel: 
cette  inscription  est  conservée  à  Ljon  dans  le  musée 
de  cette  ville  (2). 

Dans  la  même  ville ,  et  dans  le  même  musée^  est 
une  autre  inscription  destinée  à  signaler  à  la  pos- 
térité l'élévation  de  Sextus  Ligurius  à  la  dignité 
de  pontife  perpétuel.  Ce  prêtre,  lors  de  la  cérémo- 
nie de  son  inauguration ,  distribua ,  suivant  Tusage, 

(1)  Les  inscriptions  que  je  viens  de  citer  sont  tirées  du 
Becueil  des  historiens  de  France,  T.  I,  p.  1:29  et  suivantes. 

(a)  Description  du  Musée  de  Lyon  ,  par  M.  Artaud,  p.  49, 
n'  49. 

IV.  16 


5>42  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTé  ROYALE 

des  gi  dtifications  qux  Récurions  de  la  ville ,  à  Tordre 
équestre  ,  aux  sevirs  augustaux^  aux  marcfaaffids  de 
vin  y  aux  corporations  légales^  et  donna  des  jeux  du 
cirque  (i). 

Ainsi  il  existait  des  pontifes  dans  les  villes  colo- 
nies ,  peut-être  même  dans  chaque  cité;  ou  au  moins 
dans  chaque  métropole  des  provinces  de  la  Gaule  ; 
et  l'on  ne  doit  pas  s'étonner  si^  sous  le  règne  de 
Trajan  y  le  principal  prêtre  delà  colonie  de  Vienne 
prenait  la  qualification  àe  pontife ,  et  si  le  pontife 
de  Vienne  y  lors  de  son  inauguration  ^  a  signalé  cet 
événement  en  gi^atifiant  les  habitans  de  cette  ville; 
par  la  construction  d'un  pont  ou  autre  édifice  d  u- 
lilité  publique.  On  a  vu  par  l'exemple  de  Sextus 
Ligurius,  et  Ton  sait  par  d'autres  témoignages,  que 
ces  prêtres  suprêmes ,  en  entrant  en  fonction,  pro- 
diguaient l'or  et  donnaient  au  public  des  fêtes  ma- 
gnifiques. 

La  fonction  de  pontife  égalait  celle  des  premiers 
magistrats  des  provinces  j  et  quelquefois  les  sur- 
passait en  autorité.  Ces  prêtres  étaient  opulens  y 
parce  que  ceux  qui  les  nommaient  s'attendaient 
aux  effets  de  leur  reconnaissance ,  et  parce  qu'ils 
croyaient  que  le  pouvoir,  appuyé  sur  la  richesse, 
en  devenait  plus  respectable. 

M.  de  Burigni,  dans  un  des  mémoires  de  l'aca- 
<lémie  des  inscriptions ,  admet  l'existence  des  pon- 

,     (i)  Desériptibn  do  BIuBée  de  Lyon,  par  M;  Artaud, p.  54, 
n»36. 


DSS  ANtlQUAlRES  DE  FRANGE.  2/|5 

tifes  dans  les  provinces  de  l'empire.  «  Dans  les  villes, 
»  dit-il  ;  il  y  avait  des  grands  prêtres ,  supérieurs 
»  aux  autres  prêtres;  il  y  en  avait  aussi ^ans  chaque 
provioc^  (  1  )•  Ce  savant  fonde  son  opinion  sur  Tau- 
toi^  de  Lactance  j  de  mortibzis  persecutorum  ;  il 
aurait  pu  l'appuyer  aussi  sur  l'histoire  ecclésiastique 
d'Ëusèbe>qui  répète  dans  deux  endroits  ce  que  Lac- 
taace  avait  dit  ujae  seule  fois  (  2  ).  Ces  deux  écrivains 
s'accordent  à  dire   que  Tempereur  Maximin ,  pour 
contrarier  les  progrès xlu  christianisoie^  institua,  dans 
chaque  cité ^  de  nouveaux  grands-prêtres,  elles  au- 
tori$a  de  tse  vêtir  de  clamydes  ou  étoles  blanches  ; 
ce  qui  ferait  supposer  que  ces  grands-prêtres  n'exis- 
taient pas  avant  lui;  mais  n'ayant  accordé  cette  su- 
prématie s^acerdotale  qu'aux  prêtres  de  FEgypte  et 
de  Syrie  où  ce  prince  commandait,  ces  citations  sont 
étrangères  aux  prêtres  de  la  Gaule  et  ne  peuvent  ni 
servir  ni  araire  à  la  preuve  que  j'ai  établie. 

En  effet,  les  inscriptions  quie  j'ai  produites  sont  pour 
cette  preuve  d*un  bien  plusgrand  poids  que  le  témoi- 
gnage de  quelques  historiens  passionnés.  Il  reste  donc 
prouvé,  par  ces  inscriptions,  qu'il  existait  des  pon- 
tife dans  las  villes  colonies,  et  même  dans  les  métro- 
poles des  provinces  de  la  Gaules.  On  pourrait  peut- 
être  établir  qu'il  s'en  trouvait  dans  chaque  cité,  et  qu'à 

(1)  Mémoires  de  l'académie  des  inseriptions ,  T.  XXXI , 
p.  120. 

(3)  De  mortibus  persecutorum  misceilanea  Baluzii  , 
T.  Il,  p.  Sa.  Eusehii  histpria  Ecclesiast,  lii.  VIII,  cap.  XIV^ 
et  lib.  13^,  cap.  IV. 

16* 


«244  MÉMOIRES  DE  Lk  SOCIÉTÉ  ROTAI£ 

ces  divers  pontifes  ont  succédé  les  évêques,  qui, 
dès  le  4*  siècle ,  prirent  la  qualification  de  pontifes  ; 
mais  cette  preuve  m'éloignerait  trop  de  mon  sujet. 
Ce  point  de  la  question  étant  résolu^  je  vais  passer 
à  la  signification  du  mot  stipe  qui  termine  Tinscrip- 

tion. 

Le  mol  stips y  dans  les  dictionnaires,  est  interprété 

par  petite  monnaie  que  Ton  recueillait  ou  que  Ton 
distribuait.  Dans  les  inscriptions ,  où  ce  mot  se  ren- 
contre assez  fréquejnment,.  il  a  une  acception 'sem- 
blable $  c^est  avec  le  produit  des  collectes  volon- 
taires ou  forcées  ,  faites  une  seule  fois  ou  pendant 
quelques  années,  que  Ton  parvient  à  réunir  des  fonds 
nécessaires  aux  frais  d'une  construction  quelconque. 
Le  recueil  de  Gruter  m'offre  huit  inscriptions  où 
figure  le  mot  stipe. 3e  le  trouve  aussi  employé  parmi 
les  inscriptions  qu  a  produites  M.  Durand  dans  sa 
Description,du  mijLsée  de  Ljron  y  je  le  trouve  encore 
ailleurs  et  toujours  dans  le  même  sens.  C'est  tou- 
jours des  deniers  recueillis  pour  subvenir  aux  dépen- 
ses d'upe  construction  >  et  les  Augustes  eux-mêmes 
ne  dédaignaient  pas  cette  petite  ressource ,  pour 
fournir  aux  dépenses  de  la  construction  de  grands 

édifices^ 

Une  inscription  fruste ,  dans  le  recueil  de  Gruter, 
porte  ex  stipe  quam  po..;  une  autre  inscriptioil  con- 
tient la  même  formule  et  la  contient  plus  entière  : 
ex  stipe  quam  populus  romanus...  contulit;  une  troi- 
sième enfin  off*re  cette  formule  sans  lacunes  ;  on  y 
lit  qu'un  César- Auguste,  qualifié  de  très-grand  pon- 


DES  ANTXQLAIKES  DE  FRANCE.  245 

tife,  fit  construire  un  édifice  avec  les  deniers  que  le 
peuple  romain  lui  porta  :  ex  stipe  quant  populus  ro^ 
manus  ei  contulit. 

Quand  un  empereur  faisait  élever  un  édifice  à  ses 
frais,  il  n'oubliait  pas  de  le  déclarer  par  cette  for- 
mule usitée  dans  les  inscriptions  :  fisci  sui  sumpiu. 

En  Portugal,  les  villes  municipes  employèrent  une 
pareille  contribution  pour  fournir  aux  frais  de  la 
construction  d'un  pont;  voici  ce  que  porte  une  ins- 
cription dn  même  recueil:  municipia  provinciœ  Lusi- 
taniœ  stipe  conlata  quœ  opus  pontis  perfecerunt. 

Ces  levées  de  deniers  étaient  ordinairement  tem- 
poraires ;  mais  les  publicainsy  les  exactèurs  ou  allée- 
teurs,  c'est-à-dire  les  collecteurs  et  receveurs  de  l'é- 
poque romaine,  perfectionnèrent  cette  partie  de  leur 
industrie  ;  le  stips  devint  une  contribution  an- 
nuelle et  obligatoire  ;  elle  ressembla  à  ces  impôts 
forcés,  qu'on  nommait  oc^ro/^  et  dons  gratuits.  Le 
recueil  de  Gruter  nous  en  oEFre  quelques  exemples. 

Une  inscription  ,  découverte  en  Helvétie,  et  une 
autre  à  Saint-Pierre  de  Lyon,  portent;  la  première, 
stipe  annuay  et  la  seconde  stipe  ann. 

Ces  citations  suffisent;  la  valeur  du  mot  stipe ^  a'est 
plus  incertaine;  et  ce  mot,  joint  à  celui  de  pontife 
forme  ce  sens  ;  avec  les  deniers ^  ou  plutôt  avec  le 
P^'oduit  de  la  collecte  faite  par  le  pontife. 

La  version  de  Gruter,  Pontifçx  stipe  est  évidem- 
ment erronée,  car  on  doit  interpréter  le  sigle  pon- 
^^f  ^^v  pontifiais  o\x  pontificali.  . 

La  version  manuscrite  qui  vous  a  été  adressée  ne 


2^6  MÉMOIRES  DE  LÀ  SOCIETE  ROYALE 

me  parait  pas  correcte,  je  lui  préfère  la  suivante  que 
je  trouve  parmi  les  iascriptions  contenues  dans  l'his- 
toire du  baron  des  Adrets  :  pontif.  ex  stipe  ;  et  j'y 
suis  autorisé;  parce  que  ^  dans  plusieurs  alitres  ins- 
criptions ,  on  lit  ex  stipe. 

L'inscription  tout  entière  doit  être  ainsi  traduite  : 
en  l'an  des  consuls  Caius  Calpurnius  Pison  et  Mm- 
çus  Vettius  Bolanus  (  cette  construction  a  été  faite  ) 
avec  les  deniers  du  pontife  ^  ou  au  moyen  de  la  col- 
lecte faite  parle^pontife. 


MEMOIRE 

■  Sur  les  AuUrceSj  par  M.  Louis  A.  M.  de  fitossEt»  cbrres- 

pondant  de  la  Société. 

XL  a  existé,  entre  là  Seine  et  la  Loire,  des  Celtes 
Gaulois  nommés  auMp^cm  Aulei^ci  y  les  Aulerces.  Le 
géographe  ttolémée,  qui  écrivait  sous  l'empereur 
Adrien,  donne  à  trois  nations  gauloises  le  nom  d'Ju- 
lerces;  ce  sont  les  Eburovices  ou  Eburaici ,  les  Ce- 
nomans  ,  en  grec  jcgj/ofAetyoî ,  en  latin  Cenomani ,  et 
les  Diaulitœ^  Diabolitœ  ou  Diahlintes. 

Une  vaste  forêt  séparait  les  Ehurovices  des  Cteno- 
mans  :  la  majeure  partie  de  cette  forêt  est  nommée, 
daifsles  écrits  du  moyen  âge,  Saltus  Perticus ;  et , 
lorsqu'elle  a  été  défrichée,  le  pays  a  été  appelé  le 
Perche^ GouëtyXt  Perche,  le  Comté  ^Alençon.  Une 


/ 


DES  AINTIQU AIRES   DE  FRANCE.  2^7 

autre  forél ,  entre  la  Loire  et  le  Loir,  servait  de  li- 
mites aux  Turonos ,  Turones  ou  Tourangeaux , 
aux  Andes  ou  Angevins  et  aux  Aulerces  Cénomans. 
Les  Carnutes  ou  Chàrtrains  bornaient  à  Test  ces  der- 
niers ;  et  de  ce  côté  on  pourrait  assigner  pour  poiiit 
de  démarcation  le  Saltus  Perticus  et  la  rivière  de 
Braje^  jusqu'à  son  enibôucbure  dans  le  Loir.  Les  Au- 
lerces Céuoni^ns  et  les  Diablintes  confinaient  vers 
le  nord  aux  Saii ,  aux  Viducassesy  et  à  l'ouest  aux 
Rhedones  et  aux  Aivii:  ceux-ci  touchaient;  aux  An- 
des ou  Andegayi. 

il  serait  difficile  d^assign  er  avec  précision  les  bornes 
de  chacun  de  ces  états.  Quelques  auteurs  pensent 
que  les  Diablintes  s'étendaient  jusqu'à  l'Océan ,  et 
que^  sous  ce  nom  de  Diablintes^  ou  sous  celui  de  Diau- 
litse  ^  ils  ont  habité  la  contrée  on  se  trouvent  Dol; 
Saint-Maid,  Saint-Brieuc,  etc.  C'est  Topinion  de  du 
Pinety  ancien.traducteur  de  Pline  le  niturali^te  ;  c'est 
celle  de  .Lobineau  et  de  Morice  y  histoneas  de  la 
Bretagne. 

Ptolémée  nomme  MedioLanum  la  ville  principale 
des  Ëburovices  ou  habilans  d'Évreux.  Néodunqm 
fut  celle  des  Diablintes.  On  assigna  au$^  CénomsLps 
pour  capitale  Suindinum.  '    •  . 

.En  :écriyant  ces  différens  mots^  nous  nous  confor- 
mons plutôt  àl'usage.qu'à  l'orthographe  de  tel  ou  tel 
manuscrit*  Les  Grecs  et  les  Romains  ont  €léfigui:é 
Iqs  iioms  des  peuplades  celtes  ;  et  la  Société  des  An- 
tiquaire de  France ,  ijui  se  propose  de  [rechercher 
la  véritable  étymologie  de  ces^homs,  est  invitée  à 


^4^  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIBTÉ  ROYALE 

s*occuper  de  celle  du  mol  Aulerci.  Tous  nos  efforts 
pour  trouver  la  racine  du  mot  aJkifKtù)  ont  été  inuti- 
les. Nous  ignorons  à  quelle  époque  et  par  qui  les  villes 
Suindinum^  Néodunum  et  Médiolanumont  été  fon- 
dées. Nous  ignorons  si^  du  temps  de  Ptolémée,  elles 
occupaient  le  même  terrain  que  le  Mans,  Jublains  et 
Évreux.  Nous  ne  pouvons  dire  si  les  Aulerces  ont  tou- 
jours été  fixés  entre  la  Seine  et  la  Loire,  si  les  Génomans 
ont  envoyé  des  colonies  dans  les  îles  britanniques  et 
de  Germanie,  mais  nous  nouscrojons  fondés  à  soute- 
nir que  c'est  par  erreur  de  copistes  que,  dans  quel- 
ques manuscrits  des  livres  de  César,  le  mot  Eburones 
au  lieu  à'Eburwices^  est  joint  à  celui  diÂulercL 

Nous  rencontrons,  dans  plusieurs  parties  du  terri- 
toire occupé  par  les  Aulerces  9  de  ces  Merks  ou  Tu- 
muli,  de  ces  pierres-lerées  ou  méenrhirion  qui  ap- 
partiennent à  l'ancienne  religion  des  Celtes  :  on  y 
reconnaît  des  traces  dii  culte  rendu  aux  arbres,  aux 
fontaines.  Des  médailles  ayant  pourl^ende,  les  unes 
▲uLtRco,  d'autres  diaoulos,  celles-ci  conomos,  celles- 
là  iBAiJix,.et  représentant  tantôt  un  sanglier,  tantôt 
un  cheval  ou  un  char  tiré  par  des  bœufs,  sont  les 
monumens  les  plus  certains  qui  nous  restent  du 
peuple  Aulerce. 

Tite-Iive,  qui  écrivait  sous  Auguste,  nous  dit  que, 
dans  l'armée  de  Bellbvëse,  il  y  avait  un<^orps  tle  la 
nation  aulerce.  Il  ne  nousapprend  pas  quelle  part  ce 
corps  eut  à  l'expédition.  Nous  voyons  seulement  par 
son  récit  que  les  Gaulois  fondèrent  en  Italie  une  ville 
qu'ils  nommèrent  Mediolanum  (Milan  )  ,  et  nous 


1 

DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  249 

sommes  assurés  que  les  ÂuIerces-EburOvices  ont  eu 
une  citéqui,  du  temps  de  Ptoiémée,  s'appelait  à  peu 
près  ainsi.  En  concluerons-nous  que  les  Ejburovices 
eurent  le  faible  honneur^de  donner  le  nom  de  leur 
capitale  à  la  ville  édifiée  ou  agrandie  par  les  compa- 
gnons de  Bellovèse.  Les  Celtes  gaulois  avaient-ils  des 
yilles  du  temps  de  Tarijuin  Tancien^  sous  le  règne 
duquel  Tite-Live  fait  passer  Bellovèse. en  Italie  ^  en 
rapportant  sur  ce  passage  des  circonstances  singu- 
lières et  plus  dignes  d'un  rhéteur  que  d'un  historien. 

Le  même  Tite-Live  nous  apprend  qu'une  colonie 
de  Cénomans,  sous  la  conduite  d'Elitovège  ou  d'Eli- 
tovich  (Elitovio  duce  );  se  fixa  dans  les  campagnes 
où  sont  à  présent  Bresse  et  Véronne(  d'autres  disent 
Crémone  ). 

Plusieurs  écrivains, tels  que  Pline  l'ancien,  Slrabon, 
Ftolémée,  attestent  que  le  nom  des  Cénomans  s'est 
conservé  long-temps  en  Italie. 

Gaton  l'ancien ,  cité  par  Pline ,  a  cru  que  les  Cé- 
nomans qui  passèrent  les  Alpe^s  avaient  séjourné  quel- 
que temps  aux  environs  de  Marseille.  Celte  opinion, 
à  laquelle  on  s'arrête  peu ,  n'est  pas  cependant  inad- 
missible. Serait-il  donc  invraisemblable  que,  dans 
cette  multitude  marchant  sous  les  ordres  de  Bello- 
vèse,  il  fût  resté  une  division  en-deçà  des  monts  ? 
Cest  peut-être  à  une  semblable  circonstance  qu'on 
doit  attribuer  l'établissement  auprès  de  Matisco  (Mâ- 
cott  )  d'une  colonie  4'Aulerces  dits  Branovicçs.  Ils 
étaient  au  nombre  des  cliens  des  Eduéens. 

Pplybe  et  Tite-Live  nous  apprennent  quel  fut  le 


s5o  MÉMOIRES   DT.  LA  SOCIETE  ROYALE 

sort  de  la  colonie  des  Aulerces  cénomans  en  Italier 
lyalliésdesRomains  devenus,  dans  les  derniers  temps 
de  la  république ,  membres  de  cette  grande  puis- 
sance, ils  ne  jouirent  pas  même,  sous  Auguste,  d'un 
SOI*  bien  désirable  :  on  en  peut  juger  par  les  plaintes 
si  touchantes  de  Virgile  dans  sa  première  Eglogue. 

A  répoque  de  la  décadence  de  Tempire  romain  , 
tous  les  peuples  qui- en  avaient  fait  partie  changèrent 
de  nom  insensiblement ,  et  les  limites  des  provinces 
ne  furent  plus  reconnues.  Le  nom  des  Aulerces  et 
celui  des  Cénomans  n'existèrent  point  en  Italie  depuis 
le  mojen  âge. 

César,  dans  ses  Commentaires ,  nous  parle  encore 
des  Atderces,  babitans  des  Gaules,  mais  ce  nom  ne 
se  rencontre  plus  dans  les  écrits  depuis  Ftolémée. 


1  "        II.       ' 


MEMOIRE 

Sur  les  Cénomans,  par  M»  Louis  de  Mcsset  ,  con*es- 

poodaot  ^e  la  Société. 

§  P'.  De  tous  les  auteurs  de  Tanliquité,  Césaresl 
le  premier  qui  nous  parle  des  'Cénomans.  Il  joint 
à  leur  nom  cellii  à'Aiderce  qu  il  donne  ^ux  Brano- 
vices ,  ou  BiHunwiiy  et  aux  EburoVices  ou  Eburohes, 
On  ne  lit  qU'une  seule  fois  dans  les  commentaires 
le  mot  cenomanis.  C'est  au  livre  7  de  bello  gàlUco. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  25 i 

Dum  hase  ad  Alesîam  geruntur,  GâlH ,  conciiio  princîpium 
îndicto  9  non  omnes  qui  arma  ferre  possent,  ut  censuit  Yercîn- 
getorix  9  eoDTocaDdos  statutint ,  sed  certum  numerutii  coîq^e 
ciritati  imperandum. . . .  Imperant^duis  aique  eorum  clieu- 
tibus*  • . .  Aulercls  Braaoyicibus  millia  X^XY. . . .  Nitiobri* 
gibus  quîna  millia;  Aulercls  Cenomanis  totîdem.  • . .  Aulercis 
Ëburonibus  (yel  )  Ëburoyicibus  trîna. 

Ce  que  César  dit  ailleurs  des  Aulerces  en  général 
ne  convient'pas  toujours  aux  Branoviens ,  cliens  dés 
Ëduens  ,  mais  peut  s'appliquer  aux  Eburovices 
comme  aux  Cénomans,  et  à  ceux-ci  comme  aux 
Diablintes  leurs  voisins.  Tout  porte  à  croire  que  ces 
trois  petiples formaient  une  confédération  à  rexeioiple 
des  Armoriques. 

Si^  en  consultant  nos  autetii^^  nous  suivons  un  ordre 
chronologique ,  il  faut  passer  de  César  à  Tite  -  Live 
pour  retrouver  le  nom  des  Cénomans. 

Tite^Iive  nous  apprend  que ,  Tan  de  Rome  564  9 
un  corps  considérable  de  ces  Gaulois  franchit  les 
Alpes,  sous  la  conduite  d'Elitovich ,  et  s'établit  dans 
la  contrée  qu'avaient  habitée  les  Libuii. 

•  f 

Alia  subiade  manos  Geoom^aorum ,  ElitOTio  duce^vestigia 
priorum  sequuta^  etc. 

Il  nous  les  montre  à  l'entrée  d'Annibal  restés  seuls  de 
tous  les  GauloisV  dans  Talliance  des  Romains. 

Duodeviginu  millia  Romani  erant^  sociûm  nominisque  latiai 
viginti;  auxilia  praeterea  Cenomanorum  :  ea  sola  in  fide  man- 
serat  Gallica  gens. 


2^2  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Il  nous  dit  qu'ensuite  ces  Géoomans  attaquèrent 
Plaisance  sous  la  conduite  d'Âmilcar  ;  qu'ils  se  ré- 
concilièrent avec  les  Romains  »  et  que,  dix  ans  après, 
ils  furent  privés  dé  leurs  armes  par  un  prêteur, 
mais  qu'elles  leur  furent  rendues  par  une  décision 
du  sénat. 

In  GaUia  M.  Furius  prœtor  insôntibus  Genomanis  in  pace 
speojem  belli  quœrens,  ademerat  arma.  Id  Genomani  con- 

questi  RopdSB  apud   senatum,  rejectique  ad  eonsulem 

arma  reddita  Genomanis. 

Strabon ,  contemporain  de  Tite-Live ,  parle  aussi 
des  colonies  du  peuple  cénoman.  Strabon  est  le  pre- 
mier  auteur  grec  che^  lequel  nous  trouvions  le 
mot  KevofjLccvo)  ;  et  il  faut  observer  que,  dans  la  des- 
cription de  la  Gaule ,  il  ne  fait  aucune  mention  ni 
des  Aulerces,  ni  des  Cénomans  qui  habitaient  sur 
les  bords  du  Loir,  de  THuisne  et  do  la  Sarthe.  H 
se  contante  de  dire  que  les  natifs  entre  la  Loire 
et  la  Seine  sont  les  unes  à  la  frontière  .des  Séqua- 
nois,  les  autres  à  celles  des  Àrvemiens.  Il  syoute 
que  ces  derniers  sont,  ainsi  que  les  Çarnutes,  les  plus 
illustres  entre  ceux  de  la  Lionoise. 

Un  tel  passage,  dans  un  auteur  aussi  exact,  aussi 
judicieux  que  Strabon,  nous  montre  que  les  Gaules 
étaient  alors  assez  mal  connues. 

Pline  le  Naturaliste,  mort  en  l'an  79  de  Tère 
chrétienne,  parle  des  Cénomans  au  livre  4 j  cha- 
pitre 18.   Nous  citons  ses  propres  termes  : 

Aulerci  qui  cognominati  Eburoyices  et  qui  Genomani. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  255 

Le  même  auteur  fait  aussi  mention  des  colonies  de 
cette  Bation  en  Italie^  et  il  ajoute^  lib.  III  : 

Auctor  est  Gato  ^  Genomanos  juxtà  Massilîam  habitasse  in 
Volscis.  . 

Le  géographe  Ptolémée,  qui  a  vécu  sous  l'empe- 
reur Adrien,  désigne  sous  le  nom, générique  d'An- 
lerces  les  Eburovices  (  Evreux  )  les  Diablintes  (  Ju- 
blains)  et  les  Cénomans  (le  Mans).  H  donne  le 
nom  de  la  principale  ville  des  Cénomans ,  et  l'ap- 
pelle cvLvhvovy  Vindinum.  Lib.  II,  Cap.  8.  Tabi.  5 
Europae. 

La  table,  dite  de  Peutinger^  porte  le  mot  suindi- 
nunty  ou  même  subdinum  f  au  lieu  de  celui  de  uin- 
dmum. 

Oo  lit  dans  la  notice  des  provinces  de  l'empire, 
cwitas  Cenomanorum.  Enfin ,  nous  trouvons  dans 
l'état  des  dignités  ée  Vem^ive,  purs  occidentalis,  ce 
passage  remarquable  : 

Prsefectus  lœtorum  gentilium  Suevorum,  Genomanos;  Lug- 
dunensîs  tertiœ. 

La  table  de  Peutinger  et  le  livre  de  Ptolémée  sont  les 
seuls  monumens  qui  désignent  d'une  manière  cer- 
taine, par  les  noms  de  suindinum,  subdinum  ou  vin- 
dinum y  la  ville  des  Cénomans.  (irégoire  de  Tours,  le 
plus  ancien  des  écrivains  qui  en  aient  parlé  depuis 
Théodose-leGrand,  la  nomme  toujours  wri^  Cenoma- 
nica  ,  ou  cwitas  Cenomanis  y  civitas  Cenomanorum. 
Ce  n'est  que  vers  lé  treizième  siècle  de  notre  ère. 


254  MÉMOIRBS  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

que  ces  différentes  expressions  se  traduisent  en  lan- 
gue vulgaire  par  le  Afans,  la  ville  du  Mans ,  et  qu'on 
trouve  aussi  le  Maine  ou  le  pajs  du  Maine . 

On  a  déposé  au  muséum  à  Paris  une  médaille 
trouvée  à  Alonnes-lès-Mans  ,  en  1788.  Sur  cette 
médaille,  quelques  personnes  ont  lu  Conomos;  d'au- 
tres lisent  Cenpmos  et  la  croient  propre  à  la  cité 
des  Cénomans.  On  assure  qu'il  a  existé  une  inscrip- 
tion qui  présentait  le  mot  senomani.  Ces  restes  de 
l'antiquité  ajouteraient  peu  de  choses  aux  connais- 
sances que  nous  procurent  les  textes  des  divers  au- 
teurs que  nous  venons  de  rapprocher. 

Les  Cénomans  étaient  séparés  des  Eburovices 
par  une  vaste  forêt,  nommée  dans  les  actes  du  moyen- 
âge  Salins  Perticus,  Ils  confinaient  vers  l'ouest  à 
la  cité  des  DiabHutes  et  à  celle  des  Àrvii  ;  du  coté 
de  l'est  aux  Gamutes ,  et  vers  le  sud  aux  Turones. 
Les  Cénomans  furent  compris  par  1^  Romains 
dans  la  métropole  de  Tours  ou  Cesarodunum,  et  ils 
eurent,  soit  avant /soit  depuis  la  conquête  desGauleS; 
des  rapports  assez  intimes  avec  les  cités  armoriques; 
ils  firent  cause  commune,  torsqu'elles  se  çévollè- 
rent  contre  les  oflSciers  de  l'empereur  Honorins. 
L'historien  Zozime  parle ,  au  livre  Vi ,  de  cette  ré- 
volte ,  dont  nous  ne  nous  arrêterons  point  à  faire 
conjiaitre  les  suites/ 

Les  Cénomans  avaient  pour  la  majeure  partie 
embraçsé  la  religion  chrétienne ,  lorsque  Renomer, 
avec  un  corps  de  Francs,  occupait  leur  cité  et  se  di- 
sait roi.  L'historien  Mezerai  conjecture  qu'il  pou- 


DES    ÂNX1QUAIU£S  ]>£  FKAljiCJ:.  255 

vail  éire  ^Is  de  Mérovée.  Quoi  qu'il  en  soit ,  Glovis 
était  plus  puissant  que  ce  Benemer  >  et  trop  jaloux 
de  Fautorité  souveraine  pour  consentir  à  la  partager 
avec  personne.  U  fit. périr  ce  Renomer  avec  Rag^ 
nachaire  son  frère ,  et  s'empara  des  trésors  de  ces 
princes  ;  qu'il  immolait  à  sa  politique. 

FueruDt  autem  Ragnacharîus  et  Rîcbarîus  supràdictî  reges^ 
propînqùi  Inijus^  quorutn  frater  Regoomerfs  nomine^  apud 
Cenoinanis  cÎTitatem  ex  jassu  Ghlodoyechi  interfeetas  est  : 
quibùs  mortuift^  omae  regnuin  et  thesauros  Ghlodovechus 
accepit^  interfectîsque  et  aliîs  multis  regibus  Tel  parentibus 
suis  prîmis,  de  quibus  zêlum  babebat ,  ne  ei  regaum  auferrent, 
regnum  suum  per  totas  Gallîas  dilatavit. 

Grego,  TurS'Hist,  F.  Lib,  a. 

L6  meurtre  de  Renomer  excita  quelques  rumeurs 

qui  furent  bientôt  iippaisées.  Depuis  cette  époque, 

les   Génomans    ou  Manceaux  paraissent  avoir  été 

le   plus  ordinaireoient  dans*  le  partage  du  roi  qui 

était  le  maitre  de  Paris.  Sous  la  fin  de  la  seconde 

race  ils  étaient  soumis  au  duc  de  France  qui  leur 

nommait  un  comte ,  ou  avait  du  moins  une  grande 

iufiueace  sur  la  nonûnation  de  cet  officier.  Depuis 

Hngues^jê^et ,  ce  comte  de  la  Cénomanie  devint 

souverain ,  sous  la  suzeraineté  des  rois  de  France, 

iAiais.il  trouva  dans  les  comtes  d'Anjou  et  les  ducs 

de  Normandie  des  voisins  trop  redoutables.  Le  Maine 

était  avec  la  Normandie  et  l'Anjou,  etc.  ,  dans  la 

u^in  du  roi  d'Anglelerre,  Jean-sans-Terre /lorsque 

Philippe  Âxiguste  réunit  toutes  ces  provinces  à  sa 

couronne. 


^66  HÉHOIRBS  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROTAtS 

g  II«  Monumens  anciens. — La  cité  du  Mans  est 
bâtie  sur  une  colline  que  baigne  d'un  côté  la  riyiëre 
de  Sarthe^  et  qui  de  Tautre  côté  est  bornée  par 
une  petite  vallée  ouverte  du  nord-«st .  à  Fouest.  La 
rivière  de  l'Huisne  courant  à  peu  près  dans  la  même 
direction ,  et  au  moins  à  unejieue  desmurs  de  la  cité, 
va  se  réunir  à  la  Sarthe,  au  lieu  uommé  Bouche 
VHuisne ,  et  tout  à  l'extrémité  de  la  colline  sur  la- 
quelle nous  avons  dit  que  la  cité  est  bâtie.  La  ville 
entière  se  compose  du  quartier  ou  faubourg  Saint- 
Jéan  et  du  Pré,  situé  sur  la  rive  gauche  de  laSarthé, 
du  faubourg  de  la  Couture ,  place  des  halles ,  et  de 
l'Eperon  et  du  quartier  des  arènes,  etc.  Les  halles  sont 
placées  sur  une  éminence ,  entre  la  cité  et  l'abbaye 
de  la  Couture;  les  arènes  sont  sur  une  autre )émi- 
nence  au  nord-nord-est  de  la  place  des  halles>  et  à 
l'est  de  la  cité. 

Il  parait  que  la  colline  sur  laquelle  cette  cité  a  été 
bâtie  avait  été  consacrée  au  culte  druidique,  et 
nous  en  conclurons  que  les  Cénomans,  qui  venaient 
pour  adorer  Esus  ou  l'Eternel,  n'y  faisaient  pas  leur 
demeure  avant  la  conquête.  Les  Romains  s'emparè- 
rent de  ce  poste  entre  deux  rivières  assez  considéra- 
bles; les  éminences  dont  nous  avons  parlé  leur  rappe- 
laient une  faible  image  des  montagnes  de  Rome.  Os 
firent  une  citadelle  de  l'enceinte  consacrée  au  culte 
du  peuple  vaincu  ;  ils  construisirent  un  cirque,  des 
arènes  à  l'opposite  de  la  citadelle.  Les* Gaulois  ha- 
bitèrent au  pied  de  la  montagne  principale.  Lorsque 
les  Cénomans  eurent  reçu  la  foi  chrétienne,   on 


pUçaries  objets  du  nouveau  culte  dlans  le  lieu  même 
ou  l0S  ai^oiens  les  avaient  adorés  >  et  on  fixa  Ja  sé-^ 
polttjve  '  des  chrétens  sur  là  rive  gauche  de  la  Sar- 
the  (qoaartiér  Siîa^*Jeao).  En  bâtissaorC  Téglise  pnu- 
cipale  dans  la  cité ,  on  n'en  fit  p  as  disparaître  les  mo- 
Dumens  druidiques  que  les  fitmiains  y  avaient  laissé 
subsister.  Il  existait  >  il  y  a  environ  tr^te  ans>  deux 
vastes  tables  de  pierre^  près  de  la  porte  de  laça**- 
thédrale^  en  face  de  k  grande  rue.  Ces  deux  tables 
étaient  nMàmées  pien^es  au  hîL  On  remarque  en- 
core ,  dans  un  angle  de  la  cathédrale;  en  y  entrant  ' 
par  la  grande  porté ,  une  -  pieire  en  forme  de  cône 
aplati  :  elle  a  1 4  pieds  de  hauteur ,  sur  4  de  largeur. 

Dans  plusieurs  églises  des  campagnes  ^  il  se  trouve 
de  même ,  à  Tencoignure ,  vers  la  porte  d'entrée , 
d'énormes  pierres  plates  et  non  taillées.  Elles  sont 
enclavées  dans  le  mur  et  en  forment  la  première  ^as^ 
sise.  Il  m'a  semblé  que  quelques-unes  de  ces  pieti^s 
avaéent  été  des  autels  anciens. 

Hn'j  apasde  doute  que  lespierresqti'on  voit  i^'sur 
le  ebetnia  de  Conneré  à  Dolon^  2®  dans  la  commune 
de  C»ans;  3^  près  de  Vouvray  >  sur  l'Huisne ,  4**  à* 
l'entrée  de  Torcé^  5®  dans  la  lande  des  Moirons^ 
6®  dans  celle  de  Saint^Mars^  li'aient  été  élevées  par 
les  Celtes  et  n'aient  servi  à  leur  culte;  Ce  culte,  sui- 
vant la  remarqua  du  savant  bénédictin  Jacques Mar- 
^     tin  (  Religion  des  Gaulois^  2  vol.  in-4^  ),  a  beaucoup 
d^leonformité  avec  celui  que  lés  Phéniciens  et  les 
Carthaginois  rendaient  à  la  divinité.  ^* 

IV.  17 


\  - 


• 

J'iodiquerai  encore ,  comme'  monum^s  de J'aUt 
cienne  religioo  des  Celtes^  les  tumiUi  qtii  se  trouvent 
efi  plusieurs  endroitsdu  Maine.  Il  eo  existe  deux  dans 
rarrpodissemeotde  Saiat-Galais  y  l'ua  aïKX  sources  de 
l'Anille^  l'autre  entre  Ruillé  et  Yaqcé,  aulieiuiomiaé 
la  Vallée  qwc  Termawf^  Oo  a  defNoia  peu^  cremé 
à  la  base  de  oes  deux  tumulij  la  t^rre  s'est  tr^?^ 
assez  compacte  pour  y  pratiquer  une  espèce  dc^  ça* 
veau.  Ëa  faisant  cette  fouille^  oa  u'a  trouvé  aucup 
vestige  d'aptiquité.  J'ai  remarqué  d'auti^s  éwiaeQgi9^> 
ou  buttes ,  formées  à  mains  d'bomme&  daas  des  enn 
ceintes  ou  l'on  sait  qu'il  a  été  établi  ,des  postes,  mi  - 
litaires,  comme àla  Ghartre  et  i.Nogeiit-sur-le  Loir, 
à  Poncé  y  à  Rossaj ,  à  Mootjoiet  C'est  sur  C4^s  buttes 
qu'étiaient  élevées  les  tours  principales  >  le  danjfOgi. 
Il  est  faciLe  de  le  reconnaître^  lorsque  le  donj^n  était 
empierre»  comme  à  Poncé  ;  mai;»  quelquefois  i|  éfu^i 
en  charpente  ;  et^  quand  il  a  été  déta^mt^  il  n'en  fst 
resté  aucun  vestige  ;  c'est  ce  qui  peut  faire  cpnfoiMJbe. 
ces  sortes  de  baltes  avec  les  véritable;»  Ui^iUin  On 
s^pdUle  merci:  ou  mère  de  choie l,  le  Heii  élevé  sur 
lequel  est.  ou  la  demeure  du  se^neur>  ou  le  gibet  de 
sa  justice. 

M-  Maulmj;  membre  de  la  Société  d^s  ajvte  et 
sciences  au  MaQS>  a  donné  sur  les  mainrhirion  ou 
pierres  élevées ,  memi-gvir  ou  hommes  .piliers  qii.'ai> 
rencontre  dans  le  Maine.  >  un  méwm^  qïiie  Tan  de 
ses  collègues^  9f.  Renouard^  a  fait impiimev  dips 
l'Annifeire  de  la  Sarthe  pour  l'an  xi» 


DJSS  AKÏIQDUtlRlïS  D^  FRANCE.  25q 

Ob  Joit  ftu  même  M.  Renooard  des  observations 
SQF  le  culte  des  arbres  et  fontaines  dans  les  dépar- 
temans  de  la  Sartlte  et  de  la  Mayenne. 

J5.  Mœurs  et  usages.  —  L'usage  dé  célébrer  avec 
pompe  la  fête  de  Noël,  de  poser,  vers  la  fin  du  jour, 
dans  le  foyer,  le  tréfaux  oub'uche  de  Noël,  de  chan- 
ter pendant  plusieurs  soirées  avant  cette  fête  No.,. 
No!  celui  de  faire  des  quêtes  pour  les  églises  ]pen- 
dant  les  premiers  jours  de  Tannée;  tous  ces  usages 
tiennent  aux  habitudes  anciennes  des  Celtes.  Les 
quêtes  doïit  nous  parlons  se  nomment  les  quêtes  d^jéu 
gui  tan  neuf. 

Œaque  bourg  ou  village  a  eu  et  quelques-  uns 
conservent  encore  leurs  fêtesou  jours  de  réjouissances 
particulières.  Ici,  avant  le  carême,  on  tire  Toiseau; 
là,  dans  la  semaine  de  Pâques,  onfaîtsàuter  âuxnou- 
veâux  Mariés  un  ruisseau  ;  on  jette,  avec  certaines 
cérémonies,  des  bouquets  de  primevère  ;  on  brise  des 
lances,  ou  Ton  s*exerce  à  là  course.  La  danse  de  la 
biche  ou  bidoche  est  cotmùe  dans  tout  le  Maine  ainsi 
que  dans- lés  provinces  voisines.  Au  Mans,  pendant 
les  jours  du  carnaval,  le  rendez- vous  des  masques 
hors  de  la  ville ,  dans  un  bois  de  sapin ,  parait  être 
un  usage  fort  ancien,  ainsi  que  la  procession  des 
lanciers  qui  se  faisait  dans  la  semaine  sainte. 

Au  premier  jour  de  mai,  on  élève  dès  arbres,  ou 
an  moins  on  pose  des  branchés  à  la  porte  des  mai- 
sons. 

Dans  ce  même  mois,  on  s'exerce  à  tirer;  avec  des 

»7* 


2G0  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

armes  à  feo ,  à  la  cible.  La  cible  ou  bot  a  retepu  le 
nom  de  pavois. 

Le  {liremier  dimanche  de  carême^  on  fait  à  la  fin 
du  j  OUF;  BYtc  des  douelles ,  sur  des  eusses  ou  poinçons 
vides ,  une  espèce  de  charivai'i  qui,  entendu  de  loin  > 
ressemble  au  bruit  d'une  meute  qui  chasse*  On  se  pro- 
pose d'éloigner  ainsi  les  171  u/o^^  des  champs  ^  ou  plu- 
tôt on  annonce  l'ouverture  des  travaux  de  la  cam- 
pagne^ comme  au  temps  des  semailles  on  en  annonce 
la  fin  f  en  faisant  demander  à  la  fermière^  par  le  la- 
boureur ,  qu'elle  coppe  le  cou  au  çpq,  et  qu'elle  fasse 
de  cet  és^eille-matin  un  ragoût,  parce,  que  les  labou- 
rages sont  terminés. 

Autrefois  ;  au  commencement  du  carême^  ou  par- 
courait la  campagne  y  portant,  au  bout  de  lox^ues 
perches ,  de  petites  bottes  de  paille  auxquelles  on 
mettait  le  feu.  La  police  a  défendu  ces  réjouissances 
connues  sous  le  nom  de  fête  des  brandons  ;  elle  a 
défendu  également  les  feux  de  la  Saint-Jean  d'été. 

Pçndantla  moisson  des  grains  de  mars  où  de  prin^ 
temps,  les  moissonneurs  chantent  en  chœur  des  chan- 
sons ,  dont  le  refrain  est  au  bois  ,  joli  bois ,  oh  !  je 
m'en  ms.  On  se  plaint  dans  ces  chansons  de  là  cha- 
leur du  jour  ^  et  on  invite  la  ménagère  à  donner  des 
rafraichissemens  à  ses  ouvriers. 

Le  christianisme  n'a  point  fait  perdre  au  peuple  la 
crainte  des  sorciers  et  sorcières  qui  tourmentait  nos 
Gaulois.  Partout  des  spectres  blancs,  des  loups^a- 
roux,  des  revenans.  Les  anciens habitans  connaissent 
tous  les  carrefours  où  se  fait  le  sabbat.  On  raconte 


DES  ANtlQUÂl&£$  DE  FRANCE.  26r 

aux  îetiDes  gens^  pendant  les  longues  soirées  <ïbiver, 
de  merveilleases  aventures  de  magiciens  «t  de  soiS- 
ciers  ;  il  se  trouve  même  des  gens  qui  se  donnent 
comme  ayant  le  don  de  prédii^e  Favenir ,  de  décou- 
vrir les  choses  cachées^  de  détruire  l'effet  des  charmes 
et  des  sortilèges.  Jamais  ces  charlatans  n'ont  été  si 
hardis,ni  en  si  grand  nombre^  que  petidan t  que  Texer- 
cice  de  toute  religion  était  comme  interdit  et  que  la 
décade  avait  remplacé  le  dimanche^  / 

§•  4.  Traditions.  —  On  a  dit  ei  répété ,  sur  la  foi 
de  quelques  vieiUçs  chroniques ,  que  Sàmothès  y  roi 
des  Gaules^  eut>un  fils  nommé  Sarvon  ou  Sarlèron , 
etuque  cefils  fut  le  fondateur  d'énè  ville  sur  la  Sarre 
ou  Sarthe.  Un  passage  de  Bérose  sert  de  texte  atout 
ce  qui  en  a  été  débité. 

RegoaTÎt  apud  GelUs  î^rrotij  etc. 

Où  a  prétendu  que  la  ville  de  Sarron  fut  détruite  , 
par  les  druides  et  les  Sarrhonides ,  et  rebâtie  par  un 
autre  roi  des  Gaules^  nommé  Lemanus,  qui  luidoûQ^ 
son  nom.  On  cite  encore  un  passage  d^un  auteur  anr , 
cien  pour  autoriser  cette  tradition.  On  a  lu  dans  Ma- 
nethon  : 

RégoaTÎt  apud  Celtas  Lemanus. 

Un  chanoine  de  Bergame  a  été  plus  loin>  et  a  in* 
venté  un  personnage  qu'il  appelle  Cidnus ,  et  il  eu 
fait  sortir  les  Cidnomans;  puis  les  Génomaiis^  établis 
en  Italie. 


\ 


262  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIETE  ROYAIC 

D'autres  supposent  uoe  alliance  enl^ljss  Lemanois 
et  les  S emnoiSi  et  de  cette  fiance  sortent  les  Se^ 
nomni  >  ou  Génomans. 

.  On  a  fait  remonter  au  temps  des  premiers  disciples 
de^  apôtres  la  mission  de  saint  Julien  dans  le  Maine, 
et  on  a  supposé  que  ce  saint  fut  eontempcnrain  d'un 
DefensoVf  roi  du  Mans.  BaiUet  a  débtiit.  cette  fable 
que  Bondonnet  accusait  rfaistorien  (1)  dés  évéques 
du  Mans  de  n'avoir  pas  respectée  comme  uhe  tradi- 
tion ancienne. 

La  f  atbédi:ale  >  dédiée  d'abord  à  là  Vierge ,  et 
maintenant  àsaint  Julien  ^  l'a  été  pendant  long-temps 
aux  martyrs  saintGervais  et  saint  IVotais,  protecteurs 
de  Milan.  En  dédiant  à  ces  saints  une  égJUse  dans  la 
Celtique  ^  on  se  rappelait  que  les  Aulerc^s  y  et  en  par- 
ticulier les  Génomans,  avaient  fait  de  grands  établis- 
semens  au-delà  des  Alpes.  Un  évéque  du  Mans,  con- 
temporain de  Glovis  et  de  Childebert,  écrit  à  Farche- 
vêque  4^  Milan  pour  le  remercier  de  loi  avoir  en vojé 
d§s  reliques  des  saints  martyrs^  et  lui  dit  : 

'  Ddiitum  etblvisti.  Si  enîm  longîus  qusesîeTeris^  tu  nobis 
DMfKM  GeDomaQos  martyros  reddere  debuisti. 

§.6.  Langue  des  anciens  habitans  du  i^fa^/^e.— Nos 

recherches  à  cet  égard  sontencorç  peuJip^nbreuses  ; 

nous  nous  bornerons  à  indiquer  quelques  mots,  tels 

que  :  aguilaneuf  $  anuit  ;  buée  ;  butle  ;  borde  ;  barre, 

ou  siège  d^une  justice;  cour,  id.  ;  courlil,  oùche^ 

(1)  Le  Corvaisier. 


1>W  ANTlQi  AIR£S  DE  FKANAS.  263 

OU  jai^fû ,  cochelin^  carquelin  (sorte  de  gâteau^;  ba*^ 
ratte  ;  baratté  )  trinc ,  (Hi  pelit4aît  ;  bique  polir  chetré; 
éeelter  (couper  le  bout  de  l'aile)  ;  duit^  ou  fps$e  ; 
ebintre;  piaterné;  ^ât^  ;  gareette  ;  faquelin  ;  hardelle  ; 
troëS)  ou  trogne  ;  Tantier;  habergement. 


RECHERCHES 

Sur  le  pays  des  Unelli  et  sur  les  yilles  qui  y  ont  existé  sous 
la  dotbination  romaine  ;  par  M.  de  Gbbtiiab  f  correspondant 
de  la  Société.        *  • 

ni  LA,  dernière  réuDion  de  la'  Société  ;  lorsque  je 
vous  donnai  lecture  d'une  notice  sur  le  camp  ro- 
main deMontcastre ,  je  prétendis  que  le  caiiip  de 
Sabinus ,  lieutenant  de  César  dans  le  pàjs  destFnélK, 
ne  pouvait  se  retrouver  ailleurs  que  dans  leCoteiitin, 
parce  qu'il  était  reconnu  que  les  Z/zie/// aVaient  ha- 
bité cette  partie  de  notre  département. 

En  faisant  des  recherches  pour  prouver  cette  as- 
sertion ,  j'ai  eu  occasion  de  remarquer  un  accord 
extraordinaire  sur  ce  point  eiitre  nos  plus  savans 
critiques  en  géographie  ancienne. 

Mais  cette  unifoi'aiité  ^  si  concluante  sur  le  paya 
qu'occupaient  les.  £^/2e///>disparaît  entièrement  qutfcid  * 
il  s'agit  de  fixer  la  position  des  villes  qui  existaient 
chez  eux  sous  l'empire  romain.  Lltinéraire  d*Aiito- 


26/|  MKUOmES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROY AtE 

nio  en  iàdique  deux';  Alauna  ou  Alaumum  et 
Cosediœ.  La  lable  théodosienne ,  connuèsous  le  nom 
db  Peutinger^  en  ajoute  deux  autres,  Coriallfmi  et 
Cronciaconnum,  qui  est  évidemment  le  Cronciatonûhi 
de  Ptolomée;  J'ai  voulu  voir  quelle  situation  leabons 
géographes  donnaient  a  ces  villes.  J'ai  trouvé  pres- 
que autant  de  sentimensque  d'auteurs  différens,  sur- 
tout dans  le  siècle  qui  vient  de  s'écouler.  Je  me  pro- 
'pose  aujourd'hui  de  donner  à  la  Société  un  précis 
de  ces  différentes  opinions  ^  après  quoi  j'essaierai 
d'en  faire  l'examen.  Je  crois  qu'il  sera  nécessaire  de 
faire  précéder  cette  recherche  par  un  aperçu  des 
raisons  qui  ont  fixé  la  position  desUnelli  dans  le  Go- 
tentin. 

Àla  fin  du  seizième  siècle,  Ortelius^  dans  une  carte 
de  la  Gaule  destinée  à  figurer  à  la  tête  des  Com- 
mentaires de  César ,  mit  les  Unelli  entre  le  Maine  et 
laTouraine.  Lesfanieux  graveurs  Blaeu  copièrent  la 
carte  d'Ortelius ,  mênîe  dans  l'édition  de  leur  grand 
Atlas,  faite  en  16^0.  La  simple  lecture  des  livres  II 
et  VII  des  Commentaires  de  César  prouve  l'erreur  de 
ces  géographes  jusqu'à  là  dernière  évidence  (1). 

\ 
(1)  Voici  lés  passages  de  César  qui  prouvent  que  les  Unelli 
habitaient  le  bord  de  la  mer.  Miserai  ad  Yenetos ,  Uaellos  et 
qu8B  sunt  marîtimiB  civitates  Oceanumque  attingunt.  De  Bell 
Gall.,  Lir.  II.'  xxxiy.  Unirersis  cÎYÎtatîbus  quae  Oceanum  attin- 
gunt quœque  eorùm  consuetudine  Armorie»  appdlIaQtar^  q«» 
suDt'jtt  numéro  Unelli,  id,  Liv.  VII 9  7^. 
Hardouip  et  Adrien-de^Valois,  quoique  contraires  à  SaasoQi 


DES  ANTIQUAIRBS  OS  TRÂNCB.  265 

An coiumencementdu  siècle  suivant,  Nièolas Sausoa 
«  entreprit  de  défricher  dans  la  Gaule  le  champ  de 
«  la  géographie  presque  inculte  avant  lui.  »  Il  plaça 
les  Uoelli dans  le  Gotentin.  Son :opinion,  faiblement 
combattue  par  Adrien  de  Valois  et  le  père  Hardouin, 
fut  adoptée  même  par  le  père  Labbe,  maigre  ses  dé- 
mêlés avec  Sanson.  Nicolas*,  Guillaume^  et  Adrien 
SaDson ,  héritiers  de  la  fortune,  des  travaux,  des  con- 
naissances et  d  une  partie  du  génie  de  leur  père,  sui- 
virent et  défendirent  son  sentiment  ainsi  que  Pierre 
Moollart  son  petit-fil^.  Le  père  Briet  et  Cluver  se 
rangèrent  du  même  parti.  Gellarius,  dans  son  ex- 
cellente notice,  et  Nolin,  en  1 7 14>  s'y  joignirent  aussi. 
Don  Bouquet  donna ,  en  1739,  dans  sa  Collection, 
une  carte  de  Gaulé  rédigée  par  Gilles  Robert,  sur  les 
observations  de  Tabbé  Le  Bœuf;  elle  est  entièrement 
conforme  aux  précédentes,pour  ce  qui  regarde  le  pays 
des  Unelli.  Robert  de  Vaugondy,  en  1765,  suivit  Topi- 
nionde  son  père.  L'abbé  Bélley,  en  i756,dans  un  "mé- 
moire où  il  combat  le  sentiment  des  Sanson  relative- 
ment à  quelques  positions ,  est  d*accord  avec  eux  sur 
celle  des  Unelli ,  ainsi  que  d'Anville ,  dans  une 
carte  de  la  Gaule  insérée,  en  1/45,  dans  le  douzième 

ont  jagë  qu'il  fallait  chercher  les  Unelli  aa  bdrd  de  la  mer; 
ils  lès  ont  reportés  jusqu'à  rextrémité  de  la  Bretagne ,  vers 
Qaimper,  patrie  du  P.  Hardouin.  Leur  sentiment  n'a  pas  été, 
suivi,  mais  il  a  pu  élever  assez  de  doute  sur  celui  des  Sauson 
daus  le  1 7®  siècle ,  pour  que  l'éditeur  des  commentaires  de 
César,  ad  usum  Delphini ,  ait  dit,  en  parlant  des  Unelli, 
i^nopantur. 


^66  MÉMOIRES  DE  LÀ  SOCIÉT]^    ROYALE 

Volome  de  THistoire  iromaine  continuée  par  Creyier; 
et  dans  sa  notice  publiée  en  1760.  La  découverte  des 
ruines  d'une  ville  romaine  à  Àlleaume  avait  paru  à 
ces  savans  concluante  en  faveur  de  Topinion  de  Ni- 
colas Sanson  qui  avait  déterminé  ce  point  important 
sans  le  même  secours.  J'ose  prétendre  que,  si  lé  camp 
de  Montcastre  est  le  seul  que  Sabinus  ait  pu  occuper, 
sa  découverte  doit  être  encore  plus  décisive  ;  car  lès 
savans  qui  s'accordent  à  regarderie  Gotentin  comme 
le  pays  des  Unêlli^  diffèrent  exttaordinairement  les 
lins  avec  les  autres  quand  il  s'agit  seulement  de  sa- 
voir si  Foucault,  en  1696,  a  découvert  les  ruines 
èiAlauna  ou  celles  de  CrociatoHum . 

En  effet,  quelles  raisons  pouvaient  faire  incliner  à 
croire  Tun  plutôt  que  l'autre,  si  on  ne  convenait  pas 
que  Sanson  avait  eu  raison  de  placer  les  Unelli  dans  le 
Gotentin?  Ne  pouvait-on  pas  même  rejeter  les  deux 
opinions,  si  on.  n'admettait  pas  celle  de  Sanson  ?  Sans 
doute  les  ruines  d' Alleaume  annoncent  l'emplace- 
ment d'une  ville,  et  d'une  ville  romaine .  Mais  quelles 
dimensions  devait  avoir  ou  ^launa  ou   O*ociat0' 

» 

num  ?.  aucune  qu'on  puisse  poser  en  principe ,  pen- 
dant que  l'espace  requis  pour  un  camp  romain  est 
d^  rigueur  en  proportion  du  nombre  des  troupes  qui 
y  ontcampé  ^  pendatit  qu'il  est  à  pcfu  près  impossible 
de  rencontrer  ailleurs  un  secoild  oamp  à  la  diâlaticë 
indiquée  par  César  pour  celui  dés  Gaulois. 

Maïs,  diï^ar-t-on ,  les  distances  malrquées  dam  la 
table  théodosienne  et  dans  l'Itinéraire  d'Antoniti  peu- 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  àdj 

venl déterminer  là  positipii  respective  de  ces  deux 
villes}  cW  Ce  que  je  vais  essayer  d'examioér. 

Panni  les  auteurs  qui  ont  entrepris  d'indiquer  l^s 
lieux  où  existaient  les  villes  et  les  station^  romaines 
dans  le  Gotentin ,  je  vois  quatre  Opinions  enîte  les- 
quelles les  sa  vans  se  sont  partagés.  Nicolas  Sanson 
place  Alaunà  à  AUeaùme  ^  Coriailum  à  Cherbourg  ^ 
Cosediœ  et  Constantia  à  Goutances,  et  Crociatonum 
àCarentan.  Sa  carte  de  1627  avec  le  traité  qui  y  est 
joint,  celle  de  i€4i ,  ses  notesi  à  la  tétè  de  la  traduc- 
tion de  Gés^r  par  d'Ablan court  en  font  foi,  et  d*ail- 
leurs  personne  n'en  doute. 

Son  opinion ,  malgré  les  difficultés  que  présente 
la  distance  enire  Carentan  et  Âlleaume^  qui  ne  ré- 
pond pas  à  celle  que  marique  la  Table  de  Peutinger 
entre  Crociatonum  et  Jilauna,  fut  adoptée  àpeb  près 
généralement  par  les  meilleurs  géographes  auxquels 
il  faut  joindre  Foucault ,  qui  fit  faire  les  fouilles 
d'Alleaume  en  1696  ^le  savant  jésuite  qui  les  dirigea 
(le  père  Dunod),  et  don  Bernard  de  Montfaucon  qui 
a  donné  le  dessin  du  théâtre  à^Alaana ,  dans  le  troi- 
sième volume  de  rAntiquité  expliquée. 

En  1739, lorsque  don  Bouquet  fit  exécuter  la  carte 
dont  nous  avons  parlé ,  carte  conforme  à  celle  de 
Sanson,  au  moins  pour  ce  qui  concerne  notre  pays, 
il  s'appuya  encore  de  Tautorité  de  Tabbé  Le  Bœuf. 
Cepchi<lant,  en  1747?  Le  Boeuf  avait  changé  d'io- 
dée relativement  à  Cwciatonurriy  qu'il  reporta  de 
Carentan  à  Cons^ains,  près  de  Saint -Lô.  ' 

D'Anville ,  deux  ans  plus  tôt,  avait  donné  Texem- 


UGS  MEMOIRES  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

pie  de  ne  pas  croire  comme  Sanson  ;  il  avait  marqaé 
dans  sa  carte  pour  Thistoire  romaine^  Crociatonum 
àÂlleaume.  Il  est  évident  que  ces  deux  savans  ne  s'é- 
taient pas  concertés. . 

En  1756;  au  mois  de  juillet,  dans  un  mémoire  lu 
à  rAcadémie  des  Inscriptions,  Tabbé  fielley  com- 
battit Topinion  des  Sanson  et  celle  de  Le  Bœuf; 
il  prétendit  prouver,  par  les  distances  itinéraires,  que 
Crociatonum  avait  existé  à  Àlleaume,  et  o^Alauna , 
qu'il  supposait  avoir  été  un  port  de  mer,  avait  été  aux 
Moitiçrs  d'Alonne^  proche  Garteret.  Il  laissa  encore 
aux  Sanson  la  position  de  Cosediœ,  à  Goutances,  et 
celle  de  Coriallum  à  Cherbourg.         . 

Quatre  ans  plus  tard  ,  le  célèbre  d'Anvilleipit  au 
jour  sà  Notice  de  la  Gaule;  Crociatonum  ,  suivant 
lui,  devait  rester  à  Alleaume,  et  Alauna  auxMoiliers 
d'Alonne  :  il  enleva  en  outre  Coriallum  k  Gberbeurgy 
à  Goutances  Cosediœ^  et  Legedia  à  A vrancbes ,  pour 
reléguer  la  position  de  ces  trois^  villes  dans,  des ,  vil- 
lages qui,  tous  ensemble,  n'ont  présenté  aucune  an- 
tiquité romaine .  Coriallum  fut  placé  par  lui  à  Gouij 
à  la  pointe  delà  Hague ,  (M9^e^i^  à  Montgardpn  > . 
Legedia  à  Lingreville.  Constantia^  qu'on  avait  tou- 
jours cru, être  un  nom  plus  nouveau  de  Cosediœ^  fut, 
selon  lui ,  une  ville  toute  différente  et  qui  en  étgiit 
fortélçignée.. 

La  juste  célébrité  de  ;  d*  An  ville  entraîna  presque 
tous  les  suffrages.  Cependant.  Belley  crut  devoir 
persister  dans  son  sentiment  ;  il  Tappuja  par  un  mé- 
moire, très-détaillé  et  rempli  d'érudition.  CesaYant, 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCK.  ^^69 

pour  procéder  avec  plus  dé  clarté  ,  cotnmence  par 
donner  uo  détail  des  meilleures  éditions  ou  des  ma* 
nuscrits  de  la  Table  théodosienne  et  de  ritioéraire. 
Il  pose  en  principe  que  «  les  voies  romaines  passaient 
«  par  les  cilles  capitales  des  peuples ,  et  qu'elles  se 
«  comptaient  en  partant  des  villes  qui  dominaient  stir 
tun  territoire.  »  Il  ajoute  un  autre  principe  fondé 
sur  ses  propres  recherches  y  sur  les  observations  de 
Melot;  un  des  plus  savans  académiciens  du  dernier 
siècle^etsur  celles  de  d'Anville  ;  c'est  que  les  lettres 
M.  P.,  dans  la  Gaule  celtique,  signifient  des  lieues 
gauloises  de  1 1 34  toises  chacune.  «  Le  nombre  de  ces 
«  lieues  ^  ajoute-t  il ,  n*est  jamais  entièrement  de  ri- 
«  gueur,  c'est-à-dire,  qu'on  ne  compte  jamais  q'uelcs 
«  lieues  complètes ,  de  sorte  que  Texcédant  fait  soa- 
«  vent  près  d'une  lieue  plus  qu'on  ne  marque  réelle- 
«  ment.  »  Ces  principes  n'ont  point  été  contestés. 

Le  lieu  où  commencé  la  route  est  représenté  (dit- 
il)  comme  une  place  maritime;  il  en  conclut  que 
c'est  Âlonne  qui  a  conservé  son  nom  sans  altération. 
Il  est  près  du  port  de  Bameville{  i),  lieu  d'enabarque- 
ment ,  suivant  lui ,  pour  Jersey  et  pour  Guernesey, 
Telle  est  l'opinion  de  l'abbé  Bell ey  relativement  à 
Alauna  :  nous  verrons  bientôt  comment  il  la  prouve. 
Il  place  Cosediœ  à  Coutances,  et  en  cela  il 
s'accorde  avec  tous  les  géographes,  excepté  d'An- 

(i)  Àe  crois  que  c'est  pftr  érreurquè  BeHey  cite  le  port 
deBaroeville;  on  ny  eonoait  pas'dieport  de  ce  nom^  Port^bail^ 
dont  unie  partie  aa  mcrtns  dut  Qom  est  romaiDc,  a  toulofirs  été 
le  vrai  port  pour  passer  à  Jersey  et  à  Guemesey. 


2^0  IIEHOIHES  DE  tX  SOCIEli  ROTAtE 

ville  4oDt  Topioion  conVteàre  ne  lui  semble  pds  âsse^ 
prouvée.  U  s'accorde  avec  le  inême  (  contre  le  sen-' 
timent  le  plus  généralement  reçu  )  pour  soutenir  qud 
'  ce  furent  les  ruines  de  Crociaêonum  et  non  celles 
à'Alaumii  que  Foucauk  décOHvrit  à  .âdleauaie 
en  1696. 

Tçl  est  le  précis  des  principales  opinions  sur  la  po^^ 
sition  de$  vilies  roiniaines  dans  le  Gotentin  qui  se 
trouvant  indiquées  par  l'Itinéraire  d'Antonin  et  la 
Table  d^Peutinger.  La  partie  lapins  difficile  de  ma 
tâcbo^me  reste  à  rempUr ,  c'est  d'examiner  et  de  dis** 
cuter  ces  mêmes  opinions*  Une  seule  peut  être  juste, 
car  la  vérité  est  une  ;  on  bien  il  peut  se  faire  qu'elles 
soient  toutes  plus  ou  moins  défectueuses ,  il  n'jr  a 
point  de  milieu. 

I^icolas  Sanson^  en  plaçant  Cosediœ  à  Goutances, 
et  en  supposant  que  Constantia  est  un  nom  posté- 
rieur de  la  même  ville,  a  pour  lui  tous  les  suffrages, 
hormis  celui  de  d'AnvilIe.La  position  de  cette  ville 

me  paraitsolideKieiit  établie  par  l'abbé  Belle j,  quoi- 
qu'il n^  soit'pas  d'accord  avec  Sanson  sur  celle  d'^- 
iQima  ;  la  raison  de  cette  conformité  vient  de  ce  que 
la  distance  est  à  peu  près  la  même  des  Moitiers  d'A- 
lonne,  oude  Yalognes  à  Goutaïîces  (1).  Les  distances 
de  l'Itinéraire  d' Antonin'^  d'après  toutes  les  éditions 
etj^s  quatre  manuscrits  que  cite  l'abbeBellej^cadreot 

(1)  J»a  diataoce  parait  uop^u^pltfs  longue  éerVatogaesâ  Çoo- 
taDçea  ;  n^ais  si  l'on  xA^esir^  <|He  eiHI^<i!Oil€e  eK  eattrêmeaeDt 
droite,  1^  diJTéreiice  di8pai'^l;ra  d'abdcd.  -J'engage  à  vérifier 
cette  assertion  sur  la  carte  de  Mariette  ou  suc  celte  de  Gassint. 


D£S  ANTIQUAIRES  DX  FRANCE.  âyi 

av^c  çf^Uc3  àes  pasitiotis  marquées  par  ce^  deux  9t\kr 
teucs  fais'accordetitsipeu  d'ailleurs.  Tous  lesescei^- 
plaires  iaar<|ueDtTiogjt  li§ues  gauloises  qbi  ^  à  raison 
de  n34toi3esàl4lieue,  font  st2,6^o  toises.  Quoso 
çxamitte  avec  te  compas  et  qu'on  juge.  Si  l'on  trouve 
m  peu  pki$  qu'il  pe  £aut  entre  AUeaume  et  Cou*- 
taoeesi  Texcédant  ne  s'élève  pa3i  aurdelà  des  bornes 
p^ées  dans  le  second  principe  de  J'akbé  Belley.  Le 
preibier  peim^ipe  établi  par  ce  savant  milite  également 
eo£aif0)if  dasenliment  qu'il  coad>at.  Les  distances  , 
dit-il,  se  comptaient  en  paitant  des  villes  qui  domi^ 
noient  sur  un  territoire.  Qr  j  comme  un  chemin  ro~ 
iD2tin,.de  l^aveu'dc  Belle j,  se  .trouve  partir  d'Air 
ledvmieet  cpuduit  à  Goutapces  (i),  comme  on  n'e^ 

(i)Ce  qui  confirme ,  dit  Belleydans  son  dernier  Mémoire , 

la  direction  de  Gosedice  à  ConaUum  (  je  crois  qu'on  deTrait 

lire  Oioeîatooàjm  )>  ce  sont  led  restes  de  ^ancienne  «  yoie 

«  rm^ine  qui  seteocostrentàvu  Ueu  nommé  CheminPerrey^ 

«  entre  Saint-Patrice  et  Gonfrerille ,  à  cinq  lieues  communes 

«  aa  iwNBd  dp  CmUVQiS^*  »  Gie^  cbMrii]^  doutMavîMteindiqiMit 

la  trace  il,  j  a  plus  de.  cent  ans ,  se  trouve  enoûre  %t  èxù»  k 

laade  4.e  Saûpd-Pfttrice  de  Ckid^  ^  et  à  Pefîerji>  le  long  de  la 

vi€[iik^  routp  d'AUeaume  à  Coutaaces,  vis^à-rTis  d'uft«  ferme 

nonuu^  la  ipTiicAoTui^rfei.  Ce  chemin^  qui  est  le  plus  droit  de 

tou3  1^8  aiii^ieyas  çtu^VMQS  du  dt&parteo^nt,  retient^  à  beaucoup 

d'auljp^^odrpits,  le  noip  de  chemin  Ferré ^  oom  qui^  suiyani 

B€^gii^j( Aiat.  ,^8  chemins  dis  l'esapire  ) ,  indique  généralif*' 

ment  u^e  TQie  romaine.  Uai«  ^i  Bellej  pem  ciboire  qiae  oe 

cheipif  Q9|i^f0ie  5Vft  opinii^  relativ^iuejlt  à  ladSreetioQ  de 

Cose|%^  ^irapîmiMH4Qi.>  {e  laiase  à  {«(^r  jsî  ^  d'i^s  lea  dèfeub 

que-  )'ai  donnés^  il  ne  confirme  pas  bien  davantage  celle  de 


272  MÉMOlllES  DX  lA  $OClKté  IlOYALE 

retrouve  des  traces  que  depuis  AUeaume  >  comme  il 
a  la  longueur  déterminée  par  Fltinéraire  ab  Ahama 
CasediaSf  n  en  résulte-t-il  pas,  même  d'après  les  prin- 
cipes de  ra|>bé  Belle  j,  qaAlauna  était  à  Alleaume^et 
que  c'était  la  principale  initie  du  territoire  à  Tépoq^e 
de  la  rédaction  de  lltinéraîre  ?  Les  antiquités  cf^ 
leaume  et  de  Goutances  viendraient  encore  appujer 
ce  raisonnement.  L'assertion  qu'il  doit  se  trouver  une 
route  romaine  entre  les  Moitiers  d'AJionne  et  Goa- 
tances  est  dénuée  de  fondemetot.  L'abbé  Bellej  et 
d'Ànville  ont  sûrement  été  trompés. 

La  distance  des  Moitiers  d'Àlonne  à  Mon^ardi|B; 
où  d'Anville  veut  placer  Coêediœ,  ne  cadre  pas 
avec  celle  que  marque  l'Itinéraire  entre  les  deux 
villes  dont  je  viens  de  parler.  Pour  soutenir  son  as- 
sertion ,  d'Anville  est  réduit  à  altérer  le  texte  de 
toutes  ;lés  éditions  ,et  à  mettre  9  lieues  gauloises  an 
lieu  de  20  qui  sont  marquées  dans  tous  les  exem- 

SantoD  ,  et  si  ce  n'est  pas  bien  plus  probablement  ce  que  Tlti- 
néralre  d'Anloiriti  a  Dommé  t^^r  ah  AîaufM  Co^edias. 

Quoîqu^on  ne  discoDvieDDe  pas ,  dit  d'AnrlOe,  que,  par 
le>«défaut  d'attention  ou  rignorance  des- copistes  ^  et  par  Fin- 
juré  du  temps,  les  itinéraire»  ne  sotft  pas  parvenns  jusqu^à 
nous  aussi  corrects  qu'on  le  désirait ,  toutefois  je  n'bésite  pas 
à  dire  que  c'est  trop  légèrement  qii'on  leè  taxe  sootefnt  de 
défeetnosité,  et  presque  toujours  piar  tinte  de  eonm^lreles 
lieux  qiii  y  sont  indiqués ,  et  même  pour  youloir,  mal  à  propos 
et  sans  fondement,  les  transporter  à  des*  endroits  étrai%erf  et 
tout  autres  qoje  les  TérittUes.'  Éeiaireissemens  ntr  Irancmne 
Oauiêj  pag.  9.  . 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  273 

l^aires.  Nous  avons  yxt  <fae  les  positions  indiquée» 
par  Sanson  n'cHit  pas  besoin  de  pareilles  ressources  ; 
il  me  semble  en  résulter  que  son  sentiment  est  le  seul, 
jusqu'ici  qui  puisse  soutenir  Tépreuve  a  une  discus-^ 
siooé  Vojoos  si  son  emplacement  d'Alauna  ne  sera 
point  dérangé  par  la  direction  de  la  route  qui ,  sui* 
vant  la  table  de  Peutinger ,  allait  de  Coriallum  à 
Condate(  Turonum  )  Tours ,  et  passait  pav  jàlauna^ 

Pe  cette  dernière  ville  à  Cbr/a//eim^  la  table  mar-* 
que  7  lieiie$  gauloises.  Cette  distance  ne  peut  con* 
venir  au  système  de  Tabbé  Belle  j,  qui  place  Alauna 
aux  Moitiers  d'Alonne  ^  et  Coriallum  à  Gberboucg., 
En  effet  ^  au  lieu  de.  7  lieues  gauloises  il  7  en  a  envi«- 
pon  i3  de  Cherbourg  aux  Moitiers  ;  Belley  ne  se 
tire  d'embarras  qu'en  donnant  deux  jambes  de  plu& 
au  Y  dont  il  fait  un  x^  et  en  ajoutant  :  «  Il  faut  somment 
«  que  les  nombres  cèdent  *aux  ^rconstances  locales^ 
«  quand  les  positions  sont  bailleurs  fixées  et  déter- 
<  minées  :  »  doctrine  qui  mènerait  loin  si  on  en  fai- 
sait souvent  l'application  sans  de  meilleures  raisons. 

Voyons  7  d'un  autre  côté  ^  comment  d'Ânville 
s'y  prend  pour  étayer  la  supposition  qa^jilauna  est 
au:ic  Moitiers  d'Alonne  et  Coriallum  à  Goury •  Laqarte 
de  Mariette  marque  plus  dq  2 1,000  toises  à  vol  d*oir 
seau  entre  ces  deux  {>laces ,  ce  qui  donnerait  plus 
de  xviii  lieues  gauloises,  au  lieu  de  vii^sauscoixipter. 
que  le  terrain  entre  ces  deux  places  est  montu^ux , 
et  qu'on  n'y  voyage  pas  en  ligne  droite.  D'Anville 
semble  n'avoir  pas  aperçu  cet  écueil ,  et  n'avoir  fixé 
son  attention  que  sur  la  conformité  de  distance  j. 
IV.  i3 


L 


dj4  HÉiœiEES  DS  LA  SOCIBTi  AOYÀtE 

soivftiil  la  table^  entre  Carùdlum  et  O&sedia,  et  céïe 
qui  se  relrouye  de  M(Hitgardon  à  Gonry.  Je  n'ai  pas 
besoin  de  discuter  cette  prétendue  co&fonnité  ^  qui 
serait  susceptible  de  grandes  dificoltés;  mais,  même 
en  la  passant  pour  un  moment ,  il  faut  encore  que 
les  partisans  du  sjstème  de  d'Anville  répondent  à 
eette  question  :  pourquoi  >  si  Coriallum  était  à  Ooufj 
et  jâlauna  aux  Mcntiers  d'iUonne,  j  a-t^S  xx  lieues 
gauloises  au  lieu  de  yii  ?  Nous  ayons  tu  que  d'An- 
Tille  a  retranché  plus  de  la  moitié  des  xx  lieues  qui 
étaient  marquées  entre  Âlauna  et  Gosediae.  FatH 
dra^t-il  donc  ici  que,  par  compensation^  on  en  ajoute 
XIII  aux  Tii  que  marque  la  table?  En  serait-on  quitte 
pour  dire^  ayec  Tabbé  Belley,  «  qu^ilfaut  soutint  faire 
«  céder  les  nombres  ^  etc.  ?»  Le  mot  souvent  finirait 
par  être  bien  appliqué.  Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter 
qu'il  est  surprenant  que  le  nom  asse^  commun  de 
Oour)r>  Gouril  ou  Qouré^  ait  paru  à  d'AuTiMe 
aToir  une  analogie  assez  frappante  ayec  Corialr 
bifn,  pour  lui  faire  chercher  un  bon  port  de  mer  à 
l'ex^mité  d'un  cap  où  la  mer  e$t  affreuse. 

Il  reste  à  sayoir  maintenant  comment  l'opinion  ie 
Nicolas  Sanson  a  pu  présenter  à  d'Anyille  et  à 
Belley  des  embarras  qui  les  aient  forcés  à  chercher 
de  tels  expédiens  pour  s'en  tirer.  Il  a  placé  Cariai" 
lufk  à  Cherbourg  ;  la  table  marque>  entre  ce  lieu  et 
Alaumay  tii  lieues  gaq^oises  qui  font  7»938  toises.  La 
carte  de  Mariette  en  marque  enyiron  gioo  entre  M- 
leaume  et  Cherbourg^  ce  qui  donne  un  excédent  d'en- 
nron  une  lîeue  gauloise ,  excédant  qui  ne  passe 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  2j5 

pft^Ie»  toftres  fixées  par  le  principe  de  Tàbbé  Belle  j, 
que  fài  dté  plvts  ààut;  akisi  tout  favorise  encore 
en  ce  point  Nicolas  Sansôti.  Les  médailles  et 
les  sàtïqnités  romaines  tronrëes  si  souvent  à  Gher^ 
bourg*;  le  tombeau  âécouirert  à  la  montagne  dû 
Roule^  en  174^,  et  dont  l'origine  romaine  fnt  prOu* 
vée  par  plus- de  deux  cents  médarUe&,  le  savant  nié- 
moire  de  M.  de  Foncemagne  sur  cette  ville  (1)^  tout 
si^âle  uii  établissement  romain  dans  les  environs  dé 
Cherbourg.;  le  morceau  de  voie  romaine  découvert 
à  là  pierre  Butée  (2),  et  dont  la  direction  est  celle  de 
Cherbourg  à  Valognes ,  ajoute  encore  à  Têvidencé. 

(1)  Le  MéuMPe  de  M.  de  Foncemagne  sûr  Cherbourg 
eommence  à  la  page  i3i  da  seUiè^e  volume  des  Mémoires 
de  l'Académie  ies  ioscriptions.  Il  est  accompagna  d'une  gra- 
▼ure  du  tombeau  ef  de  l'usne  qu  on  troura  à  la  montagne  dit 
Koulè^  en  1741.  Il  fait  voir  Tanalogie  entre  Corlouallum,  nom 
que  portsrit  probablement^  dit  -  il ,  Cherbourg  au  Ytll*  siècle , 
ainsi  ^'oit  peut  l'iliférer  d'un  passage  d|é  k  chrôDique  éé 
Fentcodli. 

Nota.  Ce  passage  se  troute  dans  le  brériaire  deCputances^ 
a«  A  d'atrll;  c'est  une  leçon  de  Salnt^George^  D'AnrîUe, 
à  Tartiote  ÇoiiaUum  de  sa  notice  ^  prétend  que  Chêmaburé , 
^cien  nom  de  Cherbourg,  ne  présente  aucune  analogie  aireo 
le  mot  CoriaUum]:  si  Popinion  de  M.  de  Foncegodagne  est 
fondée,  cette  petite  difficulté  s'éTanouît. 

{2)  C'est  à  une  maisop  nommée  la  Gam/inerie  j  dans  la 
paroisse  de  Tollerast  ,  sur  la  grande  route  de  Che]i>ourg 
i  Valognes ,  à  un  quart  de  lieue  environ  de  la  pierre  Buttée, 
que  se  sont  trouvés  le9  restes  d^une  chaussée  ;  ils  sont  connu, 
^«  plusieurs  membres  de  la  Soeiété  amldémiquede  Gherbbtrrg 

18* 


I 
L 


-S 


276  Mi^MOIRES  DE  i.A  SOClixE  ROTALE 

Jusqu'ici  nous  avfins  vu  que  ropinioa  de  SaosOD 
est  la  seule  qui  puisse  réclamer  une  grande  proba- 
bilité. J'avoue  que  la  position  de  Crociatonum  à  Ga^ 
rentan  présente  de  Tembarras  ;  car  il  faut  convenir 
que  la  distance  d'Âlleaume  à  Garentan  n'est  pas  celle 
que  marque  la  table  e^Xxe  Ahiuna  et  CrçcùUonum. 
Elle  s'y  rapporterait  en  .employant  le  moyen  mis  eo 
usage  par  Fabbé  Belley  et  d'ÀnviUe  pour  se  mettre 
d'accord  avec  cette  table.  Jamais  peut-étre  n'y  eut- 
il  de  plus  fortes  raisons  pow  faire  céder  les  nombres  ; 
mais  je  ne  prendrai  pas  cette  liberté.  Je  présume  que 
Sanson  a  encore  raison.  Les  environs  ^e  Garentan; 
et  surtout  le  terrain  situé  entre  les  ponts  d'Ouve  et  le 
mont  Sain t-Cosme^  ont  oflPert  beaucoup  de  décou- 
vertes romaines  à  différentes  époques.  J'ai  examiné 
beaucoup  de  médailles  trouvées  sur  plusieurs  points 
de  cet  endroit  depuis  vingt  ans.  C'est,  en  outre,  la 
tradition  constante  de  ce  lieu^  qu*il  y  avait  autrefois 
une  ville ,  et  qu'elle  a  été  détruite  par  le  feu ,  ce  qui 
s'accorde  assez  avec  l'histoire  de  celle  qui  a  existé  à 
AUeaume*  Les  tombeaux  ou  cercueils  déterrés  au 
mont  Saint-Gosme  en  faisant  la  grande  route  actuelle 
deValognes  à  Garentan^  la  grande  quantité  de  fon- 
dations découvertes  auprès  des  ponts  d'Ouve  et  dont 
la  maçonnerie  était  épaisse  et  très-solide,  viendraient 
encore  à  l'appui  de  cette  conjecture.  Cette  position 
serait  à  portée  de  Garentan ,  comme  les  anciennes 
villes  qui  sont  généralement  à  une  certaine  distance 
de  celles  qui  leur  ont  succédé.  £n  admettant  la  leçon 
d'un  ancien  manuscrit  de  Plolémée  qui  dit  :  Croncia^ 


1 


ÛEâ    ANÎIQCAIUES  DE  ÏRA^C£.  277 

tl^non,  Limen,  Oueftclorcm,  le  port  pourrait  avoir  été 
aussi  bien  à  portée  die  cette- position  que  dans  celle 
de  Garentan  où  Ton  n'a  retrouvé  que  des  monnaies 
françaises  du  1 6*  siècle ,  enfouies  probablesient  du- 
rant le  siège  de  iSjA;  au  surplus,  je  ne  donne  tout 
ceci  que  comme  une  conjecture. 

L'opinion  de  d*Anville  et  de  Tabbé  Belley,  relative- 
ment à  la  position*  de  Crociatonuniy  a  été  examinée;  il 
ne  reste  plus  que  celledeTabbéLe  Bœuf  qui,  croyant 
que  Couvains  lui  présentait  un  lieu  plus  favorable 
pour  se  rattacher  à  d'autres  stations  romaines  dans 
le  Bessin ,  a  donné  dans  le  défaut  contraire  en  alon^ 
géant  la  distance  entre  Crocintonum  et  Alauna.  Son 
opinion,  réfutée  pour  la  partie  du  Bessin,  ne  tiendrait 
pas  non  plus  contre  l'examen  du  côté  du  Cotefatin. 
Cependant  il  faut  convenir  qu'elle  est  encore  plus 
soutenable  que  celle  des  deux  autres  sàvans  dont  je 
viens  Je  parler. 

Avant  de  terminer  ce  mémoire,  je  crois  qu'il  est 
nécessaire  d'en  faire  le  précis  et  le  résumé. 

Notre  pays  est  celui  des  Unelliy  Sanson  l'a  soutenu 
le  premier  ;  son  opinion  a  été  adoptée  par  les  plus 
célèbres  géographes  ,  et  même  par  des  savans  du 
1 8*  siècle,^  qui  ne  sont  pas  d'accord  avec  lui  sous 
d'autres  rapports.  H  a  placé  CoriaUum  à  Cherbourg, 
Cosediœ  à  Coutances,  ainsi  que  Constantia,  qui  est 
un  nom  jpostérieur  ;  il  metÀlauna  à  AJleaume,etOa- 
cùàonwnk  Garentan.  Son  opinion,  adoptée  générale- 
ment pendant  plus  d'un  siècle,  a  été  attaquée  en  1 745 


ajS  MElfOlAES  DI  LA  SOCIÉTÉ  ROYJLLE 

par  d*Âii ville,  qui  a  indiqué  ikos  s^  carie  pour  llm^ 
toire  romaine  remplacemeot  de  Crodalomtm  à  Va- 
lognes  ;  eu  1 747,  par  Tabbé  Le  Bœuf ,  qui  a  placé 
cette  ville  à  Goavaias;  eo  1766;  par  Belley  qui  a 
porté  la  positioo  ^JUatma  aux  Meitiers  d'Àloone,  et 
s'est  accordé  avec  d'Auville  pour  mettre  Crocia" 
toaum  près  de  Yalognes.  D'À.nviUe>  eu  1760^  a 
attaqué  tputes  les  places  de  Sanson  ;  il  est  res|é  d¥ 
seutimeot  de  Belley  pour  Crociatont$m ,  Ta  smvi 
pour  remplacement  diAlauna^  et  s'en  est  écarté 
pour  Coriallum  et  CosetUœ  que  i'abbé  Belley  laissait 
à  Cherbourg  et  à  Goutances,  et  qu'il  a  reportées  i 
Goury  et  à  Montgardon.  U  a  fait  deux  villes  de  Cb- 
sediœ  et  de  Conttantia ,  et  placé  la  dernière  à  Cqu- 
tances.  I^e  sentiment  de  d'AnvUIe  j  adopté  ser- 
vilement par  de  bons  géographes,  et  surtout  par 
Mentelle  dans  spn  Atlas,  est  le  plus  improbable 
de  tous.  Sur  quatre  places  indiquées  par  d'Au- 
ville y  pas  une  n'a  fourni  un  fragment  de  brique , 
une  médaille,  un  reste  d'antiquité  quelconque; 
il  n'existe  point  de  restes  d'une  chaussée  romane 
jaux  environs  de  Montgardon,  comnie  l'ont  cra 
l'abbé  fielley  et  d'An  ville.  L'abbé  BeUey  est  forcé  de 
lire  XII  au  lieu  de  vu  sur  la  table  de  Peutinger  pow 
s'accorder  avec  elle  relativement  à  la  dists^n^e  .d'^- 
Jamiak  Coriallum  ;  ils  sont  forcés  de  prendre  i}n  dé- 
tour inconcevable  pour  aller  de  CemUlwn  ^  Crocuir 
ionum ,  d'après  la  suppositicm  ^Alttutut^  ville  îbter- 
laédiaire,  é^ait  aux  AIoitietsd'AloBaerEpsu^osaiit 


Ï}WS  ANTIQUAIRES  DS  FRANCS.  S^Q 

qu'il  fallût  lire  xii  au  lieu  de  vii^  pour  la  distance 
entre  Q^'iallum  et  Alaunay  d'Anville  (prouverait 
encore  à  peine  ta  moitié  de  son  compte  entre  Goury 
et  les  Moiliers  d'Âionne,  Il  est  aussi  forcé  de  faire 
une  correction  excessive  en  mettant  Cosediœ  à  Mont- 
gardon  y  il  est  réduit  à  supposer  qu'on  doit  lire,  ix  au 
lieu  de  %x. 

Le  sentiment  de  Sanson  ne  piésente  ayeune  à»  ees 
difficultés  ;  les  positions  qu'il  désigne  offrent  toutes 
des  antiquités  romaines;  ses  preuves  géométriquef 
SMt  satisfaisantes  ;  la  distance  de  Yalognes  à  Cher- 
bourg répond  à  celle  que  marque  la  table  entre 
Alauna  et  CoriaUum  ;  celle  de  Yalogoes  à  Goutanced 
a  la  même  conformité  • 

A  la  vérilé^  la  position  de  Crociatonum  à  Garentau 
n'offre  que  des  médailles  pour  preuve.  Afin  de  lui 
donner  autant  d'évidence  qu'aux  autres^  il  faudrait 
aussi  retrancher  qn  chiffre,  et  lire  xi  au  lieu  de  :2pci. 
Cependant ,  comme  il  ne  nous  reste  plus  de  guides^ 
pour  indiquer  l'emplacement  de  Crociatonum ,  puis  - 
que  l'opinion  de  l'abbé  Bjslley  et^ d'Anville  est  insoU'* 
ten^ble ,  il  fa^t  choisir  entre  Le  Bœuf  et  Sanson^ 
ou  convenir  de  bonne  foi  qu'il  n'y  a  pas  xle  lumières 
décisives  sur  ce  poipt. 


SSO  MÉIIOIRES  DE  LA  WOlitt  ROYIIE 


ii*i  ■  * 


MEMOIRE 

Sur  les  cercueils  de  pierre  qui  ont  été  trouyés  en  diverses 
communes  du  dépaptemeDtdlle-et-Yilaine;  par  M.  Rilueb, 
correspondant  de  la  Société. 

vin  trouve  des  cercueils  de  pierre  fort  ancieiis 
dafis  un  grand  nombre  des  départemens  dont  h 
France  se  compose.  Celui  que  j'habite  en  renferme 
dans  beaucoup  de  ses  parties^  et  je  vais  essayer  de 
décrire  ceux  dont  j'ai  pu  avoir  connaissance.  Il 
*  convient,  ce  me  semble,  de  réunir  sur  ce  sujet 
le  plus  qu'on,  pourra  d'observations  et  de  les  compa- 
rer entre  elles ,  afin  de  s'assurer  si  ces  monumens  ont 
des  particularités  qui  leur  soient  communes  à  tous , 
et  s'il  n'en  est  pas  d'autres  qui  puissent  établir  entre 
eux  quelques  distinctions.  C'est  ainsi  que  l'on  se 
fera  Une  opinion  sur  les  temps  auxquels  on  doit  les 
rapporter,  et  que  l'on  pourra  décider  s'ils  ont  tous 
à  peu  près  la  même  origine,  ou  si  les  uns  étaient, 
soit  Gaulois,  soit  Romains;  les  autres  ne  seraient 
pas  d'une  date  postérieure  au  premier  établissement 
du  christianisme  dans  les  Gaules. 

Les  communes  du  département  d'Ille-et-Vilaine , 
dans  lesquelles  je  sais  que  l'on  a  trouvé  des  cer- 
cueils de  pierre ,  sont  principalement  celles  de  Van- 


J>ES  AITTJQUAIBES  DE  FUAN€£.  3S*1 

del  «t  de  Louvigaé  du  Désert  ^  daoÀ  l'aitûndiâse- 
maitde  FougëKs.;*de  \mivjei  de  Dandoiip  dans 
celui  4ie  Beones;  d'ÂrgeoIré,  de  Domagné,  d'Ë- 
trelles,  de  Yisseicfaes  dans  celui  de  Vitré  ^  etc. 

Ces  cercueils  se  reucontreut  communément  sous 
terre ,  à  la  profondeur  de  trois  ou  quatre  pieds^  dans 
les  cimetières  actuels ,  ou  du  moins  en  des  espaces 
qui  en  sont  assez  proches  pour  avoir  pu  en  faire 
autrefois  partie.  Cependant  oii  en  trouve  quelquefois 
aussi  en  des  terrains  tout-*à-fait  détachés  ou  même 
fort  éloignés  des  cimetières. 

Dans  le  bourg  de  Vandel ,  outre  ceux  qu'on  a  tirés 
du  cimetière  ^  on  en  a  décoayert  plusieurs  dans  une 
ruelle  qui  est  à  une  distance  ksseï.  considérable  de 
l'église,  et  que  Ton  nomme  encore  la  nie  des  tom- 
beaux. 

Dans  la  commune  de  Louvigné  du  Désert,  on  en 
a  extrait  plusieurs  d'une  lande  située  près  du  village 
de  Losibrs ,  à  une  forte  demi-lieue  du  ctef-Iieu. 

Chaque  cercueil  est  gé];iéralement  composé  de 
deux  pièces  distinctes  ;  savoir  :  i^  jm  coffre  d'une 
longueur  proportionnée  à  celle  du  corps  qu'il  devait 
renfern^er  >  et  d'une  largeur  qui  diminue  progressi- 
vement d^Ja  tête. au^  pieds  ;^^un  couvercle  plat 
dont  les  diipensions  en  longueur  et  en  largeur  sont 
les  mêmes  que  celles  du  coJOPre. 

lies  parois^  latéraux  du  coffre  et  son  couvercle  ont 
raremeiit  plus  de  trois  pouces  d'épaisseur.  lie  fond 
du  coffre  ea  a  communément  un  peu  davantage^ 


a8a  MÉMOIRES  de  là  sdoiin  rotule 

Il  s'e»t  trouvé  des  e^Stes  eo  pierre  de  grMÎI  di 
pays 9  et  de  plusieurspiècet  i  d'autres/  mais  peu  Mn- 
brevx;  en  briques.  Daas  ces  oas^à,  le  comiierole  était 
ordinairement  en  pierres  d'ainkâses  épaisses  el  gros- 
aièrement  taillées,  Mfôs,  bien  plvis  géttéralemeiit,  les 
deux  pièces  de  chaque  cercueil  sont  d'une  pierre 
blanche,  légère  ^t  porewOj  qui  parait  elle-^mème 
n'être  autre  chose  qu'un  mortier  dechauKi^  desaUe 
durcis.  Il  est  probable  qu'on  doniiait  à  ce  mortier 
une  certaine  ccosistance,  ei  qii'im  1^  moulait  ei^spite 
pour  en  faire  séparément  un  coffife  et  un  couvercde* 
Ge  dernier^  encore  humide  quaiid  on  l'appliquait  sur 
le  cofire^  le  fe^rmait  hermétiquement  et  j  adhérait 
même  quelquefois  avec  forçe«  La  chaux  avait  peut* 
être  la  propriété  débiter  la  décomposition  des  corps. 

H  n'existe  point  dans  le  pays  de  pierres  naturelles 
qui  ressemblent  à  la  composition  dont  nous  parlons; 
et,  lors  même  qu'il  aurait  été  possible  de*  s'en  pro* 
curer  ;  on  en  aurait  difficilement  obtenu  par  Jla  taille 
des  pièces  à  la  fois  aussi  longues  et  aussi  minces. 
D'ailleurs,  celles  que  Ton  a  pu-  observer  présentent 
plutôt  à  leur  surface  Tempreinte  d'un  moule  que 
celle  d'une  soie  ou  d'un  ciseau. 

Ce  qui  peut  sembler  assez  extraordinaire,  cVstqne 
le  sable  dont  se  composait  le  mortier  en  question,  était 
calcaire  et  coniposé  en  ^ande  partie  de  détrimens 
de  coquilles  marines  ;  quelquef  ob  même  on  n'y  dis- 
tinguait ah^lument  que  des  co^Ues  qui  parais- 
saîent  avrâr  été  cçaèasaées  asse  v  grostièr^ment.  Oa 
chercherait  en  vaiq ,  dans  l'intérieur  du  pays,  du  sablt 


I>IV<  ANTIQUAIKES  DB  J^RANGE.  283 

Jis  celte  e^pèicë ,  mais  qu  ça  Irofiyerait  le»  ëlémçns 

«wks  bonds  de  la  um* 
hes  cercueils  doot  nous  parlons,  sont  (;eUep[i6ot 

posés  dans Ja  Kenre  qu'ils  ont  ccmstammoiit  la  tète  à 
l'ouest  et  las  pieds  à  l'est.  Ou  en  pecoaa^t  des  frag« 
neDs  daas  des  uxaçomieiies  fi»1;  anciennes» 

Leseoffm  qui  oat  été  ouverts  i^nfermaieot  géoé- 
Tidem^t  des  os  pins  ou  moins  dors.  Dans  quelques^ 
uns ,  cepepdant,  on  n'a  ^pouvé  qu'un  peu  de  terre , 
cequisemblèifaitanntHicer  qpe^  parmi  ces  sépultxises, 
il  y  ea  a  de  bien  plus  anciennes  les  unes  que  les  au  - 
très.  Peul-rétiie  aussi  les  os  se  sofit«*ils  mieux  cunseori- 
Tés  dans  les  cereoeib  qui  étaient  le  plus  beranétiqiie-*' 
mettt  fermés. 

On  ne  voit  cmnmunément ,  ni  au-dehors  ni  au*^ 
de4ans  des  cercueils^  aucune  gravure^  aucune  figure^ 
auGiioe  inscription  :  je  ne  connais  à  cela  que  deux 
exceptions»  fournies  Tune  ei  l'autre  par  la  commune 
de  VandeL;  encwe  les  observations  sur  lesquelles 
elles  86  fondpnt,  n'ont^eUes  pas  itne  grande  authen^ 
cite.  ' 

L'un  de  ces  cercueils  é^t  de  la  pierre  de  la  corn- 
poràdon  dont  il  i4ent  d'être  parlé;  il  j  avait  quelque 
cbose  d^écrit  sur  le  couvercle  ;  mais  on  n'a  ni  eon- 
secvé  Finscription ,  ni  cbercbé  dans  le  temps  à  la 
décfaiffirer. 

li'autre  cercueil  avait  son  cofiEre  «n  briques  et  son 
cDiiverxde  en  pierre  d'ardoise.  Sur  celuirci  il  y  «v^it» 
dit-on^  une  figure  gravée.  U  parak  que  c'était  une 
image  informe  du  soleil^  à  laquelle  on  donnait  le 


1284  HÉMOIHES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

nom  iT ostensoir.  Dans  le  coflPre  de  ce  même  cercueit, 
00  prétend  avoir  trouvé  cinq  ou  six  médailles  oHon- 
goes  d'une  grandeur  approchant  de  celle  d'un  petit 
écù.  On  les  brisa  y  dit-on^  eu  voulant  les  éclaircir^et 
on  n'en  conserva  pas  même  les  fragîuçns. 

Dans  un  des  cercueils  trouvés  à  Vieux*Vj  ^  qui 
n'avait  que  quatre  ou  cinq  pieds  de  longueur^  on  a 
dû  trouver  une  boucle  oblongue  en  cuivre^  que  l'on 
jeta  conmie  réputée  de  nulle  valeur. 

L'un  des  cercueils  le  plus  récenmient  découvert, 
au  moins  à  ma  connaissance  >  le  fut^  en  xSii^  dans 
une  pièce  de  terre  depuis  long-temps  inculte  ^t  an- 
ciennement plantée  >  qui  fait  aujourd'hui  partie  de 
la  métairie  derEffrajère,  commune  de  krMégaudais^ 
près  d'Ën^e ,  4lans  le  département  de  la  Mayenne. 
U  avait  intérieurement  5  pieds  6  pouces  (i^,8o  )  de 
longueur,  sur  i8  pouces  6  Hg.  (  o'^ySo)  de'  largeiff 
près  de  la  tête,  et  6  pouces  (O916)  aux  pieds.  U 
était  d'une  pierre  légère  et  très-blanche  qui,  évidein" 
ment  y  n'était  elle-même  autre  chose  ^u'un  mortier 
durci  où  la  chaux  était  peu  apparente. 

Le  âable  était»  en  très-^ande  partie,  composé  de 
détriment. de  coquilles  marines.  Le  coffre  ne  conte- 
nait que  des  os  qui,  d'abord  assez  durs,  ne  tardèrent 
pas  à  tombçr  en  poussière,  quand  l'air  les  eut  frap- 
pés. Il  fut  trouvé  par  un  pauvre  homme ,  stras  une 
vieille  souche  de  châtaignier  qu'il  cherchait  à  ex- 
tirper,  et  quelques  vestiges  font  présumer  qu'assez 
près  de  là  il  7  avait  très  -  anciennement  une  cha- 
pelle. .   ' 


I^ES  ANTIQUAIRES  DX  FRANCE.,  aSSc 

fia  fouiUaat .  soos .  les  Tuioes  du  cMleau  de  SaioK 
Aubia-'du'Cormier  y  on  a  froinré  aussi  des  cercueils, 
de  pierre*  Il  7  a  lieu  de  croire  qu'ils  sont  plus  an- 
ciens que  le  château ,  et  qu'avant  l'établissement,  de 
celui-ci^  qui  date  de  1 2 23  >  il  y  avait  déjà  dans  son 
empla6ement  une  çglise  avec  un  cimetiëre.  Ge^  cer- 
cueils étaient  en  pierres  d'ardoises^  et^  ce  qui  est  digne 
de  remarque ,  ces  pierres  étaient  liées  entre  elles  par 
un  ciment  composé  de  fragmens  de  coquilles^  Oh  di- 
rait que  les  coquilles  entraient  comme  un  élément 
oblîgé.dans  la  composition  de  ces  cercueils.        ^ 

Parmi  une  multitude  de  lieux  disséminés  sur  toute 
la  surface  de  la  France  y  où  Ton- a  trouvé  des  cercueils 
de  pierre  d'une  nature  plus  ou  moins  analogue  à  ceux 
dont  nous  venons  de  parler^  je  me  permettrai  de 
citer  l'ancienne  abbaye  d'Iseure,  près  de  Moulins^ 
dans  le  département  de  rÂllier. 

On  a  découvert  aussi;  en  l8i5,  dans  la  commune 
d'Arcj-Sainte-Restîtute,  département  de  FAisne,  un 
très-grand  nombre  d'anciens  cercueils  qui ,  pour  la 
forme  et  la  position,  ont  la  plus  graïide  ressemblance 
avec  ceux  que  nous  avons  décrits.  Ils  sont  rangés 
côté  à  cote  sur  des  lignes  nord  et  su  ^  9  les  pieds  tour- 
nés vers  l'est  ;  mais  j'ignore  de  quelle  nature  est  la 
pierre  dont  ils  sont  formés. 

Qu'il  n^ie  soit  enfin  permis  de  citer  une  lettre  que 
Ton  trouve  dans  le  Mercure  de  France*  du  16  octo- 
bre 1785,  n^  A^j  et  qui  fut  écrite  par  M.  Du  Boueix^ 
correspondant  de  la  Société  Royale  de  hiédecine  de 


td6  MÉHOllUiS  1»  LA  SMIIIB  BOTAIE 

« 

Pms^  et  médedft  de  Honaeuv^  frère  dte  rei^  aufotB*^ 
à'hxn  Louis  Xyin>  noftte  légituie  soureraïa. 

On  Terra  dans  cette  lettre  qu'en  fuîllel  178a  ^  on 
trouva  dans  le  boui^  du  Loroiss  Bilttepeau^  distnit 
de  Ndùtes  de  trois  lieues  /  un  grand  nenlMie  de  cec- 
cueib  absolument  semblables  à  c#ux  que  noosaTons 
décrits  :  la  pierre  dont  as  étaient  formés  était  un 
amalgame  de  coquilles  grossièrement  p3ée$  et  rmm 
par  uil  ciment  calcaire.  De  petites  epquîUes  bivalves 
s*y  trôuyaient'  encore  entières. 

Dans  un  Mitre  quartier  de  ce  méon^  boul^ ,  ou  a 
trouvé  des  tombeaux  taillés  djius  le  roc  et  recouverts 
d'iine  pierre  plate  dont  l'espèce  est  commune  dans  le 
pays.  M«  Du  Boueix  termine  ainsi  sa  narration  ; 

«  Maintenant  je  demande  aux  érudits  et  aux  aman- 
te teurs  de  Tantiquité ,  1^  pourquoi  Ton  a  préféré 
(c  pour  la  construction  de  C0S  tombeaux  d^s  coquil- 
(c  lages  marins  à  toute  autre  matière  >  ce  qui  estd^au- 
«  tant  plus  surprenant  ^  que  Ton  a'a  pu  les  tirer  que 
«  de  la  mer,  éloignée  du  Loroux  de  douze  à  quinze 
«  lieues  ;  que  le  transport  n'a  pu  s*eû  faire  qu'à 
«  très-grands  frais ,  tandis  qu'on  trouve  partout  et  en 
«  abondance,  dans  le  lieu  même ,  une  pierre  seins- 
«  teuse  y  feuilleHée ,  solide ,  fort  aisée  à  exploiter , 
«<  qu'^pn  peut  extraire  en  très*grandes  pièces^  et  bien 
ce  plus  propre  à  résister  à  l'injure  du  temps  et  à  con- 
te ^server  des  cadavres^  que  cette  pète  poreuse  et 
«  friable  de  coquillages  ?  ^ 

«  2^  Par  quelle  raison'  s^est-on  unicfuèment  scifvi 
«  dé  cette  pierre  du  pays  datis  certains  quartiers  du 


DISS  ANTIQUAIRES  M  JrHANCE.  %Sy. 

«  bmig  >  tfiOMlb  <|iie  daas  d'autre»  oo  ae  trouve  qné 
«  ces  tombeaux  de  coquillages^  sans auciiD mélange 
R  despvemiers? 

«  5p  Ëofin^  îe  prie  d^observer  qu'il  ne  se  rencontre 
K  aucnm  coquillages  fossUes  dans  les  envkons  di» 
«  Loroux;  qu  on  n'y  trouTO  pas  un  atome  de  pierre 
ce  calcaire  >  et  que  ce  pay^  dans  une  trèsrgrande  élen** 
«  duei  ViO&te  partout  qiae  la  terre  argileuse  ntres- 
«  cible  >  une  espèce' de  pierre  scbisteuse,  des  silex) 
«  et  de  la  roche  granitique.  » 

Les  questions  que  M.  DuBoueix  proposait  en  1785, 
nous  pourrions  encore  les  répéter  aujourd'hui  ;^t^ 
pour  les  présenter  d'une  manière  plus  générale , 
nous  demanderons  à  quel  temps^  à  quels  peuples  9  à 
qoel  culte  il  faut  attribuer  les  sépultures  qui  sont 
lobjet  de  ce  mémoire^ 

Je  vais  hi^arder  à  ce  «sujet  quelques  conjectures  ; 
mais  je  les  soumets  à  la  Société  flojale  des  Anti« 
quaires ,  seule  juge  compétent  en  des  questions  de 
ce  genre- 

J'ai  peine  à  croâre  que  de  simples  cercueils  de 
pierre  aient  été  Tcmyrage  àe$  Romains.  L'usage  des 
Romains  fut  |d[tttô%  dans  tous  les  temps ,  de  brûler 
les  corps  que  de  les  renfermer  dans  des  cercueils 
confiés  immédiatement  à  la  terre. 

Ils  érigeaient  très  *  souvent  des  monumens  funé- 
raires aux  personnes  qui  leur  avaient  été  chères  ou 
dont  ils  voiraient  honorer  la  mémoire.  Mais  ces  mo-* 
numens  avaient  peu  de  ressemblance  aveè  C6i|ixque 
nous  avons  décrits^  et  l'on  y  trouvait  plutôt  des  cen* 


2  88  HÉHOIUS  DS  LA  SOI^IÉTÉ  l^OTÀtE 

dr^s  contenues  dans  une  nme  qu'up  corps  entier  dé^ 
posé  dans  un  cerceuil. 

Je  ne  crois  pas  non  plus  que  Tusagede  renfermer 
les  morts  dans  des  cercueils  de  pierre  ait  jamais  été 
celui  des  anciens  Gaulois  .^  et  leurs  succejsseurs  n'ont 
pu  remprunter  des  Romains,  s'il  ^t  Trai  que  ceux-ci 
ne  le  connaissaient  pas  euii-mémes. 

Je  suis  donc  porté  à  croire  que  ce  sont  les  chré- 
tiens qui  f  les  premiers,  ont  employé  ce  mode  d'in- 
humation ,  lorsque  leur  culte  commença  à  être  gé- 
néralement répandu  dans  tontes  les  provinces  de  la 
France. 

n  peut  sembler  extraordinaire  qu'aucun  signe  re- 
ligieux ne  se  fasse  communém/ent  remarquer  sur  les 
cercueils  de  pierre.  On  pourrait  cependant  répondre 
à  cela  que,  de  nos  jours  à  la  vérité,  des  signes  reli- 
gieux figurent  le  plus  souvent  dans  les  inhumations  ; 
mais  on  les  place  à  l'extérieur,  et  de  manière  qu'Os  j 
soient  en  vue.  Rarement  en  figure-t-on  sur  les  cer- 
cueils de  bois  qui  sont  en  usage  aujourd'hui. 

Je  serais  assez  porté  à  croire  qpe  les  croisades^  ou 
du  moins  les  premiers  pèlerinages  à  laTerre-Sainte^ 
ont  pu  contribuer  beaucoup  à  fai§p  adopter  les  ce^ 
cueik  de  pierre,  et  surtout  ceux  de  pierre  de  cowr 
position. 

L'affectation  que  I'od  mettait  à  placer  les  morts 
^  manièi^e  qu'ils  eussent  toujours  la  face  tournée 
vers  l'Est  s'expliquerait  asse^  bien  par  ta  vénération 
qu  io$i)jyrait  la  Terre-Sainte ,  située  dans  cette  direc- 
tion. 


DS6  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  ^89 

J'ai  dit  que>  près  de  Taocienne  abbaje  d^Iseure , 
dans  le  département  de  FAllier,  on  trouvait  beau- 
coup de  cercueils  de  pierre.  Or^  d'après,  une  9UQië|ïne 
tradition  >  ces  sépulcres  y  conservent  encore  le,  nom 
de  tombeaux  dei  croisés. 

Quant  au  sable  qu'on  allait  chercher  fort  loin  pour 
en  composer  la  matière  des  cercueils  ^  j^en  trouverais 
rexplication  dans  l'opinion  où  l'on  a  été  bien  long- 
temps ^  qu'il  y  avait  de  très-grands  avantages  à  être 
inhumé  en  Terre-Sainte. 

Cet  avantage  appartenait  sans  difficulté  à  ceux  des 
croisés  ou  despélerins  qni  mouraient  à  laTerre-Sainte; 
mais  ceux  même  d'entre  eux  qui  étaient  de  retour 
sur  leurs  foyers  ont  pu  désirer  d'y  participer^  en  fai- 
sant venir^  pour  composer  leurs  tombeaux  ^  du  sable, 
sinon  de  la  Palestine,  ilu  moins  de  quelque  fteu  moins 
éloigné,  qui  fût  comme  assimilé  à  la  Terre-Sainte 
par  la  grande  dévotion  dont  u  était  l'objet  ;  du  mont 
Saint-Michel ,  par  exemple  ? 

On  sait  que,  pendant  fdus  ^e  mille  ans,  le  mont 
Saint-Michel  fut,  dans  toute  la  France  ^^t  même  ail- 
leurs, en  très-;grande  vénération  :  de  toutes  parts  on 
y  allait  en  pèlerinage.  Les  pèlerins  revenaient  en 
grandes  troupes,  sonnant  de  la  trompe  et  chargés  de 
coqviilles.  Cet  usage  s'est  perpétué  jusqu'à  nos  jours^ 
et  à  n'y  a  pas  très-long-temps  encore  qu'un  jeune 
habitant  de  nos  campagnes  n'aurait  pas  osé  demander 
une  fiHe  en  mariage  s'il  n'avait  pas  auparavant  fait  au 
moins  un  pèlerinage  au  mont  .Saint-MicheL  Ne  ppu- 
IV.  19 


I 
i 
i 


290  MÉMOIRES  DE  LA  SOClJTi  KOYÀlK 

Tait-on  pasréseirertoutesles  coquilles  rapportées  par 
les  pèlerins  pour  les  inbnmations  ?  pour  celles  des 
riches^  s'entend  ;  car^  sans  doute,  on  ne  faisait  pas  tant 
de  frais. pour  celles  des  pauvres. 


OBSERVATIONS 

Sur  quelques  antiquités  du  département  de  la.  Mayenne , 
par  M.  RiiLiER,  correspondant  de  la  Société. 

Ije  départements  de  la  Majeane,  quoique  d'âne 
assez  m^iocre  étendue ,  renfermait  autrefois  dans 
son  sein  les  chefs-lieux  de  deux  nations  gauloises  ; 
savoir  :  Nœodunum ,  capitale  des  Diablînies,  et  Fa- 
goritum,  capitale  des  Ars^iens*  Ptoléméefait  mention 
de  ces  villes,  et  M.  Danville  en  a  dooné  une.  intéres- 
sante notice. 

Le  département  de  la  Mayenne  étant  limitrople 
du  mien  (celui  d'Ille-et- Vilaine ) ,  et  les  circons- 
tance^ m'ajant  procuré  quelques  notions  sur  .ses  an- 
tiquités^ je  vais  les  transmettre  ici  d'une  m^ère 
succincte.  Je  dois  en  très-grande  partie  ces  reBSêi- 
gnemens  à  un  mémoire  qui  me  fut  communiqué^  il  y 
a  déjà  long-temps,  par  M.  Maupetit^  député  du  dé- 
partement de  la  Mayenne.  *         .  î  . 


]>SS  ANTIQUAIRES  DS  PR^NCS.  291 

Il  parait  bien  constaât^que  remplacement  de  la 
ville  de  Nœodunufn  était  celui  qu^oùcupe  maintenant 
le  bourg  de  Jublains  ^  à  deux  lienes  et  demie  an  sud-" 
est  de  la  ville  de  Mayenne.  Le  nom  de  Nœodunum 
lui  avait  probablement  été  donné  paroles  Romains  ; 
mais  elle  avait  existé  sous  quelque  autre  nom  ,  long- 
temps avant  leur  établissement  dans'  cette  contrée , 
et  elle  a  survécu  assez  long-temps  encore  à  la  chute 
de  leur  empire  dans  les  Gaules. 

On  croit  qu'elle  fut  détruite  ,  ainsi  que  bien  d'au- 
tres vîires ,  Vers  Tan  867,  par  les  Normands  qui ,  dé- 
barqués sur  les  bords  de  la  Loire ,  pénétrèrentdans 
le  pajs  et  y  exercèrent  de  grands  ravages* 

Les  Romains  avaient  établi  à  peu  de  distance  de 
cette  ville  nri  camp  statiônnairc  fort  régulier ,  dont* 
on  a  reconnu  distinctement  les  parties  priiiéipales. 
La  vilfe  de  Nœodunum  devait  à  la  bienfaisance  de 
Fempereur  Tite  un  cotisée  et  un  temple  de  là  For- 
tune. On  a  retrou  vé  des  vestiges  de  ces  deux  édifices. 
On  a  trouvé  aussi  dans  les  environs  beaucoup  dfe 
médaillesT,  de  belles  mosaïques ,  des  vases  de  fabri- 
cation romaine  et  de  différentes  formes ,  des  débris 
de  colonnes ,  de  statues ,  etc. 

Il  est  probable  que  de  nouvelles  fouilles  mettraient 
au  Jour  de  nouveaux  vestiges  de  Tantiqùiléj  qui, 
reniontant  à  différentes  •origines ,  pourraient  •  être 
ou  Gaulois,  ou  Romains,  ou  d'une  date  postérieure  à 
l'établissement  du  christianisme  dans  ces  provinces. 
Une  très-ancienne  fontaine,  située  près  du  bourg 
de  Jublains ,  et  nommée  \2i  fontaine  des  crn^es,  a  fait 


aga  MÉMOIRES  DE  lA  SOCIÉTÉ  ROYÀtK 

Présumer  que  des  bdns  pubUcs  oat  existé  autre- 
fois dans  cette  partie .  et  cela  disposait  quelques  per- 
sonnes à  croire  que  le  nom  de  Jublains  pouvait  être 
venu  par  corruption  de  Julii  balnea,  bains  de  Jdes- 
Gésar  ;  mais  le  camp  romain  et  les  autres  étabbs- 
semeus  dont  nous  venons  de  parler  paraissent  bien 
postérieurs  à  Jules-César,  et  il  est  plus  naturel  de 
chercher  dans  le  mot  DiabUntes  letymologie  de 
celui  de  Jublains ,  que  l'on  trouve,  au  sqrplus,  ecnt 
Jublent  dans  de  très-anciens  actes. 

On  rapporte  qu'en  creusant  des  fondations  dans  le 
bourg  de  jublains ,  on  a  trouvé  deux  tercueUs  de 
piçrre  de  madrépores  recouverts  de  grandes  tuiles  de 
vingt  à  vingt-deux  pouces  de  longueur ,  sur  qumze  a 
dix-huitde  largeur.  Je  soupçonne  fort  qu'à  unepre- 
nûère  vue,  on  a  qualifié  de  madrépores  ce  qui  n  y 
ressemble  pas  mal  en  efifet  ;  je  veux  dire  cette  pierre 
factice  et  légère,  qui  ne  se  présente  a  1  œil  que 
comme  un  amas  de  coquUles  marines ,  et  dont  nous 
«vons  vu  ailleurs  qu'un  grand  nombre  d  anciens  cer- 
cueils ont  été  formés,  -^       "    , 

Du  eamp  prèsdeNœodunum,  une  route  romame, 
défendiie  par  un  retrancliement,  communiquait  aux 
marais  ou  étangs  d'Aron ,  et  cedernier  point  formait 
la  droite  d'une  position  retranchée  qui,  bordant  la 
rive  gauche  de  la  petite  civière  d'Aron ,  aUait  s'ap- 
puyer à  larivière  de  Mayenne.  Cette  position  était 
bien  choisie  pour  tenir  à  la  fois  en  respect  les  peu- 
ples répandus  sur  les  deux  bords  de  la  Meduem  (  w 
Mayenne),  savoir:  sur  la  rive  droite,  \çs  RhedoMS 


BBS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  298 

et  autres  peuples  armdricaios 3  sur  la  rive  gauche, 
les  Diahlmtes,\é^  Jmens,  et  autres  peuples  de  la 

nation  Aulerce. 

Quant  à  la  ville  de  Fagoritum^  on  sait  qu'elle 
existait  au  lieu  que  Ton  nomme  encore  aujourd'hui 
la  cité  y  dans  la  commune  de  Saint-Pierre-d'Erve,  sur 
la  petite  rivière  d'Erve  qui,  venant  de  Sainte-Suzanne, 
vase  jeter  dans  la  Sarthe  préside  Sablé.  Jfe  n'ai  pas 
appris  qu'on  ait  encore  extrait  de  ses  ruines  d'autres 
monumens  antiques  que  quelques  vases  romains  et 
une  médaille  d'argent  de  Valériçn. 

On  trouve  des  pierres  levées  en  différens  endroits 
du  déparlement  de  la  Mayehne,  et  notamment  dans 
les  bois  de  Graon. 

te  seul  monument  antique  (du|département  de  la 
Mayenne  dont  il  me  resterait  à  parler,  est  la  chaire 
du  diable  ,  pierre  que,  de  fort  loin,  le  diable  a  dû  trans- 
porter dans  sa  place  actuelle ,  et  sur  laquelle  on  a 
débité  bien  d'autres  fables.  J'ai  vu  ce  monument  et 
puis  en  donner  la  description. 

U  est  situé  tout  près  des  bâtimens  d'une  ferme  à 
laquelle  il  a  donné  son  nom  (  la  ferme  de  la  chaire  du 
diable  ou  simplement  de  la  chaire  ) ,  sur  la  route  d'A- 
ron  à  Jublains,  et  à  trois  quarts  de  lieue  du  premier 
de  ces  bourgs. 

Il  se  trouve  à  l'eitrémité  d'un  terrain  aride  et  in- 
culte ,  où  s'élèvent  cà  et  là,  au-dessus  du  sol,  beau- 
coup  de  roches  de  granit.  Une  de  ces  roches  qui,  cer- 
tes, quoi  qu'en  dise  la  tradition,  n'a  jamais  changé 
de  place ,  a  été  un  peu  aplanie  à  son  sommet  ;  et,  sur 


J2g4  HBMOIUS  DS  L4  SOÇléxÉ  ftOYAIE 

cette  étroite  plate-forme  y  quin^est  élevée  qpe  d^en- 
viroa  trois  pieds  au  -  dessus  du  terrain  naturel,  on  a 
creusé  un  petit  enfoncement  oubassip,  de  six  pouce& 
de  profoûdeur ,  qui  seii\ble  destiné  à  recevoir  et  à 
soutenir  le  montant  d'une  croix  ou  de  toute  autre 
chose. 

Plus  bas,  à  Test  et  à  l'ouest ,  on  voit  sur  le  talus 
naturel  de  la  pierre  deux  entailles  qui  serviraient  fort 
bien  dé  base  ù  deux  jambes  de  force,  posées  pour 
assujettir  le  montant  en  question . 

Voilà  ce  qu'on  appelle  la  chaude  du  diable.  Ce  n'est 
autre  chose  qu'une  pointe  de  rocher  qui  a  été  dis- 
posée £^s3ez  grossièrement  pour  servir  de  piédestal  à 
un  monument  quelconque.  Quel  était  ce  monument? 
c'est  une  question  que  je  n'entreprendrai  point  de 
résoudre  ;  j'observerai  seulement  qu'à  quelques  pas 
de  là  i  sur  les  bords  du  chemin,  il  existe  actuellement 
une  grande  croix. 


D£S  ANTIQUAIRES  DE  nANGE.  SqS 


^,    IIWIM.  I  I  — '     ■         ■    <■ 


LETTRE 

A  UN  AMI  EN  ANGLETERRE , 

Sur  Pétymologie  du  mot  Gauohemare;  pdr  M.  le  baron 
CocQi7E>EiiT^SIoRTB]iEt^  membre  de  la  Société. 


J  £  suis  aussi  frappé  que  vous^  Monsieur,  de  la  res- 
semblance qu'il  y  a  pour  la  terminaison  entre  le  mot 
français  cauchemare  et  le  mot  anglais  nightmare.  J'ai 
même  été  conduit  à  faire  quelques  recherches  sur 
ces  deux  mots ,  en  m'occupant  d'un  travail  général , 
relatif  aux  êtres  fantastiques  que  l'imagination  acréés 
chez  les  différens  peuples,  et  qu'on  retrouve ,  avec  les 
mêmes  attributs  et  les  mêmes  noms,  dans  des  pays 
éloignés  les  uns  des  autres.  Il  m'a  toujours  semblé 
que  ce  moyen  de  reconnaître  Taffînité  de&  nations  « 
n'avait  pas  été  mis  en  œuvre  jusqu'ici  comme  il  mé- 
rite de  l'être. 

La  finale  des  mots  caiwhemare  et  nightmare .  me 
paraît  conserver  la  mémoire  d'un  de  ces  êtres  fan- 
tastiques auxquels  le  vulgaire  attribue  volontiers  lefs 
phénomènes  dont  il  n'est  pas  en  état  de  démêler  la 
véritable  cause. 

L'oppression  angoissante  y  que  quelques  personnes 
éprouvent  pendant  le  sommeil,  a  des  cauâes  nàtiirél- 
les  bien  connues  des  physiologistes  ;  mais  le  peuple , 


V 


296  MÉMOIEES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROTAU 

à  qui  ces  causes  échappent^  a  mieux  aimé  y  dans  beau- 
coup de  pays  y  en  supposer  de  surnaturelles.  Suivant 
lui  y  le  poids  qui  semble  alors  comprimer  la  poitrine^ 
et  dont  on  est  en  quelque  sorte  dans  l'impuissance 
de  se  délivrer^  est  celui  d'un  être  malfaisant  qui  re- 
vêt un  corps  pour' sauter ^ur  les  victimes  de  son  ca-. 
priçe^  et  les  tenir  sous  lui  dei  manière  4  gêner  leur 
respiration.  C'est  ce  que  les  anciens  Grecs  désignaient 
par  le  non  d'e^/tfAT»^  {^id  est  supevsaliens)  y  et  les 
Romains  par  celui  dUncubus. 

J'espère  vous  démontrer  deux  choses  ;  la  première^ 
c'est  que  l'épbialtès  des  Grees;  l'incube  des  Latins, 
portait  le  nom  de  mara  ou  mare  chez  les  peuples  de 
langue  suio-gothique>  habitant  le  nord  de  l'Europe) 
et  du  nombre  desquels  étaient  les  Normands. 

La  seconde  y  c'est  que  cet  être  imaginaire  est  de- 
meuré inconnu,  du  moins  sous  ce  noiù,  partout  où 
la  connaissance  n'en  a  point  été  portée  par  les  sep- 
tentrionaux. 

Si  je  réussis  à  bien  établir  ces  deux  propositions , 
il  vous  paraîtra,  j'espère ,  aussi  démontré  qu'à  moi, 
que  le  mot  de  cauchemare  a  dû  être  apporté  dans  le 
nord  de  la  France  par  les  Normands,  comme  celui 
de  nighimare  Ta  été  eh  Angleterre  par  les  Ânglo- 
Saxons. 

J'ouvre  les  dictionnaires  des  langues  du  nord ,  en 
commençant  par  le  dictionnaire  islandais;  passant 
ensuite  au  suio-gothiqùe,  à  l'anglo-saxon ,  au  sué- 
dois ,  au  danois ,  au  hollandais. 
Partout  je  trouve  mar^  mara  ou  tnâre ,  avec  le 


DÉS  ANTIQUAIRES  DÉ  FRANCE.  '    297 

double  seps  de  ropprëssion  nocturne  et  d'un  malin 
génie  qui  cause  cette  oppression. 

Les  dietionniairès  allemands  me  ihontrent  ce  même 
tenue  avec  les  mêmes  significations  ;  mais  ils  m'in- 
di({uent  en  miême  temps  une  distinctionremarquable^ 
c'est  que  le  mot  mâry  ou,  comme  on  écrit  en  aile- 
mand;  makr  (  et  aussi  naeht-mahry  mar  de  nuit  )^  est 
particulier  à  la  Basse-Allemagne  oti  Allemagne  sep- 
tentrionale^ et  est  remplacé^  dans  l'Allemagne  supé- 
rieure ou  méridionale^  par  ceux  à^alp,  drud,trempe, 
schrœterleiny  schertzell,  wichtele^ 

Cette  observation  me  porte  à  croire  que  la  con- 
naissance de  Tespèce  de  divinité  subalterne,  nommée 
mâr  par  les  Scandinaves,  a  été  transmise  par  ceux- 
ci  aux  seules  tribus  allemandes  qui  les  avoisinaient 
dans  le  nord  de  FAUemagne ,  et  n'a  pas  pénétré  fort 
avant  danà  ce  pays. 

Une  remarque  analogue  m'^est  suggérée  à  Tégard 
des  tribus  slaves,  par  Texamen  de  leurs  diivers  vo- 
cabulaires. 

JTe  trouve,  en  polonais,  en  sorabe ,  en  sloraque  de 
Hongrie ,  dans  les  dialectes  slaves  de  la  Carniole,  de 
la  Croatie ,  de  TEsclavoniè ,  de  la  Dalmatle ,  le  mot 
mâr  diversement  altéré  en  ceux  de  mora  ou  zmora , 
mor  ou  mouraj  morjj  et  même  murrawa  et  hihimora. 

Mais  peut-être  aucun  mot  semblable  n'existe  t-il 
dans  le  pur  russe  •  tel  qu'on  le  parle  dans  les  ancien- 
nes provinces  de  cet  empire.        * 

Il  se  pourrait  que  les  dialectes  slaves,  où  ce  mot 
se  rencontre ,  l'eussent  adopté  d'après  les  Scandi- 


298  IDËHOIEES  QE  LA  SOGlixÉ  ROYAUB 

naves  et  d'après  les  Allemands  du  nord.  Il  en  est  de 
même  des  Finnois  ;  leur  langue  leur  fournit  un  terme 
propre  pour  désigner  le  cauchemare  ;  c^esijjaïnaïa , 
qui  signifie  foulement^  compression^  ets'ibfont 
aussi  usage  àvusioimaraf  c^est  qu'ils  Tout 'emprunté 
des.  Suédo>is  leurs  voisins. 

Dans  le  nord-ouest  et  Touest  de  l'Europe  y  les  lan- 
gues qu'on  nonune  celtiques  ne  renferment  aucun 
mot  qui  ressemble  à  celui  de  cauchemare:  mouste- 
rik  etm'ac^herik ,  enbreton,  viennent,  l'un  de  mous- 

m 

trd ,  FOULEE  y  l'autre  de  maù'h,  oppression.  Le  malin 
génie  qui  toumente  ceux  qui  dorment  est ,  suivaot 
les  Bretons ,  le  petit  foulon. 

n  est  presque  superflu  de  parler  du  basque^  langue 
si  étrangère  aux  origines  de  la  nôtre  ;  cependant  je 
dirai  que  le  cauchemare  s'y  nomme,  lozovroa  ou 
dmescaitza;  l'Espagnol  dit  pesadiUa;  l'italien ,  pesa- 
ruolo  ;  et  la  même  idée  de  pesanteur  se  retrouve  dans 
le  ^mot  appesart  ou  appesant  ;  qui  est  ou  qui  a  été 
en  usage  dans  c[uelques  parties  de  la  Franqe. 
^  Lcjs  dictionnaires  languedocien .  et  provençal  ne 
m'ont  rien  fourni.  C'est  aux  habitans  de  nos  provin- 
ces méridionale^  de  France  à  nous  apprendre  si  le 
mot  de  cauchemar^y  ou  quelque  mot  qu'on  y  puisse 
rapporter,  se  trouve  dans  les  dialectes  de  leurs  pajs 
respectifs.  Je  suis  porté  à  croire  c[ue  non,  par  la  même 
raison  qui  a  empêché  le  mot  mahr  de  pénétrer  dans 
le  midi  de  l'Âllenèagne. 

Les  Lyonnais  disent  cauches^ieille ,  suivant  le  dic- 
Uonnaire  étymologique  de  Ménage  j  se  seraient-ils 


X 


V 


BE8  MIKffAXMLS  DE  FBANCE.  S99 

représenté  le]  génie  du  cauchemare  sous  la  figure 
d'une  vieille  sorcière  ? 

Je  u'entreprendrai  point  de  rechercher  si  bu^tzi- 
cularius,  qu'on  dit  être  un  terme  de  la  basse  latinité, 
a  signifié  effectivement  ce  que  nous  nommons  cau- 
chemare,  ni  si  le  lemur  des  Romains  y  a  quelques 

rapports. 

Le  grec  moderne  m'offre  le  mot  (Socpvxvccçy  relatif 
à  la  pesanteur,  à  l'oppression ,  comme  le  sont  aussi 
les  termes  6'sr/CoAj^  et  ^viyccXnùy ,  dont  les  Grecs 
anciens  faisaient  usage ,  lorsqu'ils  ne  personnifiaient 
pas  le  cauchemare»  ^ 

On  dit  en  hongrois  linkabas  et  bos^orcany. 

n  était  bien  probable  que  les.  langues  orientales , 
sait  sémitiques,  soit  indiennes,  n'ofîrir aient  rien  qu'on 
pût  appliquer  à  l'étymologie  qui  nous  occupe  y  j'ai 
cru  cependant  devoir  m'en  assurer. 

D'après  cette  revue  d'un  graqd  nombre  de  langues, 
il  paraîç  bien  constant  que  le  mot  de  mare  appartient 
primitivement  et  exclusivement  à  la  langue  suio-go- 
thique  et  à  ses  dérivés. 

J'ai  à  faire  voir  maintenant  que  ce  nom  était  celui 
d'un  génie  malfaisant ,  d'un  esprit-follet  ou  lutin ,  qui 
se  plaisait  à  tourmenter  j^s  humains  pendant  leur 
sommeil. 

On  pourrait  citer  d'abord  Jean  Wastow,  auteur 
d  une  Vie  des  saintsde  la  Suède,  intitulée  Vitis  Aqui- 
loniay  1633^,  suivant  lequel  mara  était  dans  lajoiy- 
thologie   des  anciens  Scandinaves ,  le  nom  d'une 


30O  HEH0IM8  DB  tA  SOClili  ftOtUE  ^ 

divinité  subalterne ,  ou  faiitôme  dangereux  pendant 
la  nuit. 

A  la  vérité,  le  célèbre  Ih  déclare  qu^il  n'a  pu 
découvrir  sur  quelle  autorité  Wastow  s'était  fondé. 

Mais  Eric  Olaus,  qui  a  écrit  en  latin  Thistoire  de 
la  nation  suédoise  y  témoigne  la  même  chose  y  en  par- 
lant de  la  mort  d'un  roi  de  Suède  nommé  Valender, 
qui  fut,  dit-il,  étouffé  en  dormant,  par  un  démoa 
que  les  Suédois  nomment  dans  leur  langue  mara. 
cr  Qui  in  somno  à  dœmone  suffocatus  interiit ,  quoi 
genus  sueio  nomine  Maaa  dicitur.  >  Lib*  i^p.  27,  sui- 
vant la  citation  de  Keissier. 

Wachter,  auteur  d'un  glossaire  fort  estimé,  dit 
aussi ,  au  mot  nacht-mar ,  que  le  vulgaire  nomme 
ainsi  un  spectre  de  lïuit  :  «  opinione  vûlgi  spectmnt 
nocturnunu  »  Il  ajoute  que  niœre  était  \^  nom  d'une 
certaine  nymphe ,  et  il  renvoie  pour  plus  de  détail 
aux  antiquités  septentrionales  de  Keissier. 

Voici  ce  qu'on  lit  dans  cet  ouvrage ,  pages  5^4  et 
497^  où  l'auteur  traite  de  l'opinion  des  anciens  hubi- 
tans  du  nord  sur  le  cauchemarey  qu'il  nomme  nachl- 
mare ,  alpdrucken  et  drutdrucken. 

«  Les  Scandinaves  nommaient  une  jeune  fiUe,  en 
«  général,  Meti;  mais  ils  donnaient  le  nom  de  JUeuar^ 
«  ou  les  vierges  par  excellence,  à  trois^nymphes  que 
«  les  femmes  invoquaient  pour  obtenir  une  heureuse 
ce  délivrance,  et  qui,  sous  d'autres  rapports,  avaient 
ce  à  peu  près  les  mêmes  fonctions  que  les  Parques,  ou 
ce  f4,oifûci  chez  les  Grecs  etles  Romains.  ^^ 


Bfia  ANTIQUAIRES  DB  FRANCE.  3oi 

L'auteur  pense  qu'on  doit  rapporter  à]ces  divinités 
des  Scandinaves  les  inscriptions  suivantes ,  trouvées 
dans  la  partie  du  nord- est  des  Gaules;  Tune  à  Metz^ 
au-dessous  d  un  bas-relief  représentant  trois  jeunes 
filles;  l'autre  à  Langres. 

Vous  ne  serez  pas  fâché  que  je  vous  les  copie  : 

IN  HONORElt  DOMVS  DIYINf 

DUS  UAI&ABVS 

TIGANI  VICIS  PACIS. 

n. 

DEABYS  MAIK,  .  . 

JVLIVS   REGVLVS 

EX  VOTO. 

Le  culte  de  ces  parques  Scandinaves  ^  ajoute  Keiss- 
ier^  a  donné  naissance  à  ce  que  le  peuple  raconte  de 
la  nachUnar  qu'il  croit  être  un  spectre  femelle  y  qui 
accable  de  son  poids  les  personnes  qui  dorment ,  et 
leur  iptercepte  la  respiration .  «  A  matribusy  swe  mdiry 
deseendimt  anîles  nugœ  von  der  nachtmar.  Fœmi- 
nei  sexûs  spectrwn  credunt ,  sommantes  pondère  sua 
gravans  y  ut  arctiùs  inclusus  spiritus  œgrè  possit 
meare*  Puis^  il  ajoute  :  c'est  ce  que  les  Anglais  appel- 
lent nigfitmare  et  les  Français  cauchemâre,  «  Àogli 
appelant  nightmare...  Galli>  cauchemare.  » 


302f  HiMOlftES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROtALE 

Johnson ,  auteni^  ,du  grand  dictionù^e  anglais 
qui  porte  son  nom,  ^t  dans  lequel  il  donne  les  éty- 
mologies  des  mots  ^  fait  venir  aussi  n^htmare ,  de 
MarUy  nom  d'un  mauvais  génie ,  qui ,  suivant  la  my- 
thologie des  Scandinaves,  se  pldt,  dit-'il,  atourmc»!- 
ter  les  humains  lorsqu'ils  sont  endormis* 

Voici  quelques  autres  preuves  tirées  des  dénomi- 
nations vulgaires  de  certaines  choses  que  le  peuple 
attribue  au  malin  esprit ,  parce  quil  ne  peut  les  ex- 
pliquer autrement* 

On  sait  qu'il  existe  en  quelques  pays ,  notamment 
en  Pologne,  une  maladie  nommée  plica,  dans  la* 
quelle  les  cheveux  sont  mêlés  et  comme  feutrés. 
Cette  maladie  porte,  en  suédois,  le  nom  delHarlock; 
dans  la  basse  Allemagne/ceux  de  mahrjlechte^  mahr* 
klatte,  mahrenzopff;  en  flamand,  celui  de  mahren- 
vlicht ,  ce  qui  veut  dire  chevelure  tressée ,  tapée , 
bouclée  par  les  mains  de  la  Muhr. 

Dans  quelques  parties  de  l'Allemagne ,  on  appelle 
marentakken^  branches  produites  par  1^  Afar,  les 
branches  de  certains  végétaux,  comme  le  saule  ',  la 
chicorée-sauvage,  Ta&perge,  et  autres  qui ,  au  lieu 
d'être  cylindriques,  sont  larges  et  plates^  ailleurs 
cfest  le  gui  qu'on  nomme  ainsi,  notanihn'ènt  en  Hol- 
lande.Cette  plante  parasite 9  dont  la  maiiiièré  de  croî- 
tre est  si  singulière ,  à  toujours  été  en  possession  de 
passer  pour  douée  de  propriéffe surnaturelles.  ^' 

J*ai  dit  plus  haut  que ,  pour  les  peuples  de  l'Aile- 
magne  méridionale,  ce  n'était  plus  hiMahv  qui  s'aiiiu- 
saità  donner  le  cauchemat^e,  mcnis  d'autres  ftJlels 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRAlfïGE.  3o5 

qu'on  y  appelle  surtout  a^  et  drud;  ainsi,  ce  qui  est 
pour  les  Allemands  du  nord,  des  branches  de  mahr^ 
est,  pour  ceux  du  midi,  les  Terges  Xalp  (alpvutken) 
ou  le  buisson  de  drud  (  druden  busch  ). 

Ueupatoire  se  nomme  alpkraiit^  Tarmoise  (ilpraute, 
la  fumeterre  ^ï^/'^wcA,  noh  que  ce  soient  des  plantes 
alpines  ,  mais  parce  que ,  d'après  leurs  vertus  réelles 
ou  supposées ,  le  peuple  les  croit  sous  Tinfluence  du 
géûie  du  cauchemare. 

Lfesbélemnites,  à  raison  des  propriétés  occultesque 
le  peuple  leur  attribue,  en  ont  reçu  le  nom  de  pieri^ 
cl'alp,  ou  lancées  par  Talp  {alpstein  ou  alpschotls- 
tein). 

Valp  des  Allemands  y  que  les  Islandais  appellent 
alfpj  les  Danois  alfr^  a  passé  dans  la  langue  anglaise 
sous^la  dénomination  à^elf;  aussi  la  plica,  que  notis 
avons  vu  s'appeler  en  Scandinave  marlocky  se  nom- 
me-t-elle  en  anglais  elflock ,  et  ce  nom  se  trouve 
dans  Shakespeare. 

Le  vulgaire  a  encore  en  Allemagne  un  usage  su- 
perslitieux  dont  il  n*est  pas  étranger  à  notre  sujet  de 
parler  ici  en  passant ,  ne  fùtrçe  que  pour  inviter  à 
rechercher  sll  y  a  quelque  chose  de  semblable  en 
France  ou  en  Angleterre. 

Vous  avez  peut-être  entendu  parier  ,  Monsieur , 

un  assemblage  de  ^traits,  que   quelques-uns  orit 

ûômmé  signum  pjthagoricujii ,  et  qui ,  tracé  dun 

mouvement  continu  de  la  main,  refiTésente  un  pen- 

^^gone.  Adelung  dît  que  cela  s*àppélle,  en  terme  de 


blason^  un  pentalpke.  Quoiqu^M  en  soit,  cette  espèce 
de  paraplie  jouit ,  'che2  certains  paysans  allemands , 
au  rapport  de  cet  auteur^  d^une  sorte  de  célébrité  ] 
ils  croient  qu'eu  le  traçant  sur  la  porte  d'une  étable, 
la  veille  de  sainte  Walbui^e,  on  empêche  les  drudes 
ou  sorcières  d*y  entrer.  Celte  figure  est  pour  eux  le 
pied  de  Valp  o\x  de  la  drude  (  alpfuss  dmdeafuBs  ). 

Je  crois  bien  n'avoir  plus  riQU  à  vous  dire  sur  le 
rxxol  cauchemar e ,  en  ce  qui  concerne  sa  finale  ;mais; 
pour  ne  rien  omettre ,  il  faudrait  pouvoir  rappprter 
quelque  chose  d'aussi  solide  sur  la.  première  partie 
de  ce  mot. 

Je  sais  que  beaucoup  d*auteurs  ont  prétendu  que 
cauche  ou  chance  n^élait  rien  autre  que  le  latin  cal- 
cans.  Voyant  dans  le  mot  inare  le  nom  que  la  jument 
porte  en  anglais  (  en  allemand  mâhre  )  ;  ils  ont  tra- 
duit cauchemare  par  equa  calcans;  mais,  outre  qu'il 
n'est  pas  bien  naturel  de  se  représenter  une  jument 
à  cheval  sur  un  homme,  je  n'aime  pas  ces  mots  hy- 
brides que  l'on  suppose  composés  de  parties  aussi 
hétérogènes  que  le  latin  et  l'alleniand. 

Je  vaisdonc  essayer  ùiié  autre  étymplogie ,  sans 
me  flatter  cependant  de  vous  la  faire  adopter,  et  en 
vous  priant  de  lâcher  de  trouver  mieux. 

Quetschen ,  qu'on  prononce  à  peu  -çrks^  couetsche, 
est  un  verbe  allemand  dont  le%ens  est  presser  extrê- 
mement^ écraser  j  rien  n'empêche  qu'on  ïî'ait  dit 
en  allemand,  çouetsch-piave  pour  signifier  încubus 
opprimens,  ou  l'oppression  causée  par  là  mara,  et 


Ton  conçoit  comment  dans  la  bouche  des  Français 
ce  mot  se  sera  changé  en  celui  de  cauehemare  ou 
cauchemarei 

J'ai  rhoElneur  d'être,  etc. 

P.  5.  Peut-être  serez- vous  tenté  d'objecter  à  la 
seconde  partie  de  mes  recherches  étymologiques,  que 
l'allemand  n'était  pas  la  langue  des  anciens  Normands. 
Mais  j'aurais  pu  alléguer  de  même  l'anglais,  quash 
(  qu'on  prononce  à  peu  près  couesch  ) ,  et  plusieurs 
mots  semblables  dans  les  langues  de  la  Scandinavie 
et  dans  les  langues  orientales. 


EXAMEN  CRITIQUE 

Do  récit  des  historiens  qui  ont  avancé  que  W  bibliothèque. 
d'Alexandrie  avait  été  brûlée  par  le  khaljfe  O'mar;  par 
F.  &•  kvQtis,  membre  résidant. 

ijLiEXAi7i)RiB;  d^abord  toute  païenne^  puis  toute  phi- 
losophe et  mystique,  bientôt  après  demi-jtiive ,  et 
berceau  du  christianisme  y  ensuite  musulmane  de 
différentes  sectes,  n'est  plus  l'Alexandrie  des  Ptolé- 
mées ,  ni  même  celle  d'O'mar.  Le  nouveau  coviquér* 
rant  n'y  trouvera  plus  de  traces  de  cetle^célèbre  bi- 
bliothèque qui,  de  nos  jours  encore ,  est  l'objet  de 
tant  de  regret^^  ' 

IV.  20 


3o6  IfiklOIVSS  M  U  SOCIÉri'ROTALE 

Ces  immenses  archives  du  génie  de  ^antiquité  pas- 
sent vulgairement  pour  avoir  été  réduites  en  cendres 
lors  de  la  prise  d'Alexandrie  par  les  Arabes  maho- 

métans. 

A  peine  fondée  par  lé  vainqueur  de  l'Inde,  Alexan- 
drie devint  importante  et  riche.  Elle  s'accrut  encore 
sous  les  rois  successeurs  d'Alexandre.  Ainsi  que 
d'autres  grandes  cités ,  elle  se  divisait  en  plusieurs 
quartiers ,  qui  étaient  comme  autant  de  villes  sépa- 
rées. {Voy.  la  description  assez  étendue  qu  en  donne 
Strabon  dans  son  dix- septième  livre.  )  Un  de  ces 
quartiers,  le  Bruchioriy  placé  sur  le  bord  de  la  mer, 
près  du  grand  port,  renfermait  tous  les  édifices  dé- 
pendans  de  la  basilique  ou  palais  des  rois ,  le  grand 
collège  et  plusieurs  autres  monumens. 

Le  premier  des  Ptolémées ,  Lagus,  ne  borna  pas 
ses  efforts  à  rçndre  Alexandrie  une  des  ^villes  les  plus 
belles  et  les  plus  commerçantes ,  il  voulut  encore 
qu'elle  devînt  le  foyer  des  sciences  et  de  la  philoso- 
phie. Par  le  conseil  de  l'émigré  athénien, Démétiius 
de  Phalère,  ce  prince  y  établit  une  société  de  savans, 
modèle  de  nos  académies  et  de  nos  instituts  mode^ 
nés.  Il  fit  élever  pour  leur  usage  ce  célèbre  musée 
qui  fut  un  nouvel  ornement  pour  le  Bruchion.  C'est 
là  que  fut  placée  la  grande  bibliothèque ,  ouvrage 
(dit  Tite-Iive)  de  la  magnificence  des  rois ,  et  de  leur 
amour  pour  les  sciences. 

r  Pfailadelphe,  successeur  de  Lagus,  lorsqu'il  vit  la 
bibliâthèque  du  Bruchion  portée  à  4^o,ooo  volumes, 
soit  que  le  local  n'en  pût  contenir  un  plus  grand 


DBS  ANTIQUAIHES  DE  FRANGE*  5ùJ 

nambre^  soit  qu'il  fût  jaloux  d'éterniser  au$si  sob  nom 
par  un  monument  semblable,  en  fonda  une  seconde 
dans  le  temple  de  Sérapis>  dit  le  Sérapeuni,  situéassez 
loin  du  Bruchion ,  dans  une  autre  partie  de  la  ville.  ^ 
Ces  deux  bibliothèques  s'appelèrent  long-temps  la 
mère  et  la  fille.  ' 

César,  pendant  là  guerre  d'Egypte,  ayant  fait 
mettre  le  feu  à  la  flotte  du  roi;  qui  se  trouyait  dans 
le  grand  port ,  l'incendie  se  communiqua  au  Bru- 
chion; la  bibliothèque  mère  fut  consumée;  et  si 
Ton  parvint  à  en  sauver  quelque  chose  ^  il  est  pro- 
bable que  les  débris  en  furent  portés  dans  celle  du 
Sérapeum.  Une  peut  donc  à  l'avenir  être  question 
que  de  celle-ci  : 

Evergète  et  les  autres  Ptolémées  l'augmentèrent 
successivement;  Cléopâtre  l'accrut  en  une  fors  de 
200,000  manuscrits  de  lai>ibliothèque  du  roi  de  Fer- 
game,  qui  lui  furent  donnés  par  Marc-Antôine.  Les 
femmes  galantes  ont  fait  parfois  de  grandes  choses. 

Suivons  les  traces  de  l'existence  de  la  bibliothèque. 

Aulu-Gelle  et  Ammien^Marcellin  semblent  insi- 
Qjuer  que  tout  ce  qui  était  à.  la  bibliothèque  d'AJexan- 
drie  avait  été  détruit  par  Tincendie  du  temps  de  Cé- 
sar. Le  premier  dit  dans  ses  Nuits  attiques(  liv.  6, 
chap.  17): 

a  Lq)  nombre  des  livres  rassemblés  en  Egypte  par 
«  les  rpis  Ptolémées ,  était  immense ,  allant  jusqu'à^ 
«  700, 000  volumes  ;  mais  ils  ont  tous  été  brûlés  pen- 
«  dant  la  première  guerre  d'Alexandrie  ;  non  de  des- 

20* 


3d8  MÉMOIMS   DE  LA  SOCXtci  ROTAUB 

.  sein  prémédité,  mais  par  la  faute  4es  soldats,  et 
«  peut-être  des  auxiliaires. ».  \ 

Etlesecoad(l.  22,c.i6  desonhist.):  «LeSérapeum 
«  Tîenfermait unebibliothèque inestimablede 700,000 
«  volumes,  ramasséspar  les  soins  desrois  Ptolémées, 
«  et  brûlée  pendant  la  guerre  d'Alexandrie,  lors  de 
«  ladeslructioB  de  laviUe  parle  dictateur  César.  » 
Mais  tous  deux  ont  tort  sur  ce  point  ;  Ammien , 
dans  la  suite  de  son  récit,  confond  même  évidem- 
mentle  Sérapeum  et  le  Bruchion.  U  est  prOuvé  que 
César  n'a  détruit  que  quelques  édifices  dans  ce  der- 
nier, et  non  point  toute  la  ville. 

Suétone,  dans  la  Vie  de  DomitieD,  raconte  quçcet 
empereur  envoya  des  copistes  à  Alexandrie , pour  y 
copier  une  grande  quanUté  des  livres  qui  manquaient 
à  sa  bibliothèque.  Il  existait  donc  encore  une  biblio- 
thèque à  Alexandrie  bien  long-temps  après  César? 
On  sait,  d'aiUeurs,  que  le  Sérapeum  ne  fut  détruit 
qu'en  l'an  Sqi  de  J.  C.  par  les  ordre*  de  Théodose. 
Sans  doute  que  la  bibliothèque  sôuflFrit  considéra- 
blement dans  cette  dernière  occasion^  mais  qu'après, 
elle  ait  encore  existé,  du  moins  en  partie,  c'est  ce 
ce  qu'on  ne  peut  révoquer  en  doute  sur  le  témoignage 
d'Orose,  qui  fit,  vingt-quatre  ans  plus  tard,  le  voyage 
d'Alexandrie ,  et  qui  assure  y  avoir  vu,  dans  plusieurs 
temples,  des  armoires  pleines  de  Uvres,  restes  des 
anciennes  bibUothèques.  Il  est  à  remarquer  que  cet 
auteur,  ainsi  que  Sénèque  (  De  tranquilUtate  anuru, 
c.  9)»  porte  le  nombre  des  volumes  brûlés  par  César 
à  400,000  ;  et,  comme  il  paraît  que  le  nombre  total 


DES  ANTIQUAIEES  DE  IRAKCE»'  Sop 

des  livres  était  de  700^000,  reste  »  avec  les  débris 
qu'on  a  pu^sauver  de  la  première ,  un  fonds  de  3»  à 
400^000  f  qui  a  du  composer  la  seèonde.        . 

Le  véridiqueOrose»  ep,  4^^^  ^^  lé  dërniei;  témoin 
que  noust  ajons  de  l'existence  d'une  biblipthècpie  à 
Alexandrie.  lies  nombreux  écrivains  cbrétiens  des 
dnquième  et  sbdème  siècles  ^  qui  nous  ont  trans- 
mis tant  de  choses  inutiles^  ne  nous  disentpasunmot 
de  cet  important  objet; 

Nous  n  avons  donc  plu3  derdocumens  certains  sur 
le  sort  de  notre  bibliothèque ,  depuis  4^^  jusqu'en 
656 ,  Où ,  selon  d'autres  ,  64o  ,  que  les  Arabes 
prirent  Alexandrie  ^  période  d'ignonance^  de  barba- 
lie^  de  guerres^  de  soulèvemens^  et  de:^aines  disputes 
entre  cent  sectes  diverses. 

Vers  Tan  de  J.  C,  636  ou  64o,  les  troupes  du  klia- 
lyfe  0*mar,sous  la  conduite  de  son  lieutenant  A'mrou, 
s'emparèrent  d'Alexandrie.  Pendant  plus  de  dix  sib* 
cles^  personne  en  Europe  ne  s'inquiéta^à  cette  occa- 
sion^ de  ce  qu'était  devenue. la  fameuse  bibliothèque. 

£n£gQ ,  vers  1660.,  un  savant  d'Oxford ,  Edward 
Pocoeke ,  qui  avait  rapporté^  dèrdeux  voyages  dans 
l'Orient^  beaucoup  de  manuscrits  arabes^  fit  con- 
naître pour  la  première  fois  au  monde  savant  ^  dans 
une  traduction  latine^  l'histoire  orientale  du  méde- 
cin A'boulfaradje  .Voici  ce  qu'on  y  lit  :  « ....  Alorsilo- 
«  rissait  chez  les  musulmans  Jean  d'Alexandrie ,  que 
^  nous^nommons  le  grammairien  ;  et  qui  se  rangea  du 

«  parti  des  chrétiens  jacobites Il  vécut  jusqu'au 

«  temps   où  A'mrou-ben  él-a'ass  prit  Alexandrie. 


fSiO  MÉMOIRES  D£  LA  SOCXÉlé  BOTALE 

<c  II  âe  rendit  auprès  du  conquérant^  et  A  mrou,  ^i 
«  savait  à  quel  degré  de  science  était  parvenu  Jean, 
ce  le  traita  avec  beaucoup  d'iionneuri  écoutant  avi- 
<r  dément  ses  discours  pUlosopbiqties  ,  lesquels 
«c  étaient  tout  nouveaux  pour  lés  Axabes  ;  A'mrou 
«c  était  lui-m^me  un  homme  de  beauco^  d'esprit  et 
«  de  pénétration,  ayantdesidées  fort  nettes.  Il  retint 
«  dès-lors  le  savant  sans  cesse  auprès  de  lui;  Jean  lui 
«  dit  un  jour  :  Tu  as  visité  tous  les  magasins  d'Alexan- 
«  drie  et  as  apposé  ton  scel  sur  toutes  les  différentes 
«<  choses  que  tu  7  as  trouvées.  De  tout  ce  qui  peut  te 
«  servir  je  n'en  veux  point  parler;  mais  tu  devrais 
«  raisonnablement  nous  laisser  ce  dont  tu  ne  peux 
«  faire  aucun  usage.  —  Qu'est-ce  donc  que  tu  vou- 
€c  drais?  interrompit  A'mrou.  —  Les  livres  de  philo- 
«  Sophie ,  répliqua  Jean ,  qui  se  trouvent  au  trésor 
«  royal.  ^—  Je  ne  puis  disposer  de  tien ,  dit  alors  A'm- 
«<  roû^  sans  la  permission  du  chef  des  croyans,  O'mar- 
«  ben  él-khotbthâb.  Il  écrivit  donc  à  O'mar,  lui  man- 
«  dant  ce  que  Jean  lui  avait  dit.  Il  reçut  d'O'mar  use 
(c  réponse  avec  ces  mots  :  Quapt  à  ce  qui  regarde  les 
«  livres  dont  tu  parles ,  ou  ils  s'accordent  avec  le 
«  livre  de  Dieu ,  et  alors  il  suffit  du  livre  de  Dieu 
«  sans  euX;  ou  ils  contredisent  le  livre  de  Dieu,  et, 
«  dans  ce  cas,  il  ne  faut  pas  les  conserver*  Suivait 
*  l'ordre  exprès  de  les  anéantir.  A'mrou-bcn  ôl-a'ass 
«  les  fit  en  conséquence  distribuer  dans  les  différons 
«  Bains  de  la  ville,  afin  qu'ils  servissent  à  les^chauf- 
«  fer.  De  cette  façon,  ils  furent  tous,  en  une  demi- 
«  année-,  consumés  par  le  feu.  Ecoute,  et  admire!  » 


DBS  ANTIQUAIRSS  DR  F&Allf€S.  3l  1. 

Dès  que  ce  récit  d'A^bpûlfaradje  fut  conni»  eu  Eu^ 
rope ,  il  7  fut  admis  sans  cootestatioa  ;  ily  aequit  du 
poids  ^  et,  dans  l'opinion  vulg^œ^  il  passe  encore 
pour  certitude.  ,     '  ^ 

Depuis  PocockeV  oa  a  eu  ccmnaissaDce  d'ciu  anitte 
histotriea:<trab6t  aussi  médecin ,  et  qui  fait  à  peu  pths 
le  même  récit  C'est  À'bdollathyf ,  q|ui  écrivit  ver^ 
Fan  i»oo>et  par  conséquent  ^lus  tôt  qu^'boulfaradje. 
On  en  doit  la  publication  au  professeur  Paûlus,  qui 
l'a  faite  sur  un  manuscrit  arabe  de  la  bibliotbèque 
bodléiénne.  Voici  le  passage  en  question  : 

ce .  •  •  •  J  ai  vu  aussi  le  portique  qui,  après  Aristote 
<  et  ses  disciples ,  est  devenu  le  collège  académique^ 
«  et  de  plus  ^  ce  collège  qu'Alexandre-le-Grand  fit 
«  bâtir  en  même  temps  que  la  ville  »  dans  lik[ueUe 
«  était  renfermée  la  superbe  bibliothèque  qu'A'm"^ 
«  rou-ben  êl-él*a'ass  rendit  la  proie  des  flàmm^Sy  de 
«  l'aveu  du  grand  O'mar,  à  qui  Dieu  soit  miséricoi^ 
«dieux,  .• 

Comme  cette  historiette  cadrait  avec  le  caractère 
de.férocité  et  de  barbarie  que  nos  historiens  chré* 
tiens  y  et  ceux  surtout  du  temps  des  croisades ,  attri- 
buaient aux  Sarrasins ,  personne,  pendant  fort  long^ 
temps>  ne  s'est  avisé  de  la  révoquer  en  doute  •  Nous  al- 
lons essayer  de  justifier  sur  ce  point  le  khalyfe  O'naar, 
et  sou  lieutenant  A'mrou,  non  par  amour  des  Sarrar 
sins  9  mais  par  amour  de  la  vérité. 

On  pqut  soupçonner  d'abord ,  puisque  A'bdéllatbjf 
eslleplus  ancien^  qu'Â'boulfaradje  a  eu  connaissance 
<îe  ce  passage  de  son  histoire ,  et  n'a  fait  que  le  com^ 


3l2  IDlMOIfttS  m  LA  SOClM  EOTAIE 

mente»,  et  TeD^yer  à  sa  manière.  A'bdoUatibyf  ne 
rappotte  aucune  des  circonstances  qui  ont  dû  ac- 
conqpagner  la  destruction  de  la  bfttiothèque.  Mais 
comment  ajouter  foi  à  un  écrivain  qui  raconte  aycir 
iru  ce  qu'on  sait  qui  n'existait  plus  de  son  temps? 
J'ai  im»  dit-ii,  le  portique  et  le  collée  qu'Alexandre- 
le^rand  fit  bâtir,  et  dans  lequel  était  renfermée  la 
superbe  UbUothëque.  Or,  ces  deux  bâtimens  étaient 
placés  dans  Tenceinte  du  Bruchion,  et,  depuis  le  rë^e 
d'Âurelien,  qui  Favait  fait  détruire,  c'est-^à-dire  an 
moins  900  ans  avant  A'bdoUathyf^  le  Bruchion  n*élait 
plus  qu'tin  espace  désert ,  couvert  de  ruines  et  de 
décombres. 

A'bou]faradje,  de  son  côté ,  place  la  bibliothèque 
dans  le  trésor  royal  :  l'anachronisme  estlemême.  Les 
bâtimens  royaux  étant  tous  dans  Tenceinte  du  Bni- 
chioii,  il  n'en  pouvait  plus  exister  alors  ;  d'ailleurs  ^ 
que  signifie  le  trésor  royal  dans  un  pays  qui,  depuis 
long-temps,  n'avait  plus  de  rois  ^  et  qui  était  soumis 
aux  empereurs  d'Orient  ? 

Et  comme  un  fait  n'est  pas  absolument  incontes- 
table parce  qu'il  est  raconté  par  un  ou  deux  histo- 
riens, quelques  scrutateurs  ont  cru  pouvoir  douter  de 
celui-K^i.  Renaudot,  dans  son  Histoire  des  patriarcbeè 
d'Alexandrie,  en  avait  déjà  ébranlé  l'authenticité  en  ' 
disant  :  ce  récit  a  quelque  chose  de  suspect,  comme 
il  est  ordinaire  chez  les  Arabes.  Enfin  Querci ,  les 
deux  Assemani^  Villoison,  Gibbon,  et  en  dernier  lieu 
M.Reinhard^  se  sont  tout-à-fait  déclarés  co»tre  cette 
assertion. 


DBS  ÂNTIQUAIKES  DB  PBAI^CB.  3l5 

GîMion  Jreinarque  d^abord  que  deux  historiens  > 
tous  deux  de  l'Egypte ,  n'ont  pas  dit  un  mot  d^ua 
évépement  si  remarquable.  Le  premier  est  Ëutjc- 
kius^  patriarche  d'Alexandrie  /  qui  y  vivait  Soo  ans 
après  la  prise  de  cette  ville  par  les  Sarrasins^  et  qui, 
dans  ses  Annales  >  a  donné  très  au  long  Thi^oire  du 
siège  et  des  événemens  qui  l'ont  suivi.  Le  second  est 
Bl-Makyn  >  écrivain  très-véridique^  auteur  d!uiie  his- 
toire des  Sarrasins^  et  qui  surtout  rapporte  dans  un 
grand  détail  la  vie  d'0^mar>  et  la  prise  d'Alexandrie  : 
est-il  concevable ,  est-il  croyable  que  ces  deux  his- 
toriens aient  ignoré  une  circonstance  si  importante  ? 
que  deux  savans  (qu'une  telle  perte  devait  vivjenlent 
iutéresseï^)  n'^pn  aient  fait  aucune  mention ,  eux  qui 
vivaient  ,  qui  écrivaient  à  Alexandrie^  et  l'un  d'eux, 
Eutychius^  à  une  époque  assez  rapprochée  de  l'évé- 
nement ,  taudis  que  nous  en  apprenons  la  première 
nouvelle  par  un  étranger  qui  écrivait  six  siècles  après, 
sur  les  frontières  de  la  Médie  ?  — . ,, 

D'ailleurs^  observe  encore  Gibbon ,  comment  le 
khaly  fe  O'mar,  quin'était  lui-même  nuUemçivt  ennemi 
des  sciences^  aurait-il  agi,  dans  cette  occasion,  contre 
son  caractère  particulier ,  tandis  qu'il  avait,  pour  isç 
dispenser  d'un  tel  acte  de  barbarie, le sentimenjdes 
casuistes  de  la  loi  musulmane  ?  Ceux-ci  déclarent 
(  i^o/.  le  tom.  3  des  Dissertations  de  Reland ,  sur  le 
droit  militaire  des  Mahométans  )  •  qu'il  ne  convient 
«  point  de  brûler  les  livres  des  chrétiens,  pàrrespecf 
î<  pour  le  nom  de  Dieu  qui  s'y  trouve  >  et  que  tout 
«  croyant  peut  faire  un  usage  légitime  des  livres  pro- 


5l4  UÉMOWES  D£  LA  SOGlÉTli  fiOTAUS 

«  fanes  d'bislioire ,  die  poésie,  dldstobre naturelle 
c  et  de  philosophie,  »  Cette  décision  ne  ^ent  point 
les  bràieurs  de  bibliothèque.    . 

A<;es  raisons,  M.JK..  Reinhard  ajoute  les  siennes;  41 
remarque  qo'Eutycfaius, dans  ses  Annales  (tome.  2, 
page  5t6),  rapporte  les  termes  de  là  lettre  par  la- 
qoeUey  après  un  siège  long  et  opiniâtre^ A'mrou  rend 
comptean  khalyfedela  prise  d'Mexandiie.  J'aiempor- 
té  la  ville  de  vive  forée  et  sans  capitulation  préalable^ 
dit-il^  je  ne.puis  te  déciice  les  trésors  qu'ellerenferme; 
quilme  suffise  de  te  dire  que  j'ai  trouvé  4-0O0  pa- 
lais 1  iiooo  bains>  4o>ooo  juifs  taillables^  4oo  théâtres^ 
is^ooo  jardiniers  vendant  des  légumçs.  Tes  musul- 
mans demandent  le  pillage  de  la  ville  et  le  partage 
des  trésors.  0  mar  ^  dans  sa  réponse  y  désapprouve 
cette  demande  ^  et  défend  sévèrement  tout  pillage 
et  toute  dilapidation. 

On  voit  qu'A^mrou  y  dans  le  rapport  officiel  qu'il 
fait  de  sa  conquête ,  cherche  y  ainsi  que  la  coutume 
s'en  est  conservée  de  nos  jours ,  à  en  exagérer  le 
prix  et  à  en  rehausser  l'importance,  U  n^oùblie  pas 
une  baraque^  pas  un  juif,  pas  un  jardinier.  Gomnient 
aurait-il  oublié  la  bibliothèque ,  lui  qu'A'boulfaradje 
peint  comme  un  ami  des  arts  et  de  la  philosophie? 
Aurait-il  donc  pensé  que  ce  célèbre  et  antique  mo- 
nument ne  valait  pas  la  peine  qu'on  en  tint  con^te  ? 

El-Makyn  rapporte  à  son  tour  la  lettre  d'A'mrou, 
à  peu  près  dans  les  mêmes  termes.  Pas  un' mot  delà 
bibliothèque. 

Ofi  peut  objecter  que  peut-être  jamais  cette  lettre 


DES  AKTIQUAinES  DU  FRAlfCE.  3>5 

n'a  été  écrite  par  A^mroa/et  que  lés  deux  historiens 
la  lui  prêtent?  ttàison  de  plus  pour  qu^il  y.  eût  été 
question  de  la  bibliolliëque  s'il  j  avait  eu  lieu  ;  eus- 
sent-ils  oublié  tous  deux  cet  article^  qui  edt  dû  être 
si  important  aux  yeux  de  deux  savans^habitans d'A- 
lexandrie? Se  seraient-ils  piqués  de  paraître  mieux 
inforniés  de  l'existence  des  bains  et  des  jardins  po- 
tagers que  de  celle  de  la  bibliothèque  ?  '  -" 

Mais,  si  la  lettre  est  authentique ,  comme  sou  éçm- 
tenu  doit  le  faire  penser ,  qu'on  fasse  attention  à  la 
réponse  du  l  hàlyfe ,  qui  ordonne  d'épai^er  tout  ce 
qui  se  trouve  dans  la  ville.  ' 

On  pourrait,  sans  grand  risque,  tirer  de  tout  cecr 
la  con  clusion'que  la  biblio  thèqùe  des  Ptolémées  n'exis- 
tait déjà  plus  en  64o,  lors  de  la  prise  d'Alexandrie 
par  les  Sarrasins^  - 

EuToici  de  nouvelles  preuves,  tirées  de  deux  écri- 
vains à  peu  près  contemporains  d'O'mar.  - 

L'un  d'eux ,  Jean  Philoponos  (  que  Gibbon  et  d'au- 
tres ont  confondu  mal  à  propos  avec  Jean  le  gram- 
inàirien,dont  parle  A'boulfaradje)  dit,  dans  son  Com- 
mentaire sur  l'analytique  d'Aristole ,  «  que  <lans  les 
«  anciennes  bibliothèques  il  s'était  trouvé  4o  KVres 
ce  différens  de  cette  analytique.  »  Il  ne  nomme  pas 
expressément  les  bibliothèques  d'Alexandrie  ,  mais 
il  vivait ,  il  écrivait  dans  celte  ville ,  où,  sans  douté,  on 
les  nommail  toujours  les  bibhothèques  par  excellence, 
et  îl  rie  pouvait  parler  ici  d'aucune  autre.  On  sait 
d'ailleurs  que  les  écrits  d'Aristote  avaient  été  rassem- 
blés très  -  soigneusement  pour  la  bibliothèque  des 


5x6  MÉMOIRES  B£  LA  SOCIÉTÉ  ROTÀIE 

Ptolémées.  Voyez  ce  qu'en  ont  dit  Athénée  ^  Stra- 
.  bon  et  Plûtarque,  dans  la  Vie  de  SjÙa,     . 

Mais  s'il  reste  encore  quelque  doute  j  qu'on  con- 
sulte le  mattre  de  Philbponos  ^  Âmmonius  Herméas, 
dans  ses  observations  sur  les  cs^thégories  d'Aristote. 
n  vivait  a  Alexaùdrie  avant  Tinvasiondes  Sarrasins. 
«  Ptoléniée  Philadelphe  >  dit-^U  ^  passe  pour  s'être 
«  fort  appliqué  à  ramasser  les  écrits  d'Aristote  ^  et 
«  pour  avoir  libéralement  récompensé  ceux  qui  lui 
«  en  apportaient  ;  ce  qui  fut  cause  que  bien  des  gens 
«  en  présentèrent  de  faux^,  sous  le  nom  d'Aristote , 
«  et  que  dans  la  grande  bibliothèque  il  se  trouvait 
«  jusqu'à  4o  différens livres  de  l'Analytique.» 

C'est  bien  de  la  bibliothèque  d'Alexandrie  que 
parle  ici  Anmionius;  c'est  donc  d'elle  aussi  que  Philo- 
ponosentend  parler.  Ce  qu'il  appelle  les  anciennes  bi- 
bliothèques^ est  la  même  chose  que  ce  qu'A^oamônius 
appelle  la  grande  bibliothèque;  ils  en  parlent  tous  deux 
conune  d  une  chose  qui  a  été  y  et  qui  n'existe  plus  : 
cela  est  de  la  dernière  évidence.  On  peut  même  bien 
penserqu'il  s'agit  ici  de  la  bibliothèque  du  Sérapeum; 
car  Philadelphe^  qui  rassemblait  avec  tant  de  soins 
les  écrits  d'Aristote  ^  les  aura  sans  doute  placés  dans 
ime  collection  qui  était  son  propre  ouvrage  ^  et  qu'il 
affectionnait  particulièrement. 

Si  l'on  consulte  les  probabilités  naturelles,  ouïes 
trouvera  de  même  contre  le  récit  d'A'boulfaradje,  et 
contre  l'existence  d'une  bibliothèque  au  temps  d'O- 
mar etd'A'  mrou.  Les  livres  des  anciens  étaient  écrits 


DES  ANTIQUAIRES  D£  FRANCE^  Z\y 

OU  sur  du  parchemin,  ou  sur  des  feuilles  de  papyrus. 
Ceux  de  la  bibliothèque  d'Alexandrie  devaient  être 
surtout  de  cette  dernière  espèce,  puisque  le  papyrus 
était  me  pliante  égyptienne.  Or,  ces  feuilles  de  pa*- 
pyrus  étaient  très-sujettes  à.  là  dissolution  et  aux  in- 
sectes, surtout  dans  Fair  chaud  et  humide  d'Âlexan- 
drie ,  de  sorte  qu'il  fallait  fréquenunent  renouveler 
les  copies.  Or,  croit-on  que  tous  les  soins  nécessaires 
aient  été  donnés  à  la  conservs^tion  d'une  tello  biblio- 
thèque après  les  rois  Ptolémées,  au  milieu  des  guerres^ 
des  soulèvemens  qui  eurent  lieu ,  et  pendantlesqueb 
le  goût  des  sciences  et  'des  lettres  tomba  comme  on 
sait?...  Les  manuscrits  en  parchemin ,  qui  probable- 
ment n'étaient  pas  nombreux ,  purent  résister  plus 
long-temps  ;  mais  tous  les  autres  durent  être  devenus 
la  pâture  des  vers ,  après  deux  ou  trois  siècles. 
A'boulfaradje  ne  détermine  pas  le  nombre  des  livres 
(ph  selon  lui,  furent  brûlés;  mais ,  dit-il,  ils  ser- 
virent pendant  six  mois  à  chauffer  les  bains  de  la  ville  ; 
et  nous  savons  qu'il  y  avait  4ooo  bains.  Ecoute  et 
admire,  ajoute-t-il.  En  effet ,  il  y  a  de  quoi  admirer. 
Des  livres  qui  chauffent  4ooo  bains  pendant  six  mois  ! 
Un  plaisant  pourrait  observer  qu'A'mrou  ayant  pris 
la  ville  précisément  au  mois  de  mai,  on  ne  devait  pas 
avoir ,  en  cette  saison ,  grand  besoin  d'eau  chaude 
dans  les  bains  d^Âlexandrie. Les  volumes,ou  rouleaux 
des  anciens,  n'étaient  guère  comparables  à  nos  in- 
folio, et  le  nombre  des  livres  brûlés ,  en  accordant 
^^  I^us  possible ,  ne  pouvait  aller  qu'à  trois  ou  quatre 


3l8  MÉMOIRCS  DE  LA  SOCIÉTÉ  fiOTAU 

cent  m^e  ;  la  portion  journalière  de  chaque  bain 
devait  être  ausssi  fort  mince. 

Et  quels  matériaux  pour  faire  bouillir  des  chau* 
diQres  !  quQ  de  vieux  parchemins  et  des  rouleaux  de 
papyrus!  Il  devait  s'en  exhaler  une  odeur  fétide^capar 
ble  de  corrompre  l'air;  et  remarquez  que  ni  le  parche- 
min ni  le  papyrus  ne  peuvent  servir  à  chauffer  de  Teau  » 
Ciette  dernière  absurdité  n'est  peut-être  pas  une  des 
raisons  les  moins  fortes  contre  le  récit  d'A'boul- 
faradje. 

Mais  s'il  est  vral^  comme  il  le  semble ,  qu'en  6^0, 
lors  de  la  prise  d'Alexandrie  par  A'airou^  la  célèbre 
bibliothèque  n'existât  plus ,  de  quelle  manière  avait- 
elle  donc  été  dispersée  et  détruite,  depuis  l'an  ^ib 
qu'Orose  assure  encore  l'avoir  vue?. 

Remarquons  d'abord  qu'Orose  ne  parle  que  de 
quelques  armoires  qu'il  a  vues  dans  les  temples  ;  ce 
n'était  plus  là  tout-à-fait  la  bibliothèque  des  Ptolé- 
mées ,  celle  qui  existait  dans  le  Sérapeum. 

Qu'on  se  rappelle  ensuite  les  troubles  et  les  éter- 
nelles guerres  dont  l'Ëgjpte  a  été  le  théâtre  depuis 
les  premiers  empereurs  romains^  et  l'on  s'étonnera 
qu'il  ait  pu  subsister  encore  quelques  traces  de  la  bi- 
bliothèque dans  des  temps  postérieurs. 

Sous  Commode ,  le  Sérapeum  souffrit  déjà  un  in- 
cendie, mais  sans  être  tout-à-fait  détruit;  ce  qoi 
pourtant  ne  put  arriverisans  que  la  bibliothèque  n'eût 
à  souffrir. 

On  sait  quelles  dévastations  commit  le  génie  mal- 


DES  ANnQV AIRES  DE  FEARCB.    '  Sig 

faisant  de  Garacalla  dans  la  malheureuse  Alexandrie. 
Le  musée  y  fut  abattu. 

Sous  Aurélien,  tout  le  Bruchion  ïut  démoli.  Cet 
empereurprit  ensuite  la  ville  y  et  la  livra  au  pillage 
de  ses  soldats.  .  . 

Vinrent  ensuite  les  troubles  de  Tarianisme. 

Théodose4e-6rand  enfin ,  poussé  par  les  exhorta^ 
tions  de  Févêqfue  Théophile^  fait  réduire  en  cendres 
le  Sérapeum,  Tan  deJ.  G.  Sgi.Il  est  certain  que 
tous  les  bâtimens  attenans  à  ce  temple  furent  cette 
fois  la  proie  desflamnies.Ge  serait  donc  des  chrétiens 
qu'il  faudrait  accuser  de  cette  perte  ;  et  Ton  ne  peut 
guère  douter  que  le  zèle  aveugle  des  premiers  siècles 
n'ait  porté  des  hommes  peu  éclairés  à  détruire  livres, 
monumens,  enfin  tout  ce  qu'ils  croyaient  pouvoir 
perpétuer  ou  rappeler  le  culte  des  idoles. 

'  Si  cette  fois  il  est  encore  échappé  quelques  dé- 
bris de  la  bibliothèque,  il  est  probable  que  le  second 
Théodose ,  aussi  bibliomane  que  les  Ptolémées ,  se 
les  sera  appropriés. 

S'il  en  est  encore  resté  à  Alexandrie;  que  seront-ils 
devenus  pendant  la  guerre  qui  s'est  élevée  dans  ses 
^urs  entre  CjriUe  et  Orestc?  pendant  les  soulève- 
mens  qui  ont  eu  lieu  sous  ^empereur  Marcian?Il  est 
très-probable  qu'il  s'en  fit' alors  un  gaspillage  consi- 
dérable. Les  moines  en  firent  passer  dans  leurs  mo- 
nastères ,  les  empereurs  d'Orient  à  Gonstantinople 
et  dans  d^utrës  villes  où  ils  établirent  des  écoles.  Il 
est  hors  de  doute  que  ,  vers  le  commencement  du 
neuvième  siècle,  une  grande  quantité  d'anciens 


320  HÉM0IBB8  DE  LA  SOCIÂTÉ  ROTALE 

livres  se  trouvait  disséminée  en  Egypte.  LéonrAfri^ 
cain  rapporte  que  le  khaljfe  Mamhhoud  envoya,  en 
Syrie ,  en  Arménie  et  en  Egypte^  diverses  personnes 
avec  la  commission  d'y  rassembler  et  d  y  acheter 
d'anciens  livres,  et  qu'elles  revinrent  chargées  de  tré- 
sors inesthnables. 

Ënfin^  qu'on  se  rappelle  encore  que>  sousHéraclias, 
les  Perses  prirent  et  pillèrent  Alexandrie  qu'ils  aban- 
donnèrent peu  de  temps  après  :  alors  survinrent  les 
Arabes  >  qui  ne  purent^  comme  l'on  voit>  y  trouver 
l'antique  bibliothèque ,  à  moins  qu'il  n'ait  été  fait 
pour  sa  conservation  un  miracle,  dont  malheureuse- 
ment  nous  n'avons  aucun  exemple  dans  l'histoire  de 

la  littérature. 

Gibbon  se  déclare  encore  pour  la  négative  ;  il  re- 
grette bien  plus^  dit-il^  la  perte  des  bibliothèques 
romaines  qui  ont  dû  périr  lors  de  Tinvasion  des  bar- 
bares du  nord  !  il  ne  nous  est  parvenu  que  des  frag^ 
mens  des  trois  grands  historiens  de  Rome  ;  et  nous 
devons  nous  étonner  du  nombre  de  morceaux  de 
littérature  grecque  qui^ont  surnagé  jusqu'à  nous  à 
travers  le  déluge  de  dévastations^  qui  a  couvert  tant 
de  siècles.  Nouseii  possédons  les  ouvrages  classiques, 
et  ces  oeuvres  du  génie,  à  qui  la  voix  de  l'antiquité 
assigne  le  premier  rang.  Aristote ,  Galien ,  Pline , 
avaient  lu ,  comparé ,  employé  les  écrits  de  leurs  de- 
vanciers, et  ils  ne  nous  donnent  point  de  raisons 
valables  de  penser  qu'il  se  soit  perdu  ni  vérité  impor- 
tante, ni  découverte  utile,  qui  puisse  intéresser  beau- 
coup la  curiosité  des  modernes.  Quant  à  ce  qui  re^ 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  32  1 

gardait  la  littérature  des  barbares ,  on  présume  que 
l'orgueil  des  lettres  grecques  n'aura  pas  permis  à  des 
livres  éthiopiens^  indiens^  chaldéens,  phéniciens^  etc. 
d'entrer  «dans  cette  bibliot}ièque  ;  et  d'ailleurs  il  est 
fort  douteux  que  la  philosophie  ait  pu  éprouver,  par 
cette  exclusion ,  une  véritable  perte. 

Sans  rejeter  entièrenaent  ce  que  dit  Gibbon  à  ce 
sujet,  on  doit  penser  cependant  que  nos  richesses  lit- 
téraires seraient  plus  grandes  si  nous  possédions  en- 
core la  bibliothèque  du  Sérapeum.  Qui  que  ce  soit 
qui  l'ait  dé  truite,  les  vers  ouïe  feu,  l'incurie  ou  le  fa- 
natisme, il  est  certain  qu'elle  nous  offrirait  un  Aristote 
complet  et  correct ,  qui  peut-être  alors  serait  tout  in- 
telligible ;  les  œuvres  de  Ménandre,  tout  ce  qui  nous 
manqué  d'Eschyle ,  d'Eurypide,  les  poèmes  d'Empe- 
docle  et  de  Stésichore  ;  une  multitude  d'écrits  phi- 
losophiques de  Théophraste ,  d'Epicure ,  de  cent 
autres;  une  foule  de  morceaux  historiques  dont  nous 
sommes  à  jaïnais  privés.  C'en  est  donc  assez  pour 
causer  quelques  regrets  aux  amis  des  sciences  et  des 
muses- 

Mais ,  j'en  conviens ,  en  déplorant  la  perle  de  la 
grande  bibliothèque  du  Sérapeum ,  on  peut  rester 
assez  indifférent  sur  ce  qu'A'mrou  a  brûlé,  si  en  effet 
il  â  brûlé  quelque  chose.  Il  est  assez  démontré  que, 
de  son  temps,  la  collection  des  Ptolémées  ne  pouvait 
plus  exister  ;  mais  on  sait  que ,  pendant  les  deux  ou 
trois  siècles  qui  ont  précédé  l'arrivée  des  Musulmans, 
il  avait  paru  une  effroyable  quantité  d'écrits  polé- 
miques, produits  parle  gnostisme,  l'arianisme ,  le 

IV.  21 


322  MÉMOIRES  DE  Là  SOCIÉTÉ  ROYALE 

monophjsitisme  ^  le  monotélitisme  ^  etc .,  toutes 

sectes  qui  agitèrent  beaucoup  l'empire  ^  et  en  parti- 
culier Alexandrie. 

Il  est  probable  que  la  maison  du  patriarciie  et  les 
églises  étaient  pleines  de  ces  écrits  ;  et.  s'ils  ont  servi, 
à  chauflPer  les  bains ,  il  faut  convenir  (ajoute  Gibbon) 
que  du  moins  une  fois  ils  auront  ser^i  rhumanité. 


EXTRAIT 

Da  Glossaire  breton j  ou  Recueil  des  expressions  vicieuses, 
surannées  ou  rustiques ,  usitées  dans  la  ci-devant  proyince 
de  Bretagne;  par  J.  F.  M.  M.  Â.  Le  Gonidec,  membre  de  la 
Société. 

A. 

Agios,  s.  m.  pL  caresses,  révérences,  façons, 
cérémonies.  Il  ne  s'emploie  qu'avec  le  verbe  faire  : 
ils  m'ont  fait  beaucoup  rf^agios  a  mon  arrivée* 

ÀiGLEDON,  s.  m.,  par  abus  pour  édredon ,  duvet 
de  certains  oiseaux  du  nord,  particulièrement  de 
VEider,  canard  d'Islande  •  On  lui  a  fait  présent  d'tm 
coui^re-pied  ^^aigledon . 

ÂHBIEII5EUR ,  s.  m. ,  cclui  CD  la  garde  duquel  on 
a  mis  des  biens  saisis  parla  justice.  En  hvelon ,  alnen- 
ner  ou  ambienner  signifie  la  même  chose  :  on  ïa 
nommé  ambienneur  dans  là  maison  du  condamné. 

AmelettCi  s.  f. ,  par  abus  pour  omelette,  œufs 


i 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  023 

battus  qu'on  a  l'ail  cuire  dans  la  poêle  avec  du  beurre. 
faites-nous  une  amelette  de  huit  œufs. 

Anguille  ,  s.  f.  (  on  mouille  les  deux  //).  Outre 
sa  signification  connue  commç  poisson  ,  on  lui 
donne  aussi  ceile  de  fente  y  crevasse  qui  se  fait  dans 
un  mur.  C'est  ce  qu'ailleurs  on  nomme  lézarde,  IL 
s'est  formé  une  anguille  dans  toute  la  hauteur  du 
premier  étage  :  quelques  personnes  emploient  le 
mot  couleuvre  dans  le  même  sens. 

Anguille,  adj.  (  on  mouille  les  deux//  ) ,  fendu  , 
crevassé,. en  parlant  des  murs;  c'est  ce  qu'ailleursi 
on  nomme  lézardé.  Ce  mujr  est  ainsi  anguille  depuis 
plus  d^un  an. 

Anillc  ,  s.  f .  (  on  mouille  les  deux  //  ),  béquille  ^ 
sorte  de  bâton ,  avec  une  petite  traverse  ,  dont  se 
servant  les  vieillards  et  les  estropié^.  Anille  ne  s'em- 
ploie guère  qu'au  plurier.  OA  assure  quUl  ne  pourra 
plus  marcher  qu^avec  des  anilles* 

.  Anuit  ,  adv.  aujourd'hui,  au  jour  où  nous.sOmmes^ 
Le  P.  Grégoire,  dans  son  dictionnaire  français- 
breton  ,  dit  que  ce  mot  vient  de  l'usfi^ge  des  ^Gaulois 
de  cooai^ter  le  temps  par  nuits  et  non  par  [ours.  // 
ne  viendra  pas  anuit. 

AOUT,  S.  .m.  Outre  son  emploi  pour  désigaep  un 
des  mois  de  Tannée,  on  donne  encore  à  ce  mot  la 
signification  de  moisson,  réc^ltç.  jCommmceresr- 
vQu^  bientôt  yotre  août  ?  Dans  ce  derûier*  àerts  seule- 
ment, il  se  prononce  oût  en  Bretagné|;  c^eàt  sans 
doute  pour  le  distinguer  du  mo t précédente- 


21* 


32^  HXMOI&ZS  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

ÂRBELÈzB ,  S.  f .  ^  côtes  de  porc  frais  non  séparées. 
Nous  aurons  une  arbelèze  pour  rôti. 

ÂAHORiQTJE  y  s.  f .  C'est  le  nom  que  Ton  donne  de- 
puis long-temps  à  la  Basse-Bretagne  ,  particulière- 
ment aux  cantons  maritimes.  Du  breton  armôrSc^  ou 
plutôt  an^ôriky  composé  de  ar  pour  i^àr^  ou  war  sur, 
dessus  y  et  de  môrik  y  diminutif  de  môvy  mer.  On  doit 
donc  entendre  par  armorique  un  pajr^  situé  sur  la 
petite  mer  {i). 

Absenac  ou  ARCENAG  OU  ARSENA>  S.  m.  y  par  abus 
pour  arsenal  y  magasin  d'armes.  Allez  à  /'arsenac  ; 
et  présentez  cette  demande  au  garde^magasin. 

AssABLER^  y.  a.^  combler  y  remplir  de  sable.  La 
mer  y  ayant  assablé  le  port  de  l^ ancienne  ville  de 
Penmarc^hy  a  été  cause  de  sa  ruine.  S^assabler,  pour 
s'engraver ,  s'engager  dans  le  sable.  Son  bateau  s'est 
assablé ,  et  il  a  été  obligé  d^ attendre  la  marie. 

Assassin  ,  s.  m.  ^  par  abus  pour  assassinat  y  meurtre 
en  trahison  et  de  guet-apens.  //  a  été  commis  wi 

ê 

(i)  Les  anciens  donnaient  le  nom  d'AaiioKici  on  d'AmMOucAiii  à  on 
peuple  placé  à  l'ouest  de  la  Gaule  ;  mais  le  mi  sens  dte  ce  mot  embar- 
rasse, lorsque  l'on  yeut  déterminer  les  limites  du  pays  qu'occupait  ce 
peuple.  Qu'entendaient  les  anciens  ^an petite  mer?  M.  de  Penhooët^  dans 
ses  recherches  sur  la  Bretagne ,  n'aurait-il  pas  eu  raison  lorsqu'il  a  avaiicé 
que  l'on  ne  devait  comprendre ,  sons  le  nom  d'armortcaiiu^  que  les  habi- 
tans  du  Morbihan  et  des  environs  de  son  archipel.  C'est  peut-être  par  ex- 
tension qu'on  a  donné  depuis  le  nom   d'armoriquê  à  toute  la  c(yte  de 
Bretagne ,  au  lieu  de  celui  d^orm^.  Car  je  remarquerai  qu'en  breton ,  «r- 
mâr  ouaréâr  (et  non  armdrîA  ou  arvârià)  est  le  nom  que  l'on  donne  à 
toute  l'étendue  de  la  côte  de  Bretagne  qui  a  vue  sur  la  mer,  par  oppo- 
sition au  mot  arkoat  ou  drgoat  (  sur  le  bois  ) ,  nom  par  lequel  on  désigne 
l'intérieur  de«  terres. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  325 

assassin  la  nuit  dernière  dans  notre  rue  (  il  est  po- 
pulaire. ) 

Atr^ts,  s.  m.  pi. ,  décombre  »  gravois ,  du  breton 
atred  qui  signifie  la  même  chose,  ^t^ez-i^ousfait  e/z- 
lei^er  les  atréts  qui  remplissaient  i^otre  cour  ? 

Au-HouROiB^  façon  de  parler  adverbiale  pour  si- 
gnifier moribond;  mourant^  près  de  mourir.  Lorsque 
je  suis  sorti,  il  était  au  mouroir. 

AvANGEB,  V.  n. ,  aller  vite ,  fournir,  en  parlant  d^un 
ouvrage ,  etc.  Ce  tricot  est  si  fin  qu^il  n^avange  pas 
du  tout.  Je  ne  puis  pas  avanger  a  cela. 

B. 

BAfiO0B  fS.î.,  crotte,  boue  des  rues,  au  figuré  em- 
barras 9  gène  ;  du  breton  babouz ,  qui  a  à  peu  près  les 
mêmes  acceptions.  Il  y  a  beaucoup  de  baboue  dans 
votre  quartier;  ils  m'ont  entraîné  malgré  moi  ^  et  en- 
suite ils  WLont  laissé  dans  la  baboue. 

Badie,  s.  f.  C'est  un  des  noms  que  Ton  donne  à  la 
guigne  ou  cerise  douce.  JVe  donnez  pas  de  badies 
noires  à  cet  enfant,  celalui salirait  les  mains  :  donnez- 
luide%  badies  rouges. 

Baille,  s.  f.  (  on  mouille  les  deux  //),  baquet 
sans  anses,  du  breton  bal,  qui  signifie  la  même  chose 
et  se  prononce  de  même.  Mettez  de  Ceau  dans  la 
baille  poiir  arroser  le  jardin.  Voyez  Baratte. 

Balant,  adj.,  pendant,  qui  pend.  Ce  mot  pour- 
rait venir  du  substantif  balant ,  terme  de  marine  si- 
gnifiant partie  de  manœuvre  qui  n'est  point  halée  ou 


326  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

tirée.  //  a  toujours  les  b^'as  balans ,  quand  il  mar- 
che. On  dit  aussi  abusivement  être  en  balant,  pour 
être  en  balance ,  en  suspens ,  irrésolu. 

Ballin,  s.  m,,  couverture  de  lit  d'une  étoffe  gros- 
sière ,  composée  de  laine  brute  et  de  lin  ou  de  chan- 
vre, du  hrelon  pallin,  qui  signifie  la  même  chose.  Ce 
hû\\n  est  trop  court  pour  mon  Ut;  donnez^nienun 
autre. 

Bamboche  ,  s.  f.  Outre  ses  acceptions  connues,  on 
lui  donne  encore  la  sigoificalion  de  pantoufle  ou 
mule  avec  un  quartier  de  derrière.  Cest  probable- 
ment le  mot  babouche  mal  prononcé.  Otez  vos  sou- 
liers et  mettez  vos  bamboches. 

Banie  ou  Bannie,  s.  f. ,  ban ,  publication ,  procla- 
mation qui  se  fait  dans  l'église  pour  avertir  qu'il  y  a 
promesse  de  mariage  entre  deux  personnes.  Savez- 
vous  pourquoi  on  a  fait  une  banie  dans  les  rues?  on 
n^a  passé  [que  deuxh^me^j  ajant  obtenu  des  dis- 
penses de  la  troisième, 

Banir  ou  B^N^iR ,  V.  a.,  publier,  proclamer,  pro- 
mulguer, passer  les  bans,  annoncer  qu'il  y  a  pro- 
messe de  mariage  entre  deux  personne^*  Deniaùi  on 
banira  la  paix.  Votre  frère  a  été  barii  dimanche 
dernier. 

Bar,  s.  m.,  poisson  de  mer  fort  délicat,  mais  très- 
difficilefà  transporter.  On  le  nomme  aussi  sur^mulet. 
Mettez  le  bâr  sur  le  gril,  et  servez-le  à  la  sauce 
blanche. 

Baratte,  s.  f.  Outre  son  acception  connue,  on  lui 
donne  encgare  la  signification  de  baquet  avec  deux 


r 


DES    ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  327 

anses,  pour  porter  de  Teausurla  tête.,  du  breton 
barazy  qui  signifie  la  même  chose.  Allez  chercher  de 
teau  dans  la  baratte.  Voyez  Baili^jb* 

Barbuquet,  $.  m.,  petite  gale  sur  le  bord  des  lè- 
vres. //  a  souvent  du  barbuquet  aux  lèvres. 

Bataclan,  s.  m.,  tous  les  meubles  et  ustensilesd'un 
ménage.  /&  se  sont  embarqués  avec  tout  leur  bata- 
clan. (  Il  est  familier.  ) 

Battes  ,  s.  f. ,  la  quaotité  qu'on  peut  battre  à  la 
fois,  de  quelque  chose  que  l'on  parle.  Cela  nous 
donnera  deux  battées  de  papier.  Nous  avons  dç  quoi 
faire  une  battée  de  pommes  a  cidre. 

Batette  (  prononcez  ba-i-ette),  s.  f. ,  par  abus 
pour  baguette  y  verges,  houssine,  etc.  Cette  bajette 
servira  à  battre  les  habits.  Il  a  perdu  une  des  bayet- 
tes  de  son  tambour. 

Bègaud,  adj.  et  s.  m.,  badaud,  niais.  Ce  jeune 
homme  est  un  vrai  bégaud. 

Bégauder^,  V.  n. ,  badauder,  niaiser,  s'arrêter 
d'une  façon  niaise  à  regarder  ce  ^ui  se  passe.  // 
niarche  dans  les  rues  tout  en  bégaudant. 

Bégauoerie  ,  s.  f. ,  action ,  discours  de  badaud* 
C'est  aussi  un  lien  commode  pour  causer  et  pour 
voir  ce  qui  se  passe  dans  une  ville.  La  bégauderie 
approche  fort  de  f  imbécillité  :  la  bégauderie  est,  tou- 
jours pleine  de  mondç. 

Bélinbr,  V.  n.  5  se  battre  à  coups  de  tête  comme 
les  béliers.  En  Bretagne  y  on  voit  souvent  les  lutteurs 
béliner.  / 


1 


328  MEMOIRES  DE  LA  SOGlixi^  ROYALE 

Bère^  s.  m.  y  par  abus  pour  berceau  y  dans  toutes 
ses  acceptions.  M eite%  cet  enfant  dans  son  bère.  Le 
vaisseau  sera  lancé  bientôt;  on  travaille  à  son  bère. 

BiGNET,  s.  m.,  par  abus  ^pouv  beignet ,  pâte  frite  à 
la  poêle.  Tout  le  monde  en  général  aime  fe^bignets 
de  pomme$. 

Bigorneau  >  s.  m*  C'est  le  nom  que  Ton  donne 
au  limaçon  de  mer  y  coquillage  bon  à  manger.  //  a 
toujours  des  bigorneaux  en  poche  y  et  il  les  mange 
avec  une  épingle  :  quelques-uns  disent  bigorne. 

Biiriou,  s.  m.  C'est  un  des  noms  que  Ton  donne 
en  Bretagne  à  la  cornemuse  y  instrunâent  champêtre. 
C'est;  sans  altération  y  le  breton  biniou  qui  signifie  la 
même  chose.  Nous  ne  sommes  pas  loin  de  la  danse  y 
car  f  entends  le  biniou.  Voyez  Vaize. 

Boise  ^  s.  m. ,  pièce  de  bois  équarrie,  madrier. 
Voidez-vous  que  nous  nous  asseyions  sur  la  boise  ? 

BoÎTe,  s.  f.  Outre  ses  différentes  acceptions  con- 
nues ^  on  lui  donne  la  signification  d'appât  pour 
prendre  le  poisson  ;  ce  mot  est  pur  breton ,  avec  une 
très-faible  altération.  Il  vient  de  boued,  nourriture, 
mangeaille.  T ai  fait  une  bonne  provision  de  boîte 
pour  la  pêche.  On  dit'  aussi  résure  dans  le  même 
sens. 

Boite,  adj.,  un  peu  ivre  de  vin,  gris.  Quoiqv^H 
n'ait  pas  beaucoup  bu ,  il  n'en  est  pas  moins  boite. 
Dit  papier  boite,  pour  du  papier  brouillard. 

Bonnbau  ,  s.  m. ,  bois  ou  liége  flottant  qui  désigne 


DES  ANTIQU AIRES  DE  FRANCE.  329 

Tancre  mouillée  :  c'est  ce  qu'on  nomme  ordinaire- 
ment bouée.  Il  y  a  sûrement  une  ancre  près  d^icij 
car  s^oilà  un  bonneau.  On  dit  aussi  gas^iteau  dans  le 
même  sens. 

BoRD^  s.  m.  Outre  ses  différentes  acceptions  con- 
nues^ ce  mot  s'emploie  aussi  pour  côté.  Chacun  s^en 
alla  de  son  bord. 

BouiiniFAiiiiiE^  s.  f.  (on  mouille  les  deux//); 
repas  abondant  et  peu  délicat.  //  aime  la  bourdi- 
faille;  c^est  tout  son  bonheur.  (  Il  est  familier.  ) 

BouRRixa ;  s.  m. ;  ordure,  fumier,  boue.  Pour- 
quoi  avezr-vous  laissé  ce  bourrier  derrière  la  porte  F 
il  a  du  bourrier  dans  ses  flûtes ,  phrase  proverbiale 
qui  vaut  celle-ci  :  ses  affaires  sont  en  mauvais 
état. 

BouRSETTE,  S.  f.,  plante  que  l'on  mange  en  sa- 
lade; on  la  nomme  mâche  ou  dougktte  à  Paris. 
Taime  mieux  la  boursette  que  le  pourpier,  quel- 
ques-uns la  nomment  bourse-à-févêque. 

BouscoGiïBR,  V.  a. ,  pousser  et  repousser,  ballo- 
ter.  Ik  nCont  tant  bouscogné ,  que  fen  suis  encore 
tout  étourdi.  (  Il  est  familier.  ) 

BREGiiiLBR,^.  n.  (on  mouille  les  deux//)»  faire 
un.  mouvement ,  bouger,  se  remuer.  Quoiqu^il  eût 
la  certitude  que  sa  vie  était  en  danger ,  //  n'a  pas 
brécillé  un  instant. 

Brbdacer,  V.  n.,  radoter,  rêver,  dire  des  extrava- 
gances par  un  affaiblissement  d*esprit;  déraisonner  : 


55o  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  KOYALE 

depuis  quelque  temps  il  ne  fait  plus  que  bredacer. 
(  n  est  familier.  ) 

BiiENiQUE  0UBERI7IQUE;  S.  f.^  sorte  de  coquillage 
de  mer  que  le  peuple  mange ,  du  breton  brennik  ou 
brinnik ,  peut-être  pour  bronnik ,  petite  mamelle , 
dont  ce  coquillage  a  effectivement  la  forme  :  achetez 
des  breniques/7oz^r  notre  souper. 

BrignoN;  s.  m.,  par  abus  i^qiût  brugnon ,  espèce 
de  pèche  sans  duvet.  Les  escargots  sont  très-friands 
des  bngnons. 

BaocHON^  s.?m.^  petit  morceau  de  bois  mince  et 
court,  espèce  de  petite  cheville  pointue  ;  il  vaut  le 
diminutif  brochette^  et"* vient  comme  lui  du  français 
broche  :  prenez  un  bro4^hon ,  que  vous  mettrez  dans 
le  petit  trou  du  baril.  Vous  auez  oublie  le  brochon 
que  vous  avez  mis  au  poulet. 

Baocoli^  s.  m. ,  jet  ou  tige  de  chou ,  ou  de  toute 
autre  plante  qui  commence  à  monter  en  fleurs.  Ce 
mot,  contre  l'opinion  de  ceux  qui  le  font  Tenir  de 
ritalien ,  me  semble  tout-à-f ait  breton ,  composé  de 
brous  y  jet,  rejeton,  et  de  kaoly  chou  ,  légume  on 
plante.  Les  brocolis  de  navets  sont  plus  estimés 
que  ceux  de  chous  ;  quelques-uns  prononcent 
bricoli» 

Brodb  ,  adj. ,  celui  ou  celle  dont  le  teint'  est  un 
peu  noir,  brun, 'brune.  C'est  une^ssez belléfemme, 
mais  elle  est  un  peu  brode* 

Brouaillês,  s.  f.,  pi.  (  on  mouille  les  deux  W ); 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  33l 

intestins  de  poissons  ou  de  volailles  qu^on  vide.  Ces 
brouailles  seront  bonnes  pour  pêcher  des  cancres. 

Brouéb,  s.  f. ,  il  se  dit  de  tout  ce  qui  vient  par 
accès,  etc.,  et  qui  ne  dure  guère;  du  breton  brouez, 
qui  signifie  la  même  chose.  //  est  survenu  une 
brouée  de  pluie  qui  nous  a  forcés  à  nous  réfugier 
dans  une  maison  :  il  lui  a  pris  une  brouée  de  toux 
qui  a  été  sur  le  point  de  V étouffer. 

Bruaut,  s.  m.,  oiseau  dont  le  plumage  est  jau- 
nâtre ;  c'est  une  espèce  de  verdier  ;  on  le  nomme 
aussi  bruant  en  breton.  Mettez  ce  bruant  dans  une 
cage. 

BuiE,  s.  f.  y  grand  vase  ordinairement  alongé,  en 
terre  vernissée ,  qui  sert  à  puiser  de  Feau  à  la  fon- 
taine, yous  ne  pourrez  pas  porter  la  buie  sur  i^otre 
tête ,  elle  est  trop  lourde.  A  Nantes  et  dans  les  envi- 
rons >  oii  dit  une  bue. 

c. 

Cabosser,  v.  a.,  bossuer, faire  des  bosses,  en  par- 
lant des  métaux.  //  a  cabossé  sa  tabatière  d'or.  (  Il 
est  familier.) 

Capbtibre,  s.  f.  Outre  son  acceptioi;^  connue, 
on  l'emploie  par  abus  pour  limonadière ,  maîtresse 
d'un  café.  P^ous  direz  à  la  cafetière  de  m'en^^ojrer 
trois  demi-tasses. 

Calandrer,  V.  a.,  hoUander ,  passer  des  plumes 
à  la  cendre  chaude.  Il  faut  calandrer  w^  plumes 
aidant  de  les  tailler. 


332  MÉMOIRES  DE  Ik  SOCIETE  &OTALE 

GiLiN,  S.  m. ,  ustensile  de  cuisine  en  fer-blanc; 
avec  un  couvercle  bordé ,  servant  à  cuir-e  différentes 
choses  au  gratin.  J^rêtez^moi  votre  câlin  pour  cuire 
des  côtelettes. 

Camper  ,  v.  a.  ^  retaper^  retrousser  les  bords  d  un 
chapeau  contre  la  forme.  Faut-îl  camper  votre  cha" 
peau,  ou  le  portezryous  en  rond  ?  chapeau  campé ^ 
chapeau  à  trois  cornes. 

Gampin^  adj.  et  s.  m.^  boiteux^  celui  qui  boite, 
qui  ne  marche  pas  droit;  du  breton  kamuc,  qui  si- 
gnifie la  même  chose.  Il  est  resté  campin  depuis 
sa  chute  ;  les  campins  sont  communs  dans  cette 
i^ille. 

GAMrii9E>  féminin  de  campin. 

Gahpinbr,  V.  n.^  boiter,  clochçr>  ne  pas  marcher 
droit.  Je  Vai  toujours  vu  campiner,  même  avant  sa 
blessure. 

Caiïetaxb>  s.  f. ,  petite  herbe  fort  mince  qui  croit 
dans  les  eaux  vives  qui  n'ont  pas  d'écoulement ,  et 
que  les  canards  aiment  beaucoup.  Je  ne  veux  pas 
qu'on  enlève  la  canetaie  de  cette  mare. 

Canette^  s.  f.^  petite  boule  de  terre  cuite  ou  de 
marbre  dont  se  servent  les  enfansdans  leurs  jeux, 
c'est  ce  qu'on  nomme  bille  à  Paris.  J^oulez-vous  jouer 
a  la  canette  ? 

Garapousse;  s.  f. ,  espèce  de  bonnet  en  feutre, 
connu  ailleurs  sous  le  nom  de  casquette.  Les  cara- 
pousses  sont  fort  commodes  pour  la  chasse  et  pour  les 
voyages. 


BS3  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  333 

Casse,  s.  f.  Outre  ses  acceptions  connues ,  on  lui 
donne  encore  la  signification  de  lèchefrite  ^  ustensile 
de  cuisine  servant  à  recevoir  le  jus  du  rôti.  Vous  avez 
oublié  de  mettre  la  casse  sous  la  poularde. 

Gasse-museaiT;  s.  m.,  espèce  de  pâtisserie  fort 
légère ,  dans  le  genre  des  échaudés  :  c'est  ce  qu'on 
nomme  colifichet  à  Paris.  //  faut  acheter  un  casse-- 
museau  pour  les  serins. 

Gastille  ;  s.  f.  (  on  mouille  les  deux  //  ).  C'est  le 
nom  que  l'on  donne  à  la  groseille  à  grappes  rouges 
ou  blanches.  Ce  fruit  apparemment  a  été  apporté 
d'Espagne  en  Bretagne.  Les  castilles  blanches  sont 
moins  acides  que  les  rouges. 

Gastille  ,  s.  f •  (  on  mouille  les  deux  //  ) ,  que^ 
relie,  dispute,  différend.  Ils  sont  toujours  en  castille/ 
on  ne  les  voit  jamais  d^ accord. 

Gastiller  ,  s.  m.  (  on  mouille  les  deux  //  ) ,  gro- 
seiller  à  grappes  à  fruit  rouge  ou  blanc.  Le  castiller 
est  un  des  premiers  arbustes  qui  porte  fleur.  Voyez 
Gastille,  pren[iier  article. 

Ghipoter,  V.  n.,  marchander,  faire  tous  ses  efforts 
pour  obtenir  du  rabais  sur  une  marchandise.  Cette 
dame  n  achète  rien  sans  chipoter. 

Ghipoteur,  adj.  et  s.  m.,  celui  qui  marchande, 
qui  veut  avoir  du  rabais  sur  une  marchandise.  G  est 
le  plus  grand  chipoteur  que  je  connaisse.  Comme  on 
sait  qu^il  est  chipoteur  ,  on  lui  surfait  toujours 
beaucoup. 


334  MÉMOIRES  D£  XA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Chipoteuse  ,  féiuinin  de  chipotew^. 

Coches,  s.  f.p. ,  dépens,  dépense,  frais.  Il  a  appris 
à  ménager  depuis  quil  s^it  à  ses  propres  coclies.  On 
dit  aussi  crochets  dans  le  même  sens. 

CoMBOT,  s.  m.,  étage;  du  breton  kombot,  ou 
kembotf  qui  signifie  la  même  chose.  //  a  un  fort 
beau  jardin  a  combots  ,  à  terrasses  ,  en  amphi- 
théâtre. 

CoRôiNER,  V.  n. ,  écornifler,  cherôher  à  manger 
aux  dépens  d'autrui*,  prendre  du  tabac  dans  la  taba- 
tière des  autres;  etc.  On  détroit  avoir  honte  de  cor- 
biner  quand  on  est  si  riche  ;  il  n^ achète  pas  de  tabac, 
il  aime  mieux  corbiner. 

CoRBiNEUR  ,  s.  m.,  écornifleur,.  parasite.  Cet 
homme  est  connu  partout  pour  un  corbineur. 

Corée  ou  gourée  ,  s.  f.  ^  fressure ,  Fassemblage 
du  foie,  du  cœur,  de  la  rate  et  du  poumon  de  quel- 
ques animaux.  En  Angleterre  et  dans  plusieurs 
villes  de  F  Allemagne ,  les  hommes  ne  mangent  au- 
cune partie  de  la  corée  de  la  viande  de  boucherie) 
on  ne  les  achète  que  pour  nourrir  le$  chiens  et  les 
chats, 

CoRTNUÈRE ,  S.  f.  Outrc  SCS  acccptious connues,  on 
emploie  ce  mot  pour  angle ,  coin ,  encoignure.  Elle 
s'est  blessée  en  heurtant  contre  la  cornière  de  h 
cheminée. 

CoTiR,  V.  n.  Outre  son  acception  connue,  ce 
verbe  s'emploie  aussi  pour  éclater ,  crever ,  faire  un 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  555 

grand  bruit.  Le  trop  grand  feu  a  fait  cotir  la  cas-- 
serole  de  teire. 

Coulée  ;  s.  f.,  vallée,  espace  entre  deux  monta- 
gnes, pays  au  pied  d'une  montagne.  Cette  coulée 
produit  beaucoup  de  blé  et  de  foin. 

Gouiiis,  s*  ifSL.  Outre  ses  acceptions  connues,  il 
s'eni^loie  aussi  pour  désigner  la  bouillie  claire  que 
Ton  fait  avec  du  gruau  d'avoine.  Depuis  sa  convales- 
cence on  lui  a  ordonné  de  manger  beaucoup  de 
coulis  das^oine ,  pour\?u  qiCilsoit  bien  cuit. 

Coup-POUR-son,  façon  déparier  adverbiale  qu'on 
peut  rendre  par  'ce;5  mots  :  à-tous-coups  ou  bien 
coup-sur-coup,  //  répète  cette  eocpression  coup- 
pour-sou. 

Crocher,  V.  a.,  prendre, saisir,  mordre.  Madame 
crochait  le  bras  de  son  marij  cet  enfant  ne  croche 
pas  le  sein  de  sa  mère. 

Grouiller  v.  a.  (  on  mouille  les  deux  //  ),  ver- 
rouiller, fermer  au  verrou;  en  breton  du  dialecte  de 
vannes  on  dit  kroulein  (  ou  mouille  17  )  dans  le 
même  sens.  Avezrvous  eu  soin  de  crouiller  la 
porte  ? 

CuTE,  s.  f.,  cache,  cachette;  du  breton  kûz  ou 
kûty  qui  signifie  la  même  chose.  Ne  craigncT^-vouspas 
(jue  Fort  découvre  votre  cute  .-^  (Il  est  populaire.  ) 


336  MEMOIRES  DE  LÀ  SOCIEHÉ  ROYAIC 

/ 

D. 

Da60I7,  s.  m. ,  _pièce,  morceau  d'étoflFe  ou  de 
métal  qu'on  attache  à  des  choses  de  même  nature , 
lorsqu'elles  sont  trouées. ///^t/^  mettre  un  àz}û<ycLa 
t habit  de  votre  fils  \  on  mettra  un  dabon  a  la  cas- 
serole. On  dit  aussi  un  gros  dabon ^  pour  un  richard^ 
un  homme  qui  a  beaucoup  de  biens  et  peu  de  mé* 
rite.  (  Il  est  populaire .  ) 

Dabonner,  V.  a.,  raccommoder,  mettre  des  pièces 
à  des  habits ,  à  des  ustensiles  de  cuivre ,  etc.  Son 
gilet  est  tout  dabonné;  il  faudra  faire  dabonner /<? 
chaudron.  (  Il  est  populaire.  ) 

Daî7s^  prép.,  par  abus  au  lieu  de  à,  aussi  préposi- 
tion ,  au  y  aux.  Il  en  a  autant  que  de  doigts  dan^  la 
main  y  mes  souliers  ne  me  tiennent  pas  àiusles 
pieds. 

Dauba REUR;  s.  m.,  aide-macon  ou  sert-macon , 
aide-couvreur;  du  breton  darbareur,  qui  signifie  la 
même  chose.  Ce  darbareur  est  bien  chargé  pour 
monter  à  l* échelle. 

Défeiner,  V.  a.,  tirer  de  peine ^  faire  sortir  du 
malheur^  rendre  à  une  meilleure  chance.  Il  foiU 
mêler  les  cartes,  cela  vous  défeinera  peut-être.  Je 
suis  enfin  défeiné.  Ce  verbe  est  formé  à  rimîtation 
du  génie  de  la  langue  bretone. 

Deri.  s.  m.,  débordement,  sortie  hors  du  bord. 


:l 


.  DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE*  55^ 

La  dernière  pluie  a  causé  un  déni  d^eau  fort  eonsi^ 
dérable. 

DiOT  9  adj.  et  s.  m. ,  par  abus  pour  idiot  y  stupide  y 
imbécilie  ;  en  breton  >  on  dit  aussi  diot  ou  diod  dans 
le  même  sens.  //  faut  être  bien  diot  pow  cmire 
cela. 

DoiGi'E ,  s.  f.  (  le  ^  ne  se  pronotice  pas  ) ,  ai- 
guillée, certaine  étendue  de  fil,  de  soie,  etc.,  coupée 
de  la  lon^eur  qu'il  faut  pour  travailler  à  Taiguille. 
Donnez-moi  une  doigte  de  fil ,  et  deux  doigtes  de 
laine  \  quelques-uns  prononcent  douette. 

DONGBR,    OU   DONJER,    OU   DANGER,   S.  m.,    répU-^ 

goaoçe,  dégoût,  aversion;  il  se  dit  plus  particuliè- 
ment  en  parlant  des  mets.  Elle  méfait  àongevpar 
sa  malpropreté.  Sçn  plus  grand  donger  est  contre 
les  grenouilles . 

DouET^  s.  m.,  lavoir,  lieu  destiné,  à  laver  le 
linge.  Il  faut  porter  le  linge  au  douet. 

*  Doute >  s.  f.  Outre  ses  acceptions  connues,  ce 
mot  s'emploie  encore  avec  la  signification  de  fossé 
d'un  château ,  d'une  ville ,  etc.  ;  du  breton  douez ,  ou 
dous^ez ,  qui  signifie  la  même  chose.  Ilny  a  pas  deau 
dans  les  douves.  On  a  transformé  les  douves  du  chd" 
tau  en  un  fort  joli /ardin. 


IV.  ^2 


338  HÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROT^tE 


VESTIGES  D'ANTIQUITÉ 

Obserrés  dans  le  Jurassien  ;  par  M.  Movkiea,  conservateur  èi 
musée  départemental  du  Jura,  correspondant  de  la  Société. 


OBSERVATIONS  PRELIMINAIRES. 

JLi'HOMKE  est ,  dit-on  ^  le  même  partout,  c'est-à-dire 
il  est  partout  faible,  crédule  et  routinier,  sans  s'en 
douter. A  quelques  modifications  près,  apportées  dans 
ses  mœurs,  par  Tinfluence  de  la  religion ,  le  paysan 
est  encore  ce  qu'il  était  il  y  a  seize  à  dix-huit  siècles. 
Les  habitudes  qu'il  avait  conservées  au  temps  de  saint 
Eloy,  comme  l'attestent  plusieurs  conciles  tenus  dans 
les  Gaules,  il  les  contiuueencorede  nos  jours, malgré 
la  censure  de  ses  zélés  pasteurs.  Au  reste,  il  faut  avouer 
que  la  superstition  est  reléguée  si  avant  dans  le  fond 
des  hameaux ,  qii^à  peine  o$e-tt-elle  se  montrer  au- 
jourd'hui. 

Ce  serait  une  pénible  tâche  à  s'imposer,  que  celle 
de  suivre  Tesprit  humain  dans  toutes  ses  aberra- 
tions. Ce  cadre  serait  vaste  ;  mais  qui  voudrait  le 
remplir?  Si  j'entreprends  de  consigner  ici  quel- 
ques-uns des  traits  caractéristiques  d'une  portion  peu 
éclairée  de  mes  compatriotes,  ce  n'est  pas  que  je 


DES  ANTIQUAIRES  BB  FRANCE.  55q 

veuille  les  signaler  comme  un  peuple  particulière- 
ment imbu  de  préjugés  ;  le  Jurassien  n'est  pas  plus 
ignorant  que  Thabitant  des  autres  contrées.  J'ai  lu 
des  mémoires  sur  les  usages  de  différentes  provinces, 
qui  prouvent  que ,  partout  ailleurs,  les  générations  ne 
Le  cèdent  aux  nôtres  ni  pour  le  nombre  ni  ppur l'ab- 
surdité des  erreurs.  D'ailleurs,  tout  en  recueillant 
ces  notes  sur  des  usages  singuliers,  qui  sautent  à  l'œil 
de  l'observateur  le  moins  attentif^  j'ai  reconnu  que 
ce  qu'il  y  avait  de  marqué^  au  sceau  de  Tantiquité 
dans  notre  esprit  et  dans  nos  mœurs,  n'est  pastout 
à  blâmer  ;  et  que ,  par  des  vertus  et  des  qualités  es- 
sentielles^  le  bon  pëiiple  du  Jura  rachète  l'imperfec- 
tion commune* 

Chapitre  I.  — De  V esprit  patriotique. 

Le  caractère  du  Jurassien  est  fortement  dessiné. 
Ici  la  passion  vit  dans  les  souvenirs ,  et  la  haine  oatio^ 
nale  se  perpétue  san$  perdre  beaucoup  de  son  éner- 
gie; il  semblç  qu'elle  survit  encore  à  toutes  les  do- 
minations étrangères,  même  à  celles  qui  ne  sontplus. 

§^  1.  La  haine  des  Romains  s'est  transmise  de  père 
en  fils,  dans  une  partie  de  la  montagne  de  Saint- 
Claude  ,  d'une  manière  si  vigoureuse ,  que  le  nom 
de  Romain  y  est  deyenu  synonyme  de  méchant. 

En  1817,  un  maire  delà  commune  de  Ginquétral> 
ayant  été  desservi  près  de  Tautorité  supérieure ,  ex- 
posa dans  sa  défense ,  que  ses  délateurs  méritaient 
si  pisu  d'eatinàe ,  et  qu'ils  passaient  pour  si  mécfaans^ 
qu'on  les  avait >  de  tout  temps>  surnommés  Romains. 

32* 


34o  MÉtfOIBES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE         *      - 

Aux  XIIP  etXiy*  siècles»  on  disdnguait  encore  les 
étrangers  qui  peuplaient  la  partie  haute  de  la  Se* 
quanie^  par  la  dénomination  de  Romans  et  âtAUe^ 
mans:  (  HisU  de  Pontarlier ,  par  Droz.  )  Au  com- 
mencement du  XIY*  siècle  y  Jean  de  Blonnay  et  Jac- 
quette  de  Joux  accordèrent  à  des  Allemand  un 
abergement  ou  des  franchises  ;  et  Jeanne  dé  Joux 
égala  leur  condition  à  celle  des  Romans. 

§  2.  Semblable  antipathie  a  r^né  et  règne  en- 
clore entre  les  habitans  du  duché  et  du  comté  de  Bour- 
gogne^  spécialement  dans  les  communes  situées  entre 
Auxonne  et  Dôle,  ainsi  que  dans  celles  desGranges, 
de  Nomoet^  de  Ghampagnat-  sur-Guizeaux.  Ces  ini- 
n)itiés  remontent  à  des  temps  antérieurs  à  la  venue 
4e  Gésar;  elles  ont  leur  source  dans  les  guerres  per- 
.  pétuelles  que  se  livrèrent  les  Séquaniens  et  les  Eduens 
au  sujet  du  péage  de  la  Saône ,  contestations  dont  les 
écrivains  latins  ont  assez  parlé.  {César y  de  bel.  gall.) 

J'ai  moi-même  entendu  des  habitans  de  l'une  de 
ces  dernières  communes  y  se  répandre  en  plaintes 
amères  contre  la  mauvaise  foi  des  François  .  dési- 
gnant  sous  ce  nom  leurs  adversaires ,  qui  étaient  du 
département  de  Saône-et-Loire  y  plus  anciens  Fran- 
çais que  les  Jurassiens. 

11  est  vrai  que  le  procès  qui  a  entretenu  ce  ressen- 
timent date  du  XIU''  siècle. 
^  Certainement  ce  fut  pour  la  province  de  Franche- 
Comté  un  événement  très-heureux  d'être  réunie  à  la 
France^  sous  le  beau  règne  de  Louis  XIV;  cependant 
ce  bonheur  ne  fut  pas  apprécié  par  tous  les  nouveaux 


DES  ANTIQUAIRES  DE.  FRANCE.  3^1 

sujets.  Le  sourenir  des  incendies ,  des  meurtres^  des 
pillages  y  des  exactions  commises  par  les  troupes  en*> 
Demies  pendant  les  siècles  précédens ,  aigrit  encore 
long-temps  Içs  esprits  :  peu  à  peu  il  s'effaça ,  mais 
d'une  manière  si  incertaine ,  qu'il  existait  encore,  il 
j  a  peu  d'années ,  des  vieillards  qui  étaient  restés 
Ë^agnols  au  fond  du  cœur.  La  ténacité  de  quelques 
anciens  à  cet  égard  est.  citée.  On  rapporte  qu'un  in- 
dividu de  Yincelles,  arrondissement  de  Lons-le-Sau» 
nier,  refusa,  jusqu'au  dernier  soupir,  de  prononcer 
le  cride  f^ii^e  le  roi  de  France^  que  l'on  exigeait  jadis 
de  tout  moribond ,  comme  un  acte  de  soumission  au 
nouveau  gouvernement ,  et  qu'au  contraire  il  mur- 
mura entre  ses  dents  quelque  imprécation.  Un  homme 
de  Polign j  recommanda ,  dans  un  testament,  en  dic- 
tant ses  dernières  volontés ,  qu'on  l'enterrât  la  face 
contre  terre  et  le  derrière  élevé ,  pour  marquer  le 
mépris  qu'il  faisait  du  nouvel  ordre  de  choses. 

§  3.  Mais  si  les  enfansdelaSéquanie  voient  avec 
peine  leurs  ennemis  s'impatroniser  chez  eux ,  ils  n'en 
accueillent  pas  moins  les  étrangers  en  paix  avec  ami- 
tié et  distinction  ;  et  l'on  peut  dire  que ,  partout  où 
les  mœurs  nouvelles  n'ont  pas  altéré  la  bonhomie 
de  nos  pères,  les  lois  de  l'hospitalité  sont  encore  dans  , 
leur  pleine  vigueur.  Avant  la  révolution,  un  étranger 
qui  arrivait  dans  une  de  nos  villes,  était  aussitôt  in- 
vité à  des  repas ,  et  admis  dans  la  société.  Hospites 
ad  epulas  i/ocant  :  quisint,  quâ  causa  venerint  y  post 
cœnam  rogantes ,,  etc.  (  Diod.,  liv.  6,  chap.  9.  ) 


3^2  UÉMOIRES   DE  LÀ  SOGIETB  ROYALE 

Chapitre  II.  —  Du  physique. 

§  !•  L'habitant  àxï  Jura,  qui  s'est  fait  admirer, 
par  sa  stature  et  par  son  courage  dans  les  armées  y 
depuis  qu'il  est  Français ,  est  un  de  ceux  de  toute 
l'ancienne  Gaule  x{ui  a  le  plus  conserré  de  traits  de 
ressemblance  avec  les  Celtes  ses  pères,  à  en  juger 
d^s^rès  le  portrait  qu'en  ont  tracé  les  auteurs  latins. 

La  taiUe  des  Séquâniens  était  desplus.avantageuses, 
leur  corps  bien  proportionné  dans  toutes  ses  parties: 
ils  cherchaient ,  par  leurs  gestes ,  leur  voix  y  et  par 
l'expression  de  leur  physionomie ,  à  se  donner  un  air 
redoutable  et  guerrier.  Quelquefois  ils  faisaient  dres- 
ser leur  chevelure  sur  leur  tête ,  et  ils  la  rendaient 
d'un  rouge  ardent  au  moyen  d'une  certaine  prépa- 
ration (  Diod.  de  Sic. ,  liv.  6  y  chap.  9)  ;  ils  avaient 
la  peau  fraîche,  les  jeuxbleus  et  les  cheveux  blonds. 

Il  est  remarquable  que  les  contrées  septentrio- 
nales produisent  les  chevelures  blondes  et  rouges  ; 
chez  les  Anglais ,  les  Prussiens,  les  Russes,  les  Sué- 
dois ,  le  blond  dans  la  chevelure  et  le  bleu  dans  les 
yeux ,  sont  des  couleurs  universelles,  tandis  que,  chez 
lios  Ptovenceaux ,  chez  les  Espagnols ,  les  Italiens  et 
les  Turcs ,  la  couleur  des  cheveux  et  des  yeux  est  gé- 
néralement brune. 

Au  temps  de  César,  le  climat  de  la  Gaule  était 
plus  rigoureux  qu'à  présent.  Le  Rhône  gelait  tous 
les  hivers  ;.  les  armées  entières  et  leurs  bagages  pas- 
saient, sur  la  glace,  d'un  rivage  à  l'autre. 


k 


r 


«DES  ANTIQUAIKES  DE  FRANGE.  3^5 

Le  Rhône  ne  présente  plus  ce  phénomène;  mais 
aussi  le  sol  gaulois  n'est  plus  si  riche  en  forêts  qu'il 
Tétait  alors.  Ce  changement  notable  de  température 
s'est  fait  sentir  dans  la  Séquanie  ,  où  il  est  rare  main- 
tenant que  les  grandes  rivières  gèlent  si  profondé"- 
ment  qu'alors.  Cependant  les  cimes  du  Jura  ,  cou- 
vertes de  frimas  durant  plusieurs  mois  de  l'année , 
entretiennent  beaucoup  de  froid  dans  le  départe-^ 
ment,  et  c'est  à  la  sévérité  de  ce  ciel  que  nos  mon- 
tagnards doivent  la  robqste  constitution  qui  les  dis- 
tingue. 

Nous  vojonsencore^  dans  la  partie  haute  de  la  pro- 
vince y  des  femmes  dont  la  stature  rappelle  le  sou- 
venii*  de  ces  Gauloises  qui  suivaient  à  l'armée  leurs 
époux  y  et  qui,  dans  les  rangs  ^  ressemblaiefnt  à  des 
machines  de  guerre.  (  Hist.  des  Gaulois  y  par  M.  K- 
cot  de  Genëvre.  ) 

Quant  au  mélange  qui  règne  parmi  nous  dans  les 
couleurs  des  cheveux  etd^s  yeux,  on^pourrait  l'at- 
tribuer aux  alliances  qui  se  sont  faites  successivement 
entre  les  familles  gauloises  et  les  colons  de  l'Italie 
et  des  autres  pays  méridionaux. 

§  2.  Les  Bressans  portent  les  cheveux  naissans,  à 
la  manière  des  Bourguignons  leurs  ancêtres  >  chez 
qui  la  longue  chevelure  était  ime  marque  de  distinc- 
tion, et  la  tonsure  un  signe  d'esclavage.  (Hist.  de 
Bourgogne^  par  Mille,  liv.  i,  pag.  109.  ) 


344  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ    ROYfLC 

Chapitae  III.  —  De  Vhabillemeni  des  hommes. 

§  I.  Une  espèce  de  surtout,  qui  est  généralement 
usité  dans  nos  campagnes^  est  la  blaude;  elle  est 
bleue  dans  la  montagne ,  et  blanche  dans  la  Bresse. 
Les  Gaulois  Font  certainement  connue^  et  c'est  peut* 
être  leur  sagum ,  si  des  monumens  anciens ,  où  l'oa 
voit  des  personnages  costumés  de  cette  manière^  sont 
bien  réellement  gaulois.  (  Hist.  de  Baune ,  pi.  7 , 
fig.  1  et  3.  )  Au  reste,  on  en  trouve  d*à  peu  près  sem- 
blables dans  les  monumens  romains  et  gothiques. 

§2.  Le  Bressan  du  canton  de  Saint- Amour  con- 
naît encore  une  sorte  de  vêtement  qui  a  appartenu 
spécialement  aux  Séquaniens,  d'après  le  témoignage 
du  poète  Martial.  Du  moins  il  parait  assez  clair  que 
ce  qu'il  appelle  andromis,  et  qui  se  nommait  en  cel- 
tique androm ,  est  ce  que  les  Français  connaissent 
sous  la  dénomination  de  balandvan ,  et  les  Bressans 
sous  celle  de  balandron . 

§  3.  On  voit  encore  des  vieillards  qui  portent  des 
culottes  à  braguettes  ;  elles  s'ouvrent  à  Tentre-cuisse, 
et  se  ferment  par  une  double  boutonnière  et  un  double 
boutOR  en  forme  de  petite  bobine.  Ce  nom  de  braie 
et  de  braguette  est  un  reste  de  haute  antiquité.  César, 
comme  chacun  s^it ,  divise  la  Gaule  en  trois  régions 
principales ,  parmi  lesquelles  est  la  Gaule  à  bf*aie 
(  GalUa  brUccata  ),  dont  la  Séquanie  faisait  partie. 
Dans  un  chapitre  de  mes  recherches ,  j'ai  donné  la 


k 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  3^5 

description  et  la  figure  d'un  petit  joueur  de  musette, 
qui  est  vêtu  de  la  braie.  Cette  figurine  a  été  trouvée 
à  Senay,  près  la  ville  d'Orgelet. 

§  4.  Le  montagnard,  surtout  dans  le  Grandvaux^ 
se  ceint  les  reins  d'un  faisceau  de  cordons  de  laine 
de  deux  couleurs /le  plus  communément  rouges  et 
jaunes,  et  agréabilement assortis. 

Le  radelier  de  la  rivière  d'Ain ,  du  côté  du  Bugey, 
porte  également  une  ceinture  de  plusieurs  couleurs 
vives  y  et  de  soie ,  qui  se  noue  sur  le  côté  et  yjQotte  en 
frange.  Cevingulum  se  place  l^orizdntalement;  chez 
les  un3  9  il  sert  à  contenir  de  l'argent  ;  chez  les  autres, 
il  n'est  qu'un  objet  de  parure,  à  moins  qu'il  ne  serve 
aux  ouvriers  pour  se  soutenir  les  reins  dans  le  travail. 
Les  anciens  postaient  une  ceinture  ,  mais  ils  la  pla- 
çaient le  plus  souvent  en  écharpe.  Quelques  gens 
riches  ,  chez  les  Gaulois ,  ceignaient  leur  tunique 
d'une  hand^  dorée  ou  argentée.  (  D/o^. ,  liv.  6,0.9.) 
Les  Âsiâ^tiques  y  attachaient,  entre  autres  objets,  une 
balance^  quand  ils  faisaient  les  fonctions  de  juges  aux 
portes  dès  villes  (i). 

(1)  On  a  découvert  sûr  le  territoire  de  Domblans,  où  passait 
une  ancienne  voie ,  une  petite  figure  de  bronze ,  représentant 
Jupiter  ifiator.  Le  dieu  tient  d'une  main  la  haste,  de  l'autre 
un  vase  ;  il  es^  nu-pieds  :  ses  sandales  sont  engagées  softs  sa 
ceinture.  {Monfaucon  (antiq.  expl.)  donne  pourtant  une  figure 
pareille  à  celle-ci  pour  Escalope,  )  J'ai  tu  à  Besanpen  une 
autre  antique  semblable ,  trouvée  dans  la  rue  de  Ronchaùx , 
qui  a  été  originairement  une  voie  romaine,  romana  calx. 


\ 


346  HÉUOIlUiS  M  M.  SOCIÉTÉ  EOYAUS 

Il  est  boa  die  distinguer  cette  ceinture  civile  du 
balteus  qui  appartenait  à  Tordre  militaire,  quoique 
nous  voyions  encore  les  officiers,  dans  les  troupes -es- 
pagnoles, allemandes,  russes  ,  etc. ,  porter  la  cein- 
ture horizontale  ^  à  la  manière  de  nos  magistrats. 

§  5.  Le  Bressan  se  distingue  de  tous  les  autres ha- 
bitans  du  pays  par  le  devantier  de  peau  blanche  dont 
il  se  pare  aux  jours  de  fête  ;  c'est  un  tablier  de  peau 
chamoisée  qui  est  suspendu  au  cou  par  deux  cor- 
dons, et  tient  au  corps  par  d'autres  cordons  qui  nouent 
derrière  le  dos.  Il  est  remarquable  que  les  Bressans 
sont  de  race  bourguignonne^  généralement  parlant. 
Plusieurs  indices  me  donnent  lieu  d'adopter  ce  sen- 
timent^ qui  n'est  pourtant  p^s  celui  de  M.  Droz,  de 
Pontarlier. 

Parmi  ces  indices ,  je  citerais  bien  quelques  usages 
et  des  noms  appellatifs ,  mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu* 
Or,  un  passage  de  Socrate  établit  que  les  Bourgui- 
gnons s'adonnaient  beaucoup  aux  arts  mécaniques^ 
et  qu'ils  étaient  presque  tous  charpentiers,  lotirons 
et  maçons.  De  là  sans  doute  l'usage  journalier  da 
tablier  que  nous  venons  de  décrire ,  et  le  titre  d'où- 
vrier  sous  lequel  le  maître  de  la  maison  est  toujours 
désigué. 

LaBressanne  dit  communément /zof'  ouvrier,  pour 
7720*  mari. 

§  6.  Le  vigneron  se  garantit  les  jambes,  au  moyen 
d'une  espèce  de  guêtres  de  toile  ,  sans  boutons  et 
sans  sous-pieds ,  chaussure  qui  s'appelle  garodes  ou 


DES  ÀNTIQfVAXRBS  DE  FRANCE.  347 

varodesy  dans  le  département  du  Jura ,  et  golèches 
dans  une  autre  partie  de  la  Franche-Gomté. 

Bullet  (Dictcelt.)  pense  que  ce  dernier  mot,  qu'il 
tire  du  celtique galochenn, msivqxxe  une  sorte  de  chaus- 
ses gauloises  semblables  aux  guêtres  de  nos  vignerons, 
dont  il  s'agît  ici. 

§  7.  Quant  à  la  chaussure  ,  les  sabots  sont  com- 
muns à  tous  les  Jurassiens.  Les  jours  de  fête,  on  sort 
avec  des  souliers  à  grandes  boucles  carrées ,  dans  la 
montagne  et  dans  la  plaine.  Les  souliers  à  cordons 
sont  plus  spécialement  employés  dans  la  région  in- 
termédiaire. 

Chapitre  FV.  —  De  ^habillement  des  femmes. 

Il  existe,  d^s  le  département  du  Jura,  des  cos- 
tumes originaux  ;  mais  celui  de  la  Bressanne  du  can- 
ton de  Saint-Àmour  est  le  plus  élégant,  le  plus  riche, 
le  plus  coquet.  Essayons  de  le  décrire,  quoique  nous 
soyions  dans  Tignorance  de  sa  véritable  origine. 

§1.  1^  Petit  chapeau  de  feutre  noir  (i),  dont  la 
forme  est  couronnée  de  blonde  de  même  couleur , 
et  d'où  tombent,  de  chaque  Coté ,  des  rubans  noirs 
garnis  de  dentelles.  Il  se  place  obliquement,  et  tl^ht 
par  deux  cordons  au  cajffion.  2^  Le  caffion  (car  c'est 
ainsi  que  l'on  appelle  le  bonnet  qui  enveloppe  les 
cheveux)  laisse  à  découvert  la  partie  antérieure  de 

(i)  lï^inckelmaDD  a  prouvé  que  Tusagc  du  chapeau  était 
très*ancien. 


348  HiMOIEBS  DE  £A  BOCltri  EOTAIX 

la  téte^  et  se  termine  derrière  en  cul  de  poulet.  Niobé, 
d'origine  égyptienne ,  est  coiffée  dans  ce  goût ,  sui- 
vant les  monumens.  Les  femmes ,  à  la  célébration 
des  isiaques ,  avaient  leurs  cbeveux  plies  dans  un 
bonnet.  Chez  les  filles ,  le  cctffixyn  ne  dépasse  guère 
Toreille  ;  chez  les  fenuues»  il  se  prolonge  jusque  sous 
le  cou  f  où  se  fait  un  nœud  de  ruban.  3^  Collier  de 
velour  noir  y  d'où  pend ,  entre  les  deux  épaules,  un 
flot  de  pareils  cordons ,  et,  sur  la  gorge  y  une  croix  et 
un  cœur  en  relief  d'or  ou  d'ai^ent^  selon  la  fortune. 
4®  Tablier  à  bavette  enrichi  de  chaînes  d'or  ou  d'ar- 
gent^  qui  sont  retenues  de  chaque  côté  par  des 
épingles  à  grosses  boules.  5^  Robe  de  laine  courte, 
à  courte  taille ,  et  à  manches  qui  s'arrêtent  au  coude. 
Les  coutures  de  la  taille  et  les  manches  sont  ornées 
de  larges  rubans  de  soie  ,  et  quelquefois  de  galons , 
qui  coupent  sur  la  couleur  du  fond.  Le  nombre  des 
plis,  formant  garniture  ai;i  bas  de  la  robe  ,  fait  con- 
naître la  fortune  d'une  belle  héritière.  6^  Gorgire 
ou  fichu  de  couleur  indifférente  >  engagé  sous  la  robe 
par  derrière  5  et  sous  la  bavette  par  devant.  7®  Sou- 
liers bronzés. 

§  2.  DanslaBressedeBeaufortetdeBeaurepairei 
qui  sont  voisins  des  cantons  de  Saint-Âmour  et  de 
Cousance,  le  chapeau  disparaît  déjà  dans  la  coiffure 
féminine  ;  et  on  ne  le  voit  plus  reparaître  nulle  part. 
La  volette  est  une  coiffe  de  lin^  quelquefois  de  mous- 
selîne,  dont  les  ailes,  tantôt  redoublées  sur  les  tempes, 
tantôt  flottantes  sur  le^  épaules  y  se  nonunent  barbes. 
Dans  les  cérémonies  funèbres  et  religieuses,  ces  ba^ 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FIANCE*  3^9 

besse  dédoublent  et  se  développent  comme  un  voil& 
courty  d'où  la  dénomination  de  volette.  J'ai  eu  entre 
les  mains  un  psautier  du  douzième  siècle,  où  étaient 
représentées  diverses  figures ,  avec  des  coiffures  ab- 
solument semblables  :  c'était  déjà  le  voile  des  veuves. 

§  3.  Une  autre  espèce  de  voile  est  particulière 
aux  vieilles  femmes  de  Chapelle-Voland  ;  le  couvre- 
chef  s'élève  en  pointe  assez  haute  derrière  la  tête,  et 
se  déploie  sur  les  épaules  y  à  peu  près  comme  celui 
des  femmes  de  l'île  d'Oléron,  du  pays  de  Gaux  et 
des  sœurs  hospitalières  en  plusieurs  villes  de  France. 
J'ai  donné  ailleurs  la  figure  de  ce  genre  d'habille- 
ment (  Essai  sur  F  origine  de  la  Séquanie ,  livre  3  , 
chap.  i3,  pag.  2o4)  qui  rappelle  celui  d'Isis,  d'après 
les  monumens  anciens.  (  Hist.  du  Ciel ,  tome  i , 
pag.  56,  fig.  du  Canope. — Antiq.  explic^  in-folio, 
pag.  29,  fig.  phrygienne. — Ibid.y  pag.  2 1 3,  fig.  égjpt. 
au  tombeau  de  Démétrius  ) ,  et,  d'apï*ès  le  costume 
actuel  des  femmes  cophtes  (  Descript.  de  Vuniv.y  par 
Manesson  Mallet»  tom.  3,  pag.  81). 

§  4*  Ailleurs,  dans  le  département  du  Jura  (Lons- 
lé-Saunier^  Dole  y  Polignjr ,  Salins  y  Saint-Claude  ), 
les  femmes  portent  des  bonnets  à  fond  large ,  rond 
et  plat,  ayant  des  ailes  plissées  du  chaque  côté.  On 
ne  peut  mieux  comparer  rette  coiffure  qu^à  celle 
en  usage  àMeulan ,  département  de  Seine-et-Oise. 

§  5.  Les  vieilles  fenunes  de  la  haute  montagne 
{Noseroj-y  les  Rousses  y  Saii^  -  Laurent ,  Mi/oux) 
portent  une  toque  d'un  genre  singulier^  elle  ressem- 


35o  lliMOIRSS  D£  LA  SOCIBTÉ  EOYALE 

ble  à  une  calotte  de  velours  noir  entourée  d'une  touffe 
de  franges  de  soie  de  même  couleur.  Sur  la  partie 
du  toquet  qui  domine  la  nuque  ^  est  implantée  hori- 
zontalement une  grande  épingle  de  cuivre  argenté  > 
qui  se  termine,  à  chaque  extrémité ,  par  un  globe 
de  même  métal.  Je  ne  sais  à  quelle  comparaison 
recourir  pour  donner  une  idée  plus  claire  de  cette 
coiffure  ;  je  ne  connais  d'ailleurs  aucun  monument 
où  l'on  puisse  en  indiquer  l'origine* 

§  6.  On  connaît  dans  toute  la  partie  montagneuse 
une  espèce  de  souliers  appelés  ^a/ocAe^,  à  l'usage  des 
femmes ,  et  dont  l'origine  est  incontestablement  gau- 
loise ,  ainsi  que  l'atteste  leur  nom^  rendu  en  latin  par 
gallica ,  et  par  galocha  en  celtique ^  suivant  Ballet. 

§  7 .  Les  montagnardes  aiment  aussi  à  se  voir  au  cou 
des  chaînes,  des  cœurs  ^  des  globes  d'argent^  et,  à  la 
bavette,  une  chaîne  de  ce  métal  ;  mais  leur  luxe  en 
ce  genre  n'approche  pas  de  celui  des  Bressannes  ^ 
parce  que  leurs  fortunessont  infiniment  plus  minces. 
Leurs  pendans  d'oreille  sont  d'or ,  ainsi  que  leurs 
bagues,  mais  le  plus  souvent  les  anneaux  sont  d'ar- 
gent. Si  l'on  ne  porte  plus,  comme  au  temps  des 
Celtes ,  des  bracelets  ,*  nos  Bressannes  y  suppléent 
parler  rubans  et  les  galons  qui  ornent  leur  mancKe 
depuis  le  coude  jusqu'à  la  hauteur  de  l'aisselle. 

Diodore  de  Sicile  (liv.  6,  chap.  9  )  parle  des  col- 
liers, des  chaînes,  des  anneaux,  des  bracelets  dont 
se  plumaient  les  Gauloises  ;  et  les  prophètes  qui  ont 
personnifié  Jérusalem,  donnent  à  peu  près  la  même 
idée  de  la'  toilette  d'une  fille  juive. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  5  5 1 

§  8.  La  couleur  favorite  des  Bressannes  des  envi- 
rons de  Saint-Amour  est  le  bleu  de  roi  ;  des  environs 
de  €uiseaux,  le  noir  >  des  environs  de  Beaufort ,  le 
brun  rayé  ;  de  RuflFey>  le  blanc  ;  dans  le  vignoble  et 
dans  f  arrondissement  de  Dôle  ,  on  préfère  les  cou- 
leurs vives  ,  les  nuaûces  gaies  ;  dans  les  hautes  mon- 
tagnes et  dans  les  cantons  de  Saint-Juliéû ,  d*Aria.- 
thod ,  d'Orgelet,  assez  généralement  le  violet  rajç  ; 
mais  dans  les  villes,  les  bourgs ,  les  gros  villages  où 
le  luxe  s'introduit,  les  indiennes  rouges,  jaunes,  vertes 
et  le  grand  blanc. 

Chapitre  V-  —  Des  usages  à  t occasion  de  la 

naissance. 

^  1.  Lorsqu'un  enfant  vient  au  monde,  on  le  lave 
avec  du  vin,  et  on  lui  fait  avaler  un  œuf  frais.  La 
sage-femme  qui  coupe  le  cordon  ombilical  se  garde 
bien  de  le  jeter  ailleurs  qu'au  feu,  car  on  en  tirerait 
des  pronostics  plus  ou  moins  fâcheux,  selon  ce  qu'il 
deviendrait.  Par  exemple,  l'individu  périrait  par  l'eau, 
3i  l'ombilic  était  abandonné  à  la  rivière ,  ou  par  la 
luorsure  des  bêtes ,  si  quelque  animal  venait  à  s'en 
emparer.  Il  paraît  que  l'on  n'a  pas  peur  que  la  nour 
Telle  créature  .meure  dans  un  incendie. 

§  24  Comme  on  a  l'opinion  que  l'enfant  doit  res- 
sembler à  ses  parrain  et  marraine ,  les  parens  sages 
ont  soin  de  choisir,  pour  remplir  ce  devoir,  les  per^ 
sonnes  les  plus,  considérées  ;  mais ,  comme  on  aime 
toujours  à  s'attacher  aux  branches  solides,  on  ac- 


35a  HÉHOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  EOTALE 

corde  quelquefois  la  préférence  aux  plus  riches. 
Jusqu'où  Tambition  ne  va-t-elle  pas  se  nicher?  Etre 
parrain  d'un  enfant  naturel  (pour  la  première  fois 
qu'on  est  parrain  )  porte  bonheur.  C'est  aussi  d'an 
heureux  présage  y  et  pour  la  personne  qui  donne  son 
nom  pour  la  première  fois  ;  et  pour  le  nouveau-né  ^ 
quand,  par  hasar4>  ils  sont  du  même  sexe. 

§  3.  L'occasion  d'un  baptême  est  souvent  saisie 
pour  rapprocher  deux  jeunes  gens  que  l'on  voudrait 
unir  par  des  liens  encore  plus  solennels.  Le  compère 
achète  une  bague  ou  des  gants  à  sa  commère ,  et  elle 
lui  donne  un  bouquet  enrichi  d'un  grand  nœud  de 
ruban.  Le  parrain ,  et,  suivant  les  lieux,  la  marraine 
fait  un  cadeau  à  l'accouchée  (soit  un  pain  de  sucre ^ 
soit  une  miche  de  pain  blanc  ) ,  usage  d'autant  plus 
antique,  que  Térence,  dans  son  Phormion  (acte  i, 
scène  i  ),  fait  dire  à  son  personnage  :  Quand  l'enfant 
sera  né,  combien  de  cadeaux  ne  faudra-t-il  pas  faire; 
que  la  mère  s'appropriera? 

§  4.  Le  parrain,  avant  d'aller  à  l'église,  ou  il  est 
suivi  d'une  troupe  de  compères  et  de  commères  ba- 
billardes ,  se  munit  aussi  d'une  ample  provision  de 
dragées  ou  de  petites  monnaies,  pour  les  jeter,  à 
Fissue  de  la  cérémonie  du  baptême,  aux  polissons 
qui  suivent  le  cortège,  en  criant  :  à  la  crepille!  à  la 
crepille!  terme  corrompu  $  accroupi,  parce  que  l'on 
s'accroupit  pour  ramasser  par  terre  les  dragées  et  les 
pièces  de  monnaie. 

§  5.  De  retour  à  la  maison^  on  attache  les  bou- 
quets aux  rideaux  du  lit  de  raccoucfaée  ;  ces  bou- 


DKS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  553 

quels  représentent  les  couronnes  d'olivîer  et  les  ban- 
delettes de  laioe  que  les  Grecs  suspendaient  sur  la 
porte  de  leurs  maisons,  à  la  naissance  de  leurs  en- 
fyns.  «  Cet  usage ,  dit  Tabbé  Barthélemi,  qui  retrace 
ce  les  mœurs  ancienne,  annonce  à  la  république 
«  qu^elle  vient  d'acquérir  un  citoyen.  »  Dans  nos 
campagnes ,  un  étranger  peut ,  en  comptant  les  bou- 
quets qui  couronnent  la  couche  conjugale,  savoir  le 
nombre  d'en  fans  qu'elle  a  produits.  Le  parrain  conli^ 
nue  à  donner  carrière  à  ses  libéralités ,  en  distribuant 
les  ncnlles  y  ce  que  les  anciens  appejiaient  natalitia. 

§  6.  Les  relevailles  ont  lieu  lorsque  la  santé  de 
l'accouchée  permet  qu'elle  se  rende  à  l'église  pour 
se  faire  rebénir  et  se  purifier.  Alors,  couverte  d'un 
voile ,  et  un  cierge  à  la  main ,  elle  se  présente  aux 
pieds  des  autels.  C'était  autrefois  la  coutume  de  faire 
un  cadeau  au  prêtre;  mais  le  cadeau  est  maintenant 
remplacé  parle  prix  d'une  messe.  Cette  coutume  est 
absolument  semblable  à  Vobservance  dé  Tancienne 
loi  chez  les  Juifs. 

i 

Chapitre  VI-  —  Des  usages  relatifs  au  mariage. 

§  1 .  Quand  il  j  a  projet  d'alliance  entre  deux  fa- 
milles, un  parent  officieux  du  un  ami  delà  maison 
du  garçon  se  charge  de  négocier  cette  affaire  ;  c'est 
ce  qoe  Von  appelle  burlesquement  le  trouille-èon- 
don.  Il  se  rend  à  la  demeure  de  la  fille,  où  il  ne 
manque  pas  de  faire  un  pompeux  étalage  des  quali- 
tés et  de  la  fortune  de  son  protégé ,  ni  d'entendre  le 

IV.  23 


354  MilIOIHES  DE  LA  SOCIÉTÉ  KOYALE 

plus  bel  éloge  des  vertus  et  des  agremeos  de  la  jeune 
personne,  de  la  bouche  même  de  ses  auteurs.  Ce 
jour^là  on  ne  décide  rien;  mais^  à  la  manière  dont 
lentreoietteur  a  élé  accueilli  à  table ,  il  peut  déjà 
préjuger  de  Fissue  de  sa  mission. 

§2.  Si  la  démarche  a  pris  une  bonne  tournure,  les 
parens  se  parlent ,  et  Ton  fait  la  demande  en  forme. 
Vers  la  fin  du  repas ,  qui  est  presque  toujours  celui 
du  soir,  lorsque  la  gaité  commence  à  jeter  quelques 
éclairs,  le  galant,  placé  à  côté  de  sa  belle,  lui  pré- 
sente sur  une  assiette,  ou  lui  dépose  dans  son  verrez 
un  rouleau  de  pièces  d'or  ou  d'argent ,  selon  ses  fa- 
cultés pécuniaires;  si  elle  accepte  le  présent  ^  elle  est 
fiancée  :  timide  et  embarrassée ,  elle  met  les  arrhes 
dans  sa  poche,  et  c'est  là  toute  sa  réponse.  Dès-lors 
il  ne  lui  est  plus  permis  de  revenir  d'un  pareil  enga- 
gement, sous  peine  de  rendre  le  double' de  la  somme 
acceptée.  Chez  les  Romains,   selon  Plutarque   et 
Pline ,  on  donnait  aussi  des  arrhes ,  et  les  fiançailles 
se  célébraient  la  nuit,  et  quelquefois  au  point  du  jour. 
Ces  gages  sont  un  reste  de  l'antique  usage  où  Ton 
fut  chez  les  Orientaux  d'acheter  sa  femme,  usage  at- 
testé par  une  foule  de  passages  de  l'Ecriture  sainte  et 
des  auteurs  profanes,  particulièrement  par  Strabon. 

§  3.  Les  visites  mutuelles  que  se  font  les  parens 
avant  la  demande  formelle,  ont  toujours  un  but  inté- 
ressé :  ceux  de  la  .fille  vont  i^oir  les  êtres ,  c'est-à- 
dire,  vérifier  si  les  rapports  qu'on  leur  a  faits  sur 
Paisance  du  postulant  sont  exacts  ;  cetix  du  garçon 


htS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  355 

font  la  même  démarche,  dans  le  dessein  d'observer 
le  caractère  de  la  prétendue.  Par  exemple,  pour 
éprouver  si  elle  est  soigneuse  et  propre ,  on  posera 
à  terre  le  balai  en  travers  de  la  porte  :  elle  devra , 
en  entrant ,  le  ramasser  et  le  ranger;  et  si  elle  veut 
en  outre  donner  l'idée  de  son  humilité  à  ses  exami- 
nateurs, elle  balaiera  la  chambre  en  leur  présence. 

>  -  •      . 

§  4-  Après  la  foi  donnée,  les  futi^rs  distribuent, 
chacun  de  son  côté,  aux  parens,  amis  et  connais* 
sance$,  soit  des  dragées,  soit  des  beignets,  en  signe 
de  leur  engagement  solennel.  Ces  envois  se  font  ou 
la  veille,  ou  une  semaine  avaiit  la  publication  des 
bancs;  c'est  ce  que  bous  appelons  tonner  les  ^fian- 
çailles,  et  ce  que  les  Latins  nomioiaient  sponsalia. 
Quelquefois,  chez  ce  peuple,  la  promesse  de  mariage 
était  simplement  verbale  ;  mais  ordinairement  on  la 
mettait  par  écrit  comme  aujourd'hui. 

§  5.  Le  jour  fixé  pour  passer  le  contrat  est  com- 
munément la  veille  de  la  célébration  du  mariage . 
Nouveau  souper  auquel  sont  conviés  la  double  pa- 
renté et  les  voisins.  Avant  ce  moment ,  il  se  passe  une 
scène  singulière  chez  les  Bressans  :  la  fiancée,  ayant 
réuni  chez  elle  plusieurs  de  ses  amies,  se  dégiiise 
avec  elles,  et  elles  se  tiennent  dans  une  pièce  séjpa,- 
rée.  Le  futur  arrive,  accompagné  de  ses  camarades 
et  de  ses  frères ,  à  la  maison  qu'ils  trouvent  fermée  ; 
ils  frappent  à  la  porte  en  réclamant  une  brebis.  On 
leur  répond  qu'il  n'y  a  point  là  de  brebis  qui  leur 
appartienne  ;  mais  ils  insistent  vivement ,  se  font  in*» 

23* 


356  lféM0I1\£S  DE  LA,  SOCIÉTÉ  ROYALE 

troduire*  et  cherchent  eux-mêmes  dans  chaque  ap- 
partement. Arrivés  à  la  porte  de  la  chambre  des 
jeunes  filles ,  ils  y  frappent  et  renouvellent  leur  de- 
mande. Même  réponse  qu'à  la  première  porte.  Â  la 
fin  il  sort  de  cette  chambre  un  individu  qui,  après 
avoir.assuré  qu'il  vient  de  vérifier  lui-même  qu'il  ne 
se  trouvait  pas  dans  son  troupeau  de  brebis  étran- 
gère,  fait  défiler  une  à  une  les  jouvencelles.  Le  pré- 
tendu les  fait  danser  successivement  ;  et  s'il  vient  à 
ne  pas  reconnaître  celle  qu'il  doit  épouser,  c'est  un 
sujet  de  raillerie  sur  son  compte  pendant  toute  la 
soirée. 

§  6.  Cette  joyeuse  cérémonie  terminée ,  on  pré- 
sente à  la  mère  la  robe  de  noces  que  la  fiancée  ne 
manque  pas  de  trouver  de  soa  goût  ;  et  quelqu'un  de 
l'assemblée  adresse  aux  futurs  une  petite  harangue  ^ 
où  rhymen  n'est  pas  ménagé ,  mais  qui  pourtant  ne 
détourne  jamais  les  parties  contractantes  de  leur  ré- 
solution. En  même  temps  on  offre  à  la  fiancée]  un 
morceau  de  mauvais  pain  noir  pour  marquer  qu'elle 
né  doit  pas  s'attendre  à  vivre  dans  un  contentement 
parfait  ;  elle  en  mange ,  puis  On  lui  fait  accepter  du 
'  gâteau  et  du  vin  pour  lui  faire  entendre  que  tout  ne 
sera  pas  peine  dans  son  ménage.  En  quelques  en- 
droits ,  le  futur  partage  avec  elle  cette  collation  sym- 
bolique. Plularque  rapporte  (de  claris  mulieribus) 
ce  que  les  fiançailles  s^accomplissaîent  en  faisant 
ce  boire  les  deux  amans  dans  une  même  eoupe ,  en 
tt  signe  d'union  et  d'amour.  » 


DES  ANTtQUAIBES  DE  FRANCE.  SSj 

§  7.  Bientôt  tout  le  mopde  se  inet  à  table;  les 
femmes  y  arrivent  tard  et  y  font  une  courte  appa- 
rition ;  mais  le^  hommes  y  passent  bravement  la  nuit 
à  boire  et  à  chanter. 

§  8«  La  célébration  religieuse  du  mariage  a  tou- 
jours lieu  dans  la  paroisse  où  la  fille  avait  son  habi- 
tation. Uheure  étant  venue  de  quitter  le  toit  pater- 
nel pour  aller  au  pied  des  autels,  une  scène  du 
genre  larmoyant  succède  toul-àrcoup  aux  éclats  de  la 
joîe.  Rassemblés  sous  la  cheminée,  les  parens  de  la 
fille  commencent  à  pousser  de  gros  soupirs,  à  expri- 
mer leur$  regrets  sur  la  prochaine  séparation  <juî  va 
se  faire,  et  a  verser  un  torrent  de  Ivraies.  On  a 
peine  à  détacher  la  jeune  victime  du  sein  de  sa  bonne 
mère ,  car  elle  ne  veut  point  paraître  s'être  ennuyée 
de  son  état  de  fîUe.  Cette  sorte  de  violence  se  prati- 
quait déjà,  comme  une  cérénâonie,  chez  les  Latins^ 
au  témoignage  de  Montfaucon  (antiq.  expL). 

§  9.  Le  cortège  se  dirige  en  pompe  vers  l'église, 
au  bruit  des  arme$  à  feu  et  des  instrumens  de 
musique* 

§  10.  Une  couronne  artificielle  de  myrte  fleuri 
orne  Ta  tête  de  là  timide  vierge.  Lrvue  dé  cette  cou- 
ronne donne  lieb  au  public ,  soît  de  convenir  de 
Fhonneur  dé  k  jeune  fille  quand  elie  a  su  lé  conser- 
ver intact,  soit  de  gloser  sur  cet  emblème  de  la  vir- 
ginité lorsqu^il  est  arboré  par  une  vertu  suspecte. 
Chez  lès  Romains,  la  'couroim'e  nuptiale  était  de 


358  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIETE  ROYÂiE 

vervene  cueillie  par  la  fiancée  elle-même,  et  injs- 
térieusement  portée^  pendant  plusieurs  jours ^  sous 
ses  vétemens.  Les  époux  hébreux  se  couronnaient 
aussi  de  fleurs^  en  signe  de  joie. 

n  est  inutile  de  dire  que  les  veuves  y  et  les  filles 
qui  ont  fait  des  enfans,  ne  se  permettent  pas  de  se 
parer  de  la  couronne. 

§  1 1 .  Le  plus  proche  parent  de  la  future,  au  défaut 
du  père  ^  marche  en  tête  avec  elle,  et  le  prétendu  reste 
un  peu  en  arrière  .avec  les  vieilles  gens.  Le  garçon^ 
franc  et  la  fille-ffanche  ^  qui  sont  les  amis  intimes  du 
couple,  brillent  au  premier  rang]  ils  sont,  parleurs 
fonctions,  chargés  de]  faire  les  honneurs  de  la  fête 
pendant  tout  le  temps  des  noces.  Ils  représentent  le 
Camilte  et  la  Pronuba  des  Romains,  et  ils  sont  ac- 
compagnés de  jeunes  gens  des  deux  sexes  qui  sont, 
comme  en  Judée ,  les  compagnes  de  réponse  et  les 
compagnons  de  V époux. 

§  12.  Le  prêtre,  avant  de  mettre  sur  ce  couple  la 
chappe ,  qui  est  un  simulacre  du  véritable  joug  que 
Ton  imposait  jadis  aux  époux ,  (  d'où  sont  venus  le 
mot  conjugium  et  l'expression  ego  ços  conjungo  ) , 
bénit  leur  anneau  et  leur  pièce  d'or  ou  d'argent.  Le 
sou  d'or  ^t  le  denier  furent  offerts  à.Clotilde,  au 
nom  de  Qovis,  par  Atirélien,  lor^ue  ce  député 
gaulois,  qui  représentait  le  roi  de  Flrance  à  la  cour 
deGondebaud,  roi  des 'Bourguignons,  épousa  pour 
lui  cette  [princesse.  «  Cette  coutume ,  si  on  en  croit 
«  Frédegaire  et  Marculfe ,  fut  loQg^temps  observée 


r 


DES  ANTIQUÂIHES  DE  FRANCE.  56q 

«  ea  France.^  C'était  ime  espèce  d'achat  ;  nous  a'a- 
«  vons  retenu  de  cet  ancien  usage  que  celui  où 
«  sont  encore  les  maris ,  de  donner  quelque  pièce 
«  d'argent  à  leurs  épouses^.  »  (  F'elly ,  histoire  de 
France,  T.  l.) 

§  i3.  Au  moment  où  le  marié  met  le  lien  au 
doigt  de  sa  femme,  il  s'établit  entre  eux  une  alter- 
cation tacite,  mais  très-divertissante  ;  si  la  jeune  per- 
sonne tient  beaucoup  à  la  maîtrise  dans  le  mépage, 
elle  ne  laisse  pas  aller  la  bague  au-delà  de  la  se- 
conde phalange  ;  tandis  que  le  nouveau  marié,  tout 
occupé  du  sein  de  conserver  Tempire  dévolu  à  son 
sexe>  fait  tout  ses  efforts  pour  la  faire  glisser  le  plus 
loin  possible.  Ce  sont  surtout  les  veufs  qui  don- 
nent aux  curieux  assistais  le  spectacle  de  pareilles 
contestations. 

§  i4*  On  tirerait  niauvais  augure  de  l'oubli  de 
recevoir  la  paix,  dans  cette  circonstance  :  recevoir 
la  paix  y  c'est  baiser  la  relique  ;  mais  les  mauvais 
plaisans  de  la  noce,  jouant  platement  sur  les  termes, 
présentent  aux  jeunes  mariés  la  paix  ou  l'omoplate 
d'un  animal ,  et  leur  font  heurter  le  front  l'un  contre 
l'autre. 

"S 

§  i5«  Le  père  du  nouvel  époux,  et  à  son  défaut 
son  plus  proche  parent,  ramène  l'épouse.  Des  coups 
de  fusil  et  de  pistolet  sont  de  nouveau  lâchés,  en 
l'air  y  et  l'on  pousse  de&  cris  à  pleine  gorge  qui 
attirent  la  population  aux  portes  et  aux  croisées  ; 


\ 


I 


i 
L.f.   « 


360  MËMOIIIES  DB  LA  SOCIETE  ROYAIE 

le  ûàqle  ménétrier  fait ,  de  plus  belle ,  grogner 
sa  viole ,  soupirer  sa  musetle  ,  ou  géoûr  $oq 
crincrin. 

La  coutume  d'accompagner  eh  armes  et  en  mu- 
sique le  cortège  nuptial  est  de  toute  antiquité  : 
en  armes ,  pour  s'opposer  à  des  entreprises  de  ven- 
geance de  la  part  des  rivaux  ;  en  musique ,  parce 
que  cette  cérémonie  est  essentiellement  gaie,  et 
que  d'ailleurs  toute  solennité  sacrée  ou  profane  ne 
se  passait  pas  autrefois  sans  un  joueur  d'instru' 
ment. 

§  16.  En  Bresse^orsque  les  deux  familles  qui  coq- 
Ixacteot  alliance  ne  sont  pas  du  n^émè endroit,  on 
charge  les  meubles  elle  trvussel  de  U  mariée  sor 
une  ou  plusieurs  voitures ,  que  l'on  conduit  chez  le 
mari.  Quand  il  n'y  a  qu'un  char^  ce  sont  les  femmes 
qui  y  prennent  place ^  juchées,  tant  bien  que  mal, 
par  dessus  les  meubles ,  et  filant  soit  au  fuseau,  soit 
au  rouet;  quand  il  y  en  a  plusieurs  ,  les  jeunes 
homniesont  le  Teur,  et  quelquefois  c'est  le  garçon- 
frattc  qui  file.  La  quenouille  qui  figure  de  nos  jours 
entre  les  mains  de  la  fille-'franche  et  du  garçon- 
franc,  figuraif  déjà  dans  les  mains  des  Pronjubœ  qui 
accompagnaient  la  nous^elle  TanaquiUs ^k  Rome, 
en  mémoire,  dit  Pline  ,  de  la  laine j  du  fuseau 
et  de  la  quenouille  de  la  première  Tanaquilis  (qui 
s'appelait  aussi  Caia  Cécilia  ). 

§  17.  A  toutes  les  rues  du  village  natal,  si  la 
nouvelle  épouse  s'v  est  fait,  aimer  ^  la  jeunesse  du 


DES  ANTIQUAIUE8  DE  màHCE.  36 1 

lieu  jette  des  piècei^  de  bois  en  travers  du  che- 
nadn  pow  arrêter  un  iDStant  les  voitures^  cher- 
chant à  lui  prouver  par  là  les ,  regrets  qu'ils  res- 
sentent de  la  perdre  ;  au  sortir  du  village ,  ils  lui 
offrent  un  bouquet. 

§  18.  La  voiture  de  la  jeune  mariée  est  attelée 
d'un  nombre  de  bœufs  proportionné  aux  fortunes  ; 
et  Taltelage  ,  tout  couvert  de  rubans,  doit  courir 
avec  rapidité  dans  les  villages  ,  les  bourgs  et  les 
villes  que  Ton  traverse ,  mais  surtout  lorsque  Ton 
approche  de  la  destination ,  au  bruit  des  accla- 
mations réitérées:  et  des  détonnations  d'armes  à 
feu.  Le  trajet  ne  se  fait  pas  sans  de  fréquentes 
libations  ;  les  facétieux  en  font  faire  même  aux 
personnes  qu^ils  rencontrent  en  chemin. 

.  Quelquefois  la  jeunesse  du  village  où  l'on  se 
rend^  vient  à  leur  rencontre  avec  armes ,  musique 
et  bouquets. 

^  §  19.  La  mère  du  marié  se  tient  à  la  maison , 
la  porte  fermée;  et,  quand  le  couple  s'j  présente, 
CD  lui  jette ,  par  la  croisée  ,  Ou  de  l'étage  supé^ 
rieur,  plusieurs  po^nées  de  graines,  blé,  p€Às, 
féves^  avoine,  glands,,  etc.,  symbole  de  la  prospé- 
rité que  l'on  souhaite  à  leur  uniour  A  l'intronisa- 
tion d'un  roi  du  Sénégal,  les  nègres  pratiquent 
la  même  chose.  D'où  vient  ce  rapprochement  de 
mœurs  entre  des  nations  si  distantes  ?  (  T Afrique  y 
ou  histoire,  mœurs ,  usag,,  etc.  par  R.  G.  V.  i8i4.  ) 
Au  bout  de  quelques  minutes,  la  porte  s'ouvre^ 


36a  MÉMOIl^ES  DE  LA  SOCIÉTÉ  KOYAIE 

la  mère  s'avance ,  et,  sur  le  seuil,  présente  à  sa 
bru  un  verre  de  vin  et  un  morceau  de  pain  qu'elle 
doit  partager  avec  son  consort ,  pour  signifier  que 
biens  y  jouissances ,  tout  entre  eux ,  va  désormais 
devenir  commun.  Nous  avons ,  à  l'occasion  des 
fiançailles ,  rendu  compte  d'une  coutume  antique 
absolument  semblable. 

Dans  quelques  endroits  j  c'est  alors  que  Ton  fait 
répreuve  dii  balai. 

§  30.  Le  couple  et  sa  suite  sont  d'abord  entre- 
tenus sous  l'âtre  enfumé ,  puis  on  les  promène  de 
cbambre  en  chambre,  et  l'on  parcourt  toutes  les 
parties  de  l'habitation .  ^ 

§  21.  Durant  toute  la  journée,  celui  de  la  noce 
qui  voit  le  moins  la  jeune  mariée ,  celui  qui  s'en- 
nuie le  plus ,  c'est  l'époux.  Il  sert  tout  le  monde 
à  table  9  sans  j  prendre  place.  Quapt  à  la  ch^re 
compagne,  elle  ne  doit  absolument  i^ien  faire  \ 
ses  amies  l'habillent,  la  déshabillent;  pour  la  se- 
conde, et  peut-être  pour  la  dernière  fois,  elle 
figure  à  table ,  comme  le  personnage  le  plus  inté- 
ressant. Enfin ,  ce  jour  là  serait  pour  elle  le  plus 
beau  de  sa  vie ,  s'il  n'en  était  pas  le  plus  ennujeux 
et  le  plus  long. 

§  22.  Les  amis  des  mariés  se  masquent  et  vien- 
nent, vers  la  fin  du  souper,  divertir  l'assemblée, 
et  faire  au  nouveau  couple  leurs  compKmens  :  c'est 
ce  que  l'on  Si^^pelle  aller  à  la  poule . 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FftAKCX.  363 

§  a3.  Vers  Tbeure  du  coucher  ,  dans  certaines  lo- 
calités ,  on  fait  en  sorte  d'enlever  et  de  tenir  cachée 
la  jeune  épouse ,  afin  que  son  mari  en  soit  privé  la 
première  nuit^  aventure  qui  amuse  beaucoup  les  gens 
delà  noce.  U  arrive  aussi  quelquefois  que  la  mariée 
réclame  en  sa  faveur  les  trois  nuits  de  Tobie. 

Chez  les  riches  y  les  noces  durent  jusqu'à  sept  jours^ 
comme  chez  les  Israélites. 

§  24*  Il  n'est  pas  nécessaire  de  dire  qiie  Ton 
danse  le  premier  jour  ,  la  première  nuit  et  quel- 
quefois plusieurs  jours]  consécutifs.  Chez  les  jeunes 
époux  I  ces  sortes  de  divertis^emens  ne  manquent 
guère;  mais  quand  un  veuf  se  remarie,  on  craint 
sans  doute  qu'il  s'en  dispense  ;  et ,  dès  la  publica- 
tion de  ses  bancs  >  on  le  contraint,  par  un  charivari, 
à  donner  on  bal.  Quand  ce  sont  deux  veufs  qui 
convolent  h  secondes  noces-,  on  ne  leur  donne  pas 
cette  galante  sérénade.  Dans  les  villes  (  avant  que 
l'autorité  supérieure  en  eût  interdit  l'usage  )  ,  on 
gratifiait  du  charivari  indistinctement  tout  individu 
dont  le  mariage  était  publié. 

§  25.  Aussitôt  après  l^hymen ,  on  fait  un  pèle- 
rinage. On  invoque  l'intercession  de  Notre-Dame  de 
MSége  pour  obtenir  de  la  progéniture.  On  s'adresse 
à  Saint-Qaude  jpour  avoir  un  garçon ,  et  à  Notre- 
Dame  d'Ouoz  jpour  avoir  une  fille. 


i 


n 


36^  MKMOIBES  DE  LA  SOcUli  ROYALE 

Ghapitais  vu*  —  D^s  usages  relaies  auxfu- 

.  nér ailles. 

§  1.  Dans  uh  village  de  Tarrondissement  dé 
Lons-le-Saunîer  (  Cowri.  ****),  j'ai  été  témoin  ocu- 
laire d'un  acte  singulier  ,  dont  je  laisse  aux  savans 
le  soin  de  rechercher  le  motif  à  travers  le  dé- 
dale des  bpinions  que  les  honimes  ont  eues  sur 
l^essence  de  l'âme  ;  je  ne  sache  pas  que  l'usage 
dont  je  vais  parler  soit  répandu.  Un  individu  ve- 
nait d'expirer  ;  presque  au  même  instant  y  qb  vint 
sur  la  porte  répandre  les  vases  d'eau  qui  se 
trouvaient  dans  la  chambre  du  malade«  On  est  daos 
la  croyance  y  nie  dirent  alors  les  personnes  qui 
me  rendirent  raison  de  cette  action  ^  que  l'âme  >  e» 
quittant,  sa  dépouille  mortelle  y  $'eat  plongée  daD3 
cette  eau,  afin  de  se  purifier  avant  de  paraître  an 
tribunal  suprême.  Il  me  semble  avoir  lu  quelque 
part  que  l'on  agissait  de  même  en  pareille  oeca*^ 
sion  chez  je  ne  sais  quelle  nation  de  l'Afrique  ou 
de  l'Asie*  Les  observations  consignées  ci -^ après 
ont  été  recueillies  sur  d'autres  localités. 

§  3.  Un  père  de  famiUe  meurt  .:'le&. voisins  >  les 
voisines  accourent  à  la  maisoa  funéraire  ,.  pour 
offrir  des  consolations  à  la  f  apiillç..  ^flîiigéeji  et  jour 
aider  la  veuve  à  préparer  le  repas  qui  doit  a.Yoir 
lieu  le  lendemain ,  à  l'issue  de  l'enterrement. 

§  3.  Dans  plusieurs  cantons  ,  notamment  dans 
ceux  d'Arinlhod  et  d'Orgelet,  si  le  défunt  a  su  lire, 


DES    ANTIQUAIRES  D£  FRANCE.  565 

on  ne  lensevelit  pas  sans  lui  mettre  à  la  maia son 
livre  de  prière ,  et,  dans  le  cas  contraire ,  son  cha- 
pelet. On  voit  qu!en  cela  notre  religion  a  sanctifié 
uoe  opinion  accréditée  chez  les  païens  :  personne 
n'ignore  que  les  âaulois,  nos  pères,  jetaient  daûs  le 
bûcher  funèhre  des  lettres  à  Tadresse  de  qnel-^ 
ques  habitans  de  Tautre  monde ,  et  qu'ils  ne  dou-^ 
talent  nullement  que  le  nouveau  défunt  ne  les 
portât  exactement  à  leur  destination.  In  defunc^ 
torum  pyram  epistolas  scripïas  quidam  conficiunt , 
tanquam  'eas  moHui  sint  lecture  (  Dioçt.  de  Sic» , 
1.  6,  chap.  9  ).  Les  Romains  congédiaient  leurs 
morts  avec  des  certificats  de  bonnes  vie  et  mœui^s , 
qiie  les  ombres  devaient  préseater  là-bas  à  leurs 
juges.  .  . 

§  4*  Ailleursr  et  dans  plusieurs  communes  de  ces 
mêmes  cantons,  on  place  dans  le  cercueil,  et  sous 
la  tête  du  trépassé  ,  une  petite  croix  de  bois  à 
laquelle  est  fixée  une  pièce  de  monnaie,  autre- 
fois destinée  à  Garon.  Ainsi  nous  voyons  encore 
en  cette  occasion  les  pratiques  du  paganisme  acco- 
lées à  celles  du  christianisme. 

§  5.  On  donne  avis  du  décès  aux  parens.  Ceux 
qui  sont  éloignés  ne  viennent  que  le  lendemain  ; 
le  cercueil  du  mort  est  placé  dans  la  principale 
chambre ,  et  chacun  vient  y  faire  le  signe  de  la 
croix  avec  un  rameau  humecté  d'eau  bénite.  A 
côté  des  tréteaux,  ^u  dresse  une  table  qjae  Ton 
charge  de  rafraîchissemens  pour  les  personnes  qui 


366  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Tiennent  du  dehors^  et  c'est  peat-éti*e  là  un  reste 
de  l'usage  du  repas  funèbre  dont  on  yoit  la  repré- 
sentation dans  les  monumens  antiques. 

§  6.  Sur  le  cimetière  ^  Tobseryateur  fait  encore 
diverses  remarques.  J'ai  vu  ^  dans  Tarrondissement  de 
Lons-le-Saunier^  jeter  dans  la  fosse  un  des  meubles 
pour  lequel  le  défunt  avaitmontré  une  aflFection  par- 
ticulière ;  c'est  ordinairement  un  verre  i  uneécuelle, 
quand  il  avait  aimé  laboisson>  ou  un  instrument  de 
son  métier^  quand  il  y  avait  excellé. 

On  sait  que ,  sous  les  premières  dynasties  de  nos 
rois^  lorsqu'un  prince  mourait^  on  renfermait  dans 
son  tombeau  uu  de  ses  serviteurs  y  son  cheval  y  sen 
chien,  ses  idoles,  de  l'or  monnayé,  des  in:eu- 
l^les,  etc.  y  ainsi  que  l'atteste  la  découverte  du  mo- 
nument de  Childéric,  à  Tournay ,  et  de  celui  de 
Ghilpéric,  à  Paris.  Au  reste,  ces  sépultures  françaises 
n'étaient  qu'une  imitation  de  celles  desrois  orientaux; 
et  notamment  de  Cyrus  chez  lesPerses,  dont  Strabon 
nous  a  transmis  les  détails  d'après  Aristobule  (Geog^i 
liv.6). 

Gomment  expliquer  la  conformité  qui  se  rencontre 
entre  ces  idées  de  nos  pères  et  de  nos  contemporains, 
avec  celle  d'un  peuple  sauvage  de  l'Amérique ,  que 
j'ose  à  peine  nommer  les  Cannibales  ?  «  Quand  un 
ce  caraïbe  meurt,  s'il  a  un  nègrO,  on  le  tue,  afin 
«  d'aller  servir  son  maître  dans  l'autre  monde  ;  on 
«  enterre  aussi  avec  lui  ses  meubles  et  son  chien.  » 

Le  chien ,  qiii  ne  figure  plus  aujourd'hui  dans  les 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  367 

funérailles^  y  jouait  autrefois  un  grand  rôle  j  nous  en 
trouvons  des  preuves  fréquentes  sur  les  mausolées 
gothiques^,  où  la  figuré  du  gisant  a  toujours  à  ses 
pieds*un  chien-lion  ou  une  levrette.  Ces  idées  venaient 
des  Egyptiens  qui  i  croyaient  avoir  plus  d'une  rai- 
ron  pour  admettre  le  chien  dans  leurs  processions , 
et  pour  leplacer  sur  leurs  autels^  sous  le  nom  à^jénu-- 
bis,  et  à  la  porte  du  Tartare,  sous  le  nomde  Cerbère. 
Dans  l'origine^  le  chien  n'était  qu'un  symbole  delà 
fin  delacarrièrehumaipe^parceque,  dans  la  sphère 
céleste ,  la  constellation  de  la  canicule  marquait , 
pour  les  Egyptiens  ;  la  fin  de  la  carrière  annuelle  du 
soleil. 

§  7.  Les  couronnes  de  fleurs,  surtout  de  roses  , 
qui  soiit  posées  sur  de  petites  cr(^ix  de  bois  à  la  tête 
des  Tumutiy  indiquent  la  sépulture  des  vierges  et 
des  jeunes  garçons.  Quelquefois,  lorsque  la  saison 
ne  fournit  pas  de  fleurs,  on  en  fait  d'artificielles  ayec 
de  la  laine  de  plusieurs  couleurs,  ou  avec  des  rameaux 
de  buis  ornés  de  bandelettes.  Les  anciens  peuples 
couronnaient  aussi  leurs  morts.  On  déposait  la  cou- 
ronne sur  la  tombe,  dit  Cicéron  ;  elle  était  l'emblème 
de  la  paisible  sécurité  de  l'autre  vie.  Lycurgue ,  qui 
interdit  le  luxe  dans  les  fqnérailles ,  ne  défendit  point 
les  couroqines  de  fleurs  ;  et  cette  coutume  est  d'autant 
plus  antique  que,  stivant  Clément  d'Alexandrie, 
(  Exor.  ad  Grœc.  ),  lorsque  les  Corybantes  eurent 
tué  leur  frère ,  elles  l'ensevelirent  avec  une  couronne 
de  pourpre.  Cet  U3age  s'introduisit  plus  tard  à  Rome, 


368  MliMOIRES  DE  LA  SOCIEXS  ROYALE 

selon  Pline  qui  rapporte  que  le  premier  mort  cou- 
ronné fut  Scipion  l'Africain.  On  appelait  coronœ  la- 
nificw,  dit  cet  auteur^  les  couronnes  des  morts ,  en- 
lacées de  bandelettes  de  laine  de  plusieurs  couleurs. 
Addunt  nunc  etiam  lanam^  dit  Yarron  (  liv.  6  ). 

§  8.  On  remarque,  sur  quelques  cimetières  de  la 
Bresse  des  environs  de  Louhans ,  des  bâtons  de  diffé- 
rentes grandeurs  posés  à  côté  des  tertres  funéraires. 
Ce  sont  les  mesures  des  cadavres  qui  j|sont  inhumés^ 
elles  rappellent  à  l'esprit  des  passans  quel  était  l'âge 
des  trépassés. 

§  g.  Au  moment  où  le  corps  est  descendu  dans  la 
fosse,  les  assistans  jettent  dessus  une  poignée  déterre, 
à  rimitation  du  prêtre  \  et  quelques  gens  s'imaginent 
que  l'âme  n'arrive  devant  Dieu  que  lorsque  cette  par- 
tie des  obsèques  a  reçu  son  accomplissement. 

§  10.  Un  usage,  qui  est  général  dans  la  province, 
est  de  brûler  la  paille  du  lit  du  défunt,  àTembranche- 
ment  d'un  ehemin  très-fréquenté.  Ceci  est  peut-être 
un  reste  de  la  coutume  de  brûler  les  corps.  Bien 
qu'il  ne  soit  pas  raisonné  de  la  part  des  bonnes  gens 
qui  le  pratiquent,  un  pareil  usage  est  fort  louable, 
et  il  devrait  s'étendre  à  la  destruction  des  draps,  cou- 
vertures, rideaux,  matelas,  toutes  lesfois  que  la  ma- 
ladie qui  a  emporté  ^individu,  est  de  nature  à  se  com- 
muniquer parle  simple  contact  des  objets.  On  purifie 
aussi  l'air  à  l'intérieur  par  des  fumigations  de  ge- 
nièvre. Comme  on  croyait  qu'une  habitation  était 


DES  ANTXQUÀIftSS  DV  FEAME.  S6q 

sooillée  parle  souffle  de  la  mort,  les  Latins  avaieiil 
institué  les  denicalesfenas,  qui  avaient  pour  but  de 
la  purifier. 

§  IX.  Le  philosophe  Lucien  (auchap.  du  deuil) 
parle  du  repas  par  lequelse  terminaient  les  obsèques; 
cet  usage  n'est  pas  perdu  :  de  retour  à  la  maison  mor* 
tuaire ,  les  hommes  se  mettent  à  table.  Cest  alors 
que ,  le  verre  en  main ,  chacun  fait  Téloge  funèbre 
du  père  de  famille,  tant  et  si  bien,  que  Ton  finit  par 
boire  à  sa  santé.  Le  festin  fini,  on  rallume  les  cierges, 
on  s'agenouille,  et  Ton  récite  le  De  pmfundis. 

§  la.  La  mort  d'une  fille  n'a  presque  rien  de  tristQ; 

c'est ,  pour  ainsi  dire,  un  sujet  de  félicitation,  car  on 
la  croit  plus  heureijse  au-delà  de  cette  vie ,  qu'elle  ne 
Teût  été  sur  la  terre.  On  donne,  à  cette  occasion,  un 
grand  repas ,  et  c'est  ce  qu'on  appelle  fuire  la  noce. 
En  eflfet,  tout  se  ressent  de  cetteidée  dans  la  céré- 
monie funèbre  ;  les  jeunes  amies  de  la  défunte  sui- 
vent son  convoi,  vêtues  de  robes  blanches  et  couvertes 
d'un  Toile ,  comme  les  compagnes  de  P épouse  chez 
les  Hébreux;  personne  ne  pleure.  Le  cercueil  est 
couvert  d^im  grand  linceul  blanc^donton  porte  les 
quatre  coins,  et  sur  lequel  on  appsé  une  belle  cou- 
ronne de  fleurs  emblénlatîques  de  la  pureté  et  de*  la 
pudeur.  «  Le  prêtre  récite  à  haute  voix  sur  cette 
ce  jeune  cendre  une  hymne  à  la  virginité.  M    ^ 

On  reirouve  parmi  des  peuplades  sauvages,  et  même 
chez  des  nations  civilisées,  ces  opinions  bizarres  ;  car 
il  est  ^  dans  plus  d'un  coin  de  la  terre ,  des  hommes 
rv*  ai 


SgrCI  llÉM<Hli£9  M  LA  90CVkTt  IIOYAUS 

qui  témoi^ôent  de  l'affliction  à  la  âaissarice  de  leurs 
setnUsâ^ks,  et  qui  se  réjouissent  de  leur  lùort  coiâme 
de  révépement  le  plus  heureux  qui  pût  leur  atrÎTcr. 
Les  Caraïbes ,  que  nous  avons  déjà  cités^  sont  de 
ce  nombre;  et  fe  croîs  avoir  lu,  dans  jithènes  an- 
cîènné  et  nouvelle ,  quelque  cHose  de  semblable. 

Chapitm  Vni.  —  Dfis  usages  dont  le  retour  est  fixé 
dans  le  œurs  de  Vannée  civile. 

J'établis  par  ce  titre  une  différence  entre  les  usa- 
ges qui  ne  tiennent  pas  à  l'objet  des  fêtes  chrétiennes 
et  ceuic  qui  s'y  rattachent  par  le  fond.  Je  traiterai 
Mbséquemtnent  de  ces  dernières. 

g  1.  D'abord  je  me  dispenserai  de  paiier  du/our 
de  Pén,  pinrce  que»  cet  os^  étant  uaiverâ^>  il  n'est 
pas  un  enfant  qui  ne  sache  parfaitement  ^Q^il  doit  à 
Numa  cette  bonne  habitude  des  parens  de  donner  ^ 
étreotnes,  et  que  ki  déesse  Strénia  présidait  à  cet  beu* 
reux  jour.  {^Sjrmmaq.  Epit.^  L  G.-^J^erùiL^  aa  Uvre 
del'IdoL) 

.  l^e  cbristianisdie  a  fait,  non.  saos^  peine >.  ^^^4^- 
rai4re  lès  débauches  publiqttes  par  lesquelles  on  bo* 
n0rAlongrtemps>  dans  tout  l'empire  raotaÎB»  le  pré- 
tendu roi^Janus^  à  qui  l'anoée^  le  ipcemièr  mois^  et 
'  spécialement  le  premier  jour  étaient  doMacréai  Oa 
ne  eonçoit  pas  que  Idiféte  des  fous  >  qui  ékiiitifeM  siàte 
de  toute»  <ies  »f aimes  y  féte^èvilége  s'â.^9is  Sut  fa- 
mais  »  et  q0ise  eélébts^it  a«  sein  des  églises  >  ait  pu 


MS  ÂNTIODAIRIfl  DE  r&AKCfi.  5yi 

subsister  en  France  juaqu'en  i444*D^â^ioi>son  s'en 
ahstiRt  à  la  circoDcisioQy  mais,  par  ua  abus  ^al,  dit 
Mensj(Cat.  de$  fêtes^  pag.  76)^  on  la  transporta  à 
la  fête  de  l'Epiphaqie  y  et  surtout  au  commencemeot 
du  carême.  Pour  moi,  je  ne  pense  pas  que  Les  Jà^ 
nualesj  devenues  la.  fête  des  fous,  aient  été  transfé- 
rées au  carême;  j'aurai  bientôt  occasion  de.démoii*- 
trer  que  les  folies  du  carnaval  découlent  d'une  autre 
source  plus  ancienne»  Quant  à  ï Epiphanie^  voyez 
ce  qui  concerne  les  Roisj  au  chapitre  suivaint 

§2.  Le  dimanche  delà,  Quadragésîme,  qui  est  le 
premier  du  carême ,  aulrement  dit  le  dimanche  dès 
brandons  ou  à^épicréesj  à  la  chute  du  jotir  y  lès  col- 
lines eties  plaines  de  la  Bresse  présentent  le  spec- 
tacle d'une  infinité  de  torches  ard^entes  que  les  en- 
fans  portent  çà  et  là,  et  agitent  principalement  sous 
les  arbres  fruitiers ,  en  crîant  :  Plus>  de  fruits  que  de 
feuilles!  plus  de  fruits  que  de  femUei!  L'enfant  se 
persuade  que  cet  hoinmage  rendu  aux  vergers  leur 
donnera  la  fécondité^  et  qu'ils  répondront  à  ses  voeux 
par  f^abdndânce.  Ceci  est  une  institution  que  Ton  suit 
par  bai>itudesans  en  soupçonner  l'origkie^  et  parait 
av^r  6u  un  but  utile  j  celui  de  détruire  les  nids  4e 
chenîlks,  dont  alors  les  .œufs  sont  renfermjésIlaQs 
des  fallots  attachés  aux  branches.  Ole  est  évidem* 
ment  un  reste  d^s  céréales  y  quoique  le  calendrier 
romain  ne  porte  point  de  jours  dédiés  à  Gérès>  dans 
le^ovrfitnt  du  mois  de  mars>  auquel  tombe  ordipat- 
i*ement  ndtre  dimancbe  diépierées.  Ce  terme  ;  dont 

34* 


$7^  MÊIIOIRES  DE  LA  SOGIÉTB  &OTâIE 

je  n'ai  vu  nulle  part  Fétymologie  >  se  composeiaH , 
selon  moi»  de  deux  mots  qui  indiquent  la^ consécra- 
tion du  jour  à  la  divinité  dont  il  s'agit  y  commeï épi- 
clidèset  Vépiscira  de  TAttique.  Épi  a  le  sens  de  fête 
dans  plusieurs  autres  noms,  tels  que  épicrène^  la  fête 
des  fontaines;  épidémies  y  ^  fête  des  génies  tutélaires  ; 
épùnénieêy  la  fête  des  nouvelles  lunes f  épiphanieSfh 
fête  de  l'apparition  des  dieux  ;  épiscaphies^  la  fête 
des  barques;  épiscènes  ,\a,  fête  des  tentes.  Quanta 
Cérès ,  U  faut  observer  qu'on  prononçait  Kérès ,  et 
que,  par  sjncope  et  par  corruption ,  on  a  dit  Krées. 
Au  surplus^  le  dimanche  d'épicréesse  nomme  éga- 
lement (  ainsi  que  nous  l'avons  vu  plus  haut  )  les  bran- 
dons, ^utre  mot  dont  l'explication  vient  à  l'appui  de 
notre  conjecture»  Les  brandons  sont  des  flambeaux 
de  bois  sec  dont  les  paysans  s'éclairent  pour  mar- 
cher la  nuit;  on  les  appelle,  en  quelques  lieux, 
fouailles.  Or,  auxcereo/es ,  fêtes  instituées  par  Trip- 
tolème  en  l'honneur  de  l'agriculture,  on  portait  des 
flambeaux,  eh  mémoire  de  Gérés  qui  parcourut  le 
monde  pour  chercher  sa  fille,  avec  des  .flEnJsieaux 
allumés.  En  cette  solennitéi  on  sacrifiait  un  pore  à 
la  déesse,  et  il  n'est  pas  inutile,  pour  faire  connaître 
^e  Cérès  était  également  fêtée  en  hiver ,  de  remar- 
quât que  c'est  en  hiver  que  Ton  tue  les  cochons,. 

§  3.  n  existe  dans  le  vignoble,  et  probablement 
ailleurs,  une  autre  coutume  non  moins  ancienne  que 
la  précédente ,  et  qui  revient  à  la  même  époque.  Elle 
semble  tenir  à  la  fois  de  la  fête. de  Gérés, 4«  celle  de 


L. 


BES  ANTIQUAIRE»  DE  FRÀNGE*^  5y$ 

Junon  Lucine  /  et  des  matronales  réunies  j  et  voici 
sur  quoi  peut  se  fonder  x^  sentiàaent.  Ge  jour-là^es 
épouses  de  Tannée  font  griller  une  mesure  de  pois, 
et  fabriquent  des  gaufres  qu^elles  distribuent  à  la  jeu^ 
nesse  de  Tendroit;  puis  elles' donnent  un  bal  toquél 
on  se  rend  déguisé  ou  masqué.  Le  veuf  remarié^  qui 
ne  fait  pas  danser,  reçoit  le  charivari.  Cette  réunion 
déjeunes  gens,  ces  bals  offerts  par  de  jeune^  mariées^ 
voilà  ce  qui  a  rapport  à  la  fête  des /Ti/tiro/^e^  et  à  celle 
de  Lucine  ;  mais  ce  cboix  de  comestibles  n'est  pas 
si  facile  à  deviner  :  est-ce  une  allusion  aux  produc*» 
tiens  de  la  terre,  dont  on  se  croyait  redevable  à 
Gérés  ?  Si  les  pois  sont  grillés ,  si  la  fleur  de  froment 
est  présentée  en  pain  roussi  par  un  fer  chaud  y  estH^é 
en  mémoire  de  la  disparition  de  Proserpine  dans  les 
enfers  (i  )  ?  Ce  que  les  anciens  pensaient  <le  lé  fiévè 
qu'ils  employaient  dans  les  ^sacrifices  aux  dieux  in-^ 
fernaux  et  dans  les  funérailles  5  ils  ont  pit  le  penser 
du  pois,  autre  légume  sec  qui  a  la  même  inflexibi* 
lité.  Au  surplus,  il  serait^possibleque  ces  pois  grillés 
et  ces  gaufres  indiquassent  encore  l'adjonction  des 
férales  qui  se  célébraient  le  vingt*un  février,  et  des 
fornacales  qui  tombaient  le  dix-buit,.  aux  fêtes  des 
matrones,  de  Junon-Lucine,  et  de  Cérès>^  lesquelles 
étaient  assez  rapprochées. 

(])  ïies  philosophes  expliquent  Je  mythe  du  séjour  aTterna*- 
tif  de  six  mois  de  la  fille  de  Gérés  sous  k  ciel  et  sous  Ta 
terré ,  par  la  yicissitude  des  saisons  dont  sfic  mois  sont  pro* 
duetift  et  six  paraissent  lester  en  reposa     ^ 


374  HinOIUS  D£  U.  SOCIÉTÉ  ROYÂtE 

P<Hir  levmiajsv  cet  article ,  ajoutons  que  la  primi- 
tive Eglise  chercha  à  sanctifier  l'usage  des  brandons. 

L^in^iyidas  qui»  les  jours  précédeus,  s'^aieot  li- 
vréa  à  des  diverbssemens  défendus^  paraissaient  de- 
vant les  ^iltels  I  une  torche  allumée  à  la  main ,  pour 
fJEiire  réf  aration  publique  de  leurs  scandale^.  (  ^L 
desfém*  ) 

.  §4*  Bans  la  partie  haute  du  département,  au  lieu 
de  flambeaux  on  allume  des  feux  à  la  sommité  des 
montagnes  y  et  Ton  danse  gaîment  à  Tentour. 

§  5.  L^  courses  ie;Ktravagantes ,  les  farces  disso** 
lues^  les  dégui^emens  grotesques  qui  ont  lieu  àTen* 
l2*ée  do  carfîme,  à  renterrement  de  Mardi^graà  (au- 
trement; appelé  carnai^l  ou  carêmentrant  )  ne  sont 
qu^une  continuation  des  lupercales,  qui  tombaient 
en  février ,  et  dçs  libérales  qui  arrivaient  le  dix-sept 
mars^Les  jeûnes. Romains»  après  avçir  sacrifié  des 
chèvres  à  Pan ,  se  couvraient  )a  tète  et  les  épaules 
des  cornes  et  delà  dépouille  de  ces  animaux^  et  cou- 
raient les  rued  sans  autres  vétemens  ;  c'était  une  imi- 
tatioxides  orgies.  Tout  dégénéra,  dans  ces  fêtes,  en 
mascarades,  etc.. ..  C'était  à  qui  ferait  le  plus  de  fo- 
lies. Au  lieu  de  porter  une  peau  de  faouct>u  de  d^è^rre, 
on  crut  beaucoup  mieux  faire  de  s'habiller  en  chèvre 
ou  en  tigre  ;  de  s^aJËubler  la  tête  dés  cornes  d'un  che- 
vreuu  ou  d'un  jeune  cerf;  de  se  couvrir  le  visa^ge 
d'écorces  d'arbres ,  de  façon  à  in)ker  k  nefis  camaid 


/ 


OIS  ARTlQUAIftlS  DE  nàlfOS.  S7& 

et  les  oreiiles  fiaintues  dm  chefreau  etâu  bôO€>  sans 
négl^er  les  iau très  orneniens  de  la  figarè.  On  <htÂr 
sissaîiun  gvos  garçon  bieû  hbiiFpi  potar  faire  *le  pei>- 
sonnage  de  Bacciius ,  4]u*on  plaçsât  «ui?  tin diar^;  et> 
ponr  veodre  le  tout  plus  rnerv^itleux  >  les  prétèndas 
tigres  tjraifiaiènt  ee  char>  tandis  ^ue  les  b^bcs  et  1^ 
chèvres  gsambadaient  à  f eatoiji*  en  femtô  dé  satjfï^es 
et  de  faunes*  On  donnait  à  ceux  cpi  suivaient  ^taiO' 
comp^naienft  le  chs^  de  Baeqhus  ies  noms  de  baer 
chans  et  de  bacchantes,  c^est^à«<dire  de  pleureurs  et 
de  pleureuses ,  parce  ^oe  la  fête  eonsimençait  pardês 
regrets  ^t  de^  laineatations.  » 

On  prend  pour  oin  d^&a  gaulois  ui|  jeune  iiomme 
représenté  avee  des  oorn^  de  cerf  ou  4e  daim  pai^oai . 
les  figure^  d'un  bas^réUef  (trou^^  en  1701  dans  Yé- 
glise  dq  Notce?4)aine  dé  Pâiis  ),  et  qui  porte  le  nom 
à^eermimnog;  ce  lie  p^it  être  qu  nn  dé  ces' jèiinés 
lionnes  qni^  au  premier  de  V^f  fé(e  delà  gàulo^ 
Ai^imt^,a\  se  convrai^t  delà  d^poqille  d/é%  cerfs. 
Cette  conjecture  est  d'anti^^  plus  probeâdé,  que  la 
plupart ^es  antiquaires  qui  okte^sitaminé  le  «aonumént, 
ie  donnent  pour  une  rejM^ésen^atioQ  de  la  çérémonitë 
dt^uidiqne  du  gui  de  cbéné^  qui  avait  lieu  précisé- 
ment ce  '^9ur4^ ,  c^est-^à*<^e  le  pi^etnier  de  Tiannée 
ceUâque. 

§&  Îje'i»€ï/est§énéi^l^rnewteonnu  en^Prance^^ 
i<ne  fn'at^éVenâ  donc  pas  à  le  décrire;  seulement  je 
dirai  que;  dànârf  origine^  il  n^était  pas,  comme  à  pré- 
seM,  un  ^n^HKiBgexle  Fraiour  à  la  beanté,  mftisde 


• 


3^6  HEIIOIUS  DE  Lk  SOCUlxi  ROTÀU 

la  considération  à  la  puissance.  L'usag'e  d^  planter  le 
mai  ne  nous  est  pas  venu  directement  des  Komains , 
qai,  à*  la  vérité,  ouvraient  le  mois  de  mai  par  les 
jeux  floraux  ;  ils  le  tenaient,  comme  nousy  desGeltes, 
nos.a^teurs  cojnmims,  qui  cpmmençaient  Tannée  à 
par^jour.  «  On  alluinait^  à  cette  occasion^  dit  M.  Da- 
vid 4e  Saint-Georges,  traducteur  d'Ossian  (dans  des 
recherches  manuscrites  qu'il  a  laissées ,  touchant 
plusieurs Ueux  du  département  du  Jura),  on  alla- 
.mait  nn  grand  feu  sur  une  hautieur ,  à  portée  d'une 
fontaine  ou  d'un  amas  d'eau  quelconque ,  et  l'on  y 
faisait  de  grandes  réjouissances.  Cet  usage^  ajoute-t-il, 
s^^Bjt  conservé  par  les  feux  que  les  bei^ers  ^e  nos 
;  campagnes ,  où  le  .printemps  est  plus  reculé,  aUu- 
juçbt  encore  la  veiUe  de  la  Saint^ean ,  »  qui  tombe 
}q  six  de  ce  mois.  La  solennité  celtique  du  premier 
mai  s'appelait  ieilhin,  le  feu  de  Bélénus  ou  du  soleil. 
Là  tille  de  Polignj  paraît. lui  devoir,  et  son  existence 
et  son  QOni.  {Essai  sur  t origine  de  la  Séqutmie , 
liv.  5,  châp.  lâ,  pag.  189.) 

.  Le  choix  de  ce  jour,  avait  été  déterminé  par  ie  le- 
ver héliaque  des  pléiades>  constellation  vulgairemeiU 
connue  sous  le  nom  de  la  poussinière ,.  à  canse  do 
nombre  d'étoiles  qui  composent  leur  groupe  fesserré. 
Les  Orientaux  la  nommaient  meah,  la  multitude ., 
synonyme  de  pléiade  et  de  pléione.  Au  centre ,  se 
pion^ait  Tastre  àemaiay  que  les  mythologues  fai- 
saient mère  de  Mercure ,  et  d'où  s'est  foçmé  Jle  nom 
dvimois  auquel  cet  astérisme  sç  rencontrait  en  cod- 
jonction  avec  le  soleil.  Aussi  le.  mois  4^  mai  était-ii 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  577 

SOUS  la  proteetidn  d'ÀpblIoa^  dku-soleil  des  anciens. 
Or,  le  jour  où  ce  groupe  d'étoiles  s'enveloppait  de 
la  lumière  du  grand  astre,  les  Celtes  se  réunissaient 
sous  les  auspices  de  cette  divinité^  au  milieu  des  bois 
qui  lui  étaient  consacrés.  Cette  assemblée  s'appelait 
h  champ  de  niai.  Où  en  irapportait  des  arbres  que 
l'on  déposait  devant  la  demeure  des  personnes  mar- 
quantes. De  là  le  titre  de  ma/ores  donné  aux  magis- 
trats, qui  sont  ceux  à  qui  L'on  doit  les  honneurs  du 
mai  En  181 8i  je  visa  Nog***,  commune  de  ràrron- 
dis^inent  de  Lons-le-Saunier ,  rendre  pareil  hom>- 
mage  à  un  mau'e  qui  venaitd'êtreinstàllé;  et,  lors  du 
pasfsage  de  $.  A.  R.  Monsieur,  par  Polignj  en  1814^ 
les  habitans  de  cette  ville  aVaiônt  été,  dans  les  baujes 
montagnes,  couper  «des  sapins  entiers,  qui  furent 
plantéa  en  forme  de  maî^  devant  les  maisons,  dans 
toute  la  longueur  de  la  rue  que  le  prince  devait  par- 
courir. ^' 

Si  les  amans  se  servent  du  mai  comme  d*\Jtn  inter- 
prète de  leur  tendresse,  enle  chargeant  de  couronnes 
de  fleurs  et  de  galantes  devises,  \es  mauvais  plàisans 
saisissent  aussicpielqnefois  Toccasion  du  premier  mai 
pour  placer  à  la  porte  de  certaines  personnes  peu  re- 
commandables  par  leur  conduite,  des  emblèmes  in- 
jurieux ^  tels  quedes  cornes  et  des  débris  d'animauot 
crevés.  Ce  qu'il  jade  plus  blâmable  en  cet  abus,  c'est 
qu'il  arrive  souvent  que  la  malveillance  et  la  récri- 
minatiop  compromettent  injustement  la  réputation 
la  mieux  établie. 


§  7 .  ^v/y7,  chez  les  Romains, ,  était  «pus  U  pro- 
tection de  Vénus,  à  qui  le  poisson  étailt  consacré , 
parce  que  les  mythologues  débitaient  que  cette  déesse, 
fuyant  les  persécutions  de  Typhon ,  avait  pris  la  &- 
gpre  de  cet  animal.  Les  Syriens^  les  Phéniciem,  Içs 
Babyloniens  qui  adoraient  la  volupté  sous  la  mésm 
forme ,  publiaient  d'autres  fables  de  ce  genrç. 

Il  faut  croire  que,  le  premier  jour  d'avril,  l(U!(|u«l 
la  fête  de  Vénus  était  iixée  dans  l^çaleodl^ieir  jromaÎQi 
au  lieu  dç  s'envoyer  le5  uns  aua^  autres  du  produit  de 
leur  pêche,  en  mémoire  des  métamorphose»  delà 
déesse,  les  anciens  en  faisaient  seulement  le  simu- 
lacre, parce  que  le  signe  des  poissons ,  le  domdème 
du  iKH^diaque^  n'arrivait  point  en  avril,  mais  en  février, 
qui  est  le  vrai  moment  de  pécher.  Voilà  ,')e  crois, 
cevlE|ui  donna  lieu  aiux  poissons,  d'ai^ril  y  sorte  de  di- 
vertissement de  ce  jour  qui  consiste  à  faire  faîjreà 
quelqu'un  de  fausse^ démarches,  ou  à  lui  envoyer 
de  faux  présens. 

•  »  .  ■ 

§  8.  Le  vingt-trois  juin ,  i^eilie  de  laSaint-fJean  , 
on  entend  le  soir  les  bergers  aiinoneer>  dans  les  rues, 
au  son  de  leurs  oornets ,  la  fête  des  maris  tnnppés , 
laquelle  est  censée  se  solenniser  par  une  longue  pro- 
cession de  maris  de  cette  classe,  dans  k  plus  vaste 
prairie  Aa  voisinage.  Le  plus  reoommandable  par 
son  ancienneté  de  service  dans  la  cotifrérie  porte , 
dit«0n ,  la  bannière  qm  est  jaune  et  surmontée  d'un 
beau  bois  de  cerf.  En  Lorraine ,  s^iaot  en  cwwre 
M.  Le  Rouge  {Mémoires  de  P académie  celtique  ),  la 


/ 


DES  ÂNTIQUAIUS  DS  FRÀKCE*  3 79 

procassimiâerait  réelle.  EnFranche-Goraté»  le$  époux 
maltraites  sont  plus  honteux;  niais,  on  a  soin  de 
les  désigner  par  des  cornes  arborées  à  leurs  portes,, 
dans  la  nuit  du  vingt-trois  au  vingt-quatre  de  ce  mois. 
Dans  la  première  de  ces  provinces,  cette  farce  arrive 
à  la  Saint-Gengoult ,  le  onze  mai;  dans  l'autre,  à  la 
Saint-Jean  dont  nous  parlons.  La  vie  de  saint  Gen- 
goult  prête  à  ce  rapprochement  de  disgrâce  maritale. 
Les  fériés  de  Vulcain,  mari  célèbre  de  ranûqiiitéj 
avaient  lieu  vers  la  même  époque  (  leidngt-^le^ixmaiji 
onze  des  calendes  de  juin.    . 

§  9.  Nous  devons  sans  doute  le^.  wufs  de  Paqi^es 
aux  Phéniciens  qui  adoraient  le  créateur  sous  la 
forme  d'un  œuf.  Suivant  leur  théogonie ,  la  nuit  re- 
gardée comme  le  principe  de  toutes  choses  avait 
engendré  un  œuf  d'où  étaient  sortis  Tamour  et  le 
genre'  humain  (  i  )« 

A  Pâques,  le  soleil,  arrivant  sur  Téquateur ,  nous 
fait  quitter  les  longues  nuits.  L'œuf  primitif  se  brise, 
et  le  genre  humain  renaît.  L'usage  de  toquer  les  œufs 
se  rattache ,  comme  oa  voit ,  à  des  opiniops  biea 
aolâques. 

S  10.  Enfin,  la  Saùit-Sj-hestre  qui  ferme  Tannée, 

(1)  Les  GbaldéeDS,Ies  Perses,  les  Indiens^  et  même  les 
Chinois  ont  adopté  ce  symbole.  Les  Égyptiens  avaient  l^œuf 
d'Osiris.  Orpbée  désigne  par  un  œuf  le  principe  fécondant  de 
IHmiwrs.  Les  CSrees  «t  les  ftotnains  i^ffralem  des  oeufs  à  ieors 
diTiuiliés. 


33o  MEMOIBES  DE  LA  SOCIISTIB  ROY  AIE 

et  qtii  est  en  conséquence  la  veille  du  grand  jour  des 
étrennes  générales^  est  aussi  un  jooràcadeaux;  mais 
il  n'est  au  profit  que  des.  indigens. 

Chapitre   IX.  —  Des  usages  dont  le  retour  est 
fixé  dans  le  cours  de  tannée  religieuse. 

Cest  une  chose  admirable  qtie  Tart  avec  lequel 
les  pères  de  TEglise  ont  su  adapter  certaines  so- 
lennités religieuses  à  des  pratiques  du  paganisme', 
trop  fortement  enracinées  pour  être  tout-à-coup 
détruites.  Quels  obstacles  n'eussent-ils  pas  eus  eu 
eflFet  à  surmonter ,,  s'ils  eussent  entrepris  d'abolir 
de  prime  abord  des  habitudes  que  l'on  sait  bien 
être  comme  une  seconde  nature  ?  Le  peuple  aime 
les  distractions ,  les  spectacles ,  les  fêtes  :  il  suit  machi- 
nalement^ mais  avec  opiniâtreté;  les  institutions  des 
ancêtres;  et  la  meilleure  preuve  que  Ton  puisse  donner 
de  Fimpuissance  des  efforts  dirigés  contre  ses  usages, 
c^est  la  célébration  actuelle  de  ses  lupercales  et 
de  ses  orgies  sous  le  nom  de  carnaval.  Le  seul 
moyen  de  triompher  dans  cette  lutte  était ,  en  che^ 
chanrt  seulement  à  purger  certaines  cérémonies  de  ce 
qu'elles  avaient  d'indécent,  de  le^  tolérer  en  ce 
qu'elles  avaient  d'honnête,  et  d'en  sanctifier  le 
motif.  Pour  faciliter  cette  substitution  ,  les  insti- 
tuteurs des  fêtes  firent  en  sorte  d'opposer,  avec 
le  plus  d'illusion  possible ,  les  souvenirs  aux  sou- 
venirs ,  les  simulacres  aux  simulacres ,  les  objets 
aux  objets.  Cédant  à  cet  heureux  prestige  y  le  peuple 


-     0ES  ANTIQUAIRES  D£  FRÀNCB.  38 1 

perditînseiisiblemeot.de  vue  ses  anciennes  institu- 
tions >  quoiqu'il  les  retrouvât  en  quelque  sorte 
dans  les  nouvelles  ,  mieux  appropriées  à  sa  dignité  ; 
seolementlenomet  le  quantième  en  furent  quel- 
quefois changés.  C'est  le  cercle  de  ces  fêtes  con- 
tinuées que  nous  nous  proposons  de  parcourir  ici. 

§  1.    Celle  des  Rois  existait  déjà    avant  Tère 
chrétienne.  A  Rome ,  c'était  en  Thonneur  de  Sa- 
turne et  de  Janus  du  quinze  au  vingt-un  décembre, 
tandis  que  maintenant  c'est  le  six  janvier.  «  Pen- 
dant tout  mon  règne  qui  ne  dure  qu'une  semaine, 
dit  le  premier  de  ces  dieux  dans  un  des  dialogues 
de  Lucien,  il  ne  m'est  permis  de  faire  aucune  chose 
ni  publique,  ni  particulière /  mais  seulement  de 
boire,  de  chanter,  de   jouer,  àe  faire  des  rois 
imaginaires  ,  de  mettre  les  valets  à  table  avec  leurs 
maîtres  ,    de  les   barbouiller  de  suie^  ou  de   les 
jeter  à  Teau  la  tête  la  première,  lorsqu'ils  ne  retan 
plissent  pas  bien  leurs  nouvelles  fonctions.  ^  C^x 
qui  célébraient  les  Saturnales  s'élisaient  un  roi  {i)  : 
et  d^ailleurs,  il  y  avait  toujours  chez  les  Romains 
un  roi   du  festin  que  le  sort   désignait  (  Horace^ 
Od.  4%  lib.  L  ). 

(i)  La  fête  des  Sôus-Diacresy  des  Fous  ou  des  Calendentve 
célébrait  «  à  Paris,  le  jour  de  TÉpiphanie  ;  ailleurs  ^  le  jotur 
a  dès  Innoçens.  »  Les  prêtres  et  les  clercs  s'assemblaient , 
élisaient  un  pape  ou  un  évêque  :  ils  le  conduisaient  en  pompe 
àréglise^  où  ils  entraient  en  dansant  ^  maéqués  ^  rerêtus  ou 
d'habits  de  femme  ou  d'animaux. 


S8a  HÉiroiEBs  dc  là  sogiétc  royale 

Toul  cela  se  pratique  encore  ^  nos  jours  y  à 
quelques  diflërences  près.  La  veille  de  i'Epîphaoie  ^ 
chaque  famille  bourgeoise  fait  tirer  au  sort^  au 
mojen  d'un  jeu  de  cartes ,  par  le  plus  jeune  d^s 
enfans  ,  quels  seront  le  roi  y  la  reine  et  le  valet 
provisoire  du  lendemain. 

Pour  les  désigner,  du  temps  d'Etienne  Pasquier, 
on  posait  au  milieu  dp  la  table  un  petit  garçon, 
«  que  le  maître  interrogeait  sous  le  nom  de  Phébé^ 
comme  si  ce  lût  un  enfant  qui,  en  l'innocence  de 
son  âgfc,  représentât  une  forme  d'oracle  d'A?poUon.  » 
A  la  campagne ,  l'enfance  est  également  l'arbitre  du 
destin  (i)  ;  mais  le  plus  communément  c'est  la  fève 
qui  adjuge  la  rojauté. 

Une  fève  (9)  perdue  dans  un  gâteau  qui  se  pa^ 
iage  lai  souper  entre  les  convives^,  en*tOinbaDtà 
l'un  d'eux,  le  fait  proclamer  roi  ou  reine;  alors  le 
Qouveau  souverain  seSk&ml  une  compagne ,  ou  la 
priocessie  se  choisit  unffppux, 

<31iaque  fois  qu'ils  boivent ,  leurs  sujets  doivent 
s^empresser  de  crier  le  roi  boit ,  ou  la  reine:  boit!  les 

(1)  Je  lisais  dernièrement  un  acte  de  partage  de  successioBj 
passé  pardeyant  notaire,  en  i664,  où  il  était  dit  expressément 
qm»  Von  ayait  Caift  tirer  les  Iota /hit  un  enfant  de  eqit  à  huit 
om.  . 

'{n)  «  Kénophon,  tia  livre  des  dits  et  aetes  de  Soerate ,  nous 
enseiigne  qtte,  dans  la  Tflle  d'Adiènes^  les  magisirats  étaient 
créés  au  sort  de  la  féye.  Par  aventure  leur  s<$rTatt-eHe  de 
ballotte  ?»  (Pasquier^  Recherches^  Hv.  !▼,  <*.  IX. 


ÏSm  ANTIQUAIRES  DE  FBANGK.  585 

omis6kms  wnt  punies  de  la  peine  du  barbouillage. 
Quiconque  arrive  pendant  le  festin  (  et  même 
pendant  l'octave  )y  doit  déclarer ,  en  entrant ,  qu'il 
salue  le  rai  et  la  reine.  / 

Pendant  ce  temps4à ,  les  ehfans  et  les  pauvres 
vont^  de  porte  en  porte,  chantant  les  trois  rois 
àTOrierU ,  et  demandant  leur  part  du  gâteau  qui  est 
sur  la  table* 

Je  dis  leur  part  y  et  en  eflFet  on  a  soin  d'en  ré- 
server une  pour  eux,  que  l'on  appelle  la  pdrt  de 
Dieu  et  de  la  Sainte-^Vierge  ;  car  ce  jour  est  essen- 
tiellement consacré  à  l'égalité  des  conditions ,  et 
rappelle  aux  chrétiens  l'hommage  rendu  par  la 
grandeur  à  la  pauvreté.  La  principale  idée  de  cette 
fête  des  rois  est  intimement  liée  à  Finstitution 
profane  par  d'habiles  rapprochemens.  D'un  côté,  les 
saturnales  rappellent  le  sceptre  passant  des  mains 
de  la  puissance  à  celles  de  la  pauvreté  j*les  maîtres 
servant  les  esclaves,  et  tous  les  rangs  ramenés  au  ' 

même  niveau  ;  de  l'autre ,  des  mages  viennent  au 
£6nd  d'un  établë  reconnaître  la  majesté  d'un  nou- 
veau  ipaître  ,  devant  qui  disparaissent  toutes  les 
distances.  Voilà  sans  doute  une  analogie  qui  a  dû 
êt^e  la  cause  ide  la  continuation  d'une  partie  des 
saturnales  Sotis  le  nom  de  X Epiphanie  ou  fête  des 
rois. 

Qtiaique  Ton  n'ait  rien  de  certain  sur  la  qualité 
<ies  trois  sages  <|ui  vinrent  à  Bethléem  ,  cepen-< 
danlime  tradition  constante  les  donne  pour  trois 


N 


384  HÉMOlRBé  DE  hk  SOClili  ROTÀLS 

Si  Ton  voulait  pousser  plus  loin  les  parallèles  ^ 
ces  trois  têtes  couronnées  se  retrouveraient  dans 
celle  de  Saturne  et  le  double  visage  de  Janus> 
et  la  triple  adoration  de  ces  personnages  ferait 
allusion  au  ù'iple  triomphe  d^jiMiguste  qui  se  so- 
lennisait  le  même  jour,  six  janvier ,  ou  le.kuit 
des  ides  de  ce  mois.  (  Orose  )  Je  trouve  Meusi  (  Cat. 
des  fêtes  9  p.  84  )  de  mon  avis  sur  ce  point. 

§  2.  «  Le  savant  Baluze  dit  que  la  Puri' 
Jication  est  la  première  des  fêtes  instituées  en 
l'honneur  de  la  mère  de  Dieu  :  le  pape  Gélase , 
suivant  le  sentiment  le  plus  commun  et  le  plas 
suivi  >  rétablit  en  l'année  même  de  sa  mort  >  c'est- 
à-dire  en  l'an  496 ,  pour  l'opposer  aux  purifications 
que  les  païens  faisaient  aux  lu  percales  j  en  portant 
des  torches  allumées  autour  de  leurs  temples. pour 
purifier  leur  ville.  »  (  Cat.  des  fêtes  j  p.  gS  ). 

Le  deux  février  est  aussi  connu  sous  le  nom  de 
la  Chandeleur ,  solennité  ainsi  nommée  du  grand 
nombre  de  cierges  que  les  fidèles  font  bénir  à  la 
messe ,  et  avec  lesquels  ils  vont  en  processio.n  dans 
l'église  ou  au-dehors. 

Dans  le  canton  d'Orgelet  j  au  retour  de  l'office  , 
le  père  de  famille  1  après  avoir  récité  le  Pater  et 
VAs?e  y  fait  découvrir  l'épaule  à  toutes  les  person- 
,  nés  de  la  maison ,  et  7  forme  une  croix  de  quatre 
ou  cinq  gouttes  de  cire.  U  marque  aussi  du  même 
signe  le  fond  du  chapeai\;  ensuite,  avec  la  fumée 
du  cierge ,  iL  dessine    d'autres  croix    aux    seuils 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  385 

supérieurs  des  portes  et  (les  fenêtres  y  par  où  Tair 
entre  dans  Thabitation^  ce  qui  est  sans  doute  une 
pratique  subtituée  aux  lustrations  que  Ton  faisait 
en  l'honneur  de  Junon  Sospita  qui  présidait  à  la 
salubrité  de  l'air,  et  dont  on  chômait  la  fête  au 
premier  des  calendes  de  février  par  des  purifi- 
cations. De  là  le  nom  de  Fehniarius  impoâé  à  ce 
mois. 

§  5.  Le  dimanche  des  Rameaux  ou  des  Palmes , 
autrement  dit  Pâques  fleuries  ,  jour  auquel  les 
fidèles  se  rendent  à  l'église  avec  des  rameaux  de 
buis  (  les  enfans  y  implantent  des  pommes  ) ,  en 
mémoire  de  l'entrée  de  Jésus-Christ  dans  Jérusalem, 
tombe  vers  le  même  temps  où  l'empire  romain 
célébrait  les  {victoires  de  César  et  Auguste  salués 
empereur ,  le  huit  et  le  seize  avril.  On  fait  remon- 
ter l'institution  de  la  fête  chrétienne  à  la  fin  du 
sixième  siècle.  «  La  bénédiction  et  la  distribution 
des  Rameaux  sq  faisaient  en  plusieurs  endroits ,  hors 

des  villes  et  des  paroisses On  s'avançait  avec 

des  branches  d^ arbre  s  y  etc.  »  (  Cat.  des  Fêtes  ). 

§4*  Les  enfans  >  dans  les  villes  comme  dans  les 
campagnes  ,  à  l'issue  de  l'office  des  Ténèbres , 
sortent  de  l'église  ,  agitant  divers  moulinets  de 
bois  (  la  crécelle  )  qui  produisent  beaucoup  de  bruit, 
et  courent  ainsi  toutes  les  rues.  On  croit  que  ce  fra- 
cas imite  le  déchirement  du  voile  du  temple  de 
Jérusalem ,  ou  qu'il  exprime  le  désordre  de  la  na- 

IV.  2  5 


386  HiHOiaBs  de  la  société  aoTUE 

ture  dans  ces  momens  de  deuil.  «  Il  est  plus  vrai' 
semblable  9  dit  Tabbé  Meusi^  que  c'est  une  coutume 
ancienne  qui  ilous  rappelle  les  siècles  auxquels  les 
cloches  n'étaient  pas  encore  inventées  (1)^  et  où 
Ton  se  servait  de  crécelles.  »  Pendant  la  Semaine 
Sainte  ;  les  cloches  se  taisent,  et  Ton  n'entend  que 
la  crécelle  au  Sanctus  et  à  VÉlévation.  Je  ne  vois 
dans  le  calendrier  romain  aucune  cérémonie  qui 
corresponde  à  celle-ci. 

§  5.  Pâques  signifie  passage.  D'abord  les  Egyp- 
tiens célébraient  le  passage  du  soleil  de  l'hémis- 
phère inférieur  à  l'hémisphère  supérieur  ,  qui 
arrivait  alors  sous  le  signe  du  Bélier. 

Moïse  saisit  cette  circonstance  pour  instituer  une 
fête  qui  devint  très-célèbre  chez  les  Hébreux,  et 
dans  laquelle  il  se  montra  diamétralement  opposé 
au  mode  de  sacrifice  des  Egyptiens ,  puisqu'il  or- 
donna à  son  peuple  dlmmoler  l'agneau  qui  était 
adoré  par  eux. 

Cet  acte ,  criminel  à  leurs  yeux ,  était  un  coup  de  po- 
litique de  la  part  de  Moïse  ;  il  forçait  les  enfans  dls- 
raëlà  chercher  leur  salut  dans  la  fuite,  et  c'est  ce  qu'ils 
firent.  Dès-lors  ils  consacrèrent ,  chaque  année  ^ 
par  ordre  de  leur  législateur ,  la  mémoire  de  leur 
passage  de  l'Egypte  au  désert.  Les  mystères  du 
christianisme  devaient  s* enter  sur  ceux  de  l'idolâtrie 

(1)  Bleusi  aurait  dû  dire  :  ha  aièclea  auxquels  les  cloches 
étaieni  encore  rares. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE*  •  387 

pour  les  détruire ,  et  la  résurrection  du  divin  ré- 
générateur eut  ligua  pareil  jour. 

§  6.  Le  lundi  de  Pâques  ^  il  est  d'usage ,  sur 
plusieurs  points  du  département ,  et  notamment  à 
LoDS-le-Saunier  et  à  Orgelet ,  d'aller  prendre  un 
repas  en  famille  daus  la  campagne.  Je  ne  vois  pas 
d'autre  raison  de  cette  coutume  que  celle  de  repré- 
senter le  départ  des  Israélites  d'Egypte  pour  le 
désert  >  par  opposition  peut-être  à  la  fête  de  Ju- 
piter  vainqueur ,  et  de  la  Liberté  qui  tombait  aux 
Ides  d'avril  y  treize  de  ce  mois. 

§  7.  Les  rogations  ont  été  établies  en  France^ 
sur  la  fin  du  cinquième  siècle.  D  est  présumable 
qu'alors  le  peuple  se  livrait  encore  à  des  pratiques 
de  l'ancien  culte.  Les  processions  des  Céréales  ^ 
des  PaUlies ,  des  P^inalies  à  Vénus,  des  RobigaUes 
et  des  Florales  ,  se  faisaient  chez  les  Romains  , 
les  19,  2Q,22f  26 et  28  avrils  c'est-à-dire  pendant 
les  calendes  de  mai. 

%  8.  Le  trois  mai  amène  Viàçention  de  la  Sainte- 
Croix.  Ce  jour-là  >  les  cultivateurs  font  bénir  des 
faisceaux  de  croix  de  coudrier ,  préparées  par  les 
bergers,  qui  sont  ensuite  plantées  dans  les  héri- 
tages. Ces  croix  ressemblent  à  celle  que  les  peintres 
mettent  à  la  main  de  saint  Jean  précurseur  ;  c'est 
pourquoi  on  les  appelle  croix  de  Saint*Jean-Bap- 
tiste.  On  dit  vulgairement  que  les  jeunes  gens  qui 
les  trouveront  en  moissonnant  se  marieront  dans 


3&8  HiMOIBES   DE  LA  SOCïtri  ROTÂiE 

Tannée.  Ceci  n'a  rien  de  parfaitement  analogue 
à  ce  qui  se  pratiquait  sous  le  politbéisme^  si  ce 
n'est  peut- être  aux  compitales  en  l'honneur  des 
dieux  lares,  parmi  lequels  on  distinguait  les  Larei 
des  champs.  Les  compitales  arrivaient  le  deux 
mai,  le  lendemain  d'un  jour  consacré  à  la  bonne 
Déesse ,  aux  lares  et  vxïsi  jeux  floraux. 

§  9.  Au  sujet  de  la  Trinité  s^oyez  le  chap.  XI, 
S- 6. 

§  10.  Les  Panathénées  de  l'At tique  (  appelées 
à  Rome  Quinquatrie$  )  et  la  fête  de  Jupiter  invinr 
cible  y  qui  se  célébraient  aux  ides  de  juin,  présen- 
taient le  spectacle  de  processions  >  auxquelles  les 
chrétiens  ont  jugé  à  propos  d'opposer  celles  de 
la  Fête-Dieu.  En  plusieurs  endroits  du  déparle- 
ment du  Jura,  et  particulièrement  dans  la  partie 
basse ,  les  paysans  attachent  une  espèce  d'heureuse 
fatalité  à  posséder  des  couronnes  qui  ont  touché 
l'ostensoir ,  le  jour  de  cette  fête  ;  et ,  quand  la 
cérémonie  est  terminée  ,  les  mères  de  famille 
vont  coucher  leurs  enfans  sur  les  divers  reposbirs 
où  le  prêtre  a  donné  la  bénédiction. 

§  II.  A  la  Natis^ité  de  S aint-Jeafi- Baptiste  se 
rattache  le  retour  d'un  usage  bizarre  dont  nous 
avons  traité  au  précédent  chapitre,  et  d'idées  su- 
perstitieuses dont  nous  parlerons  au  chapitre  XI  ^ 

s  5. 

§  1 2 .  La  Visitation  de  la  Sainte  Vierge ,  fixée  au 


DE3  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  SSg 

deux  juillet  9  a  été  subtituée  aux  changemens  de 
maisons  qui  étaient  en  usage  à  Rome  le  premier 
des  calendes  de  ce  mois. 

§  i3.  Les  Brumales  à  Thonneur  de  Bacchus  > 
qui  commençaient  le  24  novembre  et  qui  duraient 
un  mois,  étaient  l'occasion  de  fêtes  joyeuses  aux- 
quelles la  jeunesse  des  deiix  sexes  avait  le  plus  de 
part  ;  conséquemment  il  était  difficile  de  ne  les  pas 
continuer. 

Le  christianisme  permit  donc  1®  aux  jeunes 
filles  d'avoir  pour  patrone  sainte  Catherine  , 
au  26  novembre ,  et  de  la  fêter  par  des  réjouis- 
sances décentes  ;  2^  aux  écoliers  et  aux  jeunes 
garçons  ,  de  se  réunir  le  six  décembre  ,  dans  le 
même  but  ,  et  sous  les  auspices  de  leur  patron 
saint  Nicolas.  Ces  petites  fériés  se  célèbrent  avec 
beaucoup  de  zèle,  en  Françhe-Comté ,  autant  par 
les  agréables  festins  auxquels  un  sexe  appelle  ordi- 
nairement l'autre,  que  par  les  bals  où  la  présence 
des  deux  est  indispensable. 

§  1 4«  Comme  au  dimanche  d'Epicrées ,  dès  le 
soir  qui  précède  Noël ,  on  voit ,  de  toutes  parts, 
dans  la  campagne,  briller  de  nouveaux  brandons. 
Le  24  décembre ,  ce  jour  que  les  Romains  avaient 
ajouté  aux  saturnales  sous  le  noni  de  Juvenalisy 
nos  jeunes  villageois  allument  deifouailles  Ott  flaiii- 
beaux,  s'en  vont  processionnellement  sur  les  hau- 
teurs, et  y  forment  en  dansant  diVerses  évolutions. 
Au  chapitre  XI ,    il  sera  question  dïdées  supers- 


3gO  lI]élIOIR£S  DB  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

titieuses  relatives  à  la  soleonité  de  ce  jour.  On  se 
garde  bien  de  se  rendre  à  l'office  nocturne,  sans 
avoir  sur  soi  quelque  chose  de  neuf,  sous  peine 
de  ne  pouvoir ,  dit-on  ,  j  contenir  ses  flatuosités. 
A  rissue  de  la  messe  de  minuit  ,  on  célèbre  la 
naissance  du  Sauveur  par  une  collation  joyeuse 
que  l'on  appelle  le  ris^eillon. 

Cest  alors  que  y  dans  quelques  endroits,  on 
renouvelle  les  feux  de  voisin  à  voisin.  Le  lende- 
main ,  les  enfans  se  lèvent  de  bonne  heure  pour 
visiter  au  foyer  la  tronche  y  c'est-à-dire  la  grosse 
bûche  sous  laquelle  ils  trouvent  des  gâteaux  ou 
des  fruits  ,  qu'ils  regardent  comme  la  produc- 
tion de  sa  fécondité  miraculeuse.  Ce  jour-là  aussi 
les  gens  les  plus  pauvres  mangent  du  pain  blanc, 
les  parrains  et  marraines  doivent  à  leurs  filleuls 
un  pain  au  lait. 

Ces  divers  usages  paraissent  presque  tous  pro- 
céder d'une  source  païenne.  Je  n'ai  pas  besoin 
de  dire  que  les  Romains  célébraient  à  la  même 
époque  leur  solem-novum  (  parce  qu'à  partir  de 
ce  point  ,  le  soleil  ^  parvenu  au  plus  bas  de  sa 
carrière  ,  commençait  à  remonter  sur  l'horizon  ) , 
cela  est  trop  généralement  connu.  De  là  le  sol 
no9us  orituv  de  la  prose  de  la  Nativité.  Les  ré- 
flexions générales  que  nous  avons  déjà  placées  an 
commencement  de  ce  chapitre  ,  et  les  observa- 
tions, particulières  que  la  solennité  de  Pâques  a 
donné  lieu  de  faire  dans  celui-ci ,  trouvent  encore 
ici  leur  application.  Je  ne  répéterai  donc  plus  la 


DS8  ANTIQUAIRES  DS  FRANGE^  3oi 

rai^oû  de  pareille  coïncidence  ;  seulement  je  rap- 
porterai ,  d'après  les  notes  manuscrites  de  M.  Da- 
vid de  Saint-Georges ,  que,  vers  Tentrée  de  l'hiver, 
les  druides  rendaient  aussi  un  culte  solennel  à  Bêlé- 
nus,  l'Apollon ,  soleil  des  Gaulois  ,  dont  ils  repré- 
sentaient l'image  par  de  grands  feux  allumés  à  la 
cime  des  montagnes.  Cette  fête  celtique  s'appelait 
Sam^hîn  ou  le  feu  de  la  paix.  Béni  par  les  prê- 
tres ,  ce  feu  était  distribué  aux  assistans  qui  reve- 
naient ensuite  à  la  maison,  un  tison  allumé  à  la 
main.  Ceux  qui  n'avaient  pas  eu  part  à  la  distri- 
bution du  feu ,  en  demandaient  à  leurs  voisins 
pour  renouveler  celui  de  leurs  foyers.  De  là  vient 
que ,  dans  plusieurs  campagnes ,  on  le  laisse  quel- 
quefois éteindre ,  afin  de  le  rallumer  de  cette  ma- 
nière ,  en  témoignage  de  bonne  intelligence  et 
de  paix.  Comme  ce  feu  sacré  était  censé  porter 
bonheur  à  Tâtre  sur  lequel  il  était  apporté ,  on 
Tentretenait  au  moyen  d'un  gros  tronc  d'arbre  que 
nous  appelons  aujourd'hui  la  tronche  ^  et  qui  doit 
durer  jusqu'à  l'Epiphanie. 

Enfin  la  coutume  de  revêtir  ce  jour-là  quelque 
vêtement  neuf,  nous  reporte  sans  doute  au  règne 
des  Garlovingiens,  où  Tannée  commençait  au  â5  dé- 
cembre. 

§  i5.  On  croit  que  la  fête  des  Ihnocen$  n'était 
pas  hi,  même  que  celle  des  fous^  qui  était  un  reste 
des  saturnales  des  Romains,  et  que  les  enfans  de 
chœur  ou  les  petits  clercs  faisaient  dans  l'église , 


Sq2  Mémoires  de  la  société  royaie 

la  veille  et  le  jour  des  SaiDts-Innocens>  sentiment 
qui  me  semble  tout-à-fait  défectueux.  Cette  fête 
des  jeunes  gens,  devenue,  depuis  plusieurs  siècles  , 
plus  innocente  que  jamais ,  se  passe  à  solliciter 
et  à  obtenir  de  petits  présens  qui  sont  commune* 
ment  des  fruits. 

Les  enfans  demandent  leurs  innocens  à  leurs 
pères,  mères,  parrains,  marraines  et  supérieurs. 
Les  galans  les  vont  solliciter  près  de  leurs  maî- 
tresses. < 

Chapitre  X.  —  De  quelques  usages  particuliers. 

Outre  les  usages  que  ramène  le  cours  périodique 
des  saisons ,  il  en  est  qui  méritent  de  trouver  place 
dans  nos  recherches. 

§  1*  Par  exemple,  nous  voyons  assez  fréquem- 
ment dans  les  campagnes ,  à  quelques  portes  de 
grange,  des  dépouilles  d'oiseaux  carnassiers  et  de 
bêtes  fauves  :  elles  y  sont  arborées  comme  des 
preuves  de  prouesse. 

Les  Celtes  fixaient  de  même ,  comme  d'honora* 
blés,  trophées,  aux  seuils  supérieurs  de  leurs  por- 
tes ,  les  têtes  de  leurs  ennemis  tués ,  et  celles  de^ 
animaux  redoutables  qu'ils  avaient  abattus  à  la 
chasse.  «  Hostium  spolia  sanguine  perfusa  famulis 
tradunt  ,  in  jotihus  domoruni  cum  cantu  atque 
hymmis  affigenda  :  quemadmodum  feras  soient  ve- 
natu  captas  »  (  Diod*   de  Sic.  ^  liv.  6,  chap.  9.  )- 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  ^q5 

Gomme  c'est  principalement  la  noblesse  qui  se 
livrait  à  Texercice  de  la  obasse  ,  c'est  exclusive- 
meat  à  la  porte  des  châteaux  que  Ton  vit,  pendant 
nombre  de  siècles  ,  de  pareilles  enseignes.  De  là 
l'idée  de  distinction  que  Ton  attache  encore  à  avoir 
à  sa  porte  un  pied  de  biche  pour  faire  mouvoir 
I9  sonnette.  De  là  surtout  ces  ramures  de  cerf  placées 
sur  les  casques  et  sur  les  couronnes  y  dans  le  blason 
des  hauts  et  puissans  seigneurs  du  règne  féodal. 
Diodore  de  Sicile  (liv.  6,  chap.  9),  parlant  des  Gaulois, 
atteiste  Tantiquité  du  choix  de  ces  figures  sur  leurs 
casques  :  «  j^reâ  galeâ  caput  muniunt  paulùm 
eminentiore ,  in  quâ  aut  cornua  impressa  $unt ,  aut 
avium  vel  quadrupedum  effigies  sculpta  ».  Au  temps 
où  les  cornes  étaient  un  attribut  de  haute  considé- 
ration pour  la  caste  noble  ,  elles  étaient  déjà  un 
symbole  fgnominieux  pour  certains  maris  d'une 
classe  inférieure,  y  à  en  juger  par  quelques  usages 
ridicules  dontrorigine  semble  se  perdre  dans  la  nuit 
des  temps.  Voyez  les  paragraphes  relatifs  aux  mais^et 
aux  processions  de  la  Saint -Jean,  chap.  YIII. 

§  2.  Le  sujet  nous  amène  à  retracer  le  souvenir 
d'une  coutume  d'origine  barbare  (puisqu'elle  nous 
venait  des  Francs ,  '  dit  du  Gange  au  mot  strotare  ) 
qui  n'est  plus  en  vigueur  comme  punition  de  l'adul- 
tère ,  mais  qui  l'est  encore  en  plusieurs  lieux  comme 
peine  infligée  à  quiconque  a  battu  sa  femme  ou  son 
mari. 

Au  scandale  qu'avait  produit  l'aventure  des  amans 


394  MKHOIRBS  DE  l  SOCIÉTÉ  ROYALE 

surpris  en  flagrant  délity  nos  pères  ajoutaient  le  spec- 
tacle plus  scandaleux  encore,  de  faire  courir  par  la 
ville  ou  par  le  village  les  deux  coupables  montés 
sur  un  âne  et  tout  nus.  Des  scènes  de  ce  genre  prou- 
vent-elles la  pureté  ou  le  relâchement  des  moeurs 
antiques  ?  sont-elles  tombées  en  désuétude  par  la  ra- 
reté ou  par  la  trop  grande  multiplicité  des  exemples? 
Ce  n'est  pas  de  cela  qu'il  doit  être  ici  question. 

Quoiqu'il  en  soit,  cette  loi  a  existé  anciennement 
dans  la  Pisidie.  (  Nie.  Damasc .  apud  Stobaeum , 
serm.  ^2.)  et  dans  plusieurs  provinces  de  France , 
notamment  dans  la  Bourgogne  (  Pézard,  Recueilde 
chartes.  )*'dans  la  Bresse  (Ghart.  Aymon.  Sabaud. 
Baugiac.  pro  villa  de  Bag.  ,  an  1266),  dans  l'Agé- 
nois ,  la  Gascogne  ,  l'Auvergne ,  etc. 

Maintenant  donc  on  ne  trotte  plus  les  adultères  > 
mais  seulement  les  époux  qui,  en  s'administrant 
brutalement  des  corrections ,  ont  trop  attiré  l'atten- 
tion publique.  On  a  vu  quelquefois  un  mari  tout  hoD- 
teux,  promené  sur  un  âne  au  milieu  d'une  foire,  ayant 
à  son  dos  l'annonce  de  son  méfait.  Quelquefois  aussi 
on  fait  un  mannequin  que  l'on  costume  de  manière 
à  faire  reconnaître  la  femme  à  trotter;  et  une  nom- 
breuse escorte  de  polissons  ^  après  Tavoir  assis  dans 
une  cariole  ,  le  promène  dans  toutes  les  rues  en 
criant  :  une  telle  a  battu  son  mari* 

§  3.  On  ne  sait  comment  concilier  le  respect  ex- 
traordinaire que  les  Gaulois  et  les  Germains  por- 


DBS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  5q6 

talent  aux  femmes  (  respect  dont  Tite-Live ,  César  et 
Tacite  ont  consacré  le  souvenir  dans  leurs  écrits)^ 
avec  l'usage  où  elles  étaient  de  ne  point  paraître  à 
table  lorsqu'il  y  avait  des  étrangers,  et  qui  s'est  per- 
pétué jusqu'à  ce  jour  dans  nos  Campagnes  et  chez 
plusieurs  nations  de  l'Europe.  Jamais  la  maîtresse  de 
la  maison ,  et  encore  moins  ses  brus  et  ses  filles  ,  ne 
s'assejentà  table,  lorsque  des  amis  ou  des  étrangers 
y  sont  conviés,  à  moins  qu'elles  n'y  fassient  une  courte 
apparition,  vers  le  milieu  du  repas,  dans  les  grandes 
circonstances,  telles  que  le  mardi-gras,  les  rois ,  la 
fête  patronale,  les  noces,  et  lorsqu'il  convient  de 
faire  compagnie  à  des  personnes  de  leur  sexe.  Hors 
de  pareils  cas ,  les  femmes  de  la  maison,  et  quelque- 
fois celles  qui  viennent  les  voir, ,  mangent  à  la  cui- 
sine, soit  sur  leurs  genoux,  soit  sxxvV arche-banc,  mais 
presque  toujours  debout,  et  plus  occupées  à  traiter 

'  leurs  convives  qu'à  se  servir  elles-mêmes.  En  géné- 
ral, les  paysans  n'ont  pas  du  beau  sexe  les  mêmes 
idées  que  les  personnes  qui  ont  reçu  de  l'éducation  ; 
ils  le  regardent  en  quelque  sorte  comme  une  partie 
défectueuse  de  l'espèce  humaine ,  jusque-là  qu'ils 
s'excusent  quelquefois  de  parler  de  lui.  Plus  d'une 
fois  j'ai  entendu  des  gens  me  dire  naïvement  ï  notre 

fygnme  ,  sauf  votre  respect. 

§  4.  Nous  avons  dit  ailleurs  que  l'on  oblige,  par 
le  charivari  y^  un  veuf  qui  se  remarie ,  à  faire  danser 
Ja  jeunesse  du  lieu.  Voyez  le  chapitre  relatif  au  ma- 
riage» S2^4» 


396  MEHOIBES  DE  lA  SOCIÉTÉ  l^OTÂIE 

§  6,  Dans  les  lieux  où ,  pour  la  première  fois ,  il 
s'éfablit  une  foire ,  on  promène,  par  les  rues  et  sur 
toutes  les  places  où  elle  se  tient,  le  bœuf  Jleuri.  Ce 
bœuf  est  couvert  d'un  drap  blanc  parsemé  de  fleurs 
et  de  rubans  de  nuances  vives  ,  et  il  a  les  cornes  or- 
nées d'un  gros  bouquet.  Pendant  cette  promenade, 
qui  se  fait  aux  acclamations  du  peuple ,  les  libations 
de  vin  contribuent  encore  à  égayer  la  cérémonie  , 
comme  cela  va  sans  dire.  Il  semble  voir  le  bœuf 
fleuri  que  l'on  sacrifie  en  Provence  le  jour  de  la 
Fête-Dieu ,  et  qui  est  comme  le  bouc  hazael  des 
Israélites. 

§;  6.  Une  petite  fête,  qui  se  célèbre  avec  plus  de 
joie;  encore,  parce  qu'elle  est  toute  bacchique  par  es- 
sentce,  se  donne,  par  le  propriétaire  d'une  pièce  de 
teripe,  le  jour  qu'il  la  met  en  nature  de  vigne.  Alors 
tous  les  voisins,  les  amis,  les  gea<}  de  l'endroit  se 
pointent  avec  empressement  à  cette  plantation,  quoi- 
qu'ils donnent  à  cet  acte  gratuit  de  complaisanee 
le  nom  de  corvée.  À  la  suite  de  ce  travail,  auquel  on 
s^aiiime  parles  chiansonsles  plus  gaillardes,  il  7  a  un 
plantureux  souper  où  l'on  sable  bien  autant  de  vin 
qu'il  en  doitcroitre ,  la  première  année,  dans  la  vigne 
nouvelle.  Il  ne  faudrait  pas  sortir  de  ce  festin  salis 
avoir  dignement  fêté  Bacchus,  c^est-à-dire  sans  avoir 
Uiiisé  sa  raison  au  fond  du  verre.         ^  "  ' 

§  7.  Lors  de  la  récolte  des  premières  herbes,  qui 
se  fait  en  partie  de  plaisir ,  la  dernière  voiture  de 


DES    ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  5Q'J 

foin  que  l'on  amèae  au  fénil/est  montée  par  des 
jeunes  gens  des  deux  sexes,  qui  chantent  eu  chemin^ 
et  qui  poussent  des  cris  perçans  à  la  fin  de  chaque 
couplet.  Une  touffe  de  fleurs  cueillies  dans  la  prai- 
rie ,  est  arborée  au  milieu  d'eux ,  et  leur  attire  d'a- 
bondantes rosées;  car^  à  mesure  qu'ils  passent  devant 
les  portes  et  les  croisées^  on  arrose  le  bouquet  sans 
ménagement.  Il  paraît  que  ce  divertissement  est  un 
reste  d'hommage  à  la  déesse  Fauna ,  Matuta  ou  Cy^ 
hèle  qui  présidait  aux  productions  de  la  terre^  et  dont 
on  faisait  la  fête  à  Rome ,  le  trois  des  ides  de; juin. 

§  8.  Ce  bouquet  reparaît  en  d'autres  circons- 
tances; par  exemple  y  il  se  montre  infailliblement 
au  haut  du  pignon  ou  de  la  cheminée  d'un  édifice 
dont  on  vient  d'achever  la  construction ,  et  les  ma- 
çons appellent  arroser  le  bouquet^  boire  amplement 
au  compte  du  propriétaire  qui  leur  doit  un  festin. 

§  9.  Les  fantômes  grotesques ,  formés  d'une  mau- 
vaise veste  et  d'un  vieux  chapeau  ajustés  sur  deux 
bâtons  crwsés^  et  qui  servent  d'épouvantails  dans  la 
campagne  pour  empêcher  les  oiseaux  et  les  poules 
de  manger  les  fruits  et  les  semences,  sont  une  imi- 
tation du  Prîape,  surnommé  Avistupor  ^  c^i  remplis- 
sait les  mêmes  fonctions  chez  les  païens. 

§  10.  Dans  toutes  les  églises  de  village  et  dans 
une  infinité  d'églises  de  villes,  vous  voyez  des  statues 
de  saints  ,  et  surtout  des  images  de  la  vierge ,  revê- 
tues de  robes  et  d'ajustemens ,  ouvrages  de  la  piété 


SgS  MÉH0IRB8  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROTAlfk 

des  fabriciens^t  des  filles  de  conférences.  H  serait 
plus  beau  d'avoir  des  statues  quelconques  de  marbre. 

Au  reste  ;  si  chez  les  Athéniens  (au  rapport  dePau- 
sanias);  si  dans  TEIide,  si  a  LacédémonCi  si  à  Gorinthe» 
on  mettait  des  voiles  et  des  manteaux  aux  statues  des 
dieux  ;  si  même  on  portait  le  zèle  de  la  dévotion  jus- 
qu'à leur  laver  les  pieds  ^  nos  filles  de  conférences 
et  nos  fabriciens  peuvent  bien  faire  preuve  d'un  si 
bon  goût. 

Ghapitrs  XI.  —  De  quelques  idées  superstitieuses 
qui  se  rattachent  à  la  religion. 

§  1.  Le  nombre  treize  y  que  Ton  appelle  vulgaire- 
ment point  de  Judas j  est  si  redoutable^  qu'on  fait  tout 
pour  l'éviter.  Combien  de  fois  n'a-t-on  pas  quitté  la 
table  lorsque  Ton  s'est  aperçu  qu'il  s'y  trouvait  treize 
convives  ? 

§  2.  Vendredi,\o\a àeXz.  mort  de  Jésus-Christ , 
n'est  pas  moins  sinistre.  Que  de  gens  qui  Blaseraient , 
à  pareil  jour^  ni  changer  de  chemise^  ni  faire  un 
marché^  ni  entreprendre  un  voyage  ! 

§  3.  Rencontrer  sur  son  passage  une  croix  qui  se 
serait  formée  par  hasard  de  deux  brins  de  paille , 
est  de  mauvais  augure  :  un  malheur  est  imminent. 

« 

§  4*  ^  ^'^^  du  cierge  pascal  est  Un  préservatif 
de  toute  espèce  de  maléfices.  Le  chasseun^n  met  dans 


i 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  5qq 

la  crosse  de  son  fusil;  sans  cela,  le  coup  ne  partirait 
pas  sur  un  loup^gaivu. 

§5.  Dans  le  caliton  d*Orgelet,  Isl  fougère  mâle, 
que  Ton  a  pu  cueillir^  étant  à  jeunet  en  état  degrâce^ 
avant  le  lever  du  soleil,le  jour  de  la  Saint-Jean(24  juin)^ 
possède  aussi  la  merveilleuse  propriété  de  repousser 
les  sortilèges,  et  de  prémunir  contre  les  maléfices. 
Mêlée  à  l^eau  bénite  et  au  sel  béni ,  elle  devient  un 
excellent  spécifique  pour  le  bétail  malade. 

§  6.  Celui  qui  voudra  voir  troîs  soleils  s'élever  à 
la  fois ,  le  four  de  la  Trinité,  de^Ta  être  en  état  de 
grâce  et  à  jeun ,  mais  il  faut  gravir  sur  une  montagne 
bien  haute. 

§  7.  Si  quelqu'un,  au  lieu  d*assister  à  la  messe  de 
minuit ,  va  se  coucher ,  la  chauchei^ille  ou  chausse^ 
paille ,  qui  descend  par  la  cheminée ,  Ten  fait  bien 
repentir.  Cette  chausse-paille  ou  chaucheville ,  est  le 
cauchemar. 

§  8.  Tandis  que  toute  la  famille  est  à  l'office  noc- 
turne ,  le  peureux  gardien  de  la  maison  en-  ferme 
exactement  toutes  les  ouvertures,  pour  que  les  esprits 
et  les  ombres  ne  puissent  s'y  introduire. 

§  9.  Les  fidèles,  qui  sont  en  état  de  sainteté,  à  l'é- 
glise ,  pendant  la  cérémonie ,  ont  la  faveur  de  con* 
naître  ceux  des  assistansqui  sont  507*cier^^  car  ils  leur 
voient  une  tète  de  cavale  au  lieu  d'une  têtebumaine. 


40O  MBJfOlRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  KOYALE 

S  10.  On  croit  que,  lorsque  iVbé'/ coïncide  préci- 
sément avec  répoque  de  la  naissance  du  Fils  de  Dieu 
(  je  ne  sais  trop^comment  on  entend  cela),  toutes  les 
bêtes  de  l'étable,  dans  chaque  maison,  se  mettent  à 
genoux  à  l'heure  de  minuit. 

§11.  Un  individu  qui  n'a  donné  aucun  signe  de 
religion ,  ni  durant  sa  vie,  ni  à  ses  derniers  momens, 
a-t-il  été  porté  en  terre?  Le  cercueil  ne  pesait  guère, 
car  le  corps  du  défunt  n  y  était  plus^  il  avait  été  em- 
porté par  le  diable,  et  les  personnes  qui  étaient  à  ses 
obsèques  s^en  sont  revenues  fort  effrayées  de  cette 
disparition.  U  est  vrai  que  Ton  n'est  pas  soi-même 
témoin  de  pareils  prodiges,  mais  on  en  tient  toujours 
le  récit  de  personnes  dignes  de  foi. 

§  12.  Le  diable  est  noir,  cela  va  sans  dire.  Cest 
toujours  sous  cette  triste  couleur  qu'il  se  transforme 
en  bouc,  en  chat,  en  vache  ^en  mouton,  en  poule,  etc. 

§  i3.  A  propos  de  poule  noire,  elle  a  de  grands 
pouvoirs ,  et  elle  est  un  trésor  pour  celui  qui  la  pos- 
sède. Aussi  est-elle  servie  la  première  de  toute  la 
basse-cour,  et  est-elle  régalée  des  meilleures  choses. 
Selon  qu'on  sait  la  contenter^  elle  multiplie  plus  ou 
moins  la  pièce  d'argent  que  Ton  met  couver  sous  elle. 

§  1 4.  Les  croisées  de  chemins  sont  les  rendez-voas 
ordinaires  de  Satan  et  de  ses  suppôts  mortels.  Là,  on 
fait  pacte  avec  lui  ;  là,  si  l'on  s'entend  bien  avec  ce 
mauvais  génie ,  on  peut  faire  sortir  d'une  cave  éloi- 
gnée tout  le  vin  que  l'on  voudra,  pourvu  que  l'on 


DES  AOTIQUAIIUBS  DB  FRANCE.  4oi 

dirige  bien  sa  cruche  yis^-à-vk  le  robinet  du  tonneaUy 

quelle  qae  soit  la  dâstaoce  des  lieux. 

•» 

§  i5.  Selon  les  uns ,  le  sabbat  se  tient  en  l'air  ; 
seloii  d'autres ,  au  bord  d'une  fontaine  >  ou  dansdes 
lieux  solitaires;  bien  entendu  que  l'on  s'y  rend  par 
la  cheminée^  et  monté  sur  un  balai.  Le  bouc  préside 
rassemblée*  Au  surplus ,  le  grand  juge  de  la  terre  de 
Saint Cïaude,  en  1610,  Henri  Boguet^  dans  son />»- 
cows  exécrable  des  sorcier$,  sorte  de  gens  dont  il 
fit  btûler  un  assez  bon  nombre ,  ne  nous  laisse  rien 
à  désirer  sur  ce  qui  se  passé  au  sabbat.  M.  de  Gaila^ 
qui  a  fait,  sur  le  pajrs  des  Landes^  des  remarques  in- 
sérées dans  les  MéniCHres  de  Tacadémie  celtique,  rap- 
porte aussi  un  passage  de  Pierre  de  Lancre,  membre 
d'une  commission  nopimée  par  Henri  IV  pour  faire 
la  reoher che  des  sorciers  du  pays  de  Labour.  Et  que 
l'on  ne  doute  pas  que  ces  pauvres  diables  n'aient  été 
réellement  criminels,  puisqu'ils  l'ont  eux  -  n^émes 
avoué,  et  qu'ils  ont  donné,  sur  leurs  réunions  sabba- 
tiques, des  détaib  tels  qu'il  serait  impossible  de  les 
imaginer  !  Enfin,  si  Fon  ne  brûle  plus  de  sorciers  de 
notre  temps ,  ce  n'est  pas  qu'il  n'y  en  ait  plus ,  mais 
c'est  qu'ils  ^e  sont  trop  multipliés. 

Personne  n'ignore  que  les  francs-^maçons  ren- 
dent encore  un  culte  infâme  au  diabolique  boiiqtiip, 
qui  vient  au  milieu  de  leurs  rgunions  mystérieuses; et 
que  les  bons  cousins  charbonniers ,  association  fort  an- 
cienne ,  ne  soient  malignement  occupés  à  faire  la 
pluie ,  la  grêle ,  les  tempêtes,  quand  ils  sont  rassem- 

IV.  •  26 


4o;i  Min ûiu«  M  u  s^SifM  eot4ie 

blés  pour  se  dlivertîr  daas  un  li^o  écarté^  ^  Fombre 
d  UD  chêne  et  au  bcutl  d'uo  ruisseau  aussi  trauquiUe 
qu'eux.  L'abbé  Baûnier^  tome  V^  attribue  ForigiDe 
du  ss^bat  aux  druidesses.  «  Les  femmes ,  dit-â^  après 
l'extioction  de  ces  prétresses ,  continuèrent  à  en  ob- 
server les  pratiques ,  et  dès-lors  on  conçoit  la  diffi- 
cuhé  qu*il  y  eut  de  les  faire  cesser.  Ces  feomies 
croyaient  bonnement  alle^  au  sabbat ,  ou  que  Diane 
leur  prétait,  la  nuit,  des  montures  pour  courir  à  tra- 
vers les  airs.  »  Pour  moi,  je  présume  avec  plus  de 
vraisemblance  crue  ces  *  mystères  nocturnes  ne  sont 
qu'un  reste  de  ces  cérémonies  celtiques  et  romaines 
auxquelles  on  assistait  masqué  et  afi^blé  de  carnes, 
de  peaux  de  bétes,  faisant  mille  extravagances,  nodUe 
infamies  qu'une  plume  pudique  répugneraità  décrire. 

Le  christianisme  étant  Revenu  la  religion  de  TEtat, 
les  anciens  crpyahs  demeurèrent  encore  long-temps 
attachés  à  leurs  dogmes,  pu  plutôt  aux  pratiques  de 
leur  culte  ;  .mais  il  fallut  se  cacher,  s'envelopper  des 
voiles  de  la  nuit,  et  se  déguiser  pour  s'y  livrer  avec 
plus  de  sécurité. 

■ 

<  $  i6.  Au  chapitre  suivant,  §  9,  nous  allona  xapr 
porter  d'autres  idées  superstitieuses  sur  lesj^ei^enans 
qui  demandent  des  prières^  |i  leur  i)amîD6  pour  leur 
déUvràneCi! 


DAS  ANTIQUAIBB$  Sift  FIAlfCJB.  4o3 

GflÀPiTRB  XII,  —  De  quelques  idées  superstitieuses 
qui  ne  se  rattachent  pas  à  la  religion. 

Point  de  ruiner ^  point  de  cimetières,  p<»&tde 
châleaux^de  fontaines  où  de  citefoès  solitakes  <iui 
n'aient  ou  lenrs  esprits  ou  leurs  rè?enans ,  oxx  leurs 
basilics ,  ou  leurs  ^onivres. 

§  1 .  Allez  au  château  d^Oliferne,  que  la  tradition 
coDsidère  comme  Tantiqae  manoir  è^  hauts  et  puis- 
sans  seigneurs ,  et  qui  pourrait  bien  être  le  casttum 
olinum  de  la  Notice  de  l'Empire.  En  gravissant  la 
montagne  presque  inaccessible  qui  se  termine  par 
ses  ruines  imposantes,  le  garde  forestier  TOt»  racon- 
tera ce  qu'il  rit  un  beau  matin  en  parcourant  les  bois 
de  son  triage  qni  hérissent  cette  côte  j  il  en  est  en- 
core tout  ému.  Attiré  par  le  bruit  des  ^ors  de  chasse, 
il  arrive  dans  une  clairière  ;  là,  il  trouve>  réunis  sôus 
lin  grand  ibêne ,  nombre  de  seigneurs,^  de^àmes  et 
de  serviteurs*,  les  uns  mangeant  sur  la  pelouse,  les 
autres  gardant  les  chevaUx ,  ou  donnant  la  curée  à 
une  meute  des  plus  nombreuses.  La  joie  brille  à  ce 
festin    champêtre.  Etonné ,  il  recule  et  prend  un 
sentier  qui  Féla^ne  obliquemîètifr  du  groupe  ;  nfids , 
enchanté  d'un  spectacle  si  nouveau  pour  lui ,  iVdé- 
tourne  la  tête  pour  en  jouir  encore.. . .  Rien,  tout  est 
disparu. 


j 
/ 


36 


4o4  HiMOIUS  DE  LA  SOCXiri  EOTAIE 

§  a.  Vot^e  guide  vous  montrera ,  par-delà  la  ri- 
vière d'Ain ,  en  face  et  au  niveau  du  donjon  d'Oli- 
ferne,  trois  aiguilles  dérocher  nommées  dans  le  pays 
les  trois  dames ,  et  il  vous  retracera  la  chronique  qui 
les  concerne.  Ces  rochers  renferment  trois  héroïnes 
infortunées  qui,  chaque  nuit  encore ,  s'en  détachent 
pour  yenijr  visiter  leur  premier  séjour,  CMiferne. 
Lors  de  la  prise  du  fort,  tout  fut  passé  au  fil  de  Tépée, 
excepté  ces  dames  qui,  ayant  été  renfermées  (  comme 
Régulus)  dans  un  tonneau  armé  à  l'intérieur  de  pointes 
de  fer ,  furent  abandonnées  à  la  pente  longue  et  ra- 
pide ^e  la  .côte  orientale ,  et  précipitées  dans  la 
rivière. 

§  5.  Ailleurs,  vous  trouveriez  des  châteaux  aban- 
donnés des  vivans,  mais  tout  peuplés  d'esprits,  de 
larves ,  et  dçrevenans  beaucoup  plus  terribles  :  ceux- 
ci  y  font ,  avec  les  chaînes  qu'ils  traînent  après  eux, 
un  vacarme  aifreui^.  Quelquefois,  silencieux,  ils  ap- 
paraissent enveloppés  d'un  grand  linceul  au-'des^ 
des  murailles,  et  on  les  distingue  parfaitement  à  la 
pâle  lumière  de  la  lune.  Voilà  les  lémures  des  an- 
ciens. 

%  4*  Quand  ce  ne  sont  pas  des  esprits  qui  se  sont 
impatronisés  dans  les  donjons  déserts,  c'est  la  ponivre 
quiy  fait  sa  résidence.  On  l'a  vue,  maintes  fois,  par- 
tant des  ruines  du  château  d^Oi^elet ,  aller  se  désal- 
térer à  la  fontaine  d^Eole.  Elle  ressemblait  à  une 
barre  4^  ^^^  rouge  traversant  les  airs.  C'est  un  serpent 


DES  MUQUAIRES  0E  FRANCE.  4o5 

ailé  qui  n'a  pour  se  conduire  qu'un  diamant  qui  lui 
sert  d'œil  au  milieu.du  front;  pour  boire,  elle  le  dé- 
pose sur  le  rivage;  ntoment  fatal  pour  elle,  et  bien 
heureux  pour  vous.  Si  vous  pouviez  vous  emparer 
alors  du  précieux  talisman ,  vousseriea  le  plus  riche, 
le  plus  puissant  de  tous  les  hommes  ;  et  elle ,  ne  sa* 
chant  plus  que  devenir  dans  $a  cécité,  périrait  bien- 
tôt de  tristesse  et  de  désespoir*  Pei^onne  ne  Ta  encore 
surprise  en  défaut*  Aussi  passe-t-elle  pour  être  im- 
mortelle. La  vonivre  appartient  au  blason ,  où  elle 
est  connue  sous  le  nomdeg^^Vre.  Vonivre  vient  de 
vwere ,  c'est  la  traduction  d'un  mot  héhteu  qui  si- 
gnifie viç,  et,  quand  on  veut,  serpent .^ 

§  5.  Ahi  ne  vous  logez  pas,  }e  vous  en  conjure , 
dans  telle  maison  :  personne  n'y  prospère  ;  un  basilic 
j  est  caché  sous  le  toit  ou  dans  quelque  trou  de  mûrs. 
£t  savez- vous  bien  ce  que  c'est  que  le  basilic  ?  C'est  un 
serpent  ailé,  tout  couvert  d'jeux  comme  Argus^»  et 
qui  est  né  d'un  œuf  de  coq  y  couvé  par  un  crapaud. 

.  S  6.  Ily  a  d'autres  animaux  dont  la  vue  fwtuite 
ou  le  cri  annoncent  le  trépas  et  les  malheurs.  N'a- 
Tait-ron  pas  vu  la  corneille  ou,  la  pie  se  percher  .sur 
un  arbre  du  verger  ou  voisin  de  rhabitation ,  quel- 
ques jours  avant  le  décès  de  telle  personne  ?ljn  cer- 
tain petit  oiseau^  que  l'on  appelle  F  oiseau  de  la  mort, 
ne  s'était-il  pas  arrêté  sur  le  faite  du  toit  ?  N'avait-on 
pas  entendu  le  coq  chanter  avant  minuit?  N'avait-on 
pas  remarqué  que  les  poules  s'en  allaient  caquetani 


4o6  UEMOIRES  DE  LA  SOCiETÉ  EOYÂLE 

d'un  Ion  plaintif  >  et  chantant  comme  les  petits  pou- 
lets? Enfin,  n'est-îl  pas  vrai  qunn  chien  Tenait  sans 
cesse  hurler  autour  de  la  mabon  9 

m 

§  7.  D'ailleurs,  à  la  mort  d'une' personne  (on  petit 
bien  le  vérifier),  on  voit  quelquefois ,  dans  ses  héri- 
tages ,  Courir  les  qaela ,  ou  f eux-foUets ,  qui  ne  sont 
autre  chose  que  les  âmes  de  ses  devanciers  ou  des 
lutins  ^  maudite  engeance  à  qui  Ton  ne  doit  que  trop 
souvent  les  ouragans ,  le  topnerre  et  la  grêle  ! 

§  8.  Puisqu^il  s'agit  de  farfadets ,  disons  tout  ce 
qu'ils  sont  capables  de  faire,  car  j'ai  été  presque  té- 
moin de  leurs  prouesses.  Un  jour,  étant  allé  rendre 
à  un  parent  campagnard  les  derniers  devoirs  »  j'avais 
couché  dans  la  maison  mortuaire.  Je  me  levai  de 
bonne  heure  pour  remonter  à  cheval ,  mais  je  ne 
trouvai  pas  la  selle  à  la  place  où  je  l'avais  suspendue 
la  veille.  Un  domestique  mâle ,  qui  savait  Bien  où 
elle  était ,  m'aida  à  la  chercher ,  et  me  toutint  sérieu- 
sement que  c'étaient  les  esprits-follets  qui  l'avaient 
toaiisportée.Toatelanuit,  il.  avait  entendu;  un  gr4nd 
moa|i^fl^t  dans  l'écuiie  ;  il  s'était  levé  pour  venir 
wtecles'betfis  ;  mais,  ayant  vu  des  c^n^^ol^te^vol' 
tig»  çà  et:  là,  là  pem*  L'avait  saisi ,  et  il  n^était.  pas 
entré. 

Gesfeuâe^fùttets,  qui  sont  parfois  des  météores 
réels ,  surtout  lorsqu'ils  volent  à  la  surface  des  ciflac- 
tiètes  et  des  prairies,  causent  de  mortelles  frayeurs 
aux  gens  simples  et  superstitieux. 


DE6  ANXIQUAIIUSS  DB  FKANCE*  4^^ 

§  9.  Mail  quelle  ne  doit  pas  être  la  tet*reur  de  1à 
veuve ,  lorsque>  dam  le  Ail«àçe  de  ses  nôita  soEtairàs 
et  d^aaléesy  elle  eat^ad  maccher daos  ,sa  chambre.- 
poisser  uû  soupir...  remuer  un  meuble,  et  tirer  les 
rideaux  de  jsqu  lit  !...  Ciel  I  c'est  Tâiite  gémissante  de 
son  mari  qui  yie^t  hii  demander  des  prières  pour  sa 
délivrance  du  purgatoire,  ou  qui  s'avance  indignée 
pOut  lui  reprocfaet  k  eause^de  sa  damnaticm  ! 

§  lo.  DVutreà  météores ,  d^autrès  pEéàô'niènes 
sont  àùissi  dès  àvaiit^côùréurs  de  l'avenir.  Coûime  les 
anciens  de  toûfés  les  nations^  tés  niûdérhé^  voient , 
dans  lé  nrinaméritV  des  guerres  désastrétiéés,  des 
événem^ns  fûnesteià,  la  naissance  et  là  niôt");  des 
grande;  L'année  q\iî  précéda  nblte  tévélulioti  >  î^bn 
avait  éBservë  avec  iîiquiétadé  d^s  i^ougeurs  sinistrés 
dàn^  Filttàosplièifë,  |>t^éèàges  cërtaîiîs  des  catastrô|)&és 
lé*  |)ltti<  trâllljtiéiî.  Saris  éompfer  les  comètes,  qui 
ne  lîidiiqueAt  jUm^  d'âiliidheër  au  thbiidé  qiieli[{ike 
chose  de  thajeiir,  où  a  éhcorë  d'autres  signes  célestes 
à  coh^ùltei^.Laliihé;,  ééi^iiée  d'une  âdréolë  sanglante 
oti  de  diverses  côulëtirS ,  jJtéJiaré  lés  ésjirife*  à  des 
chàh^mens  liotablesdàtisrÊtkt. 

S'  11.  Quant  aux  travaux  agricoles,  la  lune  de 
fêUé  phase  en  donné  le  sigiiâl ,  ét^  (iéteÛé  àiitreV  en 
empêche  la  réussite*  Xàdilune  rousse  est  surtout  d  une 

#r  -•  ...» 

maligne  influence  :  c'est  celle  d'avril  qui  se  prQloog/e 
a»fii«i&  Ptorqudi^'^pelkh'tHm'/^t^iM  ?p6^A^ 


4o8  llivOIftES  I>X  LA.  $0G1XXÉ  ROTUE 

égyptien  ?Tiiyphon>  qui  était  en  Egypte  Tennemi 
d^O^iris:»  le  gémeau  mal >  était  roieo;  (i). 

%  m.  Dans  un  canton  de  FarrcmdisseBient  de 
Lons-le-iSaunier ,  on  appelle  les  trois  cavaUert ,  troi» 
jours  qui  se  trouvent  précisément  sous  le  cours  de 
cette  lune;  le  premier  est  saint  Marc  >  dont  la  fête 
tombe  au  25  avril  ;  le  second ,  saint  Georges,  qui  est 
fixé  au  2&  du  même  mois  ;  le  troisième ,  saint  Piii- 
lippe,  qui  arrive  aii  premier  mai.  Or,  tandis  que  le  so- 
leil parcourt  à  cette  époque  le  signe  du  taureau ,  le 
firmament  présente  pendant  la  nuit  les  constellations 
du  centaure,  qui  est  un  cavalier  y  et  le  coeur  du  scor- 
pion qui  fut  toujours  un  astre  de  malheur. 

$  i3.  Ze^/ou/9i/ei!t{t^//i!?,  qui  sont  les  trois  der- 
niers de  mars  et  les  trois  premiers  d'avril ,  exercent 
et  amènent  quelquefois  des  gelées  sur  les  semences 
confiées  à  la  terre,  une  influence  non  moins  fâcheuse. 
Cette  vieille  a  lai^ssé  dansVesprit  du  paysan  du  can- 
ton de  Yoiteur  des  idées  vagues  indéfinissables  ;  il 
se  la  représente  comme  une  fée  qui  court  par  letemps^ 
c'est-à-dire  qui  traverse  les  airs.  Ces  jours  coïncident 
avec  le  lever  héliaqué  d'Andromède,  et  le  lever cos- 
nnque  de  la  Yiei^e. 

(i)  Od  dit  Yulgaîrement  (et  Tadage  parait  biea  ancien)  qae 
fa  lune  rousse  commence  en  mouton  et  finit  comme  un  dm- 
gon;  comparaison  tirée  des  signes  célestes,  et  qui  n^ezprîme 
autk'è  dhose  que  le  passage  de  la  lune^  dès  le  hélier  du  zo- 
diaque ^  à  la  grande  béie  ou  baleine,  dont  la  ^ole -lance  des 
Oamùsies  «omme  les  dragom  d'Ovide  et  le  Uf/iaihan  de  Jok 


.     DX8  ANHQUMRBS  DE  VRANCB.  409 

'  %  i4*  Une  fée  est  un  être  accompli  qui  s'entend 
merveilleusement  aux  ouvrages  du  sexe  ;  aussi  dit-on 
proverbialement  d'une  personne  qui  réussit  dans  les 
objets  de  goût,  qtfelle  trauaille  comme  les  fées.  Mais 
souvent  aussi  on  leur  attribue  des  travaux  qui  ont 
exigé  une  force  et  une  adresse  extraordinaires ,  tels , 
parexemple^queFérection  de  cespierres  gigantesques 
qui  étonnent  les  regards  et  Timagination,  Yisiitajit  un 
jour  la  quenouille  de  la  fée ,  qui  existe  entre  Gha- 
vannes  et  Simandre ,  aux  confins  des  départemensdu 
Jura  et  de  FÂin ,  j'interrogeai  la  tradition  sur  ce  mo- 
num^t^  et  Ton  me  répondit  naïvement  que  c'était 
la^u  qui  l'avait  apportée  sous  son  bras,  et  qui  l'a- 
vait plaqtée  là. 

Les  fées  marchent  la  nuit  à  la  lueur  de  ces  mé- 
téores qui  voltigent  à  fleur  de  terre  ^  et  que  l'on  ap- 
pelle en  quelques  endroits  farfadets  y  nom  qui  paraît 
en  efiet  l'indiquer  ;  phar  peut  signifier  le  feu,  la  lan* 
terne ,  le  phare ,  et  fadets  peut  vet^r  de  failœ  /  le 
phare  de  la  fée. 

§  i5*  loi  baguette  dwinatoire  aconseryé  sa  pre- 
mière vertu .  Voyez-vous  parmi  les  décombres  du  châ- 
teau deT*******  (canton  de  SeilUères)  ce-nouvelAl- 
bert,  venu  d'Arboispour  explorer  les  trésors  cachés 
dans  la  colline?  Il  tient  par  les  deux  bouts  une  ba- 
guette de  coudrier  qui,  sans  doute,  est  marquée  de 
quelques  signes  bizarres  ;  et  il  marche  avec  dignité , 
ayant  l'air  d'être  conduit  par  la  puissance  surnatu- 
relle qui  réside  dans  son  morceau  de  bois.  Tout*à- 


{ 


4lO  MÉMOIRES  DE  LA  BÙCTtti  ROYALE 

coup,  ô  bonheur  !  le  sceptre  enchanté  tourne  entre  les 
mains  au  devin; le  trésor  est  sous  sefspîe^.Il  ne  s's^t 
plus  que  de  fouiller  le  sein  de  la  terre  :  on  le  fonitte 
depuis  seulement  un  an ,  et  l'on  y  a  déjà  trouvé  ud 
as  dé  cuivre  à  Teffigie  d'Adrien*  Je  n-'en  sais  pas  <k- 
vantagt. 

§  i6.  S^il  n'est  plus  aujourd'hui  de  vieilles  fenunes 
qui  rendent  leurs  oracles  dans  les  anttes  des  mcm- 
tagnes  et  dans  le  sanctuaire  des  forêts  sacrées,  comme 
faisaient  la  sibjUe  deGtimes  et  nos  veltéida,  il  en  est 
de  logées  dans  des  greniers  ou  sous  des  voûttes  obs- 
cures, à  qui  viennent  s'adresser  les  vœux  des  faibles 
humains ,  et  pour  qui  les  destinées  n'ont  point  de 
voile.  Fort  heureusement  pour  nous  »  il  n'est  pas  une 
ville,  et  peut-être  pas  un  boui^,  qui  n'ait  sa  prophé- 
tesse.  A  la  vérité,  elles  ne  savent  plud  évoquer  les 
ombres,  à  l'instar  dé  la  Pytbonîsse  d'Endor  ;  mais 
elles  possèdent  encore  le^ecret  des  philtres,  conune 
la  puissante  Médée  de  glorieuse  mémoit^e.  Elles  lisent 
aussi  nettement  l'avenir  dans  un  jeu  de  carte  et  dans 
un  marc  de  café,  que  l'on  peut  lire  le  passé  dtos  un 
livre*Quelque£ois  vous  rencontrez^  à  chaque  pas,  sur 
la  foire ,  de  ces  sambeth  voyageuse^,  itlfitlitneilt  plus 
obligeante»  que  leurs  patrones  dû  tëxùps  jadis,  dis- 
tribuant à  peu  de  frais  les  trésors  de  lëurpréseie^ce, 
et  s'entomrant  d'une  foule  aussi  empressée  à  sai^  au 
vdi  l'un  des  rubanside  ce  pavillon  qui  tourne  s«r  un 
pivot ,  que  satisfaite  d  avoir  recueilli  au  tttjau  d« 
ForeiUè  ^les  oracles  de  oe  porte-voiX. 


DBS  ANTIQUAUBS  DE  FRAUGB.  4  &  ^ 

§17.  Il  n'est  peut-être  pas  mutile  d'observer  que 
touis  ces  deTins  prétendus,  que  Ton  connaît  sous  le 
nom  de  iakémiens  presque  partout  ^  sont  désignés, 
en  certains  lieux  du  Jura ,  sous  celui  de  Sarmsias , 
et  qu'on  leur  préie  certains  actes  d'impiété  et  de  sa- 
cntége  qui  les  font  regarder  avec  horreur  par  les 
personnes  mêmes  qui  ont  recours  à  leur  magique 
savoir. 

S  i$»  De  même  que  la  montagne  du  château  de 
Robert-le-Diable,  en  Normandie ,  le  Jura ,  sur  plu* 
sieurs  points,  a  son  herbe  quiégare^  Les  étourdis  ou 
les  ivrognes  qui  errent  dans  les  bois  et  les  lieux  in- 
fréquentés, comme  au  sein  d'un  labyrinthe,  sont  per- 
suadés qu'ils  ont  marché  sur  cette  plante  enchantée. 

S  19.  La  désolation  étant  entrée  dans  une  famille, 
une  vache  de  Tétable  est  arondalée ,  c'est  -  à  -  dire 
qu'une  hirondelle,  en  passant  sous  son  ventre,  a  con- 
verti son  lait  en  sang.  Rien  ne  la  guérit,  et  vaine- 
ment a-t-on  versé  ce  lait  échauffé  à  la  croix  formée 
par  deux  chemins.  L'hirondelle,  tout  aimable  qi^'elle 
est  pour  nous,  n'en  porte  pas  moins  sous  la  gorge 
une  tache  de  sang,  signe  de  réprobation;  car  tout 
le  monde  doit  savoir  l'histoire  d<^  lâ  métamorphose 
de  Progoé  ,  fille  de  Pandion ,  qui  fit  manger  à  Té- 
rée,  son  mari,  leur  propre  enfant.  Ainsi  Progné  et 
l'hirondelle  c'est  encore  tout  un« 

§  20.  Verser  à  table  une  salière  est  un  mauvais 
pronostic  ;  répandre  de  l'huile  est,  au  contraire,  d'un 
favorable  augure. 


4 1 U  MSMaiBSS  DE  £A  SQClÉTi  EOTALE 

§21.  Prenez  bien  garde  que  le  tranchantde  voCre 
couteau  ne  soit  tourné  du  côté  de  votre  voisin  .*  ce 
signe  lui  annonce  qoe  vous  avez  de  la  haine  contre 
lui.  D'abord  il  le  retoumerisb  pour  vérifier  si  c'est 
inadvertance  de  votre  part  ;  mais  si  vous^  lui  rendez 
sa  première  portion ,  le  superstitieux  convive  com*- 
mencera  à  s'agiter.  A  la  troisième  épreuve  >  il  écla- 
tera et  vous  demandera  raison. 

§  22.  Jem'aperçoisquejen'aipasparlédesr^fv^. 
Cependant,  si  Ton  veut  bien  se  rendre  au  témoignage 
des  rêveurs ,  les  songes  sont  encore  aujourd'hui  des 
avertissemens  de  l'avenir,  tels  qu'ils  Tétaient  au  temps 
des  patriarches  ;  et .  ils  peuvent  être  des  inspirations 
d'en  haut ,  telles  que  le  croyaient  les  héros  d'Homère. 
Toutefois,  on  peut  admettre,  sans  que  cela  répugne 
à  la  raison,  des  inspirations  divines  qui  viennent  dans 
le  sommeil ,  et  dont  l'objet  se  réalise }  mais  ces  sortes 
de  révélations  ont  toujours  été  fort  rares,  et  l'esprit 
de  Dieu  ne  souffle  pas  à  l'oreille  de  tout  le  monde, 
pour  annoncer  les  petits  accidensd'une  vie  mesquine 
et  saqs  intérêt. 

Entrer  dans  le  détail  des  songes  heureux  et  mal^ 
heureux  serait  s'engager  dans  un  vrai  dédale ,  inex-^ 
tricabilis  error.  D  -y  a  des  livres  sur  l'interprétation 
des  rêves ,  nous  y  renvoyons  les  curieux  qui  auraient 
encore  du  temps  à  perdre. 


t—i- 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  4l3 


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RAPPORT 

Sar  les  notes  eD  forme  de  rooabûlaireqoe  B|.  Langlës  a  placées 
à  la  saite  du  Voyage  de  M.  Tone  chez  les  Mahrattes  ;  par 
M.  CiABiBB^  AnnénieD^  professeur  des  langues  orientales  à 
la  bibliothèque  du  roi>  membre  de  la  Société. 

Jub  goût  des  voyages  en  Orient^  renouvelé  chez  les 
peuples  de  TËnrope  depuis  l'époque  des  expéditions 
des  croisades»  a  rendu  des  services  immenses  à  la  lit^ 
térature  et  aux  sdences  physiques.  Le  but  principal , 
pour  lequel  les  hommes  se  chargent  de  ces  entrepn9es 
pénibles  et  dangereuses ,  n'est  pas  toujours  Tavan- 
tage  des  lettres.  Ce  sont  ordinairement  des  vues 
d'intérêt  personnel  ou  d'intérétpolitique  et  religieux^ 
qui  les  déterapiinent  à  se  transporter  dans  des  pays  si 
lointains  ;  mais  leurs  travaux  ont  été  en  même  temps 
plus  ou  moins  propres  à  augmenter  la  masse  des  conr 
naissances  humaines.  Les  voyages  sont  presque  tou- 
jours utiles, sous  un  rapport  quelconque»  pour  celui 
qui  les  entrepreDd  ;  mais  tous  les  livres  de  voyage 
n',offrent  pas  aux  lecteurs  le  genre  d'intérêt  que  ceux- 
ci  désirent  y  trouver.  Le  voyageur  qui  se  met  à  l'abri 
des  préjugés  nationaux»  qui  a  un  esprit  élevé»  des 
connaissances  éteihlues  et  variées»  ou  qui  a»  au 
moins  »  des  notions  préliminaires  sur  les  langues  des 
peuples  qu'il  visite»  sera  toujours  plus  compétent» 


4l4  uiMOIftBS  DE  LA  9Q€lin  lOTAlE    . 

non  seulement  pour  donner  des  itinéraires  et  des  des- 
criptions chorographiques ,  mais  encore  pour  dé- 
crire avec  exactitude  des  mœurs^  des  usages ,  de  la 
religion  et  du  gouveroement  de  chaque  pays  qu^il 
parcourt. 

Le  goût  des  voyages  en  Orient  a  contribué  aussi 
beaucoup  à  augmenter  et  à  répandre  celui  de  l'étude 
des  langues  orientales^  Des  savans,  instruits  dans  ces 
idiomes ,  et  dévoués  plus  spécialement  au  noble  soin 
d'enrichir  le  dépôt  sacré  des  productions  de  l'esprit 
humain^  se  sont  donné  souvent  la  tâche* de  «^OHuparer 
les  relations  des  voyages  avec  les  auteurs  indigènes 
des  pays  ^  d'en  rectifier  les  faits  erronés,  d'y  porter 
le  flambeau  de  la  critique  >  et  de  compléter  ce  qi» 
reste  encore  à  savoir  sur  l'histoire ,  sm\sL  géographie, 
sur  les  mœurs  et  sur  les  usages  des  people^de  l'Aaie. 

Le  voyage  de  M.  Tone  chez  les  Mafarattes.  ofire, 
sous  plusieurs  rapports,  des  délaib  curieux  et 
instructifs  ;  mais  îl  présente  en  même  temps  beau- 
coup de  lacunes^  sur  les  objets  scienriifiqoes  et 
littéraires.  L'auteur  s'est  servi>  dans  ses  relatieDS, 
de  quantité  de  mots  indiens  y  po>iir  désigner  les 
noms  àes  hommes  et  de»  lieux ,  ceux  des  fmctioBS 
civiles,  politiques,  militaires  et  religieuses  du  pays; 
mais  it  s'est  trompé  dans  bien  des  endfmts  sur  le 
véritable  sens  de  ces  mots  ;  quekjMfdis  it  Mgl^ 
même  d'en  indiquer  la  signification  ^  et  plus  siMiiveAt 
il  abandonne  tout  ce.  qui  est  relatif  à  fbistoîre  et  à 
l'érudition.  Ces  sortes  de  renseigneme^  et  d'ex- 
plications qu'on  aiene  à  trouver  dans  un  pareS  ou-      j 


yngty  étaient  oubliés  très^souvent  dans  ceux  de 
M.  Tone.  M.  Langlèa  a  rempli  q^  lacunes  enyajou* 
tant  des  notes  historiques  et  littéraires  rangées  en 
fonne  de  glossaire»  afin  d'offrir  en  même  temps  aux 
lecteurs  la  facilité  de  consulter  le  résumé  de  9^$  nom- 
breuses recherches  sur  le  pays  des  Mahrattes.  Il  y 
rapporte  ordinairement  l'éty  mologie  des  mots  ;  il  ob- 
serve s'ils  sont  originairenient  samscrits,  persans^ 
arabes  ',  turcs ,  ou  s'i]^  appartiennent  à  d'autres  lan- 
gues de  l'Orient  ;  il  corrige  les  fautes  palpables  in- 
troduites par  le  voyageur  ^d^i^s  la  manière  de  pro* 
noncer  les  mots  indiens;  il  rapporte  de  nouveaux 
renseignemenssuffles  usages^les  opinions  religieuses^ 
la  géographie^  et  les  événemens  historiques  >  en  ren- 
dant de  cette  manière  l'ouvrage  du  voyageur  anglais 
plus  instructif. 

Dans  ce  compte  rendu  à  la  Société  des  Antiquaires 
de  France I  j'ai  cru  devoir  m'occuper  plus  spéciale- 
ment dea objets  qui  peuvent  concerner  Tori^gine  et 
l'affitiation  des  langues  >  et  qui  sont  en  même  tena^ps 
relatîis  au  geirre  de  travau^s  dont  elle  s'oécupe.  Les 
personnes  quf  fant  des  recherches  sur  les  rapports 
des  langues  et  sur  la  transmission  des  mots  d'une 
contrée  àrau.tre>  teou^er^t  dîE^n^  les  notes  de  MvLan- 
glès  de»  remarques  eurîeuâiss  çt;  intéressantes.  Ces 
notesvenfenBent  environ  deux  cents  mots  usités  chez 
les  Mahrattes.  I  et  dont  pli^urs  sont  coimpinns  aux 
langues  scythe,  samscrite,  persanne  et  arabe.  Mais 
on  y  trouve  en  mém« temps  à  peu  psm  Wà^  tc^ntaine 
de  mots  qui  paraissent  avoir  des  rapports  plus  directs 


/ 


4l6  lliMOIRBS  DE  U  SOGliTÉ  ROTAtE 

avec  rarménien  et  avec  quelques  idiomes  de  TEu* 
rope.  Qu'uae  langue  indienne  air  de  l'analogie ,  ou 
du  mélange  avec  ceOes  des  Arabes ,  des  Perses  et 
desTatars,  on  ne  doit  point  s'en  étonner^  puisqu'on 
.  sait  déjà  que  ces  peuples  conquéraus  firent^  à  plu- 
sieurs époques  )  des  incursions  dans  les  Indes  ^  y  in- 
troduisirent leurs  usages  et  leurs  opinions  religieuses; 
et  par  conséquent  les  rapports  qu-on  trouve  entre 
ces  diverses  langues ,  ne  doivent  être  naturellement 
que  le  résultat  des  communications  réciproques^  qui 
sont  consignées  dans  les  annales  de  ces  nations  (i). 
Mais  on  ne  rencontre  aucun  fait ,  aucun  indice  dans 
ks  histoires  connues ,  qui  puisse  nous  indiquer  de 
semblables  échanges  ou  liaisons  entre  les  Indiens , 
les  Arméniens  et  les  anciens  peuples  de  TEurope. 
Cependant ,  on  trouve  des  ressemblances  plus  ou 
moins  frappantes  entre  les  idiomes  de  ces  pays  éloi- 
.  gnés  Tun  de  l'autre  par  des  espaces  immenses  ;  et  on 
a  lieu  de  présumer  qu'il  y  a  eu  peut-être  ,  dans  un 
temps  immémorial;  de  pareilles  relations  entre  ces 
divers  peuples,  ou  plutôt  qu^  ces  peuples  ont  eu  dans 
l'origine  une  langue  et  une  patrie  eommmie^  et 
qu'ils  ont  été  successivement  changés  déplace  dans  la 
suite  des  temps ,  par  des  événemens  qui  nous  sont 
absolument  inconnus.  L'usage  de  la  langue  et  les 
traditions  des  opinions  et  des  préjugés  populaires 
forment  le  dépôt  d'héritage  le  plus  durable  que  les 

(i)  Voyez  aussries  notes  de  H.  LanglèS;  pag.  276. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  4^7 

hommes  aient  pu  conserver  et*transmettre  de  géné- 
ration en  génération  et  de  pays  à  pajs.  Les  res- 
semblances qu  on  remarque  dans  ces  sortes  d*héri- 
tageâ  des  peuples  de  TOrient  et  de  l'Occident  ajoutent 
encore  quelque  probabilité  de  plus  à  Topinion  -qu'il 
j  a  eu  une  origine  et  une  langue  commune  pour  tous 
ces  peuples.  Les  mots  des  divers  idiomes  dans  les- 
quels on  trouve  des  rapports  et  des  similitudes  sont 
ordinairement  dans  la  cathégorie  des  mots  qui  ap- 
partiennent à  Tusage  et  aux  besoins  journaliers  ;  on 
n'y  rencontre  que  très-rarement  de^ces  mots  qui  sont 
nés  du  raffinement  des  arts>  des  sciences  et  de  la  ci- 
vilisation des  siècles  hbtoriques  :  cette  circonstance 
vient  également  à  Tappui  de  la  même  conjecture  ; 
et  nous  allons  rapporter  ici  quelques-uns  de  ces  mots 
communs  à  plusieurs  langues. 

Bakht  f  ce  mot  signifie  en  indien^  en  persan  et  en 
turk ,  sort,  fortune  ,  destinée ,  bonheur  :  dans  Tar- 
ménien^  il  désigne  absolument  les  mêmes  idées  ^  on 
récrit  aussi  p-vt'ty  bakht;  mais  il  semble  appartenir 
à  cette  dernière  langue  y  car  il  est  formé  delà  racine 
m^af^  àkht,  maladie,  infirmité  ^défaut,  malheur,  et 
de  la  particule  privative  p.,  b  ;  de  sorte  que  le  sens 
étymologique  du  mot  bakht  est  dans  l'arménien  non-^ 
maladie ,  non^malheur,  bonheur.  D'après  l'usage  de 
cette  langue ,  on  ajoute  aussi  à  ce  mot  d'autres  parti- 
cules prépositives  et  privatives  ;  et  l'on  en  forme  les 
mots  de  rf,ép.uilutf.  y  thejbakht ,  ^2g;'"b"l  9  nechebakht , 
ëuiipjulugi  y  anbakht ,  ^ittuip.iuluif.  ^  çadabakht  qui 
IV.  27 


4l8  MEMOlttES  M,  IK  SOCIÉTÉ  EOYALE 

signifient  alors  malheureux  ,  et  correspondent  aux 
mots  perssins  njk'bakht  y  bad-bakht  (i). 

Bârguir  signifie  chez  les  Mahrattes  un  cheval^  un 
corps  de  cavalerie  ;  chez  les  Turcs ,  un  mulet;  chez 
les  Arméniens,  un  porteur  de  fardeau  ;  il  est  composé 
de  ^^«-,  ber .  ou  phnub,  bèrn^fordeau,  charge;  et  de 
ktp  f  ë^^^y  porteur  :  et  on  le  donne  aux  hommes  et 
aux  animaux  également  qui  porteraient  des  far- 
deaux (2).  ' 

Beggary  y  ou  plus  correctement  beygafy{^)y  veut 
dire  en  indien  homme  contraint  de  travailler ^  ou  Yac^ 
tion  de  forcer  les  gens  atravaiUei'  avec  ou  sans  sa- 
laire s  il  présente  le  même  sens  dans  l'arménien  avec 
un  léger  changement  de  voyelle  :  bej^  ou,  selon  les 
Arméniens,  "i*"Ji  ^^Jj  signifie  grand -père  y  chefi 
prince;  k^cl;^  g^^Jy  ou  avec  la  lettre  formative  du 
pluriel  4'"p/'^>  gaiyk ,  on  désigne  nécessité ,  besoin 
forcé;  et  les  deixx  mots  ensemble  indiquent  travaux 
forcés,  ou  travaux  publics. 

Bitch  enhindoustku  j  (l^),  et  m  itck  ou  métch  d^^, 
Jl;^  ^  en  arménien,  signifie  également  milieu,  centre* 

Boungah,  en  persan,  bagages  et  le  lieu  où  cm  les 
dépose  (5)  ;  en  arménien,  il  désigne  les  mêmes  idéeS; 
il  est  composé  de  fuiiA,  boun,  ou  poun,  naturel,  pro- 
pre ,  et  de  ^u»^,  gah ,  bagage. 

(1)  ployez  les  mêmes  notes,  pag.  274. 

(2)  Idem, 

m 

(3)  /<û?em^pag.  276. 
(A)  Idem,  pag.  277. 
(5)  Idem,  pag.  278 


OSS    ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  4*9 

Borader,  mot  persan  qui  signifieyrère  (i),  et  parait 
en  quelque  sorte  être  identique  avec  le  mot  latin 
frater. 

Dans  sa  note  sur  le  mot  déremsalah,  lieu  de  re- 
posy  M.  Langlès  rapporte  un  autre  mot  indien,  qui  est 
douara^  porte  (2)>  et  qui  parait  être  le  même  que  le 
mot  arménien  ^t-Jt-  ou  ^lm%  y  tfiour  ou  thourn  y 
porte  ;  et  le  mot  grec  ^vpàt^  thiu*a,  porte. 

Gourou  y  en  indien,  veut  dire  un  brahmane  (5),  et 
khowj  désigne^  chez  lesSyriens»  un  prêtre;  dansFar- 
ménien^  t'npi/i',  khourïn  signifie  profbndy  mpéné-^ 
trahie ,  instruit  dans  les  choses  secrètes. 

Râdja ,  mot  samscrit  signifiant  5oz£(^aram,  briller{l\)y 
paraît  avoir  de  l'analogie  avec  le  mot  latin  radius , 
et  le  mot  italien  raggio . 

Top  veut  dire  aujourd'hui ,  chez  les  Indiens ,  les 
Persans»  lesTurcs  et  chez  d'autrespeuples  de  l'Orient, 
une  pièce  d'artillerie ,  ou  un  canon.  Il  mé  semble 
qu'il  a  quelque  rapport  avec  les  mots  arméniens  npipy 
thopy  frappement ,  bruit  de  frappement  ;  impt^/^ , 
thopélyfrapper ,  de  même  qu'avec  les  mots  français 
tape,  taper,  qui  ne  paraissent  être  dérivés  ni  du  grec 
ni  du  latin. 

(i)  Payez  les  mêmes  notes,  pag.  279. 

(2)  Idem,  pag.  281. 

(3)  Idem  y  pag.  294. 
(A)  Ideniyipdig.  33o. 


27* 


420  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 


RECHERCHES 

Sur  rétyinologie  des  noms  de  lieu  et  autres  dans  la  Sous* 
Préfecture  de  Thionville;  par  M.  Tbissiu^  correspondant 
de  la  Société,       .  ^ 

s. 

mJes  recherches  sur  l'étymologie  des  noms  des 
lieux  d'une  province  ne  sont  pas  inutiles  lorsqu'on 
s'occupe  des  antiquités  et  de  l'histoire  de  ce  pays. 
On  trouve ,  dans  ces  noms  plus  ou  moins  altérés , 
des  débris  du  langage  des  difFérens  êiges,  et  en  même 
temps  des  traces  des  dominations  successives  sons 
lesquelles  le  peuple  a  fléchi. 

L'art  étymologique  ^  trop  subtilement  approfondi 
par  les  efforts  de  savans  qui  se  sont  livrés  à  leur 
imagination ,  est  devenu  aux  yeux  de  bien  des 
gens  une  vaine  science  -,  des  personnes  instruites 
ont  conçu  des  préjugés  qui,  il  faut  Tavouer^  ne 
sont  souvent  que  trop  fondés  ;  il  ne  faut  pas  cher- 
cher loin ,  et  au  moyen  de  décompositions  trop  sub- 
tiles ,  une  origine  que  Ton  peut  trouver  tout  près; 
j'en  citerai  un  seul  exemple,  puisé  dans  Bullet(i): 

(i)  Mémoires  sur  la  langue  celtique,  par  M.  Bullet  (a). 
Besançon,  Daclin,  3  vol.  în-f»,  1764,  1759,  1760.  ^ 

(a)  Sans  contester  l'érudition  de  Ballet,  la  Société  Royale  des  Anti- 
quaires de  France  est  bien  éloignée  d'admettre  ayeuglément  ses  espli- 


/ 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  J^2l 

BouzonviUe  ^  bourg  ou  petite  ville  de  Farroiidisse- 
ment  de  Thionville,  a  eu  son  origine  au  moyen  âge. 
Le  nom  pTopve  Boson  était  commun;  la  termi- 
naison i^ille  était  également  fort  employée*  Quoi 
de  plus  simple  que  de  voir  dans  ce  nom  de  Bou- 
lOnyiUe  y  habitation  de  Bazarif  Bozonis  villa?  Bulle t 
eu  a  jugé  autrement^  Tomel,  page  248.  «Bouzon- 
«  ville,  à  Fembouchure  d'une  rivière  dans  laJ\fo- 
ce, selle;  Bouch,  Bous,-  embouchure;  O/i,  rivière; 
«  f^ili,  habitation ,  ou  simplement  Bous ,  Bouson , 
embouchure.»  Est-il  donc  nécessaire  de  chercher 
dans  Bouzonville  trois  :  monosyllabes  celtiques  dé 
première  .origine  y  quand  on  voit  dans  le  nom  de 
cette  petite  ville  ^  deux  mots  clairement  exprimés , 
un  nom  propre  et  le  mot  Pailla ,  Tun  connu  et  que 
Ton  trouve  dans  Grégoire  de  Tours ,  l'autre  déjà  en 
usage  dans  nos  environs?  Ce  -bourg  a  conservé  de 
tout  temps  le  nom  luAin  Bozonis  Villa.  On  doit  s'en 
tenir  à  cette  éty molôgie.       - 

BouzonviUe  d'ailleurs  n'est  pas  sur  la  Moselle,' 
mais  sur  la  rive  droite  de  la  Nied;  elle  est  à 
quatre  lieues  de  la  première  de  ces  rivières;  enfin 
elle  n'est  nullement  à  un  confluent*  L*e$  noms 
d'hommes  sont  entrés  dans^  la  composition  d'une 
foule,  de  noms  de  lieux;  un  article  spécial  leur 
sera  consacré.  Voyez  §  54. 

cations  ;  elle  ne  garantit  pas  même  toutes  les  étymologies  dont  il  est 
question  dans  le  présent  écrit..  Pour  la  détenniner  à  insérer  des  disserta- 
tions dans  le  recueil  deses  Mémoireat,,  il  suffit  qu'elles  présenten.t  des  ren- 
seîgnemens  utiles  9  et  qu'elles  puissent  provoquer  des  discussions  qui 
servent  aux  progrès  de  la  science  arcbéolpgique.       (NoU  des  éditeurs») 


4â2  HÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Les  recherches  auxquelles  nous  nous  sommés 
livrés^  mettront  plutôt  sur  la  voie  qu'elles  n ap- 
profondiront la  matière;  nous  aurons  pour  priû*- 
cipe  de  n'adopter  aucune  supposition  ^  à  moins 
que  des  exemples  d'une  application  palpable  ne 
les  justifient.  C'est  en  voulant  tout  expliquer ,  que 
des  écrivains  ont  fait  tomber  en  discrédit  la  science 
des  étjmologies;  tous  n'ont  pas  eu  le  tact  éclairé 
de  Ms  Pougens ,  sans  doute. 

Ce  travail  se  sentira  souvent  de  la  privation 
des  ressources  littéraires.  Borné  à  notre  seule  bi" 
bliothèque  ,  nous  nous  sommes  aperçu  fréquem- 
ment de  son  insuffisance  ;  mais  ces  notions  ne  sont 
qu'un  accessoire  aux  recherches  sur  les  antiquités 
et  sur  l'histoire  de  la  province  ;  on  ne  peut  exiger 
qu'elles  soient  complètes. 

Je  fais  f  après  (  i  )  Jérôme  Jacques  Oberlin  ^ 
l'observation  que  BuUet  a  appelé  du  nom  commun 
de  celtique^  la  langue  basque ,  le  bas  breton  et 
le  gallois.  En  employant  le  nom  de  celtique  dans 
les  étjmologies  tirées  de  BuUet ,  je  fais  usage  de 
son  hypothèse ,  mais  sans  adopter  ce  qu'elle  a  sou- 
vent de  hasardé* 

Les  provinces  du  nord -est  de  la  Finance  ac- 
tuelle (  i8ai  )  ^  antérieurement  à  la  domination 
romaine,  étaient  peuplées  ps^r  les  Celtes  ;  les  Belges^ 

«       •  ■ 

(i)  Essai  -sur  le  patois  lorrain  des  etivirons  du  ban  de  k 
Roche;  pat  Jérôme- Jacques  Oberlin.  Strasbourg;  Stcin,  1775^ 
în-12,  pag.  7. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FKANGE.  4^3 

peuples  germains  >  passèrent  le  Rhin  et  vinrent  oc- 
cuper les  rives  de  la  Moselle,  qui  semblaient  être 
une  terre  promise  à  la  valeur  des  Teutons ,  sortant 
de  leurs  forêts.  Les  Romains  y  établirent  leur  do^ 
mination  (environ  5i  ans  avant  l'ère  chrétienne),  et 
la  maintinrent  pendant  cinq  siècles.  Leis  Francs, 
autre  peuple  germain ,  les  remplacèrent.  Ainsi  Fon 
aperçoit  trois  peuples  dominateurs  qui  ont  dû 
laisser  des  traces  de  leurs  langages.  On  ne  doit 
chercher  le»  étyiûologies  que  dans  les  langues 
celtique,  teutone  et  latine.  Voilà  la  première  idée 
qui  doit  nous  guider.  Nous  bornons  pai^  cette  ob- 
servation l'étendue  de  nos  explorations.  Nous  voilà 
délivrés^  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  du  gtec,  du 
punique ,  des  langues  de  Torient  ;  et ,  en  nous  ar- 
Fêtant  au  celtique,  nous  n'examinerons  pas  la  pro- 
digieuse et  curieuse  affinité  entre  ce  langage  de 
la  vieille  Europe  et  les  idiomes  des  temps  primitifs , 
créés  dans  Porient; 

Cette  succession  de  peuples .  ayant  des  langages 
d'origines  diverses,  pourra  faire  rencontrer  des 
mots  composés  de  deux  racines,  Tune  celtique. 
L'autre  teutone ,  composition  rare  généralement , 
mais  que  Ton  ne  pourrait  rejetçr  ici^  puisquelle 
serait  justifiée. 

Lorsqu'un  homme  puissant,  un  chef  militaire , 
une  peuplade  groupée  autour  de  ce  chef  ,  ont 
voulu  s'établir  en  un  lieu  où  il  n'y  avait  pas  d'ha- 
bitations, la  nécessité  a  du  faire  créer  un  nom. à 
ce  lieu ,  s'il  n'en  avait  pas  encore  ;  et  s'il  en  avait 


4^4  MHM0IU8  DE  LA  SOClin  BOYAIE 

un^  les  nouveaux  venus  ^  en  l'adoptant,  ont  im- 
posé au  moins  à  ce  nom  ancien  la  terminaison 
propre  à  leur  langue ,  leur  prononciation.  Ces  deux 
conditions  seules  ont  rendu  très-souvent  les  noms 
originaux  méconnaissables  ;  quelquefois  les  vain- 
queurs se  sont  bor&és  à  traduire  dans  leur  lan- 
gage le  nom  ancien  qui  devait  continuer  à  être 
mis  en  usage  par  les  indigènes. 

Dans  toute  la  France  on  remarquera  une  foule 
de  terminaisons  diverses  qui  ont  pour  signification 
commune  Texpression  habitation,  mais  avec  toutes 
les  variétés  possibles  d'application ,  conmie  enclos, 
demeure,  ferme  et  ses  dépendances,  château, 
réunion  de  maisons  ,  cens  ,  etc.  La  langue  latine 
et  le  langage  dit  mediœ  et  infmœ  latinitatis  (i)  ont 
plus  de  cent  cinquante  expressions  qui  toutes  se 
rapportent  à  habitation,  à  domaine. 

Il  en  est  plusieurs  en  usage  dans  nos  environs, 
nous  les  passerons  en  revue  ;  ce  sera  la  première 
division  de  ce  mémoire  dont  la  clarté  dépendra 
surtout  de  Tordre  dans  lequel  nos  observations  se- 
sont  offertes  à  Fattenlion. 

u  Court.  —  Cw^tis  (2) ,  dans  la  ba5se  latinité , 

(1)  Glossarium  ad  scriptores  mediœ  et  infimœ  latinUaUs^ 
auctore  Ducangej  etc.  Paris,  1735,  6  vol.  in-P. 

(3)  Bullet,  I,  3,  note.— PouîDié  du  diocèse  de  Toul,dapère 
Benoit  (  Benoît  Pioart,  mort  en  1720).  Tonl,  1711,  2  vol.  8*. 
— Toir  les  pag.  4  et  5  du  r'Tome  sur  les  terminaisons  vlUe^ 
Court j  MénUj  etc.  —  Ducange,  Gloss»  ad  scriptores  mediœ  et 
infimœ  latinitatis,  au  mot  Cortis. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  4^^ 

à  diyerses  significations;  il  s'est  entendu  principa- 
lement pour  la  luasse  de  bâtimens,  servant  de  ma- 
noir au  maître  et  ap  métayer^ .  ainsi  qu'au  bétail, 
et  pour  toutes  les  dépendances  de  la  ferme. 

Aboncourt ,  Abbonis  curtis»  —  (  Abbon ,  nom 
propre ,  §.  34.)  ^ 

La  s jUabe  cor  se  retrouve  ou  simple  on  com- 
posée dans  une  foule  de  langues  pour  signifier  hor 
bitation. 

2.  Ville.  —  Villa  signifie  dans  les  anciens  au* 
leurs  maison  de  campagne,  métairie.  Dans  la  basse 
latinité,  employée  par  les  rédacteurs  de  chartes 
du. moyen  âge,  on  retrouve  ce  mot  pour  ville, 
bourg,  village,  métairie,  habitation;  il  est  devenu 
la  terminaison  d'une  foule  de  noms  de  lieux. 

Thionvillei  ntodonU  ritti.— Bouzonville,  BozoniaFiUa. 

5.  yillers.--En  allemand  SBtOer ,  Willér,  fSetler, 
Weiler.  Villare,  sorti  de  Villa.Cest  l'adjectif  Vîllaris, 
mis  au  neutre  par  ellipse^en  supprimant  un  substantif. 
On  a  dit  aussi  Villarium,  YÛlata  pour  village,  ha^ 
meau,  habitation. 

Termînaisoù  française  : 
S*  AngeTiUers.-*-HochonTiIlers. 

Terminaisons  allemandes  : 
3'*  ^ctwcilcr ,  Berweiler;  —  jnttf^miUï  ^  Merscbweiler. 
3*''  JUebmllUig ,  NiedweUing. 


426  MKMOIABfi  M  LA  SOCIÉllS  ROYALE 

4.  Bourg.  —  Syllabe  d'origine  teutone  ,  pou^ 
signifier  ville  1  forteresse,  château;  ce  qui  a  été 
étendu  ensuite  à  village.  C'était  chez  les  Germains 
un  lieu  fermé  de  murailles.  Végèce  (1)  dit  en  parlant 
de  ce  peuple  :  Gastellum  parvum  quod  Burgum 
vocant.  Isidore  dit  que  Burgs  est  un  mot  gau- 
lois qui  veut  dire  habitation.  On  écrit  en  langue 
germaine  Burg ,  Burgk  ;  en  vieux  français ,  on  trouve 
Bopy  Borc^  Bors» 

J^omburg;  Hombourg.  —  Xolttnhwt^f  Kalembourg.  — 
Snagbcbn^i  Hagdebourg. 

Aujourd'hui  on  entend  par  bourg,  un  lieu  plus 
important  qu'un  village  et  au-dessous  d'une  ville. 
Cette  signification  ne  peut  s'appli<5[uer  aux  lieux, 
dans  la  composition  des  noms,  desquels  est  la  syl- 
labe Bourg. 

6.  Ham.  —  Lisez  Bullet  (2)  sur  la  syllabe  Ham, 
ou  Hom,  ou  Heim.  Il  prouve  qu^elle  a  fait  le  tour  du 
monde  des  anciens,  en  signifiant  toujours  domicile, 
habitation.  La  latinité  ne  l'a  reçu  que  dans  sa  déca- 
dence où  Ton  trouve  hamellus ,  hamellum  ,  hame- 
létta^  hamlettum,  hamletuniy  (  Ducange,etc.  ). 

En  Allemagne^  heim  veut  dire  au  logis ,  à  la  mai- 
son ;  la  désinence  heim  est  employée  dans  Manheim, 
Oppenheim. 

(1)  De  re  mUitari.  Lib.  IV;  il  écrivait  au  4*  siècle.— Notice 

* 
de  la  Gaule,  par  Danville,  184. 

(2)  III,  5. — Ducange,  III,  io46. 


r^  1 


DES  ANTIQUAIRXâ  DK  FftANGË.  4^7. 

Elle  VesXy  en  Angleterre  >  dans  Backingham^  Dur* 
ham  /  Nottingham  ; 

Et  dans  Fanoîenne  Flandre^  en  Belgique^  dans 
Tournetem,  Erînghem,  Teteghem. 

Dans  diverses  provinces  de  France,  nous  trou- 
vons iffo/^fleur  y  Condom  ,  Ham  ,  JMarckols- 
heim ,  etc. . 

Dans  nos  environs ,  cette  syllabe  a  éprouvé  trois 
variations. 

5'  Ham  haute  et  basse. — Ham-sous-Varsbeurg. 

5"  Cattenom. — Manom. — Macquenom. 
5"'  Dalem.— Fixem.— Suhem. 

6.  Le  mot  Mansio  (i)  était,  chez  les  Romains,  un 
lieu  de  gîte  pour  le^  troupes  en  marche ,  ou  bien  un 
lieu  connu  pour  offrir  aux  voyageurs  des  facilités 
de  logement  et  de  nourriture.  Ce  mot  a  fini  par  de- 
venir le  synonyme  d'hôtellerie  ;  ainsi  restreint  >  il 
peut  être  regardé  comme  l'origine  de  maison,  à 
moins  qu'on  ne  la  cherche  dans  le  vieux  mot  mas, 
Nous  avons  le  rupt  de  mas ,  ruisseau  de  la  maison , 
qui  se  jette  dans  la  Moselle^,  à  trois  lieues  de  Metz. 
Dans  le  midi  il  y  a  une  fo^le  de  lieux  semblables , 
le  mas  d'Azyl  (Ariége) ,  le  mas  d'Agenois  (  Lot-et- 
Garonne  ). 

Mansum  ,  Maniiez  Mansionilè  ont  eu  dans  le 
moyen  âge  la  signification  de  Filial  de  Curiis.  De 

(i)  Vossius,  492. 


428  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROTàtE 

làsont  venus  tous  les  noms  en  ménil,  si  commans 
dans  le  département  de  la  Meurthe  (Menil-la- 
Tour,  MénÛlot^  Le  Menil^  Grandmenii,  etc.).  Cette 
tenninaison  manque  dans  le  département  de  la 
Moselle. 

Au  dbdëme  siècle^  on  Sip^hit  (i) Mansus ,  la 
quantité  de  terre  que  pouvait  cultiver  une  famille 
de  serfs. 

Des  traces  de  Mansio  sont  restées  dans  nos  envi- 
rons ;  on  le  retrouve  dans. 

Mansberg^    (     Lieux  qui  n'existaient  pas  loin  de  la 

/  route  romaine  de  Metz  à  Trêves,  par  Ca- 
Manc  J,  I  ranu8ca  et  Ricciacum. 

Menskirch. 

Mence ,  ferme  auprès  de  Metz. 

l.Cella  (2),  demeure,  maison,  monastère. 

NondkeU  (3). 

On  trouve  dans  ce  nom  les  mots  cella ,  habita- 
tion ,  et  JVonna  ,  religieuse  ,  fille  consacrée  à 
Dieu. 

8.  La  terminaison  Ange^  si  commune  dans  les 
parties  sud  et  ouest  de  l'arrondissement  de  Hûon- 
ville,  exigera  quelques  développemens  i  tout  porte 

(1)  Hist.  de  Metz,  III.  Preures,  7g. 

(2)  BuUet,  11^  296.  .  . 

(3)  Le  yillage  deNonsart  s*appeUe  en  latin  Notfum  Sarium; 
peut  -  être  doit  -  on  traduire  Nondkeil  ou  Nonkeil  par  Noi^a 
Cella.  (Hist.  de  Metz,  III.  Preuves,  7.) 


DES  ÂNTIQUAIIIBS  DE  FRANCIÇ.  4^9 

à  croire  qu'elle  ne  veut  dire  autre  chose  qu'habita- 
tion /  demeure. 

Bullet  a  reconnu  cette  signification  dans  la  sjUabe 
an  y  ang  (  i  •  267  )  ;  mais  il  n'en  a  pas  fait  un  usage 
constant  dans  ce  sens.  Ses  yariations  sont  remar* 
quables^  elles  sont  pénibles  pour  celui  qui  voudrait 
toujours  s'appujer  sur  ses  doctrines. 

Dans  l'i^xplication  du  nom  Démange^  il  dit  :  dé , 
rivière;  mon,  mange,  habitation.  (  i.  25i  ). 

Four  Fénestrange.  Fen,  cçurbare;  estrainchj  grande.  I,  a53. 

Goudressange.  San,  étang; ^^r^^  goudre|bord.  I^  a55. 

Guénange.  Guerij  embouchure  ;  an ,  rifiëra.  I^  256. 

Haboudange.  Abu^yAbou,  enrironné;  c^n^ririère. 

Morhange.  Mor,  sur;  ange,  cime  de  montagne.  I^  264^ 

Morlange.  Mor,  bord;  lan^  rÎTiëre. 

Peuange.  Peu  y  montagne;  an,  ang,  habitatien.  1,  a6j/ 

Rélange.  Ré,  ruisseau;  lam,  bois;  gem,ge,  près.  I«  268. 

Talange.  Tal,  coupé;  an,  rWiht^ige,  de  gen,  près.I^  271. 

Yaudreyange.  Bodre,  Fbdre,  bord;  pan^  rivière;  g»^ ter- 
minaison oisive.  I,  273. 

Vidlange.  F'i,  habitation;  de^  deux;  lan^  étang;  ge^  ter- 
^ninaison  obire^  £6û/. 

Telles  sont  les  variations  qu'offre  l'opinion  de  Bul- 
let dans  le  seul  chapitre  des  noms  des  lieux  de  la 
Lorraine  (  I^  24^  à  274.  )v  sur  la  désinence  Arige. 
On  doit  en  conclure  qu^il  n'avait  pas  d'idée  fixe  sur 
cette  terminaison  qui  se  retrouve  plusieurs  centaines 
de  fois  dans  une  étendue  assez  circonscrite ,  et  qui 


n 


\ 


430  UÉ1C0IBB8  DB  LA  SOCDBTi   AjOMLE 

mérite  par  là  de  fixer  jDOtre  attention.  Celte  adop* 
tion  presque  générale  n'est  pas  FeiFet  du  hasard  ni 
celui  de  la  volonté  d'un  individu. 

La  racine  topographique  an  et  ses  relatives  ou 
dérivées  me  paraissent  avoir  une  application  im* 
mense,  Garignon  ,  Bragance,  Gatane,  Âlbano, 
Agram  (  Croatie  ) ,  Penna  (  Naples) ,  Bergame ,  etc. 

On  doit  reconnaître^  à  notre  avis^  dans  jinge ,  la 
racine  an ,  qui  sert  aussi  à  former  la  sjllahe  ham, 
heim,  em.  Quand  on  di francisé  la  désinence,  on  a  dit 
jinge  i  comme  : 

Roussange. — Gandrange.  — Florange. 

Quand  au  contraire  Tinfluence  de  la  langue  teu- 
tonique  a  dominé ,  on  a  dit  j^ng. 

8"  XlanQ  ;  Klang.  — (^ongelfangi  Gongelfang. 

8'"  aîetttng  ,'Bctting.  —  Wôlfling  ,  Voelfling. 

JEngen  ou  Ingen, 

Les  habitans  de  cet  arrondissement  parlent  alle- 
mand dans  les  quatre  cinquièmes  des  communes;  la 
terminaison  française  /inge  est  la  traduction  de  la 
terminaison  Engen  ou  Ingen. 
.  Yolckrange^  en  allemand,  SBoIlriiigeii,  Yokkria- 
gen  ;Bertrange,  Sertriit]|en/.Bertringen. 

D'où  êtes-vous?  demande- t-on  à  un  paysan.— 
S'il  vous  répond  en  français ,  il  vous  dira  :  Je  suis  de 


DM  ANTIQUAIRES  DE  FHAKQE:  43  i 

Bertrange;  sic'esteii  allemand,  U  répondra  :  3c^  f>in 
ton  Senrittgeti ,  Ich  bin  von  Bartringen, 

Jlnge^  JEngen,  Ingen  sont  donc  ideafdques; 

On  trouve  ces  terminaisons  en  Allemagne  dani  les 
noms  d'une  foule  de  lieux  :  . 

Engen.—  Memmîngen.  —  Stuhlîngen.  —  Usingen.  —  Mei- 
îiungen.  —  Sîgmaringen.   —  Lieningen ,  nom  allemand  de  la 

princiefpauté  de  Linangc.— Gôttingen  (GottîngueV 

/  ... 

La  désinence  ingae  appartient  surtout  à  la  Hol- 
lande :  Groningue,  Flessingue. 

9.  Hoff,  hoven,  houve,  sont  les  mêmes  mois  r 

Hoff.— Filstroff.  — Flastpoff.— Halstroflf. 
9".  Hoven  (i). 
Dedenhoven. — Odenhoven. 

On  le  retrouve  dans  les  noms  allemands  de  THion- 
ville,  ©iebenj^ooeii ,  Diedenhoven ; 

Cattenom,  *etten^ot>en  ^  Ketterihoven  ;  ' 

Manom ,  aRonÇot^en ,  Monhoven  \ 
Macquenom,  SWaquenl&oi^ett ,  MacquenLoven. 

9"'  Houve. 

La  houve  de  Merten  ,  vaste  forêt  du  canton 
de  Bouzonville,  où  il  y  avait  çà  et  là  des  habita- 
tions. 

(1)  Germani  Hofas  seu  Hobas,  solitàrîas  colohorum  œdea 
vocant.  (Ducange,  Gloss,  III,  i24i.) 


43a  MilfÔlMS  DE  LA  SOCIÉTÉ  EOTAU 

Dans  la  latinité  des  chartes  de  notre  province , 
on  trouve  souvent  Ao^,  hofay  hova,  huba,  houva 
hobunna  (i),  etc.,  signifiant^  comme  i^Ula  et  curtis^ 
un  bien  complet ,  les  bâtimens  et  les  terres ,  bois  et 
prés.  Le  métayer  ou  colon  se  nommait  hobarius.  Ce 
mot  est  d'origine  teutonè  ;  hoff"  avait  fort  antérieu- 
rement la  même  signification.  Ce  nom,  plus  ou 
moins  altéré ,  se  retrouve  dans  plusieurs  langues  vi* 
vantes. 

To.  Le  mot  dorfy  village,  appartient  au  teuton; 

il  est  resté  sans  changemens  dans  la  langue  mo- 
derne. 

Slen^orfi  Neudorf  (nouveau  village). 
Ober^orfi  Oberdorf  (village  d'en  haut). 
@r&n^orf|  Grûndorf  (village  vert^  entouré  d'arbres). 
@c^TOer^orf ,  Schwerdorff  (village  difficile ,  c'est-à-dire  d'un 
accès  difficile). 
Siemetoorf  I  Remeldorf. 

Les  noms  terminés  comme  Freistroff ,  Launstroff> 
ont  peut-être  plutôt  pour  désinence  le  mot  ^or/ que 
hoff^i  ce  qui  importe  peu ,  puisque  la  signification 
estia  méme^  habitation,  village. 

11.  Rodemack(3),  autrefois  Rodemacheren  et 

(i)  Vossius.  P.  aaS  et  a54.  —  Hontignot.  Dict  de  dipL— 
BuUet,1II,  ai. — Duoange.  Gloss.  III,  iâ4i. 

(a)  L'historien  deThou  a  traduit  Rodeinack  farRupeaMartis; 
ses  traducteurs  ont  mis  Roc-de-Mars  ;  des  notes  marginales 
ajoutent  (II,  oSy^  éd.  de  i734)  pu  Rodemack  (II,  3i2)  ou 
Rocheôiars. 


DE3  ANTIQUAIRES  DE  FRANCS*  453 

Koènigsmaçher   (  aU.  Konisgmackeren  )  ont  une 
terminaison  commune  qui  se  retrouve  dans  : 

Macberen ,  canton  de  Saint-Âvold. 
Maçker  »  canton  de  Boulay. 

Grevenmacheren  ,  entre  Luxembourg  et  Trê- 
ves, «te. 

Bullet  n'est  pas  d'acord  avec  lui-même  sur  Tori  : 
gine  de  cette  terminaison. 

ïe  trouve  f  dans  son  grand  ouvrage  : 

Macker,  Mag  ou  Mac,  nom  appeliatif  d'habita- 
tion, devenu  propre  de  celle-ci.  Èr,  superflu,  ou  ma, 
petite,  caer ,  habitation  (I,  2^1  ). 

Macharen,  à  une  courbure  de  la  Meuse,  mach, 
courbure;  ren,  rivière;  I,  3io. 

Mâcher ,  à  une  courbure  de  la  Moselle  ;  mach , 
courbure  ;  er,  près.  Ibid, 

Mach  est^il  donc  un  nom  générique  d'habita- 
tion ?  signifie  - 1  -  il  seulement  la  courbure  d'une 
nviere  c 

Oom  Galmet  nous  dit  dans  la  noUce  de  la  Lor-* 
raine,  i  Col.  710  :  «  Macheren,  en  allemand,  veut 
«  dire  autant  que  Maceriœ  en  latin,  et  Maizières 
«  en  français  :  d'où  viennent  tant  de  lieux  nommés 
«  Maizières.  Maceriœ  signifie  une  muraille  à  sec  , 
«  une  muraille  de  jardin ,  en  général  toute  sorte  de 
«  murailles  (1).  « 

(i)  Maceriœ  dicuntur  longi  parie  tes,  quibus-pineœ  pelaliud 
IV.  28 


434  MÉMOIRES  D£  LA  SOCIETE  ROTALB 

Berthollet(i)  traduit  le  mot  Macheren  par  limite^ 
(  V.  92  ).  En  adoptant  cette  opinion^  Rodemack 
(  Rothen  macheren  )  voudrait  dire  limites  rouges. 

12*  Le  mot  mallum  (d)>  mallus,  est  employé  très- 
fréquemment  dans  les  lois  de  la  première  et  de  la 
deuxième  race  pour  assemblée  judiciaire ,  réunion 
des  délégués  du  prince.  Cette  expression ,  qui  yicDt 
du  teuton  où  Ton  écrirait  3Iael ,  a  formé  quelques 
noms  de  lieux  (5). 

Mailing» 

Mèilbourg ,  château  entièrement  détruit  et  dont 
il  ne  reste  que  le  nom  ;  il  était  près  d'îllange ,  à  trois 
kilomètres  de  Thionville. 

Le  nom  latin  de  JiUz  (  Judicium  )  avait  la  même 
signification  y  assemblée  de  juges. 

On  trouve  encore  Malroy  dans  le  canton  de  Vigy« 

1 S^  Nous  avons  dit  que  quelquefois  les  noms  de 
lieux  rappellent  les  dominations. 

clauduntur*  Longues  parcis>  de  quoi  vignes  ou  autres  choses 
sont  closes.  (Ducauge^  lY,  3o2.] 

(i)  Hist.  du  duché  de  Luxembourg  et  du  comté  de  Chinji 
parle  père  BerthoUet,  8  yoI.  in-4^. 

(2)  Mallus. — Yossius,  de  vitiîs  sermonis ,  etc.  Ehey.  1645; 
pag.  24o  et  34o. — Montignot^Dict.  de  dipl. ,  p.  i42. 

(3)  Gomplurium  in  Belgio  locorum  ac  ^icorum  nominibus 
t  adjici  Hall ,  Wendelinus  observât^  quod  in  lis  olîm  Blalll  ha- 

hiti  sunt.  (Ducange^  lY,  3o2). 


DES  AKTIQUA1R12S  DE  FRANGE.  4^5 

Ainsi  : 

I 

MetzerTisse. — Metzeresche  j 

nommés  vulgairement  par  les  habitans  des  villages 
voisins  Wàse  et  Esche,  ont  conservé  des  traces  de 
leur  longue  adjonction  au  territoire  de  Metz. 

K6nigsmacher  s'appelait,  avant  le  i4''  siècle,  itfa- 
cheren  (en  français  Macères)  (i).  Le  mol  konig, 
kœnigy  fw  ,  fut  ajouté,  lorsque  Jean,  roi  de  Bo- 
hême et  comte  de  Luxembourg,  tué  à  la  bataille 
de  Grécy  (  i346  ),  la  fit  entourer  de  murailles.  On 
le  distingua  ainsi  de  Macheren ,  près  de  Luxemboui^, 
que  Henri  II,  comte  de  .Luxembourg,  avait  fait 
fortifier  au  iS''  siècle  (  Grevenmacheren,  Mache- 
ren du  comte  ,*  Kœnigsmacheren,  Macheren  du 
roi.  ) 

.Merschweiler 

tire  son  nom  (2)  d'une  famille  puissante  du  pajs  de 
Luxenabourg ,  déjà  connue  au  11®  siècle. 

Elle  possédait  le  château  de  Mersch  ,  surFEltz,  à 

(1)  Hist.  de  Lux.  par  Berthollet ,  y,  92. — Précis  hist.  et  chr. 
du  Lux.,  par  Ghristiani,  i8o5,  pag.  i83. — Galmet,  notice,  II, 
6i3. — Délices  du  Pays-Bas,  III,  212.  Cet  ouvrage  nomme  ce 
lieu  en  latin  Régis  marca  et  Grefenmacherrij  marca  car^Hs. 
—  Dans  une  charte  de  i?54,  on  lit  :  CurtisMachra  dicta.  — 
Berth.  VII;  Preuves,  XIV. 

(2)  BerthoUet ,  hist.  du  Lux.  V,  3,  etc. ,  VII,  Sjo. — Not.  de 
la  Lorr.  de  Calmet,  II,  786. 

28* 


436  MÉMOIMS  DB  I*A  SOCIÉTÉ  fiOYALE 

trois  lieues  de  Luxembourg.  Il  existait  déjà  au 
g'' siècle.  (Locus  quidicitur^Blarisch  in  pago  va^ 
brinse.  —  Dans  une  charte  de  853.  —  BerthoUet,  H; 
Preuves,  LX.  ) 

Gattenom.  La  première  pensée  que  Fon  ait,  en 
entendant  prononcer  ce  nom ,  est  qu'il  veut  dire  ^e- 
jour  des  Cattes  (i).  Les  Cattes  étaient  des  peuples 
de  la  Germanie  que  la  guerre  a  pa  conduire  aux 
rives  dé  la  Moselle.  Cette  étymologie  est  fort  dou- 
teuse. 

Cat  (2)  y  en  langage  celtique  y  signifie  guerre  '.  le 
mot  Cattenom  veut  dire  demeure  guerrière  y  lieu 
fortifié.  Ce  nom  est  identique  dans  sa  composition 
avec  celui  de  C!atwicky  en  Hollande  {Vicus  muni* 
^^  ).  En  i4oo,  on  nommait  Cattenom,  Kattenheim , 
en  allemand  ;  aujourd'hui  Ketten/ioi^en;  dans  un  titre 
de  1 32 5,  je  lis  Kathennem.  Peut-être  ce  lieu  a-t-il 
été  anciennement  occupé  par  des  Cattes. 

La  position  des  lieux  d'habitation  sur  les  hauteurs, 
dans  les  vallées,  près  des  rochers,  près  des  hoi$>  dans 
des  prairieS;  au  milieu  de  jardins,  dans  une  plaine, 
sur  un  ruisseau,  autour  d^une  église,  d'un  moulin , 
a  servi  très-fréquemment  dans  leur  origine  à  les  dé- 
signer. iPresque  tous  les  noms  de  nos  ^çviroos  ^si 
formés  sont  teutons. 

Pour  les  décomposer  ,  il  faut  se  rappeler  la  tra- 
duction des  mots  suivans  : 

(i)  Berth..I,  i38.  '  :  ' 

(si)  BuUet,  II,  286.-— Dict.  étym.  de  Menace,  I^3âo. 


I 

DES  ANTIQUAIKES  DB  FBANCB,  4^7 

Qîcrg,  herg,  montagne. —  %h<^Uthal,  vallée.  — ©tcin, 
stein,  pierre.  —  ÎDal^,  u^ald,  forêt.  —  i^olj ,  holz  ,  bois.  — 
j^ag  i^agen  y  ^a^,  hagenj  haies^  broussailles.  —  Sufc^^  huach^ 
bois,  buisson.  —  SDiefe,  u^iese^  pré.  —  ©artcn  ,  garten^  jardin. 
—  3fete,  feld^  plainç;  champ.  —  Qitx,  acker^  champ.  — 
î8û(^,  bachf  ruisseau.  —  ^hx^yflussj  rivière.  —  ^irc^e,  hirche, 
église.— 3nâ^I>  mUhly  moulin. 

Il  est  également  utile  de  savoir  la  signification  des 
mots  suivans  :  tibttf  ober,  haut.  9lteterNiëde  r,  bas. 
3lft/-^A,  vieux.  9leu,  Neu,  nouTOau,  neuf.  ®rof, 
grosSf  grand.  ^leln^  klein^  petit.  93rud^,  brucky 
pont.  Sbel  9  Edely  noUe  ;  mot  qui  a  servi  à  former 
ceux  d'Àiàling  et  d'Edling  y  canton  de  Bouzonville 
(  demeure  noî>Ie ,   château ,  CE bell^of  f  Edelhof  )  • 

« 

l4«  l'Os  noms  terminés  en  iïerg' (i)  sont  nom- 
breux ;  tous  indiquent  le  placement  du  village  soit 
sur  ùa  lieu  élevé ,  soit  sur  le  penchant  ou  au  pied 
d'un  coteau  : 

Berg,  Warsberg,  Mansberg^  Yinsberg. 

On  a  conservé  la  terminaison  française  dans 
Richemont^  Justemont. 

i5.  Thaï  y  Vallée. 

(i)  Dîct.  étym.  de  Ménage.  I;   180^  article  Curieux.   -— 
Wachter^  Glossar.  Germanum. 


438  MiMOIlISS  OB  LA  SOCltti  BOTAtE 

Dalem,  Bataendahl^  Dalstein. 
Le  mot  français  est  resté  dans  Rangueyaux. 

]  6.  Stein ,  pierre  »  rocher. 
Dalstein,  rocher  du  vallon. 

17.  PFaldj  forêt. 
Greutxwaldy  Waltwise,  Godewald  (le). 

1 8.  Holz ,  bois. 
Beckerhohy  Fronholtx. 

ig.  Hag,  hagen{i)y  haies»  broussailles, 
Hagen,  canton  de  Catienom. — Le  Hackenberg. 

Le  mot  teuton  hag ,  hagen  a  eu  pour  synonyme  les 
mots  haga,  haïa,  d'où  Ton  a  fait  en  français  haye.  La 
syllabe  he/s  est  employée  dans  Tarrondissement  de 
Toul  pour  désigner  un  canton  très-boisé  :  Rozières- 
Heys,  Villers-en-Heys ,  Domèvre-en-Heys  ,  etc. 
La  même  racine  se  reconnaît  dans  les  noms  de 
lieux. 

AUOimSSIKBHT   (  °T°«'  )  .            . 

de               y  %S1QS9  (  qui  signifient  Tillaffe  on  babiU- 

\  w^iiî^-  /  tion  près  des  bois. 

THiOHYttiB.      )  Helhng,  ( 

V  Heslroff^  ; 
Il  est  à  remarquer  que  cette  terminaison  se  re^ 

(1)  Hag.  Vossius^aig. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  4^9 

Irouve  dans  la  série  des  mots  français  Saussaie  ^ 
Pommeraye',  Ormoye,  Chataigneraye,  etc.,  lieux 
plantés  de  saules,  etc.  ;  la  plupart  ne  sont  plus  en 
usage. 

20.  Buschf  (i)  bois,  (â)  ISàïi  basse  latinité ,  ^o^^u^ , 
buscusj  bosc/uis,  etc.  ]En  patois  ^e^chy  beusch  , 
bisch. 

Braubesch. 

De  lA  Tiennent  aussi 

Bûsbach,  Bouck,  territoire  d'Ukange. 

Boucb,  territoire  d'Escfaerange. 
Et  peut-être 

Boast?  Bousse?  Boussange? 

21.  Wîese,  pré, 

Metzerwîsse,  Gawisse,  Altwisse,  Gaveistroff^  Valweistroff. 

23.  Garten^  jardin. 
flargarten-aux-Hines,  Hargarten.        / 

25Feldy  plaine,  champ. 

Laumesfeld. 

* 

24.  ^ckery  (3)  champ  cultivé.  —  Uest  facile  dy 
reconnaître  le  mot  latin  ager  : 

(1)  Yossius,  i83. 

(s)  Gloss.  Ducange,  I,  i248. 

(5)  Acker.  Yossius,  35o. — Ducange^  I^  io4. 


44o  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Bousenacker,  Belmacker,  Ronacker. 

2  5 .  Bach  y  ruisseau. 

Forbach. 

Faulbach,  ruisseau  paresseux ,  lent. 

Dans  Marspich  et  Daspich>  la  terminaison  est  une 
corruption  patoise  de  Bach. 

Dans  Apach  ^  le  B  a  été  changé  en  P  ;  ce  qui  est 
fréquent  dans  toutes  les  langues  (i). 

26.  Ftuss,  rivière^  cours  d'eau. 
Harîenflos. 

37.  Kirch,  église. 

Kircbnaumen^  Henskireh,  Neuokirch. 

28.  Muhl,  moulin. 
Donnenmûhl,  etc. 

La  nature  des  arbres  qui  dominent  dans  un  canton 
a  servi  souvent  à  nommer  Thabitation  qui  y  a  été 
fondée. 

Nous  en  avons  une  foule  d'exemples  dans  toutes 
les  provinces  de  France.  La  Châtaigneraie  (Vendée), 
Frénay  (  Sarthe  ) ,  Frainbois  (  Meurlhe  ) ,  Vigneules 
(Moselle)  Norroy-le-sec ,  etc.  (Moselle) ,  Nogaretum 

(1)  Quintil.  Lib.  I,  cap.  7. 


D£9  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  44  > 

lieu  plan  té  de  no)'ers  )«  Fraxinet  (Bouches-du-Rhône) 
Fressinières  (  Hautes-Alpes  )  villages  qui  possèdent 
des  bois  de  frêne. 

Dans  nos  environs  ^  les  mots  allemands  Sfd^e/ 
Esche ,  frêne  ;  6i(|n  ^  Eicbe ,  chêne ,  ^ftattme 
Pflaun^e^  prune ,  ont  servi  à  former  divers  noms 
de  lieux. 

j 

29.  Esche. 

Escber^nge ,  Hetzeresche  9  Hestrofr,  PreisclK  > 

Le  mot  Esche  (i)  est  d'un  emploi  très- fréquent 
dans  le  pays  de  Luxembourg» 

30.  Eiche^  Ëichenbaum. 

Bibiche  ?  peut-être  ce  nom  vient-il  de  busch^  bois. 
(Ifteç  99if(^,  littéralement  :  auprès  des  bois  ). 

La  terminaison  ich  est  allemande. 

Kemplioh^  Eliob^  Qiemery,  en  allemand^  Schi'merwhy 
Sent£ich>  Kûntzig  ou  Kuntzioh.   , 

Si.  Pflaume^  pmne , p/launnenbaum ^  prunier. 
Laumesféîdj  champ  de  prunes. 

Pat  euphonie ,  on  a  supprimé  les  deux  premières 
consonnes. 

(1)  BerthoUet^  V^  17g. 


44^  HEMOIBES  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

32.  Viosberg  vient  de  Weiosberg,  moûtagne  c[ui 
produit  du  vin ,  qui  est  plantée  en  vignes. 

*  Les  chênes  ^  hameau  dépendant  de  Luttange. 

33.  La  tenninaison  œuvre ,  euvre ,  en  latin 
opéra  (i)  (Vandœuvre  ,  Vandoperay  Soleuvre)  (2), 
indique  une  fabrique.  On  sait  que^  depuis  plusieurs 
siècles,  il  y  a  des  forges  à  Moyeuvre  (3).  Cette  dési- 
nence se  trouve  donc  là  fort  justement  employée. 
Wandy  signifie  muraille. 

On  trouve  Manopera  dans  le  fameux  édit  de 
Pistes  (4),  sous  Gharles4e-Gbauve  (an  862)  pour  ou- 
vrage manuel  y  sers^itium  manuale  y  mnnuum  opéra. 

34.  Les  noms  propres  des  fondateurs  des  habita- 
tions ou  des  propriétaires  du  terrain  sont  souvent 
demeurés  dans  les  noms  des  lieux  ;  c'est  ainsi  que  le 
village  de  Porcelette  (5)  y  canton  de  BouzonviUe  »  a 

(1)  Calmet.  Notice  11^  Col.  76A.  •-  «  H  7  a  en  ce  lieu^  dit 
«  Calmet,  un  château  et  uoe  tour^  qu'on  dit  être  l'ouvrage  des 
a  Vandales.  »  PouiUié  de  TOul^  I,  i5o. 

{2)  Berth.  Bist.  de  Lu3l,  JV^  437.  —  Calmet.. Not.  II,  Col. 
499.  Il  traduit  Soleuvre  par  Salubriùm^  Cette  opinioo^  rap- 
portée p^r  Bertfaoliet,  vient  de  l'abbé  Bertels. 

(3)  J'ai  un  titre  de  1529  d'Edouard,  comte  de  Bar  (Eddo- 
ivairs  cuens  de  Bar),  qui  constate  une  existence  àéyÙL  ancienoe. 

\    (4)  Edictum  Pistense ,  cap.  29. 

(5)  flist.  de  Lorr.  de  Calmet,  V,  721.  —  Hist.  de  Tout,  du 
P.  Beooît. — Calmet.  Notice  11^  237. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  44^ 

conservé  le  nom  de  son  fondateur ,  M.  de  Poreellet 
de  Maillane,  évéque  de  Toul  et  abbé  commandataire 
de  Saint-Avold ,  mort  en  i624- 

Ces  compositions  avec  des  noms  propres  sont 
comniunes. 

Thionville ,  Theodonis  Villa. 

Sans  adoptep  l'opinion  que  Thionville  doit  son  ori- 
gine  à  un  seigneur  franc,  nommé  Théodpn  (t)j  qui  la 
fit  bâtir  sous  la  première  race  >  on  doit  convenir 
que  Théodon  est  un  nom  d'homme.  C'est  le  même 
que  Théodoric,  Thierry,  nom  que  Ton  retrouve 
dans  Terville ,  anciennemept  Thierville ,  village  qui 
touche  Thionville. 

Volmerange. 

Un  Volmar  (2)  était  comte  de  Metz  au  1 1"  siècle. 

(1)  Hist  de  Lux.  de  Bertholiet,  II,  a4i.  Note.  «  Selon  le 
«  sentiment  de  quelques  auteurs.  Cette  ville  que  les  Latins 
«  appellent  Theorda,  F'i/la  on,  Theodonis  VUla,  a  tiré  son 
«  nom  du  grec^  et  signifie  Ville  des  dieux,  parce  qu'on  dit 
«  qu'il  y  a  eu  autrefois  un  temple  dédié  à  tous  les  dieux,  à 
«  l'exemple  du  fameux  panthéon  à  Rome. 

«  Mais  ceci  sent  trop  la  fable  pour  y  ajouter  foi;  il  est  plus 
«  Yraisemblable  qu'elle  a  tiré  son  origine  d'un  nommé  Tbéodoo 
«  qui  l'a  fait  bâtir.  »  (  Délices  des  Pays-Bas^  lil,  177,  édition 
de  1720,  4  vol.  în-8®.)  C' 

Dans  une  charte  de  l'empereur  Charles  IV,  du  i5  jan- 
vier i357y  on  lit  Villa  Theonis^  aUas  oppidum  quod  DtUefi-- 
hofen  vulgariter  appeUdtur,  Be^h.  VII  ;  Preuves,  XXIV. 

(2]  Ueurisse,  Hist.  des  évêques  de  BletZ;  367. 


444  MÉIIOIRES  DE  lA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Un  autre  a  été  arcbevêquff  de  Trêves. 

Je.  n'entends  pas  inférer  de  là  que  l'un  ou  l'autre 
ait  été  le  fondateur  de  Volmerange  /  mais  seulement 
que  ce  nom  n'était  pas  inconnu  dans  la  province. 
Cette  observation  s'applique  à  tous  les  articles  soi*- 
vans  : 

ÂboùGourt. 

Ahho  y  nom  en  usage  dans  les  dixième  et  onzième 
siècles  ^  et  même  avant.  Un  Abbon  a  été  évêque  de 
Verdun. 

ï)odenhoven. 
Dodo ,  Saint-Dodon ,  (i)  originaire  des  Ardennes. 
Veymerange. 

Wimarus ,  (2)  nom  luxembourgeois. 

Terville. 

Théodôric,  Thierry,  Terrîc. 

On  trouve  ce  nom  écrit  Thiwville.  (5) 
Odenboven. 

(  1  )  Berthoilet ,  VIII ,  1 70. 

(2)  Précis  hist.  du  ChrbtîaD.^  35^  note.*— Calm.  Notice  II; 

1024. 

(5)  Therricus^  synonyme  de  Theodorîcus.  Hist.  de  Verdan^ 
liv.  3,  XVI.  —  Il  y  a  un  lieu  ncmimé  Tbierville  >  près  de 
Verdun^  dont  le  nom  latio  doit  être  Theodorici  ViUa ,  suiraot 
l'historien  de  Verdun;  in-4%.1745,  Uv.  2,  CXXVI. 


m$  ANTIQUAIftBS  P£  FRANCE.  44^ 

Odon,  nom  déjà  connu  au  9®  siècle,  ou  Od^  f  1), 
nom  de  femme*  C^était  celui .  d'uHe  soeur  d'Adal-. 
béron  III,  évêque  de  Metz ,  et  de  la  mère  de  Saint- 
Arnould. 

Bertrange. 
Beplram ,  évêque  de  Metz. 
Imeldange. 

ImmoD,  nom  d*un  seigneur  lorrain  au  10*  siède^ 

Angeviilers  vientd'Engelram  (2); 

Varsberg,  autrefois  Warnesbçrg,  de  Warnercr 
rius  ,  Vàrnier ,  Garnier ,  etc. 

Il  f^sX  probable,  que  les  noms  d'hommes  ont  eu^dans 
la  formation  des  noms  de  lieux,  une  influence  plus 
étendue  que  celle  que  Ton  aperçoit  aujourd'hui; 
mais  ces  noms  d'hommes ,  n'étant  plus  en  usage,  se 
sont  entièrement  perdus ,  ou  bien  ils  se  sont  telle- 
ment altérés  qu'on  ne  peut  souvent  les  découvrir. 

L'emploi  des  diminutifs  ,  le  cha.ngen^eiit  de 
voyelles  a  en  o>  e  en/,  o  en  w,  celui  des  conson- 
nes fortes  en  faibles  et  réciproquement,  le  v  aUe- 
niand  pris  pour/,  etc.. rendent  très*so^vent  mécon- 
naissable ce  qui  a  pu  aervir  de  racine  à  un  nom  de 
lieu. 

(1)  Calmet.  Hist.  de  Lorr.  II.  Col.  i43. — Calmet.  Notice, 
II,  182. 

i,^)  Bibl.  Lorr.  de  Calm.  46. 


446  niMOIRES  DB  LA  SOCIÉTÉ  ROTAIE 

L'altération  des  noms  propres  se  fait  remarquer 
dans  les  nomenclatures  hagiologiques  ;  qui  pourrait 
deviner  que  Saint-Gerj  (i),  évoque  de  GahorS; 
vient  de  Desiderius ,  nom  latin  qui  s'applique  aussi 
à  Saint-Didier^  éyéque  de  Vienne  en  Dauphiné^  et  à 
Saint-Dizier,  évêque  de  Langres?  On  appelle  ce  der- 
nier Saint-Desir,  à  Liège  ;  Saint-Dréserj ,  à  Mont- 
pellier ;  Saint-Déserj ,  à  Uzès,  etc.  De  Sainte^Eulalie^ 
on  a  fait  Sainte  -  Ouille ,  Sainte  -  Olâre  y  Sainte-Au- 
laire ,  etc. 

n  est  une  foule  de  noms  d'hommes  qui  ont  cessé 
d'être  employés.  On  peut  en  juger,  en  parcourant 
des  chartes  souscrites  par  un  grand  nombre  de  té- 
moins. J'ai  en  ce  moment  sous  les  yeux  une  charte 
du  g**  siècle,  dans  laquelle,  sur  quarante-cinq  noms 
d'hommes ,  on  n'en  trouve  que  sept  qui  soient  restés 
usuels;  tous  les  autres,  comme  Motarius,  Wigeri- 
cus ,  Tietmarus ,  Gagenhardus ,  Tetgaudus ,  Megin- 
gaudus ,  etc. ,  sont  dans  l'oubli. 

En  repassant  les  détails  que  contient  ce  Mémoire , 
on  aperçoit  l'influence  teutone ,  dominant  dans  les 
noms  de  lieux  ;  elle  domine  encore  aujourd'hui  ; 
les  quatre  cinquièmes  de  l'arrondissement  ne  par- 
lent qu'allemand  ;  mais  il  est  utile  de  faire  observer 
que  ces  mots  teutons  ont  appartenu  également  au 
celtique  ;  acker ,  champ ,  est  tiré  du  celte  acre ,  et 

(i)  Cl.  Ghastelain,  Recueil  de  noms  de  sainfs  qui  paraissent 
éloignés  de  lear  origine. — A  la  tête  du  Dict.  étjm.  de  Ménage, 
éd.  de  1750.— BuUet.  I^  3q.  Il  cite  plusieurs  exemples. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  44? 

dérive  du  latin  ager^  s'il  n'en  est  lui-même  Torigine. 
Daly  thaï,  vallée^  ressemblent  à  dol^  qui  signifie,  en 
celte  9  lieu  bas  ,  mais  fertile  ;  garten ,  jardin  ,  à 
Gard.  Ces  exemples  sont  cités  par  le  père  Pezron 
(  AnAq^  de  la  nation  et  de  la  langue  des  Celtes , 
autrement  appelés  Gaulois ,  xi  j  1705  )• 

Thionville  et  ses  environs  ont  partagé  le  sort  du 
dacké  de  Ln^ièembourg ,  et  ont  été  pendant  très- 
lon^-temps  sous  le  pouvoir  des  Espagnols  ;  il  ne  reste 
aucune  trace  de  leur  domination. 

On  doit  remarquer  dans  cet  arrondissement  la 
ressemblance  de  beaucoup  de  noms  entre  eux  ;  il 
y  a  homonymie  presque  complète  entre  : 

Edange^  Elange»  Illange,  Hellange.  — Erange^  Evrange; 
—  Béyange^  Beuvange^  Badaoge;  —  Bettange,  Blettange; 
— *  Guertiog,  Guerstling,  Guëling,  Guiching;  — '  Bousse, 
Boust;  —  Filstroff^  Freistroff;  — Guélange»  Guénange,  Gué- 
yange ,  TÎlIage  détruit  ^  près  de  Metzeresche; — Yeutraoge^ 
Entrange;  -^  Hestroff,  Halstroff^  Flastrofif  ; — Reimeling, 
Remering; — Ediing,  Aîdling,  Heining,  Heckling,  Hoblîng  ; 
— Suzange  ^  Huzaoge;  —  Uckaoge^  Stuckange  ;  —  Naudorff, 
Neudorff,  etc. 

Ces  ressemblances  de  noms  ont  causé  dans  les 
meilleures  cartes  une  foule  d'erreurs.  En  général  on 
trouve  bien  peu  d'exactitude  à  cet  égard.  On  lit , 
dans  les  cartes  de  Gassini  :  Cathenon ,  Gasch,  Zetrich  y 
au  lieu  de  Gattenom ,  Garsch ,  Soetrich.  On  trouve 
dans  Ferrari:  Breistross^  Boisler:  Hatting,  pourBreis- 
troff,  Boler ,  Haling  ;  ces  fautes  ont  été  répétées  dans 


443  MÉMOIRES  DE  LA  SOCtÉli  ROTÀIE 

les  cartes  faites  postérieurement.  Elles  se  répéteront 
encore.  Il  en  est  souvent  de  même  dans  l'histoire  et 
dans  les  mémoires  historiques.  J''ai  sons  les  yeux  les 
mémo^*es  de  ViUars(  Amst.   1735.  3  v.  12)  ,   les 
noms  des  lieux  voisins  de  Thionville  qui  ont^été  le 
théâtre  de  la  campagne  de  1706  j  sont  défigurés. 
On  y  lit  Sirek  pour  Sierck ,  Anspach  pour  Âpach  ; 
Marchevainier  pour  Merschweiler;Fr/e5/or^pour 
FreistroflF;  etc.  Ce  défaut  de  correction  est  ^  peu 
près  général  ;  on  le  trouve  même  dans  les  ouvrages 
dont  tout  le  mérite  git  dans  Texaclitude.  Il  n'est  pas 
jusqu'aux  sceaux  des  communes  [qui  contiennent       i 
quelquefois  des  fautes.  Par  un  long  usage^  le  souvenir 
de  la  faute  se  perd;  elle  est  adoptée  et  finît  par  servir 
dérègle. 

Cette  observation  doit  naos  faire  concevoir  corn- 
bien  les  noms  ont  subi  d'altérations^  sans  motifs^  par 
l'effet  seul  de  l'ignorance.  Comment  remonter  à  la 
source  ,  comment  connaître  la  vérité  ?  L'ignorance 
n'a  pas  de  marché  réglée  ;  elle  avance ,  elle  recule  , 
elle  s'écarte  de  la  voie  ;  elle  couvre  d'un  voile  ce 
qu'elle  atteint.  Pour  soulever  ce  voile ,  on  n'a  sou- 
vent qu'une  critique  incertaine  et  le  vaste  champ  des 
conjectures. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE. 


449 


LISTE  ALPHABETIQUE, 

* 

Divisée  par  Ganfonsy  des  Villages ,  Hameaux,  etc.,  de  rarrondissement  de 

ThioiiTille ,  avec  des  Notes  étymologiques. 


CANTON  DE  BOUZONVILLE. 


ItttORB 

des 
uiries. 


MAIRIES, 

aTec  les  villages , 

haiDeaaz,écarts,etc., 

qui  en  dépendent. 


1  Anzeling • 

>     a  Edling 

5  Berweiller 

Floselingerm&hl 

5  Bibîche 

6  Petite-Bibiche . 

7  Neudorf. 

8  Rodlach 


f     ' 

\   4 


NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 


9  Bisten  im  Loch.  Mairie ...  I  '"* 


$  8'"  Bant,  Jean. 

S  i^,  à  la  fin^  ed?/,  noble. 

5  3". 

$  a8,yZu5f,-coiirs  d'eau. 

§  ao  et  3o ,  bejr,  busch^  auprès  des  bois. 
Littéralement  :  village  neuf. 


Beystein ,  près  des  rochers. — Loch ,  trou; 
im  loch  y  dans  un  trou.  Sumôm  tiré  de  la 


10  Bouzonville..  •  • 

1 1  Aidling 

la  Heckling 

i3  Benting 

i4  Ghateaurouge. . 
'i5  Cbémery- Vieux. 
i6  Ghemery-Neuf. . 

i7,IngUng 

i8  Hoblkig 

19  Yintring 


IV. 


position  de  ce  village  :  ce  surnom  le  dis- 
tingue de  Bisten-sous-Bems. 

$  a  et  34. 

$  1 3,  à  la  fin ,  edel,  noble  ;  habitation  noble. 

5  8"\ 

5  8'". 

En  allemand ,  Rothenhof. 

5  3o. 

8'",  identique  avec  Inglange. 

8"*. 

8"'. 


29 


I      / 


45o 


MÉMOIUES  DE  Lit  SOCIETE  ROYALE 


d«5 
mairies. 


8 


MAIRIES , 

«rec  les  villages , 

haxneaux,écarts,etc., 

qui  en  dépendent. 


O 

e: 

«n 

•g 


T 


WOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 


20  Colmen 


21  Crcntxwald  -  U- 
Groiz 


22  Varendt. ..... 

25  Creuttwald  -  la- 
HonTe..^«i^  • .  •  • 

24  Klockenkoff. . . . 

25  Creutzwald-Wil- 

belmsbrunn..  • 


Mairie . . . 

Mairie .  •  • 
Ferme . .  « 


•  •  • 


Village 
Ferme. .  • 


Forêt  de  la  Croix. 


5  9"- 

§  9.  Klocke  ou  Glocke ,  cloche. 


Village. . .      FonUine  de  Guillaume, 


26  Dalem 


Mairie  • .  • 


10 


§  5»'*  et  l5.  Dalheim  ,  an  bord  d'onc  d 
vière  :  date,  rÎTière;  ham ,  en  compoatrtl 
Acjîi,  habitation.  Bullet,  1 ,  335.-11  y  a 
▼illage  de  Dahlem  dans  le  Luxembourg; 
tire  son  étymologie,  à  ce  qu'on  prétend,  d 
le  père  BerthoUet ,  des  Dalmates  qwy 
long-temps  campé,  l ,  i^-  I^'^'JL 
a  une  viUe  de  Dahlen  sur  les  bord«  do  KM 


I 


27  Soleil  (la  ferme 

du) 

28  Falck'  (  la  forge 

de) 


11 


(  »9 
I  3o 


Daktein 

Menskirch 


5i  Ebers^iller. . . . 


12 


•  •  • . 


32  Férange.. 

55  Ising 

54  Labrûcb.  . 

.      jr  55  Falck 

I  56  Weyermùhl.... 

'    3;  Filstroff. 

A    I   38  Beckerholtï. . . . 
59  Saint-08«rald  . . 


Ferme.  . . 

Forge. . . . 
Mairie . . . 
ViUage. .. 
Mairie . . . 

ViUage. .. 
Hameau.. 
Hameau.. 
Mairie  . . . 
Moulin... 
Mairie . . . 
Village.  .. 
Ferme. .. 


§  i5  et  16. 
5  12  et  27. 

§  3.  En  aU.  Eber,  aangUei.  EberwiÛ* 
j4pri  villare, 

§8. 

§  S"'. -Eisjglace. 

En  ail.  Bruch ,  marécage. 

§  28.  fTeyerj  étang. 
5  pet  10.  Fefo,  rocher. 

$  18.^ 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE. 


45 1 


N« 


O  ORBKB 

des 

mairies. 


MAIRIES, 

avec  le«  ▼îUages, 

hameaaz,écartf,etc., 

qui  en  dépendent. 


4o  Freistroff. 


i5 


16 


4i 
42 
43 
44 
45 

46 
47 
4« 


Diding. . 
Gniching. 


Brouische 

Guéling 


HoUing  (moulin 
de). 


Guer^tliog 

Niedwelling.  .. 

Ham  •  tous-Vars- 
berg. 


^7    <   49  Vi|i»bet|^. 


18 


^9 


20 


31 


22 


5o  Guerting 

à   aiHargarten-aox-Mines. 

I  52  Sonneii^mûhl... 

I  53  Heatffoff 

/   54  Varchmûhl 

V  55  Gueism&hl 

(56  Heining 
57  Leyding 
58  SchrecUing. . .  • 
{59  Merten 
60  Bibling 


61  Oberdorff 

62  Odenhoven .  . . . 


o 


en 


NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 


Mairie.  . 

Village.. 
Hameau. 
Ferme . . 
Ferme . . 

Moulin.. 

Mairie.  . 
Hameau. 

Mairie.  . 

Chât.etferm 

Village. . 

Mairie . . 
Moulin . . 
Mairie.  . 
Moulin.. 
Moulin.. 

Hameau. 
Village. . 
Hameau. 
Mairie.  . 
Village.. 
Mairie.  . 


Hameau. 


i 


5  9  et  »o.  Freistroff  {  F^^  dôrf) ,  en  ail. 
Franc  aleu  ou  Ville  franche.  —  Calmet. 
notice  de  la  Lorr.  1 ,  489. 

§  8*". 
S  8'». 

§    30. 

J  8*".  Identique  avec  Guelange. 


l 


{ 


,«  8"'. 

5  3.  Nied,  nom  ail.,  de  la  rivière  de  lîied. 

§  5. 

$  14  et  34.  Autrefois  Warnesbere.Vame 
ru  Mon 8.  "^ 

5  22. 

$  28.  Sonne,  soleil. 
$  9  e*  ïo. 

5  28. 

5  28.  Geisse^  chèvre. 

$  8"*. 

5  8»'  1 

§  S'"  \  Villages  en  litige  arec  la  Prusse. 

$  8'". 

S  10.  '  ^ 

Oudenhove  (Belg.  ),  prés  d'une  forêt. 
Houd,houden,  forêt;  kovt(,  habitation. 
Bullet,  1,3 19. 

29* 


452 


a3 


24 


25 

26 


HÈMOiRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 


MAIRIES, 

avec  lei  TÎllages , 

hameaux  ^écarts  ,etc .  9 

qui  en  dépendent. 


£3  Porcelette. 


64  La  Bruyère. . . . 

65  Grfïnhoff 

66  Diesen  (haut). . 

67  Diesen  (bas). . . 


NOTES  ÉTYMOLOGIQUES 


Mairie. . . 


Ferme .  •  • 
Ferme... 
Moulin. . . 
Hameau.. 


§  34*  Nom  du  fondateur,  M.  de  Forcellet 
de  MaiUane,  évèque  de  Toul. 

Nom  tiré  de  la  nature  du  sol. 


5  9' 


.  neimermg  j  ^^^^^^y^  I  »*«%•     | 
.Reimeling_l^"H  e    iR^^,É„g.  l 


$8"'.Reimering 


68  Rémering. 


Mairie.  «  •  • 


69  Gaweistroff . . . . 

70  Remeldorff. . .  . 

71  Saint-Bernard* . 
7a  Saint-François.. 

^     I  75  Lacroix 

y  74  Schwerdorf. . . . 

y  S  Grovendahl. . . . 

76  Heltermûhl. .. . 

^,  77  Neunkirchen . . . 

78  TrOmborn 

79  Varsberg 

80  Glasbr&ck.  . . . . 


iA 


29 
3o 


Hameau.» 

Mairie,  ham. 
Mairi,e.  . . 
Mairie  . . . 
Village... 
Mairie .  . . 
Moulin.. . 
Moulin... 
Village... 
Mairie.  . . 
Mairie...  . 
Ferme.  . . 


RemeldoFflf }  ^.JK^i  i  Remclfang.  1 

Rémelangel  ^^^^^  lRomMmg.fcaiiei 
paraissent  aroir  une  origine  commane.     I 

Dom  Galmet  pense  que  la  racine  deceA 
noms  vient  du  latin  BrnnUiiu  ,  lieu  situé  su 
le  penchant  d'une  montagne.  (  Notice  II 
270.)  L'interprétation  que  donne  Dom  Cal 
met  du  mot  Remillus  (1)  est  forcée. 

Bullet  (1,335),  décompose  ainsi  Remeilsg 
à  une  source  de  rivière.  Ranij  en  compo» 
tion  lUm  «  tête ,  source  ;  Lfyn,  nvière. 

5  9  et  ai. 

5  10. 


\ 


en  allemand  Kreuiz^j 

/ 

§10. 

Ji5. 

5  28. 

5^7. 

hom,  eau,  source  y  puits. 

$14. 
Bruck,  pont. 


Ces  trois  villj(gei  MU 
modesnes. 


01 


(i)  Remillus ,  quasi  répandus,  courbé,  cam 6ré.— Instar  remi  qui  iafleins  in  «T" 
videtur.  (  Rob.  Stephani  Thés   Lîng.  Lat.,  1743,  IV,  76.) 


M5  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE. 


453 


N» 

O'OODltB 

des 

nairies. 


3i 


5a 


MAIRIES, 

»vec.,le8  YîUages , 

hameaaz,écart8,ef c. , 

qâi  en  dépendent. 


81  Vaudfecbing.  # . 


8a  Alzing.. 

83  Elicb... 

84  YelfliDg. 


NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 


Bullet  fl,  273  )  fait  venir  Yandrevange  de 
Bodre,  Vodre,  bord  d'une  rivière.  En  adop- 
tant cette  origine  pour  Yandrevange ,  on 
doit  aussi  l'appliquer  à  Yaiidreching ,  situé 
sur  la  rive  droite  de  la  Nied. 

Mais  le  nom  allemand  de  Yaudrevanse 
est  Yaldefingen.  Ne  semble-t-il  pas  que  la 
base  de  ce  nom  est  fVatd,  forêt? 

$  8'", 


Hameau.. 
Hameau. . 
Mairie.  . .  I   J  8"'.  Wotf,  loup. 


CANTON  DE  CATTENOM.  ' 


85  Angevillers. . . . 


I. 


86  Algrange 

87  Batzendahl.... , 

88  Berg 

89  Beyren , 

90  Ganderen 

91  Bonnenmubl.. 


Mairie.  .. 


I 


Villatr    r    [      Algerenge,  1206  (H.  de  Metz,  III,  Preu 


Ferme..  . 
Mairie .  . . 
Mairie.  . . 
Yillage... 
Moulin..  • 


92  Boust, 


95  Ussekkirch... . 

94  Partbe(haote).. 

95  Partbe  (basse). . 

96  Breutroff  la-Grande. 


ves,  168). 

$  i5.  Batzen,  nom  de  monnaie. 

§  i4«  Montagne. 


irie . .  .  | 


Mairie 


I 


5  a8.  I 

$  20.  On  a  écrit  autrefois  Bous  et  Bus, 
Berth.  YI,  48. 


97  Boler. . . 

98  Evange< 


Usel,  élévation.  Bullet,  1 ,  485 ,  au  mot 

^1.  I    Usseile.  Cette  église  est  située  sur  un  coteau 

^       •  •  •  •  <    isolé. — Il  y  a,  dans  le  Luxembourg ,  un  lieu 

l,  nommé  Useldange.  Berth.  lY,  222  à  227 

Hameau. . 

Hameau.. 

»  .  .  I       Breisiroff^  bral,  terre  fangeuse ,  marais. 

Maine. . .  j   B^iiet,  i,  55, 59,  etc.,  II ,  200. 

{Dans  la  basse  latinité ,  on  a  employé  Bo- 
tetum  ,  pour  signifier  un  lieu  inculte  ,  une 
bruyère.  (Ducange,  I,  1218.) 

Hameau..  |    Fêye:^  Evrange» 


MÉMOIRES  DE  LA  SOGlili  ROYALE 


lO 


l3 


l4 


MAIRIES, 

a?ec  les  TillageS) 
bameaux,écart8^etc. , 

qui  en  dépendent. 


99  Gattenom 

100  Bâcherange.... 
loi  Molvange 
loa  Boncb* 


:»••«.  • 


8       io3  Errange. 


$  i3.  Lieo  fortifié.  Kattennem^  i4*  siècle. 
5  8*  et  29. 


Hameau.. 


io4  Fizem.. . 
io5  Garscb... 

106  Lagrange 

107  Koeking. 

108  Huzange. 

1 1       109  Gavisse  . 


L'abbé  Lebeenf,  en  cbercbant  Tétymol  . 
du  nom  de  lieu  Mve  ou  Eve,  dit  qu'il  peu 
venir  de  la  sécheresse  du  territoire  ;  il  coa 


claircissem.  à  Thist.  de  France,  1758,  2  m 
in- 12, 1.  99.) 
•^ETrange^  Evange  >ETendorff. 


12      iio  Hagen  ou  Honne.  Hameau. .      $.  19* 


111    Hettange- la- 
Grande  

lia  SuxanffeouleCa- 
baret  du  dragon. 

ii3  Soetrîcb....... 

114  Immerbof 

ii5  Kanfen.. ...... 

116  Keibourg « 

117  Kontz  (basse).  . 

118  Eontz  (haute.  •  . 


Mairie  . . 
Mairie.  .  • 
Moulin.. . 
Village... 

Kglûe  iodée. 

Mairie.  .  « 


$31.  Lieu  nommé  Pf^eis  on  Wh  ao  i3*  li^ 
clc.  BertboUet ,  VI ,  260. 


Mairie.  . . 

Mais.  isol. 
Village.. . 
Ferme.  . . 
Mairie.  . . 
Église... . 

Mairie .  . . 
Mairie.  .. 


$9- 


< 


La  s7llab4il7oiM,  Konte,  cst^xpliqnée* 
dinairement  par  jonction^  confluent. 

Ces  villages  sont  en  effet  voisins  delajo 
tion  d'un  petit  ruisseau  avec  la  Moselle. 
ruisseau  fait  mouvoir  deux  moulins  dép 
dams  de  Haute-Kontz. 


D^S  ANTIQUAinES  DE  FRANCE. 


455 


O'ORBIIB 

des 

mairies. 


17 


18 


19 


420 


2t 


22 


MAIRIES, 

arec  kis  Tillages  ^ 

hameaux,écart8,etc., 

qui  en  dépendent. 


119  Mondorff. 

120  Altwisse.. 


O 
en 


e!! 


NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 


lai  OcnUauge 


Mairie,ba-> 
meau.  . . 

Hamean. . 

t  ..   ! 

Mairie,.  ..^ 


12a  Entrange 

133  Ottan^i^e 

ia4  Tétange  (hant). 
135  Npndleil 

126  Rochonvillefrs.. 

Î127  Puttelaoge  -  lès- 
Rodenack.  *. . 

laS  àasensprnng.  . 
129  La  Kiqùeray... 


Village..  . 
Mairie.  .. 
Usine .... 
Village... 
Village. . . 

Maifie.  . . 
Ferme. . . 

Ferme.  . ./ 


i3o  Botirg. . . 
i3i  Haling.. 
i32  Himiing, 


i33  Rentgen(bas8e) 
i54  Rentgen (haute). 

i35  Dodenhoven..  . 
i36  Preische 


Ferme.  . . 
Hameau.. 
Hameau. . 

Mairie . .  . 
Village. . . 

Village.  . . 
Hameau  . 


137  Rodemack, 


Mairie,  châ-j 


$    10. 

§21.  Littéral,  vieux  pré.  • 

§  W.  Cité  ,  dans  une  charte  de  1 167  ainsi  : 
Eeciesia  de  Oihingbs.  (Hist.  de  Metz  ,  III  , 
Preuves ,  1 21.)  En  1 186,  Eeciesia  de  Otthe» 
gbS  {Ibid,,  1^2), 

§8\ 

§  8*.  Ot,  otln ,  bord.  Bull.;  1,  3 19  ;  III,  325. 

$7. 

5  3.  Rock,  roc. 

Put ,  fosse  ,  profondeur.  BuUet,  III,  224. 

Littéralement ,  trace  de  lièvre. 

En  patois  du  pays,  Bellevue.  Ce  nom  est 
tiré  de  là  position  de  cette  ferme  sur  un  lieu 
*éUvé. 

§  4. 

§  8"'. 

La  syllabe  gueun  ou  gcn,  en  celtique,  veut 
dire  marais  (Bullet,  I,  126). 

Rentgen  ,  Sotifftgen,  Retgen ,  noms  alle- 
mands de  Ronny,  tirent  leor  terminaison 
des  parties  humides  que  contiennent  leurs 
territoires.  Foyez  Tarticle  Guentraoge. 

5  9  et  34. 

5  ^9-       ■ 

Nous  avons  donné  des  détails  snr  la  ter- 
miuaiào  n  Machereny  §11.  Que  dire  de  la  syl- 
labe initiale  Rod?  Soit  que  le  reste  du  nomi 
veuille  dire  limites,  ou ,  §  ii  ,  murailles  , 
Rod j  Rode,  s'applique,  en  allemand,  à  la 
cnlture  ;  Rodeiand ,  terre  desséchée  ;  Rod  » 
Rode  viendraient-ils  de  i{0f A,  rouge, limites 
rouges ,  murailles  rouges  f  11  est  une  autre 
étymologie  celtique.  jRorf  veut  dire  chemin^ 
route.  RodemacJL  est  situé  k  une  petite  dis- 
tance du  chemin  romain  de  Metz  à  Trêves  i 
ainsi  son  nom  a  pu  être  expliqué  par  limites 
de  la  route.  Bullet,  IIl,  dio. 


56 


1IKM0IKE8  DE  LA  SOGIÉli  ROYALE 


d'obdrb 

des    . 

enalriesl 


MAIRIES , 

arec  lei  TÎllagei , 

liameaiix,écaitB,etc« , 

qui  en  dépendent. 


i38  Eyaîng. . . 

aa^M.^iSg  Simming. 

i4o  Fanlbach. 


!23 


a4 


^S 


;  4i  RoiiMy-le-Village. 
i4a  RoQisy-le-Boarg. 


145  Sentzich. 


i44  Souflftgen, 


25    /i45  Vogelsang. 


i46  Bockenhoffy  on  la 
cente  de  Bock. 

147  Volmerange-lès- 
Oeutrange.   . 


NOTES  ÉTYMOLOaiQUSS. 


Hameau.  • 
Hameau. . 
Hameauf 

Maine  •  •  • 
Village... 


Mairie..  . 


Mairie.  .. 


Ferme . . . 


Ferme.*  .{ 


Mairie.*  . 


5  8"'. 

$  95.  littéralement  y  miasean  Jent. 

An  1 3*  fiécle  on  disait  Rochy.  (Berth.,  TI 
PreuTef)  IV).  Roeh^  pierre,  rocher ,  terrait 
pierreux.  Ce  nom  conTÎent  an  territoire  de 
nousay,  qui  est  abondant  en  moelons,  à  dm 
faible  profondeur.  (Bnllet,  III,  33o;  I, 
181,  etc.) 

§  3o.  Bnllet  ezpliqae  ^iiaey  par  :  an 
d'une  rivière  ;  San^  près ,  ce,  rÎTière.  I,  260. 
Gela  conTÎent  à  Sentzich,  qui  est  près  de  h 
Moselle.  Les  mots  Saney  (roman)  et  Senizuk 
(teuton)  sont  identiques. 

On  trouve  la  syllabe  »ofl ,  sou/,  zoul,  po« 
paille  >  chanvre.  (Bullet,  III,  363, 369,  etc.) 
Cela  convient  à  Soufftgen,  dont  les  maisou 
sont  presque  toutes  couvertes  en  paille. 

Gueun  ou  Gen ,  marécage* 


§  9.  Boek^  nom  d'une  famille  qniaéti 
propriétaire. 

$  8  et  54*  yolmar^  nom  propre. 


CANTON  DÉ  METZERVISSE. 


\ 


i48  Aboncourt 


Mairie,  i 


§  1  et  34-  Aboncourt ,  village  sur  un  mis* 
seau.  Aben^  rivière ,  ruisseau  ;  eouri,  habita- 
tion. (Bullet,  I,  145,  a43.) 

Ce  village  est  sur  la  Canner. 

Ferme.  . .         S  8.  iVeit,  Edel,  nouvelle  habitation  noble. 

i      Bertrange  (Luzeniib.  j,  à  nue  conrbure  de 
Mairie..  .{   rivière.  Ber^  courbure;  fer,  rivière ;a»^i 
près.  Bullet,  I,  a85.— $  8  et  34. 


Village.,.!  S  8  et  54. 


^                   DM  ANTIQDAnES  DE  FKAMCE.                                4^7 

!i' 

MAIRIES, 

g 

,.™, 

avec  les  villages, 
bameaui,  écarts,  etc., 

i 

NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 

p..lri«i. 

qui  CD  dépeodenl. 

-s 

3 

iSi  Bettlainille.  . . 
153  Alttt*. 

Haiiie . . . 
Vill.g.... 

S  3.  Il  y  a  no  village  Dammé  Belbelaio- 
tUle,  dans    l'ancien   éTfichè  de   Verdun. 
Dam  un  titre  de  io4i    (Hirt.  de  Verdun, 
Freuveg,   8),  son  nom  latin  egt  BeUlani 

AU  dorf.  Tteui  Tillag«. 

'54M">=T 

Villuge... 

Foir,  S6;Man.io. 

iSSBoaiM 

Haine. .  . 

S>o. 

4 

i56BlGRi>>g« 

S8. 

,S7Undre™ge... 

Hameau.. 

S  8. 

5 

.58BQdlng. 

Htiiù... 

8  8"'.  Ce  nom  e«t  idenliqne  avec  celui 
defl«iaBg«.- 

ifigEUiug.'. 

HanieaD.. 

S  8"'.  Identique  avec  le  nom  de  Eltango. 

iGoBndliDg 

Mairie... 

S  8-. 

KBl-rtpTBb, 

S. 4  et  .9. 

6 

i6ï  Basbich 

Ferme... 

S  ïo  et  ï5. 

i63  Hellîng 

Hameaa.. 

S  8™. 

iG4  Veckriag 

ViUi«e... 

S  8-.' 

.65  Dùtroff. 

Hkirie. .  . 

%9.  Nommé,  au  i4*  Mdt,  DUKeitroff. 
(Berth..Vll,  118.) 

7 

i66  KQntiich 

Village... 

Clemancï  (pay.  de  Luiemb.)  s'appeUe  en 
aUemand  «««(lîgA.  (Betth.,  VI,  idi.) 

i6?  Stack»iige 

ViUage... 

8  8. 

8 

i68EU.i.ge 

Uaitie... 

S  8.  Identique  avec  le  nom  d'EUing. 

ifig  Valmeatioff.,  .. 

Village... 

S9- 

.;oG„fau,»ge[h.ute) 

Mairie.... 

S  8.    CM«n,  matai.,   plaine  humide. 
{BtdIel.I,  136.J 

9     ■ 

:7iGuéi..ngB(b.MeJ 

Hameau. . 

5  8.  Cité  dana  une  charte  de  1 186  :  Ee- 
etaia  é»  Gniuxei).  (  Hist.  de  Me»,  111 , 
Pteaves ,  iji-) 

'"■ 

.75Hain(b«.e)... 

Miiiie.  .. 

S  S-1  Nom  appeUatir  d'babitolion ,  devenue 

174  Hamth.ule)... 

Village,.. 

55.)  propre  à  ce  lieu. 

MÉMOIRES  DE  LA  SOCJÈti  ROYALE 


N* 


ORDRB 

des 
laiiies. 


2 

3 


8 


10 


MAIRIES, 

'  avec  lef  ▼lllaget» 
Iiameaaz,écarts,etc., 
qui  en  dépendent. 


my  Hlknting. •..,.. 

àl8  Kincfa»-ld9^erck.  . 

^219  Apach 

aao  Einclinaamen . 
i2ai  Obemanmen. . . 


o 


{'aa9 
a3o 
a3i 


aaa  Neum&hl..^.. . 
aaS  Bouzenacker.  •  • 

|aa4  Tockfeld        on 
Tockenhoif. . 

aa5  £?endoffff. 

aa6'  Lannstroff 

aa7  Flatten 

aa8  Ritiîng 

aag  Laumeifeld.  • . . 

Kalembourg . . . 

Hargarten 

a3a  BfenchweiUer. . 

Kitzing 

Belmacker. . . .-. 

Naadorff 

a36  Montenach . . . . 

a37  Kaltweiller.  ... 
a38  Sulzem 


NOTES  ÉTY1M0LO6IQUES. 


a39  Reimeling. 


Mttrie ... 
Village... 
Mairie  • . . 
Hameau.  • 

lAoalin   dé- 
trait  en  1818. 

Ferme . . . 

Ferme . . . 

Village... 
Mairie  . . . 
Hameau.  • 
Village... 
Mairie  . . . 
Hameau.. 
Hameau^ . 
Mairie . .  • 
Hameau. . 
Hameau.. 
Ferme . . . 

Village... 

Hameau. . 
Moulin. . . 

Mairie  ... 


240  Rettel. 


Mairie .  • . 


Hundy  chien. 

$  95.  Dans  lea  enTirons,  on  dît  Opatk, 
S  «7- 

Littéralement  :  moolin  neuf.  §  a8. 

Nom  de  la  famille  Tock  qui  a  constui 
cette  ferme  »  et  à  qui  elle  appartient  eocor( 

Foyez  Etrange ,  canton  de  Gattenom. 

Foir  5  3i. 

C'eêlle Rieeiaeum  de  la  table  ThéodosieoiK 

Foir  §  a3et3i. 

Foir  5  4. 

Foir  5  aa. 

Foir  5  i3. 

5  8"*. 

Foir  §  24. 

Foir  5  10. 

Il  est  très-probable ,  comme  la  tradit^ 
le  porte ,  que  ce  village  ^  situé  entre  bidl 
côtes  assez  élevées ,  tire  son  nom  du  \i^ 
Montes  Oeto,  (Note  de  M.  Bettioger.) 

Habitation  froide. 
5  5'». 
Identique  avec  Reimelange ,  RelmddoA 

Rcj  redy  rivière;  «a/,  te/,  penchant  (J 
colline.  Bullet,  I,  61.  —  Cet  article, deM 
ville  deBethel  (Ardennes),  confient  tont 
à-fait  à  la  position  du  village  de  Betteli 
qui  est  "placé  près  de  la  MoseOe,  sur  le  pe» 
chant  d  un  coteau.  —  J'adopte  plotôtcclli 
étymologie  que  celle  donnée  par  Ballet  (I 
268)  pour  un  Rettel  qui  paraît  être  le  nôtre 
«  Bettel ,  à  l'embouchure  d'une  petite  n 
«  vière  dans  la  Moselle.  Ro^  deux  ;  te/f  ^ 
«  composition  tele,  rivière.  • 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE. 


4< 


Ps 


lll'ordre 
'■  ee« 
Iniries. 


MAIRIES, 

arec  les  villages , 

haineaax,écart8,etc., 

qui  en  dépendent. 


.  341  Konigsberg. . . . 

10  bis) 

(42  Bestroff^ 


NOTES  ÉTYMOLOjGIQUÊS. 


34?  Sierck 


11 


a44  Rnstroff. 

|a45  Rttdllng 

[246  Marlenflos 

[347  YaleLhausen... 
-348  L'Âlteschtttz... 


.249  Schleifmttfail..... 
12    i35o  Tanting 


Ferme . . ,      KOnîg ,  Roi ,  Berg^  Mont. 


Ruines  d'ane 
ièrme. 


YiUe.chft. 
teaufort.' 


i 


Mensberg 

35a  Valweistroff. . . . 
a53  Flastroff. 


a 


(2Si  Waldwîse..... 
a55  Betting 

356  GoDgelfang. . . . 

{357  Hentingerhoff 
bu  Henting. .  • 

.358  Lohmùhl.  ...•. 


Village...  î 

Hameau. . 

Moalin. . . 

Monlin  et 
huilerie . 

Moulin  isolé./ 

Moulin. . . 
Mairie . . . 
Ane.  chftt. 
Mairie.... 
Village... 
Mairie .  • . 

Hameau. «/ 

Hameau. . 

Fermé . . . 
Moulin... 


«  Syrck,  à  l'embouchure  d'une  rivièr< 
«  dans  la  Moselle.  Chireh ,  décharge,  irrup 
«  tion,embouchure.Bullet,  1 ,  370  ;  II ,  4a3.i 
Sierck  est  situé  à  l'embouchure  du  misseai 
de  Montenach,  dans  la  Moselle  ;  ce  ruisseai 
est  impétueux  lors  des  crues. 

Autrefois  Rûckesdor£^  —  M.  Bettinger 
curé  de  Val^reistroff,  traduit  ]^9i  RosavUia. 

S  8'".  ' 

Littér.  :  missean  de  Marie.— iUarûp  Rivtis, 


Cette  maison  serrait  è  l'exercice  du  tir. 
Son  nom  ISchÛtze  l'indique. 

Littér.  :  moulin  à  aiguiser ,  à  polir. 

§  6.  Mansio. 

Littér.  :  habitation  du  pré  de  la  forêt. 

5  10- 

Forêt ,  prairie  ;  pré  de  la  forêt. 

§  8'".  Bullet ,  1 ,  246 ,  386.  —  Identique 
avec  Bettange. 

5  8". 

59. 
S  a8. 


462 


MéllOIRES  DE  LA  BQ€ïtTk  EOTALE 


MAIRIES , 

avec  les  TîUages , 

hameaux,  écart8,etc.> 

qni  en  dépendent. 


o 

5 

tn 
"ta 

Q 


NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 


CANTON  DE  THIONVILLE. 


I 


a59  Fameok, 


s6o  Bdange 


[261  Bndange--  sous- 
Jiûtemont. . . . 


(Cité  dans  une  charte  de  11S7,  ainsi 
Eectetta  de  Foti^aeres,  (Hist.  de  Hetz.—II 


Mairie 

Hameau.. 
Village . . . 


[a6a  Morlange.'. 


263  Bàftse-Remelange  • . 

264  Kante-Remelange»  • 


Preuves,  121.) — Dans  une  autre  de  11S6 
Eeclesia  de  Faumàcres^^ÇIbid.  1 43.) 

$8». 


265  Flonnge 


266  Bettange. 


267  Magdebourg  ou 
la  Censé  Richard f 


Hameau. . 
Hameau. . 

Mairie 


$  8*.  Identique  avec  Budisg. 

$  S\CapèliadeMorlttng0s.'^CÀtéAiiiiVi 
arte  de  iiST       '"•  - 
preuves,  i4&  ) 


Village  . .  \  chîéirte  de'  1 1 88.  —  (  Histl  de  Mets.  -  U 


irie  . . .  { 


Château  et 
ferme... 


268  Ebange., 

269  Daspich, 


$  8*.  Ident.  avec  Reimeling^  Reimeldorft 

Flourm^  prairie.  Bullet,l,  297;  II,5Si,l 
mot  Florennes.  —  On  a  écrit  Florehangti 
Fioihenges,  Flerenges. 


270  Gandrange 

271  Le  Moulin  neuf. 


5  8*. 
Ferme. .  .     En  ail.  Magd^  fille. 
vmage...-j   iii^  Preuves,  191.) 

§8. 


Hameau.. 

Mairie  •  •  • 
Laminoirs 


279  Boussange {Hameau. . 


273  Amné ville. 


274  Hayange 


Hameau 


■■I 


5 


(275 

I276 


Manom 

La  Maison  rouge 


§  8  et 

Jmen^  rivière  ;  wi7,  habitation.  BaU«t» 
243 ,  au  mot  Aménoncffurt, 

(      Heyngen  (  en  Belgique  ) ,  à  une  coorb^ 
irie  .. .  |   de  rivière.  —  ^m,  en  composition  tin,i 
'  vière  ;  §en,  courbure.  BuUet,  1, 3o3. 


Mairie 

Mairie  . . . 
Petit  ham. 


§  S.  Man,  homme. 


s 


DES  ANTIQUAIBES  DE  FRANCE. 


46 


i> 


d'okdrb 

des 
mairies. 


MAIRIES, 

avec  les  ylllages , 

liameaux,écarts,etc., 

qui  en  dépendent. 


5  bis, 


1 


8 


t 


3^^  Schamboarg    ou    la 
Censé  de  Gand 


I 


278  Lagrange. 


279  Marspich 

280  Lérange ....... 

281  Konacker 

^282  Moyeurre-grande. . . 

283  Froidcul 

284  Tréhemont.  ... 
a85  Moyeavre-petite 

286  Gorbas  ...*«... 

287  La  FrapoQÎlle.. 


288  Ranguevaux. 


289  Censé  Moraux  (la).. 

290  Longecôte ..... 

291  Bellevae 

292  Richemont. . .  . 

295  Beyange«Haate. 
294  Bévangc-Basse.. 


te; 

O 

< 

tu 

cr> 

-H 

A 


NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 


Fermie  . . . 

Faubourg  de  > 
Tlùonville..  J 

Mairie . . . 
Ferme . . . 
Ferme . . . 
Mairie . . . 
Ferme . . . 
Ferme . . . 
Village.. . 
Ferme  . . . 


Moulin. 


f 


'\ 


Mairie  . . 


\295  Pépinville, 


Ferme  . . . 
Ferme  . . . 
Ferme  . . . 

Mairie  . . . 

Hameau. . 

Hameau. . 

Ferme   et 
château.. 


I 


5  4- 

Autrefois  Scheuren  et  Scura.  Bejfth.  VII J 
a56, 

S  8. 
S  53.  ' 


S  14. 

§33. 

S  I-  Cory  habitation. 

Frapouiite,  mot  messin ,  qui  signifie  chif- 
fon à  faire  du  papier. 

Dans  un  titre  de  1329,  ce  nom  est  écrit 
Ranconuaulz.  Ce  titre  parle  des  forges  qui 
y  existaient  alors.  Le  nom  du  Jieu  vient  de 
l'objet  de  Ja  fabrication.  Rançon,  arme  an- 
cienne, sorte  de  hallebarde.  Rabelais  en 
parle  plusieurs  fois.  «  Aiguisaient  piques , 
vouges ,  rançons.  (  Prologue  du  Jiv.  III.  ) 
Droits  croches ,  comme  rançons  ou  rive- 
reaux.  (Liv.  5,chap.  16.)  Rab.  1732,  T.  V, 
80. 


Nom  tiré  de  la  position. 

Nom  tiré  de  sa  position. 

S  i4*  Hfom  tiré  du  coteau  de  Bevange. 
Richemont  a  porté  le  nom  d'OrneUe  ;  au 
i*  siècle  ,  on  écrivait  liechiefmont.  (  Obs. 
secrètes  de  Ferry,  XIV,  45,8o.) 

S  8. 

S  8 

S  2  et  34.  Pipini  rUla. 


J4 


m£hOIKES  de  la  SOCIETE  ROYALE 


N» 

MAIRIES, 

• 

ta 

0 

•a 

'ORJDaB 

avec  les  villages, 

5 

NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 

des 

haineaaz,écart8,etc., 

C9 

lairtea 

qui  en  dépendent. 

(296  Fronholti 

(  397  M ondelange  . . . 

Tailerie. . 

$  18.  Frommf  hoU,  forêt  sainte. 

Village... 

S  8. 

10    . 

998  Rosselange .... 
399  Jamaille 

Mairie . . . 
Laminoirs 

• 

S  8'. 

1 3oo  Schrémange. .  . 
(3oi  Siuange 

Mairie  . . . 

S  8'. 

Hameau. . 

S  8'. 

/5oa  ThionviUe 

Ville 

S  3  et  34. 

12 


3o5  6aeDtrang9-BK86e. . 

5o4.  Ooentrange-Hante.. 
|3o5  La  Briqaerie. . 

386  Saint-François. 

3o7  La  Malgrange.. 

13o8  Sainte- Anne.  • . 
309  Saint-Pierre. .. 
3 10  Beaoregard.... 


ViUage... 


Village... 

Faabonrg  de 
la  Tille.... 


Faabonrg  de 


3i  1  Gassion . 


l 


3ia  Ghandeboarg  » . 


3i3  Mariendhal    on 
Vorenhoff... 


13 


f3i4  Uckange. 


f 


I  I 


3t5  Bouck. 


S  8.  Guéun ,  marais.  BuUet,  1 ,  56,  i36.b| 
plaine,  entre  Thionville  et  Gaentrange,«t| 
humide  et  marécageuse.  De  là  vient  le  dos] 
de  la  ville  de  Guineg  (Pas-de-Galaisj. 

S  8.        , 

Nom  tiré  d'une  usine  qui  n'existe 

Nom  venant  d'une  chapelle  près  de  l'ao- 
la""v2fe.T!i  cien  cimetière  de  la  ville  :  elle  existeencort.| 

Faubourg  de 
^ta  Tf)le... 

Petit  ham. 

Ancienne  chapelle. 

Nom  tiré  de  la  position  entre  la  Moselle| 
les  coteaux  de  Guentrange. 

/      L'ancien  nom  est  Neorbourg.  GisâoDti 
u,  I   depuis  maréchal  de  France,  y  a  eu  son  qaH 

renne...<  tier-général  en  i643,  pendint  le  siégede 

{  ThionviUe. 

l^ommé  Schudburgh  «  dans  une  épitaphe 


Maiion  isolée 

Faabonrg  def 
U  ville. ..|   et 


f      Nommé  Scbudburgn  »  dans  une  epnapocj 
Ferme. .  .1   de  1576^  qui  se  trouve  dans  la  chapelle  de 
1^  Preische. 

[       VaUée  de  Marie  on  des  Vierges.  Ce  noo 
«  I   vient  de  ce  que  ce  bien  appartenait  m 

Ferme  ..,<   ^^^^^  ^^  Marienthal,  de  Trêves.  L'aD«jai| 

(  nom  était  Vorenhoff. 
Mairie  ...  | 


Ferme . . . 


S  8.  ia36.  Udekange.  (Hist.  de  Met», 
III.  Preuves,  191.) 


DBS  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE. 


465 


des 
Bai  ries. 


IIAIRIES, 

avec  les  yillages , 

hameaux,écarts,etc., 

qui  en  dépendent. 


I 


o 

V» 


NOTES  ÉTYMOLOGIQUES. 


3 16  yeymeraDge.  . . 


»^{3i7  Tcmlle 

'3i8  Elange . .  |Hameau. .     %  S. 


i5 


16 


S  8  et  54*  Dans  une  charte  de  l'empereur 

I  Othon  9  en  date  du  1 1  mai  977,  ce  lieu  est 

Mairie  . ..  J  nommé  FFimiringas  (  Hist.  de  Metz,  III. 

j  Preuves  «  83)  ;  et  dans  une  autre  de  9g3, 

^  fTimeringes,  {Ibid.  P.  85.) 

\      S  a  et  34.  Theodarici  FUla.—  Un  Theude- 
Yillage. .  •  i  rie  a  été  l'un  des  généraux  de  Gharlemagne 
(  (Eginhart.) 


^3lQ  Le  MoQlin-Ronge 


3ao  Vitry. 


|5al  BeuTange-sous- 
Jnstemont  • .  • 


3a9  Justement. 

3a3  Glouange*. 

3a4  l'A  Rosch. 

'3a5  Volkrange. 

'326  Metzange.. 


Moulin. . . 


1236.  Parrochia  de  Fiterey,  Molendina  de 

.  Vtteriaeo.  (Hist.  de  Metz,  îll.  Preuy.,191.) 

Mairie  .  ; .  ^  — Durival  (III ,  44o)  dit ,  je  ne  sais  sur  quel 

fondement ,  que  l'ancien  nom  de  ce  village 

est  Fàllange» 

Village. . .  (       ia36.  Territorium  de  Buivenges,  (Hist.  de 


I 


Metz,  III. Preuves,  191.) 


Fermcraineal      Jastus  Motu,  Justimons,  iao6.  (  Hist.  de 
d'ai>i)aje..i   Metz,  III.  Preuves,  169.) 

Village. .. 


337  Benvange-sons - 
Çàint-Michel. 

5a8  Saint-Michel... 

329  Yntz-Basse  .... 

330  Macquenom.. . 
^33i  Yntz-Haute.... 

33»  LaN*nyell«-Yutz.. 

i33  Helpert  (le).. . . 


Moulin. . . 
Mairie  .  • . 
Hameau.  • 
Hameau. . 

Henni  ta  ge  en 
raine., ... 

Mairie  . . . 
Village. . . 

Village   dé- 
trait eo  1816. 

Nonvean  vil- 
lage  

Ferme  • . . 


S  8. 

S  8'.  Vient  du  nom  d'homme  Fuleran. 
S  8'. 
S  8'. 

Hermitage  sons  l'invocation  de  saint  Michel. 

,  Au  .8*  siècle ,  connu  sous  le  nom  do  Judi- 
cium, 

S  5". 


466  UÉHOIRES  DE  LÀ  SOCIÉTÉ  ROYALE 

RIYIËRES  ET  PRINCIPAUX  RUISSEAUX. 

Bibiche  ouBibesche^  ruisseau.  — F'oir  Télymo- 
logie  présumée  du  village  de  Bibiche. 

Canner  (  la  }. 

Can,  tortueux.  BuUet,  H,  262. 

Cette  syllabe  est  la  racine  de  Sequanaj  le  mot 
canaly  qui  est  en  usage  dans  plusieurs  langues  ;  en 
vient  également 

La  Gauche 9  les  noms  latins  de  la  Seine  {Sequanaj 
César;  Secana^  moyen  âge)  ont  la  même  origine. 

Conroy  (  le  ),  ruisseau. 

Bullet  explique  le  niDm  de  lieu  Gonroyt  ainsi  :  au 
bord  d'une  riyièfe,  Corn,  habitation;  t^t,  riyiète, 

1,351. 

Fenseh  (la). 

Celte  petite  rivière  vient  du  village  de  Fontois , 
arrondissement  de  Briey,  dont  le  nom  allemand  est 
Fenseh.  La  maison  noble  de  Fontois  ou  Pensch  était 
connue  au  douzième  siècle. — ^  Galmet,  Notice,  I, 
si^plémeatf  1^0.  Berthollel,  Histoire  de  Luœem- 
bourg,  VI,  261.  I 

Kisel  (la  ) ,  ruisseau. 

La  teronnaisoti  e/,  quelquefois  oiseuse ,  est  aussi 
employée  pour  indiquer  te  diminutif. 

Moselle  (la). 

SïoSy  fertile,  abondante;  e/,  terminaison 4)iseuse. 
BuUet,  I,  242. 


DBS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  4^7 

Nied(la). 

€c  Le  Nied  est  fort  tortueux ,  dit  BuUet.  L  2^2  ; 
a  niddu,  tordre,  rendre  tortnetïx.  » 

Le  nom  de  la  Nied  paraît  avoir  une  origine  com- 
mune avec  la  Nèthe . 

La  syllabe  Tî^fj  me,qm  veut  dire  putt,tï'ù  Convient 
ni  à  la  Nied  ni  aux  dev^  Nèlhes;  ces  rivières  ne  sont 
pas  remarquables  par  leur  limpidité;  elles  coulent  sur 
dés  fomds  terreuiJt  du  vaseux. 

Oî^ne(F). 

BuUët  explique  ainsi  l'étymologie  du  nom  de  lieu 
Orné  :  «  à  uiié  courbure  de  rivière.  Or,  rivière,  neu, 
na,  tàMfé,  tottuùsité.  « 

En  appliquant  cette  iàterprétation  à  une  rivière  , 
oh  a  :  rwière  tortueuse  ;  ûe  qui  convient  fort  bien  à 
Ici  petite  rivière  d^Orne  ,  qui  tombe  dans  ïa  Moselle, 
près'dé  Richemont. 

FORÊTS. 

CalenHoven  (la). 

L'éfymologie  du  mot  Calenhoven  paraît  facile  à 
trouver  ;  cette  vaste  forêt  est  traversée  par  la  route 
rotiaaitie  de  Metz  à  Trêve ,  qui  passait  par  Garanùsca 
et  Rtcciàcum;  caïUsy  dans  la  basse  latinité,  voulait 
dite  chaussée  (Ducange,  Glossar.^JS.^  62).Hoi^a, 
/to3â  ^  habitation ,  domaine.  Ainsi  Calenhoven  doit 
s'interpréter  par  habitations  situées  sur  la  grande 
route.  Les  fermes  répandues  dans  toute  Tétenduè  de 
ïaL  forêt  portaient  cette  désignation  collective  qui  a 
fini  par  s'appliquer  à  la  forêt  elle-^mêmâu  Le'  mot  'Ka- 
lembourg  veut  dire  village  delà  grande  route. 

Schirmerter  (  forêt  de  ) .  5o  * 


4G8  HEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

DIVERTISSEMENS  POPULAIRES 

A  NAMUR, 

Par  M.  BoRUf  y  secrétaire  de  la  Société  Royale  des  Antiquaires 

de  France* 

Un  écrivain  (i)  qui  savait  bien  observer,  a  cité, 
comme  une  chose  cligne  de  remarque,  que  l'habitant 
du  département  de  la  France,  situé  le  plus  au  nord> 
est,  malgré  son  naturel  flegmatique  et  son  carac- 
tère réservé ,  fortement  porté  aux  divertissemens  ; 
«on  dirait  même,  ajoute- t-il,  que  la  nature  pré- 
ce  cautiouneuse  le  pousse  plus  particulièrement  vers 
«ceux  qui  donnent  le  plus  d'exercice  au  corps, 
«  comme  pour  contre-balancer  sa  tendance  naturelle 
«  au  repos.  »  Cette  observation,  déjà  si  vraie  pour 
le  nord  de  la  France,  Test,  à  plus  forte  raison,  bien 
plus  pour  les  provinces  belgiques,  où  Tarbalète, 
Tare,  la  balle,  la  crosse,. sont  des  jeux  familiers 
à  la  jeunesse  comme  à  Fâge  mur  ;  et  ce  ne  sont  pas 
les  seuls,  ainsi  que  va  le  prouver  la  BOticç  suivante, 
Fun  des  fruits  de  mes  momens  de  loisir  durant  un 
séjour  de  quelques  semaines  que  fai  fait  dans  la 
province  de  Namur  en  1)817. 
La  jeunesse  de  Namur  avait  autreifois  quatre  espèces 
de  jeux  qui  lui  étaient  particuliers  :  les  joutes  sur 

(1)  Dieudonné,dans  la  statistique  du  département  du  Mord. 
Douai,  3  Tol.  in-8*,  i8o3. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FBANGE.  4^9 

VeaUj  le  jeu  de  t anguille ,  le  combat  des  é chasses 
et  la  danse  des  sept  Machabées. 

Les  joutes  sur  Teau  et  le  jeu  de  Fanguille  sont 
connus  en  France;  dans  plusieurs  villes  on  les  a 
vus  jBgurer  de  nos  jours,  au  nombre  des  divertis- 
semens-spectacles  qui  sont  donnés  au  peuple,  lors 
des  solennités  publiques. 

Il  Q^en  est  pas  de  même  du  combat  des  échasses 
ni  de  la  danse  des  sept  Machabées;  ces  jeux  me 
paraissent  être  particuliers  à  la  ville  de  Namur. 
Je  donne  pour  autorité  de  ce  que  je  vais  en  dire 
à  la  société ,  les  relations  d'un  historien  contempo- 
rain (i),  les  descriptions  d'un  poète  du  pays  (2)  dont 
j'emprunterai  parfois  le  texte,  des  pièces  qui  m^ont 
été  communiquées  des  archives  de  la  ville,  et  enfin 
les  récits  que  m'en  ont  fait  des  habitans  qui  ont 
été  ou  acteurs  ou  témoins  oculaires  de  quelques-uns 
dç  ces  combats. 

COMBAT  DES  ÉCHASSES  A  NAMUR. 

Le  dictionnaire  dé  l'Académie  définit  les  échasses  : 
deux  longs  bâtons  à  chacun  desquels  il  y  a  une 
espèce  détrier  attaché  ou  unfourckon  du  bois  même 
dans   lequel  on   met  les  piedsy  soit  pour  marcher 

(1)  Histoire  générale  y  ecclésiastique  et  ciifils  de  la  if  Me  et 
province  de  Namur,  par  M.  Caillot,  avocat.  Liège,  1778. 
6  vol.  in-iâ. 

(3)  Poème  épique,  en  quatre  chants  ^  de  7^9  vers  sur  ud 
de  ces  combats,  inséré  dans  l'ouvrage  de  GaîUot,  d'une 
yersification  faible,  mais  qui  a  cela  de  piquant  pour  les  Namu- 
rois  5  qu'il  cite  par  leur  nom  les  principaux  acteurs  de  ce 
combat  qui  parait  avoir  été  très-chaud. 


V 


470  MÉMOIB^S    DE   ^   SOCIÉTÉ   ROYALE 

(ffifis  les  marais  y  comme  font  les  pauses  dans  le 
Poitou  et  autres  Ueiiopj  ^oit,  pourrait-on  ajouter^pour 
tray^c^er  ^vec  qt^pipsde  p^ine  des  sables  mobiles , 
coix^ne  je  ^'ai  yu  praUquer  dans  les  Landes  de 
B^ypfUjtje  ^\  de  Bordjeaux;  soit  enfin  pour  paraître 

pfn^  ff^fff^f  ^^  rf/Ve/'^/V  fe  peuple  y  comme  font  les 
bateleurs. 

G^  n'est  guère  que  par  divertissement  que  l'on 

se    9firt  de  ces  jambes  arti^cieiles  dans  les  pro- 

vinci^s  de  France  autres  que  celles  que  je  viens  de 

citer  i  et  encore  np  les  avait-on  vues  qu'entre  les 

malins  des  enfans^  avant  crue  Fauteur  des  Hahitans 

des  Lande^  s'avisât  de  les  faire  monter  sur  la  scène 

dans  sa  ^ièce  divertissante.   Toutefois,  comme  il 

n'y  a  rien  de  nouveau  sous  le  soleil^  sa  plaisante 

invention  n'est   elle-même  que  du  renouvelé  des 

Grecs    et    des    Romains    qui    avaient    sur    leurs 

théâtres   leurs  Grallœ,  mot  que  Jules-César  Bu- 

lenger  (i)  définit  des  perches  de  bois  qui  sont  mues 

par  la  force  de  l'homme,  perticœ  ligneœ  auoe  cd? 

bouiinis   \^i  agita^tur,  d'où    sont  venus   les  Cab- 

bairarii ,  les  Grallatores ,  espèces  de  pantomimes 

qui,  pour  imiter  dans  leurs  danses  celles  d'hommes 

nus  aipf  pieds   légers  de  chèvres  que  les  myto- 

logues  pffïpn^  gppelai^pt  ^gipanas,  s'avançaient 

sur  des  potences  de  bois,  ayant  de  petites  fourches 

sur  lesquelles  ils  se  tenaient  debout  comme  sur  un 

(i)  JuUi  Cœ&aris  Bulengeri  juliodunensis  de  theatro  ludis- 
que  Scenicis.  Lihri  duo  y  editio prima  j;  i6o3^  in- 12. 


DES  ANTIQUAlREâ  DE  FRANCE.  4?^ 

prolongement  des  jambes ,  adjeclis  perticisfutculas 
habentibus  y  atqiie  in  his  supersianies  ad  similitudi" 
nem  crurum  ejus  geheris  gradiebantur»  v 

Ce  n'est  pas  même  des  échassiers  des  Greîis 
ni  des  Romains  que  je  vais  parler  ;  Tauteur  que  j'ai 
cité  nous  en  a  laissé  ma  chapitre  intéressant  en  son 
livre  1®'  de  TheatrOy  cap.  xxxii,  de  Grallatoribus ; 
il  n'est    qi^estion  quç  des  échassiers   de  Natnup. 

Quand  i](  s'agit  de  donner  un  combat  d'échassçs 
à  ifîamqr ,  ce  qui  jq'a  guère  lieu  que  lorsqu'on  veut 
fêter  quelque  souverain ,  quelque  grand  personnage  ; 
les  jeunes,  gens  se  divisent  en  deux  partis.  L'un , 
sous  Ip  non[i  de  Melan,  est  composé  de  ceux  qui 
sont  nés  dans  l'anciennç  ville,  c'est-à-dire  dans 
l'enceinte,  sous  la  luiontagne,  telle  qu'elle  a  été 
poussée  en  1064,  sous  le  règne  du  comte  Al- 
bert II;  et  Vautre,  sou^s  le  nooi  non  moins  antiquq 
d'^i^resse,  cofïitprend  tous  ceux  qui  sont  nés  dans  la 
nouvelle  ville,  c'est-à-dire  entre  cette  prenaière  en- 
ceinte, et  celle  qui  a  été  faite  en  14^4  >  ^ous  le  règne 
du  comte  Guillaume  IL  Chaque  parti  a  son  capitaine 
et  son  Alfery  et  est  distingué  par  les  couleurs  de 
la  cocarde  :  les  Mélans  les  portent  jaune  et  noir 
(couleur  de  la  ville),  et  les  Avresses  rouge  et  blanc* 

Le  corps  entier  se  compose  ordinairement  de 
i5  à  1600  combattans  divisés  par  brigades,  sous 
des  uniformes  variés,  lestes  et  briHans;  chaque 
brigade  a  ses  officiers ,  ses  tambours ,  ses  fifres. 
La  hauteur  des  échasses  est  au  moins  de  1  mètre 


ly]%  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ    ROYALE 

3o  millimètres  >  ce  qui  donne  un  grand  intérêt   au 
coup  d'œil. 

«  Sur  des  bâtons  ferrés  des  hommes  yigoureux 
c  Surpassent  les  géans  des  siècles  fabuleux.  » 

Le  champ  de  bataille  est  ordinairement  la  grande 
place  au  centre  de  la  ville  j  c'est  là  que,  Theure 
du  combat  venue,  on  voit  arriver  les  brigades 
les  unes  après  les  autres;  celles  des  Mélans,  par 
une  des  extrémités,  celles  des  Avresses  par  l'autre.  On 
commence  par  une  parade.  Lorsqu'elle  est  finie,  les 
drapeaux  des  deux  partis  sont  étalés  aux  fenêtres 
de  rhôtel  de  ville ,  pour  y  être  alternativement  agités 
en  Tair  durant  l'action ,  suivant  que  le  parti  auquel 
ils  appartiennent  gagne  du  terrain;  puis  on  se  forme 
en  bataille,  dans  un  ordre  très-exact.  Le  capitaine  de 
chaque  parti  distribue  dans  les  lignes  moitié  des  plus 
forts  conîbattans  pour  soutenir  le  premier  choc ,  et 
forme,  de  l'autre  moitié,  un  corps  de  réserve  des- 
tiné a  envoyer  des  secours  sur  les  points  qui  viennent 

à  faiblir  durant  l'action. 

* 

Ces  deux  petites  armées  ainsi  rangées,  et  que 
les  chefs  ne  manquent  jamais  de  haranguer,  s'a- 
vancent gaiement  l'une  coutre  l'autre,  au  bruit 
des  timbales ,  des  trompettes  et  autres  instruniens  de 
guerre ,  bien  serrés  et  allignés ,  jusqu'au  milieu  de 
la  place,  vis-à-vis  l'hôtel  de  ville ,  point  marqué  pour 
commencer  le  combat. 


w.^  , 


DES  ANTIQUAin£S  DE  FRANCE.  47^ 

«  Çt....  les  voilà  l'uae  à  l'autre  en  présence, 
c  Ainsi  qu'en  un  combat  de  deux  coqs  vigoureux  ^ 
«  On  les  voit  quelque  temps  s'examiner  tous  deux, 
«  Et  tous  deux,  se  flattant  d'une  prochaîne  gloire , 
«  Avant  de  s'éprouver  ils  chantent  la  victoire. 
«  De  même  voyait-on  VAt^resse  et  le  Milan 
«  Se  donner  l'un  à  l'autre  un  regard  méprisant, 
ff  Et  chacun  d'eux  croyant  bientôt  se  faire  voie, 
«  L'air  retentit  partout  de  communs  cris  de  joie.  » 

Cependant  l'action  s'engage ,  les  combattans  n'ont 
pour  armés  que  leurs  coudes  et  les  coups  qu'ils 
se  donnent  échasse  contre  échasse,  pour  enlever 
et  renverser  leurs  adversaires;  mais  ils  sont  si  adroits 
à  cet  exercice  et  si  fermes  sur  leurs  quilles ,  qu'on 
les  voit  s'élancer,  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre, 
se  pencher  et  se  relever  dans  le  même  instant.  Quand 
ils  marchent  au  combat,  ils  ne  manquent  jamais 
d'avoir  à  leur  suite  nne  autre  troupe  d'auxiliaires 
à  pied  ;  ce  sont  les  pères ,  les  mères ,  les  sœurs , 
les  épouses  ou  autres  proches  parens  qui,  durant 
l'action,  les  animent  et  se  tiennent  derrière  eux  à 
pied,  pour  leur  prêter  la  main  de  crainte  qu'ils 
ne  se  blessent  en  tombant  sur^  le  pavé.  C'est  un  spec- 
table  divertissant  de  voir,  detrrière  ces  géans,  des 
filles  et  des  femmes  se  trémousser,  gesticuler ,  criant 
toutes  à  la  fois  pour  animer  leurs  amans,  leurs  maris, 
leur  distribuant  des  liqueurs  pour  réparer  leurs 
forces,  des  quartiers  d^orange,  descitrons^  des  prunes 
pour  les  rafraîchir,  les  aidant  à  remonter  sur  leurs 
échasses  lorsqu'ils  ont  été  désarçonnés ,  et  les  exci- 


474  MÉAfOIEES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

tant  à  retourner  au  combat>  à  y  bien  faire  leur  de- 
voir^ pour  l'bopneur  du  parti. 

«  ......  Dans  un  de  ces  combats  9 

«  Un  malheureux  A  vresse 

«  Venait  d'être  accablé  d'un  coup  rude  et  sensible  : 
«  Pour  mettre  en  liberté  la  douleur  qu'il  ressent^ 
«  A  peine  sur  un  pied  s'était  tiré  du  rang , 
«  Quand  un  de  ses  amis ,  qui  n'ayait  point  d'échasse , 
«  S'offrit  tout  aussitôt  de  combattre  en  sa  place. 

«  11  lui  demande  les  siennes 

«  Sans  peine  àjes  donner  il  aurait  consenti 

«  Si  sa  femme ^  attirée  au  bruit  de  sa  disgrâce, 

«  N'eût  fait  pour  l'arrêter  cette  étrange  menace  : 

«  Sais-tu  bien^  malheureux  ^  que  par  cette  action 

<c  Tu  vas  perdre  à  jamais  ta  réputation  ? 

«  Songes-tu  que  partout  on  dira  dans  la  Tille 

TT  Que  sous,  un  front  guerrier  tu  porte  un  cœur  de  fille. 

«  Mais  que  dis-je?  une  fille.  Ah!  s'il  m'était  permis 

«  D'éprouyer  ma  yaleur  contre  nos  ennemis  9 

«  Je  saurais  jusqu'au  bout  soutenir  mon  audace. 

i  Apprendsdonc,  grand  guerricr^que^  pour  quitter  VEchasse, 

«  Il  faut  avoir  au  moins  quelque  membre  brisé, 

«  Alors  avec  raison  tu  seras  excusé. 

«  C'est  en  vain  à  mes  yeux  que  tu  fais  la  grimace; 

«  Si  tu  ne  soutiens  mieux  la  gloire  de  ta  race, 

«  Jq  saurai  tout  permettre  à  mon  ressentioieat, 

«  Je  prêterai  l'oreille  au^  douceurs  d'un  amant; 

«  Et,  de  ta  lâcheté  me  vengeant  sur  ta  tête, 

«  Pour  te  désespérer  je  serai  toujours  prête. 

«  Ne  dis  pas  que  trop  las  tu  ne  te  soutiens  plus, 

c(  Tu  ne  saurais  jamais  m'abuser  là-dessus, 

tt  Je  connais  ta  vigueur.  Va  donc  par  ton  courage 

«  Prévenir  à  l'instant  un  si  sensible  outrage  ; 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  ^jS 

*i  Songe  avec  tes  amis  à  revenir  vainqueur, 

V  £t  puis  nous  saurons  bien  adoucir  ta  douleur.  » 

Uaeharnement  avqc  lequel  on  voit  les  deux  partis 
marcher  Tun  contre  l'autre  n'a  d'égal  que  Fagilité , 
l'adresse  et  la  force  que  les  combattans  déploient. 
C'est  encore  le  poète  qui  va  nous  en  donner  une 
idée. 

«  Le  vigoureu^;  Blélan  et  le  vaillant  Avresse , 

«  Savans  dans  le  métier,  et  d'une  égale  adresse , 

«  Épuisent  tour  à  tour  tous  les  secrets  de  l'art  : 

«  Tout  est  mis  en  usage  et  d'une  et  d'autre  part; 

«  Chacun  d'eux,  mais  en  vain,  cherche  son  avantage; 

«  C'est  partout  même  force  et  semblable  courage. 

«  Déjà  plus  de  vingt  fois  chacun  d'eux  repoussé 

«  ^*ps\  vu,  ^ur  une  écbasse,  à  demi  renversé; 

«  Quelquefois  emporté  d'une  rude  secousse, 

«  Quelquefois,  à  son  tour,  il  epfonce  et  repousse  (i). 

(i)  On  pourrait  citer  bien  d'autres  passages  qui  tous  prou- 
vent combien  ces  combats  ont  toujours  été  aniniés  ;  celui,  par 
exemple,  où  il  est  question  d'un  d^3  chanipioqs  célébrés  par 
le  poète  : 

Timozet  sijg.aale  api^  coiffage  : 

Malgré  trois  trous  s^n^lao?  qu'on  yoii;  dpssu^  sa  0U  » 
Dans  de  nouveaux  dangers  sa  f^r^vpufe  l'arrê^p. 


Enfin,  pfeins  de  fureurs^  animés  par  la  rage, 
S'attaquant  de  concert....  A  ce  choc  dangerepx^ 
Nos  braves  quelque  teiops  chancellent  tons  les  deux; 
Mais  ce  grand  çppp,  8€ipl?^})Ie  ^  çfilfti  4v  tonnerre. 
Malgré  leur  fermeté,  le.ip  f^it  baiser  2^  ^rçe  ; 
Ils  tombent  Tiin  et  Taut^e  »  et  ces  guerriers  puissans 
Font  tomber  avoç  eux  Àvresses  ef  Mélans. 


47^  UÉIIOIRIS  DB  lA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

On  a  vu  de  ces  combats  durer  plus  de  deux  heures 
saus  aucun  avantage  réel  de  part  ni  d'autre.  Tantôt 
les  uns  gagnent  du  terrain,  tantôt  les  autres  le 
reprennent  ;  et  les  corps  de  réserve  qui  viennent 
au  secours,  rétablissent  souvent  les  aflFaires.  Enfin, 
lorsqu'un  des  deux  partis  commence  à  plier,  l'autre 
occupe  le  terrain ,  s'j  range  en  bataille  ,  fait  agiter 
son  drapeau ,  et  crie  victoire.  Gaillot  rapporte  que 
le  maréchal  de  Saxe,  assistant  en  174S  à  un  de  ces 
combats  d'échasses  qui  lui  fut  donné  en  divertisse- 
ment, prit  tant  d'intérêt  à  ce  jeu,  qu'on  le  voyait, 
de  la  fenêtre  de  Thôtél  de  ville  où  il  était  placé, 
animer  du  geste  et  de  la  voix  les  combattans,  et 

Et  ces  deux  autres  passages  beaucoup  plus  caractéristiqaes 
encore  : 


L^-bas  j'entends  quelqu'un  qni,  se  prenant  au  ciel. 
Vomit  contre  lui  seul  sa  colère  et  son  6el; 
Les  uns ,  à  qui  la  honte  a  changé  le  Tisage , 
SuÎTent  tous  les  transports  d'une  impuissante  rage  ; 
Et  j'en  ai  tu  (l'un  d'eux )«  avec  force  enlevé  , 
Qui  mordait  de  dépit  un  innocent  pavé. 
D'autres,  pour  se  venger  du  coup  qui  les  menace , 
Avant  de  culbuter  abandonnent  Péchasse , 
'Et  cherchant  à  céder,  du  moins  avec  honneur. 
Sur  la  terre  avec  eux  entraînent  le  yainqueur. 


Cattalgnê 

Exécute  lé  coup  qu'il  a  prémédité. 
Il  se  met  vis-à-Tis 'd'un  peloton  d'Avresses; 
Alors ,  loin  d'employer  sa  force  on  son  adresse , 
n  se  laisse  tomber  ;  puis ,  ouvrant  ses  deux  bras  , 
Il  renverse  sous  lui  leurs  plus  vaillans  soldats.  » 


htS  ANTIQUAIRES  0E  FRANCE.  /J-^-j 

faire  signe  d^envoyer  du  renfort  dans  les  endroits 
où  il  s'apercevait  que  l'un  ou  Tautre  des  deux 
partis  commençait  à  plier:  il  ajoute  qu'on  a  en- 
tendu le  guerrier  dire ,  après  le  combat ,  que  si 
deux  armées  étaient,  au  moment  de  s'entre-choquer, 
animées  au  point  qu'il  avait  vu  cette  jeunesse,  ce 
ne  serait  plus  une  bataille ,  mais  une  boucherie 
affreuse. 

On  devine  bien  que  ces  combats  attirent  tou- 
jours une  grande  foule  de  spectateurs  de  la  ville 
et  des  environs.  Ces  divertissemens  étaient  tellement 
dans  les  habitudes  et  dans  les  mœurs  des  Namurois , 
qu'autrefois  une  des  places  du  centre  de  la  ville, 
dite  la  place  de  Lîslou,  était  assignée  aux  jeunes 
gens  qui  s'exerçaient  les  dimanches  et  fêtes  par 
de  petits  combats  entre  eux.  Gaillot  écrivait,  en 
1786,  que,  depuis  que  le  magistrat  leur  avait  dé- 
fendu ces  exercices  (  sans  doute  à  cause  du  danger 
de  s'estropier),  ce  jeu  commençait  à  tomber.  Le 
dernier  combat  d'échasses  qui  ait  eu  lieu ,  date  de 
1814  ;  il  a  été  donné  au  prince  d'Orange  (depuis 
roi  des  Pays-Bas  )  sur  la  place  Saint-Aubin.  Quel- 
ques années  auparavant ,  il  en  avait  été  donné  un 
à  Bonaparte.  Les  autres  combats  les  plus  remar- 
quables, dont  la  tradition  conserve  le  souvenir,  sont 
celui  du  mois  de  juillet  1718,  en  présence  du  czar 
Pierre-le-Grand  qui  cependant  parut  y  donner  moins 
d'attention  qu'aux  joutes  sur  l'eau ,  et  celui  qui  eut 
lieu  en  i52i  en  présence  de  Charles-Quint  qui  con- 
firma alors  les  privilèges  des  échassiers.  On  croit 


/ 


478  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

que  ce  fut  à  cette  époque  qu'ils  obtinrent  celui  de 
brasser  leur  bière  sans  pajer  de  droits.  Il  parait 
même  que  les  échassiers  faisaient  corporation  comme 
les  arbalétriers;  car  j'ai  tu  au  registre  général/  dans 
les  archives  de  la  ville ,  la  mention  d'une  demande 
faite  par  deux  compagnies  d' échassiers  ^  qu'il  leur 
fut  permis  d'aller  à  Bruxelles  pour  y  assister  à  l'en- 
trée solennelle  de  je  ne  sais  quel  prince ^  permis- 
sion que  le  magistrat  n'osa  leur  accorder. 

DANSE  DES  SEPT  MACHABÉES. 

Cette  danse  était  le  quatrième  jeu  particulier  à 
la  jeunesse  de  Namur^  et  suivait  ordinairement  le 
combat  des  échasses.  J'en  emprunte  la  description 
à  l'historien  Gaiilot. 

ce  Sept  jeunes  hommes  alertes,  dispos  et  bien  dé- 
»  couplés,  représentant  les  sept  frères  Machabées, 
?i  formeilt  entre  eux  une  danse  au  son  d'un  tam- 
»  bour.  Ils  sont  vêtus  d'une  simple  chemise  blanche 
^  liée  au  bras  avec  des  rubans  rouges,  ont  culottes, 
»  bas,  souliers  et  bonnets  blancs,  garnis  de  rubans 
m  de  la  même  couleur  ;  ils  portent  de  la  main  droite 
3>  une  épée  émoussée,  et,  tenant  chacun  de  la  gauche 
»  la  pointe  de  celle  de  leur  compagnon ,  sans  jamais 
»  l'abandonner,  ils  font  mille  mouvemens  et  figures 
»  différentes  par  l'entrelacemeût  de  toutes  ces  épées, 
M  qui  dénotent  en  même  temps  et  la  vigueur  de  leur 
»  tempérament  et  la  souplesse  et  agilité  de  leur 
M  corps.  »  Je  n'ai  pu  riien  découvrir  sur  l'origine  de 
la  danse  des  sept  Machabées;  ce  qu'il  y  a  de  no- 


DÈS  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  .      479 

loire  dans  le  pays,  c'est  que  ce  jeu  a  eu  lieu  pour 
la  dernière  fois  en  1774?  en  présence  de  Tarchiduc 
M aximilien  ;  qu'à  cette  époque,  il  était  déjà  tombé 
en  désuétude. 

Quant  au  combat  des  échasses,  pour  quiconque  n'a 
pas  la  bpDfhomie  d'adopter  le  conte  de  deux  ancien- 
nes familles  rivales  du  pays,  la  famille  des  Mélans 
et  celle  des  Avr esses ,  qui  auraient  de  cette  manière 
vidé  leurs  différends ,  il  n'y  a  que  des  conjectures 
à  fait*e  sut  l'origine  de  ce  singulier  diverlissement* 
Les  échasses  à  Namur  seraient-elles  un  héritage 
des  Romains,  dont  le  séjour  prolongé  dans  le  pays 
est  d'aiUeurs  attesté  par  tant  de  monumens  encore 
subsistans  j  ou  bien  l'usage  n'en  doit-il  pas  plutôt  être 
attribué  au  débordement  fréquent  des  eaux  de  la 
Meuse  et  de  la  Sambre  que  l'on  sait  avoir  leur  con- 
fluent au  pied  de  cette  ville  qui,  en  en  inondant  sou- 
vent une  grande  partie,  auraient  obligé  les  habit  ans  à 
inventer  les  échasses  pour  pouvoir  passer  d'une  rue 
à  l'autre.  Cette  dernière  opinion  est  d'autant  plus 
probable,  que  les  deux  enceintes  de  la  ville,  d'où 
sont  censés  sortir  les  Mélans  et  les  Avresses,  sont  les 
plus  rapprochées  de  ces  deux  rivières  et  voisines  de 
leur  confluent,  et  qu'avant  que  Guillaume  I®',  comte 
de  Namur,  qui  est  mort  en  iSgi,  n'eût  fait  exhausser 
le  pavé  de  la  plupart  des  rues ,  la  ville  était 
sujette  à  de  fréquens  débordemens  de  ces  deux 
rivictes. 


4So  UÉMOIKES  DE  LA  SOdKTZ  KOT&tE 


SUPPLEAIENT  AU  MEMOIRE 

De  M.  le  baron  Châvdkuc  de  Grazanoes ,  sor  les  antiquités 
celtiqoes  oo  gauloises  de  la  Charente  -  Inférieure^  inséré 
ci-derant  page  53, 


(kitsàit  d'vhk  sBCom»  UBTTU  sGUTB  ▲  hk  socubi.) 

JLr Avs  une  première  lettre ,  adressée  à  la  Société 
rojale  des  Antiquaires  de  France  y  nous  ayons  (i)  fait 
connaître  seize  dolmen  ou  pierres-levées ,  encore 
existant  dans  le  département  de  la  Charente  -  In- 
férieure ,  et  dont  deux  seulement  avaient  été  pré- 
cédemment connus  et  décrits  par  MM.  La  Sau- 
vagère ,  Arcère  et  Bourîgnon  (2).  Depuis  cette  com- 
munication ,  nous  avons  été  informés  de  Texistence 
de  trois  autres  de  ces  monumens. 

Les  deux  premiers  se  voient  à  une  lieue  de 
Rochefort ,  et  près  du  pont  de  Charras  y  sur  ud  do- 
maine appartenant  à  M.  Lescure  (3) ,  officier  du 
génie  maritime.  Ils  sont  placés  à  deux  cents  pas 
Tun  de  l'autre  :  le  plus  près  du  canal  de  Charras, 

(1)  Lettre  da  27  norembre  1820. 

(2)  Les  pierres-leyées  de  Geay,  près  de  Saintes ,  et  de  la 
Jamey  près  de  la  Rochelle. 

(3)  Président  de  la  Société  littéraire  de  Rochefort. 


M»  ANTIOUAIRES  DE  FRANCE.  /\8ï 

dont  nous  parierons  d'abord ,  est  presque  iotatt  ;  le 
second  est  moins  bien  conservé. 

Le  premier  de  ces  dolmen  consiste  en  un  quar- 
tier de  roche  niassive,  jadis  taillée  en  carré  long, 
creusée  dans  son  intérieur  en  forme  d'auge ,  d'une 
assez  grande  dimension ,  recouverte  avec  exactitude 
par  une  pierre  aplatie  de  même  substance  calcaire  ; 
le  tout  repose  sur  un  lit  en  petites  pierres,  recouvert 
de  terre,  ce  qui  devait  autrefois  former  un  tertre 
proéminent  au-dessus  du  niveau  du  sol,  alors  ma- 
récageux. 

Les  proportions  de  chacune  des  faces  et  des  di- 
verses parties  sont  : 

Longueur  de  la  partie  inférieure,  prise  en  dehors 
et  de  l'est  à  l'ouest,  2^,599  ;  largeur  idem ,  prise 
du  nord  au  sud ,.  2  "*,436  ;  élévation ,  prise  sur  le 
sol ,  terme  moyen  ;  o",867. 

,  L'auge  ou  le  bassin  a  en  longueur^  de  l'est  à  Fouest» 
i"'46i  ;  largeur,   i™,o56;  profondeur,  o*", 7 58. 

La  couverture  ou  pierre  carrée,  qui  en  fermait 
exactement  l'entrée ,  a  sa  partie  antérieure  brisée, 
et  permet  de  s'introduire  dans  l'intérieur  de  l'auge 
par  la  face  de  l'est.  On  remarque  un  trou  rond 
pratiqué  au  milieu  de  ce  couvercle i  circonstance 
qui  se  repré3ente  souvent  dans  ces  sortes  de  mo- 
numensv 

La  largeur  de  cette  pierre  de  recouvrement  est 
de  2^,924  de  l'est  à^ l'ouest  ;  sa  lai^eur,*nord  et  sud, 
est  de  2^,761. 

Longueur  des   deux   angles  les  plus  alongés  , 
IV.  5i 


482  HiMOlASS  DE  tk  SOCIÉTÉ  ROYALE 

3'"y4iO  du  nord-ouest  au  sud-est;  épaisseur^  terme 
moyen,  o^Sgô. 

Le  temps  a  imprimé  de  nombreuses  cavités  sur 
la  surface  de  ce  monument;  on  y  remarque  les 
traces  d'un  madrépore. 

Le  second  dolmen  n'a  plus  de  table  ou  couvercle. 
L^auge  est  même  brisée  à  Tune  de  ses  faces;  on 
peut  encore  reconnaître  que,  dans  son  entier,  ce 
monument  était  beaucoup  plus  grand  que  le  pré- 
cédent. Voici  les  proportions  de  ce  qui  en  subsiste 
encore  : 

Longueur,  du  nord  au  sud,  3"',248;  largeur,  de 
Test  à  l'ouest,  i",948;  élévation  au-dessus  du  sol, 
extérieurement,  i'",299;  profondeur  du  creux  ou 
de  l'auge ,  0^,97 5. 

La  couverture  de  ce  monument  se  retrouve  dans 
la  cour  de  la  métairie  de  Voumée  ou  Yormée.  Les 
paysans  racontent  à  ce  sujet  que  le  mauvais  génie^ 
pour  montrer  sa  puissance,  la  prit  im  jour  et  la  lança 
à  mille  pas  du  Lieu  où  elle  gît ,  et  qu'il  fit  jaillir  une 
fontaine  dans  l'endroit  même  qu'elle  vint  frapper. 
Mais,  comme  elle  gênait  dans  cet  emplacement,  de- 
venu l'abreuvoir  du  bétail  de  la  métairie ,  le  fer- 
mier de  rOumée,  moins  puissant  que  le  génie,  ne 
put  qu'à  l'aide  de  ses  bœufs  lui  faire  parcourir  un 
court  espace,  et  l'introduire  dans  la  cour  de  cette 
maison.  Cette  tradition  rappelle  celle  du  palet  de 
Gargantua  (1  j, dénomination  doQriée  dans  plusieurs 

(1)  C'est  ainsi  que,  sur  le  chemin  de  Dolus  à  Saint*Pierre 


DJilS     ANTIQUAIRES  DE  FRANr.E.  4^3 

endroits  aux  tables  de  recouvrement  des  pierres- 
levées. 

Celle-ci  a  3™,  2^8  passés  de  longueur  dans  le  sens 
le  plus  étendu  :  elle  est  fracturée  dans  le  sens  opposé; 
son  épaisseur  varie  de  o"',244  à  o",487. 

La  nature  de  cette  pierre  paraît  n^étre  pas  calcaire^ 
différente  en  cela  des  autres  employées  pour  ces 
deux  monumens.  On  fera  remarquer  à  ce  sujet 
qu'on  ne  rencontre  point ,  à  une  grande  distance 
dans  les  environs,  de  roche  calcaire;  on  présume  que 
celle  qui  a  servi  à  ces  dolmen  vient  des  environs  de 
Saint-Porchaire ,  route  de  Rocheforl  à  Saintes ,  à 
5  lieues  de  Charras,  où  les  analogues  sont  abondans. 

Ces  deux  dolmen /èr/wei  ont ,  dans  le  pajs,  la 
dénomination  de  pierres-couvertes  ^  nom  souvent 
donné  à  ces  sortes  de  monumens  celtiques ,  et  qui 
est  ici  un  témoignage  de  plus  de  leur  origine.  Vo- 
pinion  générale  dans  le  peuple  est  que  ces  deux 
pierres-levées  sont  des  tombeaux  (i),  opinion  écartée 

(ile  d'Oléron),  on  voit  un  de  ces  dolmen ,  nommé  la  galoche 
et  la  cuiller  de  Gargantua*  Le  nom  de  dolus  -vient  da  celtique 
dolj  pierre,  et  peut-être  Saint-Pierre  n'est-il  lui-même  que 
celui  de  Saint-Pierre,  donné  par  les  premiers  chrétiens  à  ce 
monument  druidique.  On  retrouve  plusieurs  de  ces  saintes 
pierres ,  ainsi  désignées  par  les  berger^ ,  dans  les  monlagnes 
des  Pyrénées.  On  a  beaucoup  de  peine  à  détruire  ce  culte  des 
pierres. 

(i)  Le  savant  père  Arcère,  de  l'Oratoire,  Thistorien  de  La 
Rochelle,  pensait  également  que  le  dolmen  de  la  Jame  avait 
été  élevé  sur  la  tombe  de  quelque  chef  de  barbares,  dans  le 
moyen  âge. 

3l* 


484  MÉMOIRES  DE  LA  SOGliTÉ  ROYALE 

par  les  aDiîquaires  en  ces  derniers  temps  ^  mais  que 
le  savant  M.  Dulaure  a  adoptée. 

Le  troisièipe  monument  de  ce  genre  que  nous 
avons  à  signaler  à  la  Société  rojale  y  existe  au  lieu 
du  Maine  ^  commune  de  Mont-Guyon,  arrondisse- 

m 

ment  de  Jonzac^  sur  une  éminence  et  dans  un  des 
plus  beaux  points  de  vue  possibles  de  tous  côlés  de 
rhorizon.  C'est  une  réunion  de  pierres  d'un  grès 
très- dur,  énormes,  rongées  et  noircies  parle  temps. 
Ce  monument  est  élevé  sur  une  longueur  d'environ 
8"",iai  à  9",  745,  sur  une  largeur  de  3  "",248  à  3^898, 
et  sur  une  hauteur  de  3'",898  à  4"*>87a,  approxima- 
tivement. Ces  pierres  debout  et  fichées  en  terre 
en  supportent,  à  une  élévation  de  8'",i2i  à  9"',745 
environ,  une  autre  (1)  dé  même  nature,  servant  de 
table  ou  de  couverture,  d'un  poids  et  d'un  volume 
énormes,  et  qu'on  estime  peser  3o,ooo  kilogrammes 
et  plus.  Le  temps  Ta  fait  incliner  sensiblemeat. 
Tout  est  vide  sous  ce  monument  gigantesque ,  et 
l'on  peut  contempler  facilement  cette  pierre  pro- 
digieuse par-dessus  et  par  dessous.  Aux  deux  bouts 
de  ce  m<mument  sont  des  monceaux  de  ruines  ou 
gros  ^artiers  de  pierres  sans  ciment,  qui  paraissent 
lui  avoir  appartenu  et  en  avoir  fait  partie  ;  mais  ces 
constructions  ont  été  détruites  par  l'injure  des  siècles 
ou  celle  des  hommes  ,  plus  destructeurs  que  le 
temps, 

(1)  Sans  fer,  ni  chaux,  ni  ciment,  circonstances  étrangères 
à  tous  les  monumens  celtiques  ou  druidiques. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  4^5 

Le  monument  de  Mont-Guy  on  porte  le  nom  de 
pierre-folle^  qui  désigne  souvent  les  dolmen  ou 
pierres-levées  y  comme  celui  Ae  pierres  ^  couvertes. 
On  le  considère  aussi  dans  le  pays  comme  le  tombeau 
de  quelque  général ,  prince  où  autre  personnage 
distingué  qui  aurait  été  inhumé  dessous^  on  ne  sait^ 
du  reste,  à  quelle  époque. 

Il  est  singulier  qu'on  ne  trouve  dans  aucun  des 
auteurs  qui  ont  traité  de  l'histoire  et  des  antiquités 
de  la  Saintonge ,  nulle  trace  de  ce  monument  res- 
pectable. Malgré  son  intérêt  et  son  importance,  il  pa- 
rait avoir  été  absolument  oublié  dans  le  lieu  retiré  où 
nous  l'avons  découvert ,  et  qui  fut  autrefois  planté 
d'un  bois  très-épais. 


SUPPLEMENT  AUX  OBSERVATIONS 

m 

Sur  plusieurs  lettres  inédites  de  François  et  âenri ,  ducs  de 
Guise;  par  M.  BEamiT-SiLiNT-PAiz ,  membre  résident. 

J-iBs  remarques  n***  3i  et  suivans  ont  été  recueillies 
depuis  Tinipression  des  pages  i33  à  162  du  tome  IV, 
où  sont  les  trente  premières  remarques  (ainsi  que 
les  lettres  inédites  des  ducs  de  Guise),  et  ont  été 
communiquées  à  la  Société  royale  des  Antiquaires 
les  29  octobre  et  9  novembre  1823. 


486  MEMOIRES  DS  LL  SOCIÉTÉ  ROYALE 

3i.  Pages  i4i  et  suivantes. 
JVouvelles  obseri^ati'ons  sur  le  massacre  de  F^assy, 

Nicole  Pithou,  avocat  à  Troyes,  frère  cadet  des 
célèbres  Pierre  et  François  Pithou,   et  pourvu  en 
1572  de  la  charge  de  bailli  du  comté  de  Tonnerre, 
dont  la  nouvelle  des  massacres  de  la  Saint-Barthé- 
'  lemi  l'empêcha  de  prendre  possession  (il  était  pro- 
testant et  il  s'enfuit  en  Allemagne  avec  sa  famille], 
a  laissé  une  histoire ,  encore  inédite,  de  Féglise  ré- 
formée de  Troy es,  qui  forme  le  volume  698  des  ma- 
nuscrits Dupuy,  Grosley,  dans  sa  vie  des  frères  Pithou 
( Paris f  i']56,  2  vol.  m-ia  ),  après  avoir  fait  Féloge 
des  talens  et  des  vertus  de  Nicole,  parle  de  son 
histoire  ecclésiastique,  et  ajoute (r.  /,  p.  76)  qu'il 
est  presque  tenté  de  copier  les  détails  dans  lesquels 
Nicole  y  entre  sur  la  véritable  cause  du  massacre 
de  Vassy.,..;  que  le  président  de  Thou  est  le  seul 
qui  paraisse  ne  pas  l'avoir  ignorée,  mais  qu'il  s'en 
faut  qu'il  l'ait  exposée  avec  autant  d*étendue,  de 
netteté  et  de  précision  que  Nicole  ;  que,  suivant  le 
récit  de  ce  dernier,  «  le  massacre  de  Yassyjïit  pro- 
»  voqué  par  les  Cahinistes ^  et  par  un  manque  total 
»  de  respect,  de  leur  part,  à  Pégard  de  l'évêquede 
'>  Châlons.  » 

Cette  remarque  de  Grosley  est  d'une  mauvaise 
foi  révoltante;  mais,  comme  s'il  s'en  fût  aperçu  lui- 
même,  il  ajoute  aussitôt  une  phrase  obscure  d'où 


DSS  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  /^Sj 

Ton  pourrait  induire  qu'il  avait  été  forcé  d'exposer 
le  contraire  de  ce  qu'il  pensait.  «  Pour ,  dit-il,  en 
«  rejeter  la  cause  sur  les  catholiques,  il  faudrait 
«  supposer  que  Tévêque  de  Ghâlons  aurait  dû  tolérer 
«  des  assemblées  que  le  roi  venait  d^autoriser  par 
c<  son  fameux  édit  de  janvier  i56i  (1662,  nouveau 
«  style). M  Puis  s'excusant  sur  ce  que  tout  cela,  est 
étranger  à  son  sujet,  il  passe  à  autre  chose. 

il  n'est  personne  qui  ne  s'empressât  de  répondre 
à  Grosley,  que,  sans  contredit,  l'évêque  aurait  dû 
«o/eVer  les  assemblées,  à  moins  que  Grosley  ne  pensât 
que  la  puissance  d'un  évêque  ne  fût  supérieure  à 
celle  du  roi,  manifestée  par  un  édit.  , 

'  Mais  vOyoïis  si,  en  effet,  comme  il  le  dit,  le  mas- 
sacre de  Vâssy  fut,  au  rapport  de  Nicole  Pithou, 
provoqué  [par  un  manque  total  de  respect  des  Calvi- 
nistes envers  l'évêque  de  Ghâlons. 

Observons  d'abord  que  l'histoire  ecclésiastique 
de  Nicple  est  rangée  par  ordre  chironologique,  que 
son  travail  ne  consiste  en  un  mot  que  dans  des  espèces 
d'annales. 

Au  livre  septième,  qui  embrasse  les  événemens 
de  l'an  i56i,  vieux  style,  c'est-à-dire  commen- 
çant à  pâques  i56i  et  finissant  à  pâquesi562, nouveau 
style,  Nicole  raconte,  feuillet  i58,  que  le  duc  de 
Nivernais  (alors  comte  d'Eu),  gouverneur  de  Cham- 
pagne, arriva  à  Troyes  a  la  fin  de  novembre  i56i. 
L'évêque  de  Troyes  Caracciole  (Caraccioli),  qui  s*é- 
Éait  fait  ministre ,  voulut  aller  prêcher  dans  !a  grange 
des  Calvinistes  le  23  ;  les  catholiques  le  dénoncèrent 


488  MÉMOIRES  DE  LA  SOClilt  ROYALE 

au  doc  y  qui  se  contenta  de  le  prier  de  ne  pas 
prêcher.  Le  lendemain  24  ^  Garacciole  assista  an 
prêche  (sans  prêcher)  ;  et,  sur  les  nouvelles  plaintes 
de  quelques  catholiques  ^  le  duc  se  borna  à  répondre 

qu'il  était  chargé   d'exposer  les  édits  du  roi. 

Voilà  ce  que  Nicole  rapporte  des  faits  de  novem- 
bre i56i. 

Sur-le-champ  (feuillet  169),  il  dit  que  les  fidèles 
de  Vassj  n^ayant  pas  de  ministre ,  en  obtinrent 
un,  pour  la  deuxième  fois,  de  l'église  de  Troyes, 
nommé  Gravelle,  qui  se  rendit  à  Vassy  le  id  dé* 
cembre  i56i.  Le  16  ou  le  17,  Tévèque de  Cbâlons, 
Jérôme  Burgensis,  accompagné  d'un  moine  docte, 
se  rendit  à  Vassy  par  le  conseil  du  cardinal  de 
Lorraine;  /e  18  décembre ^  il  alla  au  sermon  de  Gra- 
velle. A  peine  celui-ci  commençait  sa  prière  pour 
prêcher,  que  Tévêque  l'interrompit,  annonçant  qu'il 
venait  comme  évêque  de  Ghâlons,et  par  conséquent 
de  Vassy.  Le  ministre  le  pria  de  le  laisser  con- 
tinuer, l'invitant  à  prendre  la  parole  après  lui,  s'il 
trouvait  quelque  chose  à  reprendre  à  sa  doctrine. 
L'évêque  l'interrompt  de  nouveau  par  la  même 
annonce.  Alors  Gravelle  lui  dit  qu'il  s'ébahit  de 
ce  qu'il  Veut  les  empêcher  de  prêcher  en  ce  lieu, 
vu  que  le  roi  et  le  gouverneur  le  permettent.  Après 
cela  nouvelle  interruption ,  puis  une  discussion  de 
théologie  entre  l'évêque  et  Gravelle ,  que  Nicole 
détaille  au  même  feuillet  169,  au  160^  et  au  com** 
mencement  du  161'';  discussion  où ,  d'après  le  jrécit 
de  Nicole,  à  la  vérité  suspect  à  cause •  de  ses  opi* 


( 
\ 
i 


DES    ANTIQUAIRES  1>E  FR^CE.  4^9 

nions,  levêque  n'eut  pas  l'avantage ,  et  à  la  suite 
de  laquelle  il  se  relira.  Alors  des  cerveaux  échauffés, 
comme  il  y  en  a  dans  toute  assemblée ,  ne  purent 
se  tenir  de  crier  :  au  loup ,  au  i^nard^  à  Varier  a 
récole. 

Nicole  ajoute  (  feuillet  i6i  )  que  Gravelle ,  après 
avoir  administré  la  cène  à  Vassy  le  jour  de  Noël, 
s'en  revint  à  Troyes  le  lendemain  (26  décembre). 

Ainsi,  il  est  d'abord  clair,  par  le  récit  de  Nicole, 
que  révêque  ne  se  plaignit  pas,  puisqu'il  laissa  le 
ministre  exercer  ses  fonctions  encore  pendant  huit 
jours(du  18  au  26  décembre),  quoique,  d'après  les 
dispositions  de  l'édit  de  juillet  précédent  {Vojr.  ci- 
dei^ant  page  i44),  il  eût  pu  commencer  on  au  moins 
provoquer  des  poursuites. 

Mais  d'ailleurs,  s'il  en  eût  commencé  ou  pro- 
voqué ,  il  n'aurait  pu  les  continuer,  puisque,  pres- 
que aussitôt  après,  ou  au  mois  de  janvier  i56i,  vieux 
style ,  et  1 56â,  nouveau  style ,  fut  rendu  le  fameux 
édit  de  janvier,  que  rapporte  Nicole,  feuillet  162 
et  suivans,  et  qui  permet  aux  réformés  de  s^ as- 
sembler de  jour  hors  des  villespour  faire  leurs  prêches 
et  prières ,  et  défend  a  toutes  personnes^  de  quel- 
que état  qu'elles  soient ^  de  les  y  troubler  (Voyez 
aussi  ci-devant  pages  1 4 1  et  suis^antes  ) . 

D'autre  part,  les  députés  des  réformés  qui  se 
trouvaient  à  la  cour  publièrent,  en  février,  et  en- 
voyèrent à  toutes  leurs  églises  un  avis  pour  les  ex- 
horter à  obéir  à  l'édit  et  à  en  faciliter  l'exécution. 
Nicole  le  rapporte,  feuillets  ifô  et  166. 


490  MÉMOIRES  DE  LA  SOGlliTE  l^OYÀLE 

Après  cela  il  raconte^  même  feuillet  166^  à  la 
fin  9  que  à  Trojes  «  nouvelles  arrivèrent  le  2  mars 
«  au  matin  comme  les  fidèles  de  Tëglise  de  Yassy, 
«  distant  de  Troyes  d'environ  i4  ou  i5  lieues  y  eslaat 
«  assçmblés  sans  armes  à  leur  façon  accoustumée 
«  en  une  grange  dedans  la  ville  y  avaient  esté  le 
"  jour  précédent  (  i®'  mars  )  les  ungs  très-inhumai- 
(c  nement  et  cruellement  massacrés  et  les  autres 
<(  fort  et  griefvement  blessés ,  sans  aulcung  respect 
«  d'aage  ni  de  sexe  par  ceux  de  la  suite  du  duc 
«  de  Guyse,  François  de  Lorraine,  authorisés  par 
«  sa  présence.  »  Il  ajoute  que  les  fidèles  de  Trojes 
leur  envoyèrent  un  chirurgien  qui  rebroussa  chemin, 
parce  que,  dit- il,  il  avait  été  averti  eu  route  que 
ceuk  de  Vassly  avaient  des  chirurgiens. 

Nicole  finit  là  son  7''  livre,  feuillet  167.  Il  ne 
dit  plus  rien  du  massacre,  si  ce  n'est  au  commen- 
cement du  8*  livre,  où  il  se  borne  à  rapporter  que 
cela  causa  une  grande  frayeur  aux  fidèles  de  Troyes, 
parce  que  le  bruit  était  que  les  massacreurs  s'y  ache- 
minaient. 

Quoi  qu'il  en  soit,  où  voit-on  dans  tout  ce  récit 
la  moindre  circonstance  d'où  il  puisse  résulter  que 
le  massacre  de  Vassy  fut,  cpmme  l'avance  Grosley, 
provoqué  par  un  manque  total  de  respect  des  Cal- 
vinistes envers  leur  évêque  ?  D'abord,  l'évêque  s'était 
attiré,  par  son  imprudence  et  son  obstination,  les 
propos  que  rapporte  Nicole;  et  ensuite,  ce  qui  tranche 
toute  difficulté ,  les  propos  avaient  été  tenus  le  1 8  dé- 


DES  ANTIQUAIRES  DS  FRANCE.  4^^ 

cembre,  et  le  massacre  eut  lieu  le  i**"  mars  suivant^ 
ou  soixante  et  douze  fours  après» 

Le  duc.  de  Guise  n'avait  d'ailleurs  aucune  qua- 
lité ,  ni  pour,  les  punir ,  ni  pour  les  juger.  Uédit  de 
juillet  recommandait  la  paix;  il   n'appartenait  pas 
au  duc  de  la  troubler,  e^ encore  moins  après  l'édit 
de    janvier  suivant.  Quoique  celui-ci  ne   fût  pas 
encore  enregistré  (  f^oy.  .ci-devant  page  i47  )  >  ce 
n'était  pas  à  un  serviteur  de  la  couronne  à  l'en- 
freindre; et  enfin,  le  duc,  on  le  répète,  n'avait 
absolument  aucun  droit  de  venir  s'immiscer  dans 
les  affaires  de  la  religion,  dans  aucun  lieu,  et  sur- 
tout en  Champagne ,  où  il  n'était  pas  gouverneur. 
D'autre  part,  on  voit  combien  est  fausse  la  réflexion 
de  Grosley,  rapportée  ci-devant  page  486;  car,  quel 
rapport  y  a-t-il  entre  le  droit  qu'avait  ou  n'avait 
pas  Tévéque  de  tolérer  ou  empêcher  les  assemblées 
des  protestans ,  et  le  '  massacre  de  Vassy  ?  l'évéque 
avait-il  requis,  et  en  aurait-il  eu  d'ailleurs  le  dreit, 
et  le  duc  de  Guise  aurait-il  pu  déférer  à  ses  réqui- 
sitions ?  l'évéque ,  disons-nous,  avait-il  requis  le  duc 
de  dissoudre  l'assemblée  de  Vassy  ?..*  et,  en  sup- 
posant que  les  protestans  de  Vassy  eussent  manqué 
de  respect  à  Pévêque  le  18  décembre,  est-ce  que 
cela  aurait  suffi  pour  autoriser  à  les  massacrer  le 
premier  mars?....  On  conçoit  que,  si  le  manque 
de  respect  avait  eu  lieu  le  premier  mars  et  eût 
irrité  les  soldats  du  duc  de  Guise ,  on  pourrait  dire 
que  les  protestans  avaient  provoqué  leur  malheur. 
Mais  le  dire,  lorsque  d'après  le  récit  sur  lequel  on 


492  MEMOIRES    DE   LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

se  fonde  y  le  manque  de  respect  avait  précédé  de 
soixante  et  douze  jours  le  massacre,  et  lorsque 
Tévéque  n'était  pas  même  présent  au  moment  du 
massacre. •••  en  vérité  >  nous  ne  savons  commeot 
qualifier  cette  allégation  de  l'historien  des  frères 
Pithou. 

3a.  Page  i56,'^Madame  de  Castre.,».  Nous  avons  dit  au 
n"  4,  p.  1599  qu'il  s'agit  de  Diane,  fille  naturelle  de  Henri  II. 
Il  en  est  question  dans  un  procès- verbal,  dressé  par  le  parle- 
ment de  Paris ^  sur  l'entrée  solennelle  que  la  reine  Gatherine 
de  Médicis  fit  à  Paris,  au  mois  de  juin  i549^  deux  années 
après  l'avènement  de  son  époux  au  trône  de  France.  Parmi 
les  personnes  qu'on,  j  nomme,  comme  placées  auprès  de  la 
reine  dans  les  diverses  cérémonies  de  l'entrée,  on  trouve,  à 
trois  reprises  diflférentes,  la  même  Diane,  alors  à  peine  âgée  de 
dix  ans>  et  qui  y  est  désignée  en  ces  termes  :  madàmoiselu 
u.  BÀSTAADB  DU  ROI  {K.  ms8.  Dupuy  j  vol.  662,  fol.  i45,  i46 
et  147).  Ce  voisinage  paraît  d'autant  plus  singulier,  du  moins 
dans  nos  mœurs  actuelles^  que  Diane  était  née  six  ans  après 
le  mariage  de  la  reine  (  Voyez  Morerif  mot  France  ^vP  de 
ffenri  II). 

53.  Page  i56. — Voici  une  preuve  décisive  que  le  Balafré 
a  commis,  dans  sa  première  lettre,  l'erreur  de  date  que  nous 
avo99  déjà  iodi(|uée  au  n**  16,  p.  xS\ ,  dû  nous  arons  obserré 
que  la  date  réelle  devait  être  postérieure  au  28  décembre, 
)<Hir  des  Innocensj  parce  qu'il  était  impossible  que  ce  jour-Iâ 
il  eût  appris  le  passage  de  son  père  au-delà  des  Alpes.  Nous 
voyons  en  efiet,  par  les  registres  mss.  du  conseil  de  la  ville  de 
Grenoble,  que  le  duc  de  Guise  passa  dans  cette  ville  pour 
aller  en  Italie,  vers  le  17  du  même  mois  de  décembre  ;  qu'il 
y  fit  une  .entrée  solennelle  avec  son  épouse;  qu'ils  s'y  artê- 
tèrent  plusieurs  jours ,  et  que  le  3o  ils  étaient  à  peine  i  Mont- 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  49^ 

mèlian,  yille  où  le  conseil  enyoya  ce  jour-là  un  messager  au 
duc.  Ainsi  il  est  clair  que ^  le  289  son  fils  ne  pouvait^  dans  une 
lettre  écrite  à  Saint -Germnin-en-La je  ,  le  féliciter  de  son  pas- 
sage au-delà  des  monts. 

Puisque  l'occasion  s'en  présente,  nous  rapporterons^  d'après 
les  mêmes  registres,  que  le  conseil^  pour  se  conformer  à  l'usage 
où  étaient  alors  les  TÎUes  de  faire  des  doas  aux  gouverneurs  à 
chaque  entrée ,  arrêta  ,1e  11  du  même  mois ,  d'offrir  cette 
fois  au  duc ,  1**  cinq  ou  six  sommées  ou  charges  d'ayoine  ;  ' 
2"  deux  tonneaux  de  yin^  l'un  blanc  et  l'autre  clairet,  chacun 
de  deux  charges  et  demie  (la  charge  de  Grenoble  équiyalait 
à  peu  près  à  un  hectolitre)  ^  qui  furent  payés  à  raison  de  deux 
écus  d'or  sol  la  charge. 

A  l'égard  de  la  duchesse,  comme  on  ne  lui  avait  fait  aucun 
don  à  sa  première  entrée  ,  en  i548,  année  de  son  mariage  ^ 
et  qu'aux  premières  entrées  les  dons  devaient  être  beaucoup 
plus  considérables,  on  délibéra,  le  t6,  de  lui  offrir  une  mé- 
daille d'or  valant  200  écus,  y  comprisr  la  facture  d'ieelle. 

Siais  faute  de  temps,  ou  peut-être  d'artiste,  la  médaille  ne 
fut  pas  prête,  et,  le  21 ,  on  décida^  pour  parachever  le  don, 
d'y  substituer  trois  mulets ,  dont  le  prix  arriva  à  la  même 
somme  {Voir  dd,  Reg.  mss.  ii^  16,  ai  et  3o  déc.  i556,  et 
9  mai  1557). 

N,  B.  L'écu  d*or  sol  valait  alors  46  à  48  sous  (t^oir  iiél.,  4  juillet  i55o 
et  9  mai  iSSj). 

34.    Pages  i56  et  160.  — A  Monsieur  de  Lorraine On 

peut  être  surpris  de  yolr  le  jeune  duo  de  Lorraine  à  la-  cour 
de  Henri  II;  mais  nous  apprenons,  par  (e  continuateur  de 
Bouchet,  auteur  contemporain ,  qu'en  avril  lôSi  (i552, 
n.  St.  }  ,  Henri  11^  lors  de  son  expédition  de  Lorraine ,  s'était 
saisi  de  ce  duc,  à  peine  figé  de  huit  ou  neuf  ans,  et  l'avait 
fait  envoyer  à  Paris  pour  y  être  élevé  avec  le  dauphin. — f^.  id. 
j4nnal€s  (t Aquitaine  y  p.  628^  édition  de  i644  (€'cst  eelie 
que  nous  avops  citée  ci-devant  p.  160,  n^  9). 


494  MÉMOIRES  DE  tk  SOCIÉTÉ  ROYALE 


NOTICE 

Sur  les  ruines  de  Nœomagua  Lexopiorum  (  rancien  Lisieux), 
département  du  CalyadosV4>ar  M.  Louis  du  Bois,  corres- 
pondant de  la  Société. 

JLiES  premiers  et  les  plus  anciens  auteurs  qui  aient 
parlé  de  Lisieux  et  de  son  territoire ,  sont  Jules-César 
dans  ses  Commentaires  sur  la  guerre  des  Gaules , 
environ  quarante  ans  avant  l'ère  vulgaire  ;  Strabon , 
danssa  Géographie ,  vers  Tan  lo  de  cette  ère;  Pline, 
dans  son  Histoire  naturelle ,  vers  Tan  79  ;  et  ensuite 
Ptolémée ,  dans  sa  Géographie ,  vers  Tan  i38. 

Tous  s'accordent  à  peu  près  sur  la  position  ainsi 
que  sur  l'étendue  du  territoire  des  Lexpviens,  et  sur 
le  nom  de  la  capitale  de  leur  république.  Ils  ne  dif- 
fèrent un  peu  que  sur  l'orthographe  du  nom  de  ces 
peuples,  que  César  appelle  tantôt  Zieororâ' ,  tantôt 
Lexobu,  et  Ptolémée  Lexoubii. 

C'est  surtout  d'après  Strabon  et  Ptolémée  que  le 
savant  Danville  se  détermina  à  placer  la  capitale  des 
Lexoviens  sur  le  sol  de  la  ville  actuelle  de  Lisieux , 
dans  le  département  du  Calvados. 

En  1770 ,  l'ingénieur  des  ponts-el-chaussées  Hu- 
bert, faisant  extraire;  à  l'ouest  de  la  ville  de  Lisieux, 
des  matériaux  pour  la  grande  route  de  Lisieux  à  Caen, 
découvrit  inopinément  les  ruines  de  Néomagus ,  à 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  49$ 

deux  kilomètres  au  N.  Ô.  de  l'emplacement  du  Li* 
sîeux  moderne.  Cet  ingénieur  qui,  malheureiise- 
ment;  fit  son  travail  à  la  hâte,  et  qui  manquait  de  lu- 
mières sur  les  antiquités  et  même  sur  la  lithologie  , 
rédigea  un  mémoire  sur  les  fouilles  superficielles  qu'il 
avoit  faites,  et  sur  les  traces  d'édifices  nombreux  et 
de  rues  considérables  qu'il  avait  découvertes ,  non 
pas,  comtme  il  Ta  dit  ^  au  lieu  des  Tourettes,  mais 
principalement  dans  le  champ  Loquet.  Ce  mémoire^ 
adressé  à  l'abbé  Rozier  pour  le  Journal  de  physique, 
n'était  pas ,  par  son  objet,  de  nature  à  j  être  inséré. 
Un  des  neveux  de;  ce  savant,  ^vant  lui-même  très- 
distingué  f  M.  Mongez,  membre  de  l'institut ,  ayant 
trouvé  dans  les  papiers  de  son  oncle  le  mémoire  de 
Hubei^t^en  fit  l'extrait ,  et,  d'après  ce  travail,  lut  à 
l'institut  (  séance  publique  du  20  vendémiaire  an  xi), 
une  Dissertation  «  sur  la  véritable  situation  d'une  an- 
«  cienne  ville  de  la  seconde  Lyonnaise  appelée 
«  No\^iomagu$  Lexoviorum.  »  Malheureusement 
M.  Mongez  n'avait  pas  vu  les  Jieux  :  il  n'en  a  parlé 
qup.  diaprés  le  méixioire  de  Hubert ,  qui  renferme 
beaucoup  d'incorrections ,  de  faux  aperçus,  et  d'er- 
leurs  sur  la  nature  des  débris  qu'il  a  eu  occasion  de 
voir. 

J'ajouterai  aux  détails  contenus  dans  l'extrait  de 
M.  Mongez  quelques  observations  qui  m'ont  étési^- 
gérées ,  soit  par  l'inspection  des  lieux,  soit  parTexa- 
xnea  du  mémoire  de  Hubert ,  soit  par  les  renseigne* 
mens  que  je  me  suis  procurés. 

Le  nom  des  Tourettes,  quoi  qu'en  ait  dit  Hubert , 


49^  MÉMOinEB  DE  lA  SOCIETE  ROYALE 

ne  saurait  provenir  d'un  simple  pilier  ;  il  vient  évidem* 
ment  d'anciens  débris  de  tours  et  de  fortifications  ou 
de  constructions  de  forme  arrondie^  qui  auront  sur- 
vécu long-temps  à  la  destruction  de  la  ville.  Ces  ruines, 
plus  apparentes,  auront  vraisemblablement  fourni  des 
matériaux  pour  les  églises  et  les  monastères  du  nou- 
veau lisieux  dans  le  onzième  siècle  et  les  siècles 
postériears.Toutefois,  àrexception  de  pierresde  taille 
de  QuiUi,  telles  que  ceUesdont était  constroitlegrand 
pilier  (porte  de  ville)  dont  parle  Hubert^lesqyeUesout 
pu  être  lemplojées  sans  qu'on  les  reconnaisse»  je  ne 
trounre    nuUe  part  aucune  trace  de  remploi  qu'on 
aurait  pfu  faire  des  porphyres  ;  des  matrbres  et  de  ces 
larges  briques  qui  abondent  encore  dansles  fouilles, 
il  est  extraordinaire  a^ssi  qtie  l'on  n'ait  remarqué , 
ni  dans  les  murs  de  lai  cathédrale ,  ni  dans  \^$  mu- 
railles et  les  tours  de  la  ville  ,  aucunes  de  ces  pierres 
de  grand  appareil  sur  lesquelles  il  devait,  exister  des 
inscriptions  romaines ,  ainsi  qu'on  en  découvre  dans 
les  anciennes  villes  où  les  Romains  s'étaient  établis. 
Il  faut  induire  de  ces  remarques  que  le  sol  des  Tou- 
rettes,  et  surtout  celui  du  champ  Loquet»  recèlent  ^ 
sôus  leurs  premières  couches  mises  eh  culture^  une 
partie  considérable  des  démolitions  faites  par  les 
Saxons  (  destructeurs  de  Néomagus  etde  plusieurs 
villes  voisines»  yers  la  moitié  du  quatrièùie  siècle). 
Ces  décombres  »  négligées  pendant  plusieurs  siècles, 
se  sont  recouvertes  successivement  de  détritus  de  vé- 
gétaux et  de  terre.  Ces  conjectures  me  paraissent 
d'autant  plus  vraisemblables  que  »  jusqu'en  1770»  on 


DBS  ANTIQUAIRES   Dï  FRANCE.  ^97 

ignorait  la  véritable  situation  de  l'ancien  Lisienx ,  et 
qu'il  a  fallu  y  faire  des  excavations  pour  en  exhumer 
les  objets  découverts  et  décrits  par  Hubert.  J'ajou- 
terai que  les  couches  épaisses  de  terre  établies  sur 
les  ruines  dés  monumens  de  l'ancien  Lisieux  me  sem- 
blent avoir  été  placées  par  lès  barbares  eux-mêmes, 
qui  Voulaient  peut-être  pat  cette  opération  essayer, 
dans  leur  fureur  aveuglé,  d'anéantir,  autant  qu'il 
était  en  eux ,  jusqu'au  souvenir  des  villes  qu'ils  dé- 
truisaient. Je  serais  d'autant  plus  porté  à  le  croire, 
que  j'ai  remarqué,   non  seulement  à  Rome,  mais 
dans  plusieurs  autres  anciennes  villes  d'Italie,  que  des 
monumens  détruits' 6u  mutiles,  que  des  fai)riques 
considérables,  que  d'iminetises palais  se  trouvent  en- 
fouis sous  des  couchés  cle  terre  évidemment  trans- 
portées lai  tellement  épaisses,  qu'il  était  impossible 
que  les  diétritbs ,  les  végétaux  convertis  en  terreau, 
et  les  divers  apports  faits  par  les  pluies ,  eussent  pu 
les  former. 

L'emplâcèrtrent  que  Hubeft  et  M.  Mongez  dési- 
gnent mal  à  propos  sons  le  nom  de  ToUfettes,  qui 
n*e«t  celui  que  d'ime  ■  très-petite  partie  de  ce  terri- 
toire ,  s'étend  sut*  jAtiislieuts  pièces  de  terre  eii  labour* 
et  en  pâturage,  séparées  jpar  des  hafes,  et  même  par' 
un  chemin.  L'un  de  <?e$' champs,  le  champ  Loquet , 
est  celui  qui  offre  le  ptus  de  débris ,  surtout  aux  en- 
virons d'un^;  "cavité  en  foii»ie  d'entonnoir ,  près  de 
laquelle  on  atrpuvé,' à  diverses  époques,  et  récem-^ 
ment ,  en    1812,  plusieurs  médailles  que  j'ai  vues  ; 

IV.  32 


I^gS  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

un  Domitien  en  argent  >  une  Faustine  et  un  Yespa- 
sien  en  grand  bronze. 

J'ai  découvert,  le  pt^emier^  en  18x49  pinceurs  pe- 
tits fragmens  de  cette  belle  poterie  rouge  en  usage 
chez  les  Romains,  des  tablettes  de  beaux  scbistes 
noirs  et  verdâtres,  des  morceaux  de  beau  granit  gris 
très-fin  et  poli  des  environs  de  Tinchebrai  (Orne)^ 
un  boutde  corniche  d'albâtre  d'un  blanc  ^agnifiquei 
beaucoup  de  marbres^  soit  bU^çs^  soit  veinés  rouge 
et  violet.  Les  plus  conunuos  ont  été  extraits  proba- 
blement de  carrières  voisines ,  de  Barou,  de  Yieu:^ , 
de  Laize  ^  de  Saint-Laurent-dvirAfont,  de  IVIoutiers^ 
des  Loges  et  de  Fourneaux^  IjesquellcA  étaient  alors 
exploitées.  Indépendamment,  jJe  cesi  marbres^  j'ai 
constaté  l'existence  de  plu^^urs  marbres  r^res  doot 
j'ai  recueilli  des  échantillons  nai^breux,  tels  que  du 
marbre  blanc  statuaire  de  Carrure,  du  jai4pe  ^ç  ^eme 
ou  pagliocço,  du  c^polUq  ^ec  à  cancres  micacées, 
des  brèches ,  des  griottes,  etc.  J'ai  trouvé  ^ussides 
fragmens  nombreux  de  pprpbjxes- ,  soif  rouge  des 
Grecs,  soit  vert  serpentin  provenant  de  l'Egypte  et 
de  la  Grèce.  Parmi  les  autres  obj.eli$  que  j'ai  aussi re- 
marquésf  le  premier,  je  q^  dois  pa^néglig<^r  déplacer 
de  jolis  tessons  de  cette  belle  poterie  antique  à  cou- 
verte rQuge  9  dont  j'ai  p^rl^  pjus  haut  ;  quelquei^os 
oifrent  les  formes  les  plus  élégantes,  et  pr^sentept; 
sur  leurs  bords,  le  relief  circulaire  de  ram^uxtrès- 
graçipux  d'olivier,  de  vigne  et  de  myrte.  Ces  frag- 
mens sont  parfaitement  aii^ogues  à  c^ux  que  j'ai 


DES  ANTIQUAIRES  D«  fllANCE.  4Q9 

trûuvés),  en  1816,  dana  les  Kumm  d'-Mifte-S^inte-Reiae 
(  Cote-d'Or  ),  Vantique  et  puiasaotQ -4^^^  Mandu- 
èioiçum  f  si  célèbre  d£|n$  l^  CJQmixieqtdiire^  de  Gé^ar , 
et  qui^  cjoinme  Néomagus  et  Uot  d'autres  cités  dé- 
truites par  les  barbarosi  dia^$  les.  .ide^^  siècles  de  la 
vieille  ignorance ,  gisent  obscupéjuent  sous  le  sqI 
qu^elles  dominaient,  méconnues  même  des  |ils  de 
leurs  anciens  habitans. 

Quoique  superficielles,  les  fouilles  faites  en  1770 
par  riïjgçpipur  {I^b^Et,  ^p^i)!;  dQCO^yr^c  plusieurs  ob- 
jets précieux  >  tels  que  des  niarbres,  des  médailles  , 
naême  le  bras  d'une  stat;ye  d.e  hvpiiz^j^  çf;  jtjçs  pièces 
de  grosse  poterie  que  l'on  dédaigna,  et  que  j'ai  recon- 
nues pour  des  têtes  d'amphore. 

Au  nord-est  de  l'ancien  Lisieux ,  et  attenant  à  la 
yiUe>  j'ai  découvert,  le  18  m^ii  i3|8,  un  amphi- 
théâtre romain  d'une  grande  étendMC;  d^ins  Tarèpe 
duquel  il  est  facile  de  yoir  qu'on  iw  ljPQ4wiSïait  les  eau^ 
d'un  ruisseau  toôâio  pour  le^  9^u(i3tachies,.  De  v^tes 
constructions.  antiquQS;  eompoaé^es  de  çQucbes  alter- 
natives de  pierres  et  de  larges  briqu^çs,  subsistent  en- 
core ,  et  donaent  de  ce  manument  une  grande  opi- 
nion. Une  simple  levée  ^  gazon  me|trait  à  nu  le^ 
gradins  et  les  murs  de  l'édifice. 

Il  serait  bien  à  désirer  qu^^  l'pn  put  faire  avec  $0^ 
df2SL  excavations  et  des  rechercl^es.  $»r  içs  points  q^e 
nojus  avons  indiqués.  Les  pi>opriétjaire$  ^  ices,;ter-^ 
Faias  se  piïêteraiettt  Ma]cM[)tie£S>  wn3  daut^  k  ce^  tr*- 
va<u jfi  qui ,  faits  en  temps,  c w venèfel^ ,  .?PF8S  l^s  yé- 
cal(eft>  QU&  leur  QCC^icyitAeraieol  ^jU^P  ^Jg^^^^,  H 

32* 


»     i* 


50O  MEMOIRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

i  serait  digne  du  gouvernement  et  de  son  exceUence 
le  ministre  de  Tintérienr ,  de  provoquer  et  de  faire 
entreprendre  ces  recherches  qui  rendraient  au  jour 
les  ruines >  sans  doute  imposantes,  d'une  des  plus  il- 
lustres cités  des  Gaules,  et  peut- être,  exhumant  des 
V  choses  curieuses,  serviraient  la  science,  l'histoire  et 
les  arts. 


NOTICE  ARCHÉOLOGIQUE 

Sur  un  autel  àEsus,  par  J.  B.  J.  JoaiND,  membre  résident. 

Messhburs, 

JL/E  monument  dont  nous  allons  vous  entretenir  a 
déjà  été  robjet  de   votre  attention.  Quoiqu'il    ait 
été  décrit  plusieurs  fois ,  et  qu'il  soit  retracé  dans 
plusieurs  ouvrages,  il  nous  a  semblé  offrir  encore 
quelques  observations  neuves,  particulièrement  dans 
la  figure  qu'on  a  considérée  jusqu'à  ce  jour  comme 
devant  être  positivement  le  dieu  Esus  :  ce  monu- 
ment mérite  à  tous  égards  l'estime  et  le  cas  que  les 
savans  de  tous  les  pajs  en  font.  Picot,  dans  son 
Histoire  des  Gaules,  en  parle  avec  le  plus  grand 
intérêt.  M.  Dulaûre,  dans  son   excellent  ouvrage 
sur  la  ville  de  Paris  ,  remarque  avec  raison  que  les 
points  favorables  à  la  navigation  des  fleuves  ou  des 
rivières  de  la  Gaule  furent  constammeiit  enrichis 
et  honorés  de  ces  preuves  de  la  reconnaissance  des 


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DES  ANTIQVAIIV6S  DE.oRAKCE.  5ot 

hommes  envers  les  dieux,  à  qui  ils  attribuaient  leur 
prospérité  et  leur  bonheur. 

L'île  de  la  Cité  à  Paris,  favoraV:  Tient  située  pour 
la  navigation ,  devait  donc  auss  ,  fournir  à  la  pos- 
térité la  preuve  de  cette  même  reconnaissance. 

Le  monument  auquel  nous  nous  arrêterons  par- 
ticulièrement ,  et  qui  nous  semble  intéresser  tout  à 
la  fois  l'histoire  et  les  arts,  est  celui  qui  paraît  avoir 
été  consacré  à  Jupiter,  à  Esus,  à  Vulcain  et  au 
Taureau ,  objets  du  culte  des  Gaulois. 

Ce  monument,  tant  de  fois  dessiné  et  décrit,  le 
fut  toujours  avec  inexactitude  ;  le  P.  Montfaucon  ,^ 
dans  son  Antiquité  expliquée ,  et  Dom  Félibien  dans 
son  Histoire  de  Paris,  en  donnent  une  explica- 
tion fautive  à  de  certains  égards ,  et  une  représenta- 
tion plus  fautive  çncore.  Dans  le  premier  volume 
des  Mémoires  de  l'académie  celtique,  on  trouve 
aussi  une  gravure  de  ce  même  autel  faite  sur  les 
dessins  de  M.  Mazois;  cette  gravure  ^  quoique  plus 
exacte  que  celles  qu'on  voit  dans  les  ouvrages  déjà 
cités,  laisse  encore  bien  des  choses  à  désirer  sous 
le  rapport  du  style  et  du  caractère  de  cette  sculp- 
ture des  bas  temps.  Il  est  tout  naturel  de  penser 
que  si  le  dessinateur  est  inexact  et  infidèle  dans 
son  travail,  l'historien  et  l'antiquaire  qui  ne  peuvent 
pas  toujours  examiner  les  monumens  par  eux-mêmes, 
seront  induits  en  erreur  par  cette  inexactitude.  C'est 
précisément  ce  qui  est  arrivé  pour  le  monument 
que  nous  entreprenons  de  décrire  de  nouveau,  et 
que  nou$  avons  destiné  nous- même  avec  le  plus. 


S02  MÉMOIKËS  D£   LA  SOCIÉTÉ   ftOYALK 

grand  soin ,  d'après  loriginal  qui,  eu  te  moment ,  se 
trouve  dans  les  magasins  et  Fahdtn  Mnsée  des 
monninens  français ,  en  attendant  qti*il  soit  trans- 
porté dans  le  Masée  qu'on  se  propose  de  faire  au 
palais  des  Thermes  dé  Julien. 

Le  16  mars  ijio^  ou  1711,  selon  M.  Dulaure, 
en  creusant  sous  le  chœur  de  Notre-Dame  de  P^tïs, 
pour  y  construire  un  caveau  destiné  à  recevoir  les 
dépouilles  mortelle^  des  archetéqueâ  de  cette  mé- 
tropole^  on  trotita^  en  faisant  ce^  Fouillés ,  plusieurs 
fragmens  de  sbûlpture  au  nombre  de  neuf  pierres 
cubiques ,  offrant  sur  chacune  de  leur  face  verti- 
cale un  sujet  différent  etaccompagnéd'itiScHptioiis. 

Parmi,  ces  frâ^gmens  trouvée  à  Notl*e-Dâme ,  nous 
nous  sommes  attachés  particttliëreiîieut  à  reproduire 
Tautel  dit  dé  Jupiter  ou  d'Eslià,  eiqui  est  le  tniièiix 
conservé. 

Cet  autel  est  conifioàé  de  deux  piètres,  coiHine 
on  peut  lé  voir  dànisle  deèsih  que  nous  en  donnons; 
iâ  Ti'atitèur  éiàt  de  trdis  pîédà  six  f)Ôuces,  et  chacune 
dé'  ses  faces  a  deui  pieds  et  dèihi  énvifôn  :  sût 
rUne  d'elles  l*on  voit  lirié  figure  en  pîèd  représen- 
tant Jiipiter  tenant  dé  ia  maih  gauche  tlhe  haste  ou 
jpique  ,  dé  l'autre  qui  est  presque  éntîèrémëiit 
brisée,  ce  diètî  était  aridaê  dé  U  foudre  dohi  on  aper- 
çoit encore  Un  des  carreaux;  circonstance  omise 
par  la  plupart  dés  dessinateurs  qiii  ont  reproduit  ce 
monument.  Le  bras  droit  soutenait  aussi  ûnè  par- 
lie  du  palùdaihentiim  dont  cette  figuré  est  vêtue; 
du  inê'me  côté ,  à  ses  pie^s ,  est  un  aigle  tèllemèât 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCS.  5o5 

ft*uste  qu'on  le  distitag^é  à  peine.  Dans  la  fracture 
du  btàs  droit,  bn  remarque  Teitipreinte  pajtîàiie  d'un 
coquillage  fossile  (bivalve).  Sur  le  bandeau  qui  sert 
de  corûiche  à  cet  autel,  on  lit  LOVIS;  D.  JPéli- 
bien  a  lu  TOVIS*,    ce  que  notis  n'avons  pu  voir; 
mais  nous  croyons  que  c'est  postérieurement,  et  par 
tin  motif  qu'on  ne  peut  expliquer  autrement  que 
par  ridée  d'une  flatterie  maladroite,  qu'on   aura 
voulu  faire  de  Jupiter,  Louis;  alors  on  transforma  la 
lettre  I  en  la  lettre  L  ,  à  la  faveur  d'une  ligne  hori- 
zontale qu'on  y  ajouta,    ce  qui  fait  LOYIS  pour 
lOVIS.  D.  D.  Lobineau  et  Félibien  ne  croient  pas 
devoir    reconnaître    une    lance   dans  l'arme   que 
cette  figure  tient  à  la  main  gauche ,  par  cela  seul 
qu'elle  leur  semblerait  trop  courte  de  proportion  ; 
c'est  une  bien  faible  raison ,  et  c'est  aussi  bien  peu 
connaître  les  licences  permises  dans  l'art  statuaire. 
Non  conlens  de  n'avoir  pas  voulu  voir  ce  qui  est , 
le  dessinateur  ainsi  que  Félibien  ont  vu   ce  qui 
n'est  pas;  car  l'artiste  a  indiqué  la  main  droite  dans 
une  position  que  bien  certainement  elle  ne  devait 
pas  avoir,  en  supposant  même  que  cette  main  exis- 
tât encore  à  l'époque  de  la  découverte  du  monu- 
ment. Il  serait  impossible   que  la  main   dé  cette 
figure ,  ainsi  qu'elle  est  posée ,  pût  tenir  le  foudre 
dont  elle  était  armée,   et  dont  un  des  carreaux, 
déjà  mentionné,  nous  atteste  l'existence. 

A  la  partie  diamétralement  op^posée  à  celle  que 
nous  venons  de  décrire,  on  remarque  un  taureau  qui 
semble  être  dans  une  forêt,  il  est  couvert  d'une 


5o4  MÉMOIRES  D£  LA  SOCI£T£   ROYALE 

housse  ou  étole;  trois  grues  sont  montées  sur  lui^  une 
sur  sa  téte^  uue  sur  sou  garrot;  et  la  troisième  sur 
sa  croupe;  aussi  lit-on  sur  le  bandeau  de  Tautel 
TAVROS.  TRIGARANVS,  inscription  latine  avec 
des  formes  grecques  et  celtiques. 

A  la  droite  du  Jupiter  est  représentée  une  figure 
de  Yulcain  (i)  tenant  de  la  main  gauche  une  paire 
de  tenailles  ^  et  de  la  droite  un  marteau  ;  ce  second 
attribut  est  encore  échappé  au  dessinateur  employé 
par  Félibien.  Ce  dieu  a  pour  tout  vêtement  une 
courte  tunique  qui  lui  laisse  le  bras  droit  libre; 
sa  coiffure  est  en  forme  de  calotte  surmontée  d'une 
espèce  de  petite  boule.  On  lit  au-dessus  de  sa  tête: 
VOLCANVS. 

Sur  la  face ,  à  gauche  de  la  figure  de  Jupiter ,  on 
remarque  un  homme  vêtu  d'une  sorte  de  tunique  ou- 
verte d'un  côté,  comme  celle  de  Vulcain,  et  qui 
laisse  également  le  bras  droit  libre  dans  ses  mouve- 
mens.  De  la  main  gauche^  cette  figure  tient  une 
branche  d'arbre  qui  va  être  frappée  de  la  serpe  dont 
la  main  droite  est  armée;  un  rameau  est  déjà  à  ses 
pieds;  la  tête  est  ornée  d'une  couronne  de  laurier. 
Cette  figure ,  comme  les  autres  »  est  d'une  fort  mau- 
vaise proportion  et  d'un  dessin  très*incorrect>  mais 
ne  manque  cependant  pas  d'une  sorte  de  style  dans 
la  composition  ;  si  on  en  excepte  toutefois  le  Vulcain, 
qui  remplit  assez  mal  l'espace  du  panneau  qu'il  oc- 

(i)  Une  Ogure  ùt  peu  près  semblable  fut  trouvée  dans  les 
fouilles  qu*on  fit  vers  le  milieu  du  siècle  dernier^  d'une  tom- 
beile  funéraire  à  Pouilly-sur-Saône. 


Dli;S  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  5o5 

cupej  premier  vice  de  composition  dans  les  mo- 
numens  des  arts. 

Maintenant  examinons  quelques  opinions  des  sa- 
vans  qui  se  sont  occupés  de  la  description  de  ce 
monument  précieux  par  son  antiquité,  et  curieux 
pour  rhistoire  des  arts  dans  la  Gaule*  La  description 
matérielle  qu'on  en  a  faite  n'est  pas  seule  fautive  ; 
l'interprétation  historique  que  quelques  auteurs  en 
ont  donnée,  nous  a  semblé  insuffisante  et  peu  juste. 

Sans  avoir  recours  aux  étymologies  galloises  etbre- 
tonnes ,  comme  Va.  fait  M.  Johanneau ,  dans  une  fort 
longue  et  fort  savante  dissertation  ^  insérée  dans  les 
Mémoires  de  l'académie  celtique  (Tom.  I,  p.  160  ) , 
étymologies  qui  le  conduisent  à  faire  du  mot  £sus  ou 
HœsuSy  Syhanus^  le  dieu  Sylvain  des  Romains,  nous 
nous  bornerons  à  ne  voir  simplement  dans  ce  mot 
que  le  nom  donné  à  la  divinité,  considérée  comme 
principe  universel  (le  Jéhova  des  Hébreux,  l'Adonaï 
des  Syriens,  le  Zeus  des  Grecs,  le  Tôt  des  Egyptiens, 
le  Brahma  des  Indiens,  etc.,  etc.  );  et  comme  le  rap- 
porte Morery  au  mot  Esus,  ou  bien  à  ce  dieu  terrible 
que  nous  ne  pourrions,  malgré  tout,  reconnaître 
dans  cette  effigie. 

Voilà  ce  que  rapporte  la  Tour-d'Auvergne  dans 
ses  Origines  gauloises  (1)  au  sujet  de  cette  divinité. 
H  Un  des  surnoms  de  Mars,  dans  la  langue  des  Celto- 
«  Scythes ,  était  Haesus.  Ce  dieu  présidait  au  car- 
«  nage,  et  était  regardé  par  les  Gaulois  comme  l'ar- 
«  bitre  souverain  de  la  guerre;  on  l'apaisait  par  des 

(i)  1À9  et  i5o. 


5o6  MEMOIRES  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

<  sacrifices  humains.  Haesus  Gallorum  deus,  idem 
«  cum  Marte  /  sic Lucan.G^Wï  Heusum atque Teuta- 
te  tem  humano  cruore  plaçant  ;  sic  Lactantius. 

<(  Et  quibus  immitis  placâtur  sanguine  diro 
«(  Tentâtes ,  horrensqufe  feris  altaribus  Haesus  ; 
tt  £t  Tanaris  Scythiœ  non  mitior  ara  Dianœ. 

LVGAIN. 

w  Les  Gaulois  représentaient  Haesus  ou  Mars  sous 
«  une  forme  hideuse.  Lucain  nou^apprend  que  les  sol- 
«  dats  romains^  qui  n'avaient  jamais  vu  dans  leur  pays 
«  de  dieux  d'une  figure  aussi  épouvantable^  furent 
«  saisis  d'effroi  la  première  fois  qu'ils  approchèrent 
«  du  sanctuaire  de  Mars  dans  les  Gaules.  (  Lucan. 
•c  lit.  ÏÏI,  V.  4ia  et  seq.).   . 

«  Hœsusy  en  breton^  veut  dire  horreur;  Hœususj 
ce  dans  la  même  langue^  signifie  horrible^  effroyable, 
te  Inde  Hasusus  ah  horrore,  sic  dictus,  quoniani  res 
<c  horrida  horrorem  incutit  spectatoribtas,  quasi  quod 
«  oculis  doleat  horrida  intueri.  » 

Gomment  est-il  possible  de  retrouver,  dans  les 
traits  et  dans  l'action  qui  occupe  cette  figure,  rien  qui 
justifie  ce  que  dit  Lucain  de  l'horreur  que  cette  di- 
vinité causait  aux  soldats   romains  en  la  voyant, 

M 

et  rien  qui  se  rapporte  au  culte  épouvantable  qu'on 
lui  rendait?  Ici,  la  physionomie  de  ce  personnage 
n'a  rien  d'extraordinaire ,  et  son  action  est  loin  de 
retracer  le  carnage.  L'artiste  eût  été  bien  maladroit 
de  représenter  un  dieu  dans  une  action  si  opposée 
aux  goûts  qu'on  lui  prête  ,  et  sous  des  traits  si 
peu  faits  pour  le  faire  reconnaître.  Toutes  ces  consi- 
dérations nous  portent  à  croire  que  cette  figure  est 


DES  ANTIQUAIIIES  b£  ÈRANCE.  ^  5oj 

celle  d'un  prêtre  ou  d'un  sacrificateur  gaulois ,  ocfcu- 
pé ,  si  ce  n*est  die  la  cueillette  du  gui  sacré,  du  moins 
dès  préparatifià  dti  culte  du  grand  Esus,  dont  le  nom 
se  trouvé  ici  comme  pour  indiquer  le  but  auquel 
cette  action  doit  se  rapporter.  On  doit  y  voir  encore 
le  mélange  des  divinités  romaines  avec  celles  des 
Gaulois ,  et  la  preuve  de  la  fusion  dés  deux  religions 
de  ces  peuples  :  adroite  concession  des  vainc^lieurs 
faite  aux  vaincus  (i). 

DES  UBIENS,  DE  COLONIJ  AGRIPPINA, 
COUi»  D'(«IL    SUR    L'HISTOIRE  DE    COLOGNE 

jusqu'à    nos  jouqs  , 
Par  M.  le  baron  de  Ladougbtts,  membre  résident. 

vJk  a  publié  ,  sur  Torigine  et  la  religion  des  Ger- 
mains, des  articles  remplis  de  recherches  profondes 
ou  ingénieuses  ;  mais  qui  ont  laissé  une  foule  de 
questions  indécises  (2).  Faute  de  monumens  anté- 
rieurs à  rinvasion  des  Romains ,  avouons  que  l'his- 
toire certaine  dé  ces  peuples  si  renommés  ne  com- 
mencé pour  nous  qu'à  l'arrivée  de  César ,  et  que, 

(1}  L'in^crîptiôâ  trouvée  avec  ce  monument  semble  indiquer 
qu'il  appartient  au  règne  de  Tibère ,  puisque  tout  ce  que  les 
fouilles  onl  miâ  à  jour  à  Tehdroit  où  il  a  été  découvert,  est  de 
cette  époque. 

{p)Foffez  Gelenius,  Taschenmacher  et  Augustin  Aldenbruck» 
dont  l'histoire  de  l'origine  et  de  la  religion  des  anciens 
Ubiens  a  été  traduite  du  latin  en  allemand,  avec  des  additions, 
piir  iosepti-GùilIaditie  Èrewéh — Cologne,  1820. 


5o8  MÉMOIRES  DE  LA  SOCIJBTJB  ROTALE 

sans  lui ,  sans  Tacite  ^  nous  n'aurions  aucune  notion 
précise  sur  leurs  mœurs  et  leurs  usages.  D'après 
Tacite,  ils  célébraient  dans  leurs  hymnes,  comme 
leurs  fondateurs,  un  dieu  Tuiston ,  fils  de  la  Terre , 
Mannus  à  qui  il  donna  le  jour,  et  les  trois  héritiers 
de  celui-ci.  En  allant  au  combat,  ils  invoquaient  Her- 
cule f  et  entonnaient  des  chants  avec  une  sorte  de 
cri  qu'on  nommait  bardit  :  ces  hjmnes  et  ces  chan- 
sons martiales  n'existent  plus ,  et  l'on  n'a  pu  recueil- 
lir aucun  de  leurs  débris.  Où  donc  trouver  des  détails 
sur  le  règne  de  Tuiston,  Tuston,  Tuiton  ou  Tuiskon, 
le  géant,  qui  portait  la  couronne,  Tan  du  monde 
181 2,  et  de  ses  dix  successeurs  :  Mannus  ;  Inghevon, 
d'où  seraient  descendus  les  Ingœvones;  Istevon, 
d'où  les  Istaevones  ;  Herminon,  d'où  les  Hermiooes; 
Marsus ,  père  des  Marses  ;  Gambrîvius ,  des  Gam- 
brives;  Sue  vus,  desSuèves;  Wandalus,  des  Wan- 
dales;  Tentâtes,  des  Teutons;  HerkulesÀlemannus, 
des  Allemands?  Avec  quelle  facilité  cette  généa- 
logie nous  révélerait  des  étjmologies  germaines! 
Ces  peuples,  dit  César,  n'avaient  que  des  divinités 
visibles,  et  dont  ils  ressentaient  l'influence,  le  soleil, 
lalune  et  le  feu.  Tacite  prétend  que  le  dieu  le  plus  ho- 
noré par  euxétaitMercure;  venaient  ensuite  Hercule, 
Mars,  Isis  à  laquelle  une  partie  des  Sue ves  donnait 
la  figure  d'un  vaisseau.  Cet  historien  nous  apprend 
que  les  Germains  rendaient  un  culte  aux  Druidesses 
Weleda,  Aurinia,  et  à  une  foule  d'autres.  Il  ajoute 
que  les  Angli  et  leurs  voisins  étaient  adorateurs  de 
la  déesse  Herthe ,  c'est-à-dire  de  la  Terre,  et  les 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE.  Sog 

Naharvales^  des  deux  Alcus,  qu'on  supposait  être 
Castor  et  PoUux.  Nos  auteurs  modernes  vont  plus 
loin;  ils  confondent  les  époques;  ils  s'appuient 
d'actes  de  conciles  ,  de  chartes  ,  de  sermons , 
de  momimens  postérieurs  à  l'époque  où  écrivait 
Tacite.  Sachant  que^  du  temps  de  Charlemagne,  les 
Saxons  avaient  des  croyances  venues  de  la  Scandi- 
navie ,  ils  donnent  à  T Allemagne  la  mythologie  de 
cette  péoipsule  (i).  C'est  ainsi  qu'ilsalTeclent  cha- 
que jour  de  la  semaine  germanique  à  des'  divinités 
qui,  presque  toutes,  lui  ontétélong^  temps  inconnues, 
et  dont  une  partie  lui  est  restée  étrangère.  heDi* 
manche  est  consacré  au  Sôleit,  dh  Sonne  ^  sous  le 
nom  de  Sunnendaeg.  L'astre  du  jour  est  représenté 
par  une  femme  vêtue  d'une  tunique,  la  tête  couverte 
d'une  auréole,  les  pieds  nus,  les  cheveux  flottans 
sur  les  épaules,  tenant  le  disque  du  soleil.  Lundis 
la  lune,/rfer  mond  (  Manendaeg  ),  un  jeune  homme 
presque  nu,  ayant  un  arc,  un  carquois/ une  lance:; 
son  air  est  mélancolique  ;  sous  sa  main  droite ,  est 
une  tête  de  jeune  fille,  entourée  d'une  coiffe  sur- 
montée d'oreilles,  et  dont  \e  ventre  ouvert  laisse 
voir  un  quartier  de  la  lune.  Mardis  Tuisco  (  Ty- 
s^esdaeg)f  sans  doute  le  premier  roi,  Tuiston.  Reyher 
nous  le  représente  sous  les  traits  d'un  vieillard  barbu, 
qui,  de  la  main  gauche,  tient  un  sceptre  tréflé,  et 

(i)  Od  peut  consulter,  sur  l'ancienne  religion  du  nord, 
Tapalyse  faite  par  M.  Depping,  du  mémoire  de  M.  Munter. 
{Vùyez  T.  II,  p.  216  des  Mémoires  de  la  Société  Royale  des  An- 
tiquaires de  France.) 


5lO  IMÉUOIABS  DB  LÀ  SPCIBT3  tiOY4LB 

tend  la  inain  droite  cpoiine  i^'il  voulait ,  bénir  quel* 
qu'uD.  {1  est  eatouré  d'une  draperie  qui  peud  sur 
son  épavile  g^uche^  et  qui  couvre  ta  moitié  desapui- 
triae,  le  ventre  ^  \e$  reins ,  jusqu'aux  genoux  et  U 
moitié  dç  la  jambe.  On  voit  à  nu  ses  deux  braa  y  ses 
piçd§f  le.  seii^  droit  :  sa  chevelure  ombrage  la  mmtié 
de  son  front,  où  deui^  touffes  s'élèvent  comme  de 
petites  cornes ,  elle  flotte  en  boucles  sur  ses.  épaules. 
Le  piéd^tal  sur  lequel  le  dieu  repose ,  est  figuré 
pomme  un  balustre  dont  l'épaisseur  est  forte  au- 
d^asQUSj  et  aurdes^us  très-légère.  Mercredi,  JVaden 
(  Wonsda^g^,  que  les  érodits  préteodejat  être  un  dieu 
saxon  >  Wodan,  d'où  ils  dérivent  Gotl,  Oden, 
Othin  y  et  l'on  j  trouvera  facilement  le  célèbre  Odin 
des  tribus  dû  nord  d^  l'Asie.  Il  paraît  présider  à  \^ 
guerre;  son  casque  est  surmonté  d'un  dragon ,  les 
^es  étendues  ;  Wodan  est  cuirassé ,  mais  sa  catte  de 
maiUe  diffère  de  celle  des  Romains;  cuirasse  y  bras* 
siardfi»  cuissards  )  tout  est  sans  orneniens;  à  sou  côté 
est  un  glaive  courbe  et  large ,  surmonté  d'une  tête 
d'oiseau  de  proie;  sa  main  droite  tient  une  hallebarde; 
sa  giauche,  un  bouclier  énprrne  sur  lequel  sontfigurés 
un  cheval  et  une  branche  de  chêne.  Le  dieu  porte 
une  moustache;'  ses  cheveux  et  sa  barbe  sox^t  couris 
et  crépus*  Jeudi;  Thony  (  Theunensdaeg.)  C'est  un 
vieillard  couvert  d'une  peau  de  cerf,  dont  les  bni^ 
s's^vancent  sur  sa  tête  :  le  vèlen^ent  est  bouto;ipé 
depuis  la  ceinture  Ji^sq^^au  co^.  Pe  U,  ipaifl  g^uclje, 
il  ûent  un  sceptre  syrmQnté  d'»n  Usj  s^  droite  e^t 
placée  comme  pour  bénir  quelqu'un  ;  autour  de  ^a 


DES  ANTIQUAIRES  pE  FRANCE.  5l  1 

tête  s'aiTon4it  une  couronne  d'étoiles;  elle  désigne 
la  majesté;  comme  le  sceptre,  la  domination.  Les 
étoiles  figurent  les  douze  signç^  du  zodiaque  ou  les 
douze  mois  don(  il  fut  le  soi^veraip  ;  elles  représen- 
tent aussi  les  sept  étoile^^  les  sept  planète^  ou  les 
sept  jours  de  la  semaine,  Thor  est  parfois  nonamé 
Asatlior^  Ase  ou  Akethor^  le  rapide  :  il  est  le  plus; 
fort  des;  dieux  et  des  IionApies;  son  pa\ys  se  nopiine 
JVheduanger  ( Sihvî  cpntre  la  peur);  spa  palais  a 
54q  étages  ;  Thor  présidp  au  tonnerre ,  à  la  pluie  et 
aux  vents ,  au  beau  temps  et  à  la  moisson  :  il  pro- 
tège les  hommes  contre  les  gçans.  D€;ux  bouc3 
traînent  soù  char;  mais  lorsqu'il  se  rend  au  conseil 
des  dieux,  il  va  seul  à  pied,  et  traverse  à  gué  les 
rivièresi.  Il  porte  le  marteau  (  Miolner  )  qui  fait  fré- 
mir les  géans  dès  qu'ils  le  voient  élevé  avec  son  gant 
de  fer,  parce  qu'il  a  déjà  frappé  beaucoqp  do  leuc§ 
pères.  Dans  les  voyages  qu'il  fit  en  Orient ,  il  se 
cacha  dans  le  trou  du  pouce  du  gant  d'un  géant  : 
on  lui  sacrifiait  une  couple  de  bœufs  £^veç  le  saipg 
desquels  on  se  teignait  la  tête.  Ce  dieu  a  donné 
son  nom  au  Jeudi j  qui,  pour  cette  raison,  s'ap- 
pelle encore  chez  les  Danois  et  les  Suédois,  Thors-- 
dag.y  et  che;ç  les  Anglais,  Thurs^ay.liïkov  passç  poqir 
être  Je  Taraoi  ou  Taramis  des  Celtes.  Vendredi^ 
Freya  y  (  Frigedaeg.)  Les  Germsiinç  avaient  con- 
sacré ce  jour  de  leur  semaine  à  ][a  déesse  fvéj% 
ou  Frea,  Feya,  Friga,  Frigga.  On  la  regarde 
comme  Tépouiie  de  Wpdan  pu  Othin,  Spn  busfip  est 
celui  d'un  homme  armé;  ^W-dessipviÇ ?  ^He  ç^t  çepr^- 


5 m  MÉWOIKES  DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

sentée  comme  une  femme  couverte  d'une  longue  tu- 
nique, à  la  manière  de  la  Minerve  romaine; sa  miain 
droite  tient  un  glaivenu,etlagaucherarcdes combats: 
on  lui  faisait  des  sacrifices  comme  à  la  déesse  de  la 
paix,  de  Tair ,  de  l'amour  et  de  l'hy menée.  Le  sixième 
jour  de  la  semaine^  où  elle  est  particulièrement 
honorée ,  s'appelle  de  son  nom  Fretag  ou  Frejtag. 
Samedi,  Seater  ou  Krodo,  {Satei^Dagg),  Krodo 
est  un  vieillard  dont  les  cheveux  et  la  barbe  sont 
courts  et  crépus;  il  est  couvert,  jusqu'au  milieu  de 
la  jambe ,  d'une  peau  de  lion,  dont  la  tête  lui  tient 
lieu  de  casque  ;  sa  main  droite  élevée  tient  une  roue 
avec  ses  rayons ,  et  dans  sa  gauche  penchée  est  une 
corbeille  pleine  de  fleurs  et  de  fruits,  dont  les  deux 
extrémités  voltigent  ;  ses  cuisses  sont  nues  ;  il  est 
chaussé  de  brodequins,  il  foule  aux  pieds  un  mons- 
tre marin.:  quelques  écrivains  l'ont  confondu  avec 
Saturne. 

Ne  nous  arrêtons  pas  plus  long-temps  sur  ces  rêves 
d'une  imagination  ambitieuse,  qui  veut  tout  con- 
naître, tout  expliquer;  venons  à  des  faits  mieux 
connus. 

Les  Suèves,  sorte  de  fédération  de  diverses  peu- 
plades qui  occupaient  la  plus  grande  partie  de  la  Ger- 
manie ,  et  qui  s'étendaient  sur  la  rive  droite  du  Rhin^ 
depuis  sa  source  jusqu'auprès  du  lieu  où  est  mainte- 
nant Cologne  „  pressaient  fortement  lesUbiens,  au- 
trefois puissans,  et  qui  furent  réduits  à  implorer  le 
secours  de  César.  Comme  ceux-ci  avaient  quelque 
commerce ,  ils  offrirent  des  bateaux  pour  le  passage 


DSS  ANTIQUAIRES  DE  FRANGE.  5l3 

des  Romains.  César  crut  au-dessous  de  sa  dignité  et 
de  celle  du  peuple-roi,  de  traverser  le  fleuve  autre- 
ment que  sur  un  pont;  il  nous  décrit  lui-même  corn- 
nxetit  il  le  construisit  en  dix  jours  ,  et  en  fortifia  les 
deux  extrémités.  Après  avoir  châtié  les  Germains  dans 
Fespace  de  dix-^huit  jours»  César  revint  sur  la  rive 
gauche^  fit  rompre  la  moitié  du  pont,  et  plaça  une 
.  tour  pour  protéger  la  partie  qui    en  subsista  vers 
la  Gaule.  Les  Ubiens  afiluèrent  à^on  camp;  mais  le 
corps  de  la  nation  ne  quitta  la  rive  droite  du  Rhin 
que  rari  717'  de  Rome,  87'  ans  avant  Jésus-Christ. 
Yispanius  Agrippa,  consul  sous  le  triumvirat,  et  qui 
fut  depuis  gendre  d'Auguste,  accueillit  ces  alliés  fi- 
dèles, en  forçant  des  tribus  d'Eburons  et  de  Condru- 
siens  à  se  retirer  plus  loin  dans  les  terres.  Suétone 
nous  apprend  «  qu'Auguste  transporta  dans  la  Gaule 
les  Ubiens  et  les  Sicambres  qui  se  donnaient,  et  qu'il 
les  plaça  dans  des  champs  sur  les  bords  du  Rhin.  » 
Horace  et  Ovide  célébrèrent  ces  succès  de  Tempe- 
reur.    Tacite ,  parlant  de  Témigration  des  Ubiens  : 
-  fc  Elle  est  déjà  ancienne,  dit-il;  une  fois  sfArs  de  leur 
fidélité  j  nous  les  plaçâmes  sur  le  bord  même  du 
fleuve,  pour  être  nos  gardiens,  plutôt  que  nous, 
•^  leurs  sur veillans  (i).»  Une  ville  s'éleva,  qu'on  appela 
Ubiùm ,  entourée  d'une  muraille  qui  avait  quatre 
portes  et  plusieurs  tours.  Agrippine  naquit  à  Ubium, 
pendant  les  guerres  de  son  père  Germanicus.  Elle 
obtint  de  l'empereur  Claude,  sa  époux,  d'y  trans- 
.  férer  une  colonie  de  vétérans  romains,  l'an  8o5i  de 

(1)  Traduct.  de  Dureau  de  Lamalle. 

IV.  35 


$l4  MBII0IBX6  DIE  LA  SOCIÉTÉ  AOTALE 

Romf ,  4^  ^^  1'^^  cbréti^Qoe.  La  vilk  dm  UbîclBs 
prit  le  nom  de  Golonia  Agrippioa*  I^  fondalnca  y 
fit  cODstraireuD  capitole,  plusieurs  teuiplesietpali^) 
un  prétoire,  une  place  d'^niiies.  La  fimne  typogra- 
phique de  Cologne  était  alors  à  peq  pri^s  ^j^^é^angfi- 
laîre  ;  le  Rhin  se  séparait^  au--defisus  de  la  ¥ÎUe ,  en 
deux  bras>  doot  Tuo  mouillait  les  umrs  et  le  pied  du 
.  capitoloi  et  Tautrë,  plus  tott,  se  dirigeait  à  lest; 
tous  deux  se  réunis^aieul  au-desspqs  de  la  cité,  çt 
formaieot  uue  île.  Colpgpe  acquit  successivem^at  p^e 
grande  impprtapce.  3es  fortifications  p 'ét^i^cJifiiRt  ; 
les  inurs^  qui  étaient  d'^ae  p^tpaçift^  e^tracnriUtt^lrC) 
furent  flanqués  de  diz-^ept  tours  rondes  o|i  depû- 
drculaires;op  ep. trouve  encore  des  restigi^s  ^  Ton^t 
de  la  Tîile.  Yitelliun,  Trajan  ^  Posthutnus  lYictoriiHJs 
Propulus,  furent  revêtus,  à  Cologne,  de  la  pourpre 
impériale ;Salonin us,  fils  de  Galfien  etprioqe'de  la 
jeunesse ,  y  fut  assassiné  (i)«  Constantin  j  fit  passer 
un  grand  nombre  de  Saxons  i  en  leur  permettant  4^ 
suivre  leurs  lois  et  leui*^  usages.  Les  France  s'^taiept 
emp&rés  de  cette  ville  en  S55  ;  Julien  la  rapvit,  Ja 
releva  »  rembellit  ^  la  re^di^  comfnerç wtiP  >  et  fi|ca 
auprès  d'elle  une  tribu  des  Francs  ^  laquelle  4onBa 
à  cette  partie  de  la  rive  gauche  4n  lUiîp  le  nom  de 
Ripuarie  j  de  Rip0 ,  rive  ;  lç§  lUpuaires  s'étaient  en- 
gagés à  la  défendre  contre  les  Gernt^$.  A.ttila  passa 

(i)  On  peat  consoltery  sur  le  sort  de  l'épouse  et  des  enfaDS 
de  Salçoioas  ^  rhistoire  9  antiquités,  elo.,  des  Hautes-Alpes  > 

artîirle  de  BrUnçon**^  Septembre  iftao,  chei  Fanttn^  Kbiaite, 
rue  de  Seine ,  n*  12.  % 


à  Gol(^de  cdmme  un  totreùt  dévastateur.  Ëgidius^ 
généfStl  romftiû^  s^y  fit  pt^odamei'  roi  d&  Itt  Ripuârié> 
dont  elle  était  la  capitale.  Ghildérie  le  Taioqiiit>  et^»dt 
pour  successeur^  à  Cologne^  son  cousin  Sig^iieni  dif 
le  Boiteux  ;  ce  dernier  fut  assassiné  pai^  son  Éls  Glo  - 
àéAU;  Clovis,  qu'on  accuse  d'avoir  consteilié  le  criiâe> 
fit  punir  le  meurtrier  de  la  peine  du  talion  >  se  rcrndii 
à  Cologne,  harangua  le  peuple^  et  {ni  proclamé  )^oi 
del&  ^pnarîe,  qu^il.réunit  à  la  Frattce^  en  lui  coti->- 
sertailt  sa  loi.  Thien^ ,  son  fils ,  ^  ttouvant  à  CM*- 
lons-suf^Marne ,  fit  rédiger  cette  lai  avec  celle  des 
Alletnands  et  des  Bavarois.  Plectrude ,  après  avoir 
dominé  en  Atistrasie  et  en  Neuslrie>  TOtalait  on  pré-^ 
sideir  la  régence ,  après  la  toôrt  de  Pépin ,  son  épùtàiè, 
sôus  le  nom  de  sOd  fils  Tbéobald ,  encore  dans  Ted'- 
fance;  elle  gardait  prisonnier  dans  le  palais,  Ohdr- 
les-Màrtel,  que  Pépin  avait  eu  de  sa  concubine  Al^ 
païde.  Charles  s'écbâppaj  e*,  après  dii^ers  àvaMagéfi», 
îi  s'empara  de  Cologne;  Plectru<iè  ki  àffant  r^itris 
le*  trésors  liojf du» ,  éBe  se  retira  dabs  m  *k)î»e. 
Charlemâgne  passa  deux  fête  le  ftbiû  k  Ool(^n€>  p^Nrt^ 
aller  faîrôla  gtierre  aux  S^hùon^-,  il  Ae  se  dovitaie 
guère  alors  qu'éû  89t  >  les  Ndtmdrnds  la  rafisigeraien^, 
ainsi  qu'un  grand  nombre  de  ^\lm  Mr  le*  Rhin.  L'his;-^ 

toire  ne  dit  paë  é  Ce  priUée  ^  M^viSÂe  feartea^l*,  àtt 
s'il  put  encore  profiter  dû  p^M^f  qve  CrniefiantiA  y 
atait  élevé,  Cest  dans  une  assembler?  générale  mi 
cODcile  que  Charlemagne ,  en  7&fi,  y  reçoit  les  son^ 
missions  àé^  Sucrons,  mais  «ifon  encé^e  celtes  de  Yi-^ 
tîkiud.  Ifù  concile  avait  etylieu  à  Cologfie  avant  son 

33* 


5l6  MIIKHRIS   OK  LA  SOClili  ROYALE 

règne,  et  dix-neuf  s'y  tinrent  après  lui.  Cette  ville 
avait. été  Tune  des  premières  du  Rhin  à  recevoir  le 
christianisme.  Saint-Materne  vint  y  prêcher  Tévan- 
gile,  et  il  y  bâtit  une  église  qui  devint  un  siège,  épis- 
CQpal.  Il  assista  au  concile  réuni  de  tout  Foccidenti 
par  ordre  de  Constantin ,  et  qui  s'ouvrit  à  Arles  le 
i~  août  5i4*  On  compte,  après Saint-Materne ,  dix 
évêques  de  Cologne  qui  j  fondèrent  des.presbjtères; 
des  abbayes, des  collégiales;  parmi  eux,  Ebrege- 
sile  n  fut  employé  en  plusieurs  ambassades  par^a 
reine-Brunehaut.  Suivant  la  plupart  des  historiens , 
le  premier  archevêque  de  Cologne  fut  Saint-Cuni- 
bert  y  gouverneur  du  fils  du  roi  Dagobert  et  .archi*- 
chancelier  d'Âustrasie.  Carloman  et  Pépin  ^  fikde 
Cbai'les-Martel,  donnèrent,  en  745,  ce  siège  métro- 
politain à  Saint  -  Boniface  qu'en  748  ils  transférè- 
rent à  Mayence.  Gnquante  ans  après ,  Gharlemagne 
rétablit  l'archevêché  à  Cologne,  et  en  revêtit  Hil- 
debolde,  qui  avait  le  titre  de  son  archi- chape- 
lain; et  qu'il  fit  appeler  en  8i4  pour  lui  adminis- 
trer les  sacremens.  Thégan  dit  que  ce  prélat*  était 
l'intime  du  prince ,  familiarissimum  imperatoris. 
Voyons  rapidement  ce  qui,  chez  les  successeurs  d!Hil- 
debolde,  peut  exciter  l'attention.  Fils  de  Henri-l'Oi- 
seleur,  et  frère  d'Othonl^',  Brunon  fut  à  la  fois 
archevêque  de  Golc^e  et  gouverneur  de  Lorraine, 
avec  le  titre  d'archiduc.  Il  laissa  un  nom  fameux. 
Ayant  appris  la  grammaire  dès  l'âge  de  quatre  aas, 
parlant  avec  facilité  les  langues  anciennes;  ce  prélat 
tenait  chez  lui,  à  Cologne,  à  Vienne,  à  Metz,  une 


DBS  ANTIQUAIRES  DIS  FRAICCE;  Ô17 

sorte  d'académie. Lorsque  l'empereur  voyageait  pour 
rendre  la  justice  »  BrUnon  se  faisait  suivre  de  sa  bi* 
bliothèqoe.  Il  ne  quittait  ses  travaux  littéraires  que 
pour  remplir,  au  nom  de  son  frère ,  des  missions  de 
paix,  ou  pour  porter  des  secours  aux  malheureux. 
Hérîbert  se  montra  le  plus  charitable  de  tous  les 
hommes^  lors  d'une  famine  qui,  au  commencement 
du  onzième  siècle,  désola  la  France  et  T Allemagne. 
Pellegrin ,  son  successeur,  éleva  l'église  collégiale 
des.  douze  apôtres^  nommé  archichancelier  d'Italie, 
il  entra  dans.  Rome  à  la  tète  de  vingt-mille  hotnmes, 
s'y  empara  du  prince  de  Gapoue ,  et  lé  livra  à  l'em- 
pereur. Saint-Annon,  ayant  fait  saisir,  en  id74,  le 
vaisseau  d'un  riche  marchand,  il  vit  tout  le.  peuplé 
se  soulever  contre  lui  jusque  dans  l'église;  il  en  bar- 
ricada les  portes,  et  s'enfuit  par  une  secrète  issue; 
rentré  à  Cologne ^  quatre  ans  après,  ses  soldats  pil- 
lèrent la  ville ,  dont  il  éloigna  six-cents  commer- 
çans.  Renaud  de  Dassel  livra  de  grands  combats  pour 
l'empereur,  en  Italie,  où  il  mourut  d'une  maladie 
épidémique  ;  Renaud  avait  ajouté  deux  tours  à  la 
'cathédrale ,  et  avait  rebâti  son  palais.  Philippe  de 
Heinsberg,  qui  lui  succéda,  menacé  par  l'empereur 
'Frédéric,  joignit  les  faubourgs  à  la  ville ,  en  l'entou- 
rant de  murs  qui  avaient,  dit-on ,  vingt-quatre  portes 
et  soixante  et  trois  tours;  Frédéric  obligea  les  hâbi- 
tans  à  abattre  uiie  de  ces  tours,  à  combler  une  partie 
des  fossés ,  et  à  lui  payer  264  marcs  d'or^  Ce  prince 
accorda  ensuite  au  prélat  une  partie  de  la  West- 
'pbalie  et  de  l'Angrie  ;  et,  depuis  ce  temps,  les  arche- 


5l8  3IÉM0IR£S  DE  £A  SdCI^TÉ  ROYALE 

véqves  ppr^èreiit  ie  ptve  *àe  daos  de  ces  proTÎnces* 
Engilberl  de  Bei^  fut  vicaire  en  AUemi^e  de  roa- 
poretir  Frédërie  etgouterneur  c|c  Henri^  qp'easiBle 
il  couronna  ;  ce  vertueux  prince  eccléMasIîqiie  fut 
assassiné ,  en  i  u35 ,  par  ordre  de  son  parent^  Frédé* 
rie ,  comte  dlsenbourg. 

Conrad  de  Hoefasteden  se  battit,  en  isèi^^y  contre 
Guittaume ,  comte  de  Juliers  »  qui  le  fit  prisonnier,  et 
en  exigea  une  rançon  de  4<><m>  marcs  d'ai^enl«  £a 
1  wifjy  il  vit  recevoir  chevalier  dfns  son  égUse  soie* 
tropolitaine  GuiUaimie,  comte  de  HoUande^  qm*û 
couronna  ;  ]^année  suivante >  à  Aix^la^^CkapeUe,  et 
qui  disputa  l'empire  d'Allemagne  à  Frédéric.  Apres 
la  mort  de  Guillaume,  Conrad,  en  ia57,  courom^ 
empereur,  à  Francfort,  Richard  d'Angleterre ,  qui 
tint  à  Cologne,  et  qui,  s'îniwesaant  àla  conatriiotiofi 
de  la  cathédrale  dont  s'occupait  Conrad ,  lui  accorda 
la  permission  d'une  quête  dans  la  Grande-Bretagne. 
Sept  années  auparavant^  Gompad  avait  fait  arrêter 
sans  motifs  le  fils  aioé  du  roi  de  Danemairk,  fwpash 
sait  par  Cologne,  et  il  ne  lui  avait  rendu  la  làierté  qu'a- 
près^  a  voir  reçu  6000  marcs  d'argent;  de  pareils  traits 
peignent  les  mœurs  de  cette  épûqûe.Ën  1.3S7,  à  la 
suite  d'une  révolte  des:  Coltonais ,  sur  lesquels*  Cowad 
iKiulait  s'arroger  àe:s>  ée^ààs.  despoûques.,  il  se  Ming^ 
»  Andernach>.Cependnnt  L'archevà^e  rénasît  à  s'at- 
taeberle  peuple^  et  surtout  les  tissermds^  el^,  en 
1259.,  il  cassa  le  magi^rat  pour  ic*  composer dlieÂ- 
mesr  à  sa  dévotion.  Ëngeil>ert  de>  Falbenhoiiirg  suir- 
eéda  9  son  stége  et  à  ses  prétentions:.  A  peine  inslatté^ 


D£S    àHflQUA^RB^   DB   ERÂNCE.  Sl^ 

il  prit  les  clefs  âe  la  ville ,  en  changea  les  officiers , 
établit  des  péages,  demanda  des  sommes  considé- 
ràMes.  Unë^sédition  f  ayant  obligé  à  se  retirer,  il  vint 
{ûétfre  le  siège  devant  Cologne,  et  profita  d'un  ari>t- 
trage  pour  en  tirer  d'abord  6000,  pois  goo  marcs. 
Les  Golonais  indignés  le  renfermèrent  dans  unehA- 
Cëllerie,  à  l'enseigne  du  Cheval,  rue  du  Rhin,  Ty  re- 
tinrent i4  jours,  et  furent  encore  obligés,  par  les 
princes  voisins  qui  s'établirent  médiateurs,  à  lui 
payer  4ooo  marcs.  Ce  fut  alors  qu'il  commença  à 
faire  bâtir  le  château  de  Bonn ,  et  qu'il  habitait  alter- 
nativement à  Briîhl,  Pappelsdorff  et  autres  châteaux 
appartenant  à  l'archevêché.  Depuis  dette  époque,  lés 
prélats  n'ont  plus  tenu  de  résidence  constante  dans 
la  ville,  quoique  maintes  fois  ils  y  séjournassent 
pendant  quelques  jom^.  On  voit  encore  autour  de 
Cologne  un  -chenlin  dit  Bisckoffsweg  (  chemin  de 
l'évéque  ),  dont  ils  se  servaient  lorsqu'ils  ne  vo>u- 
iaieil!  ou  ne  pouvaient  pas  entrer  dans  son  enceinte. 
Engelbert  vonlut  livrer  la  ville  à  ses  alliés.  Darts  Faf 
nuit  du  i4  octobre,  1^69,  un  savetier,  gagné  parles 
exilés  et  par  lé  duc  de  Limbourg^  les  comtes  de 
Gièves  et  de  Falkenbourg ,  pratiqua  une  ouverture 
au  travers  de  laquelle  ils  introduisirent  leurs  troupes; 
le  ihauvais  temps  les  ayant  forcés  de  chercher  un 
asile  daiis  des  maisons  et  granges  voisines ,  quarante 
chetâliers  colonais  se  rétînirent  et  chargèretit  l'en- 
nemi; lènr  <^ef,  Aiadiieu  Overstok,  ayant  été  blessé 
à  mort,  l^di^qta'on  le  rapportait  sur  un  bouclier,  il  dit 
aifr  pétale  qui  s'empressait  auloui^  de  lui  :  «  C'est 


520  Bl£MOiK£S  DE  LA  SOCIETE  ROYALE 

sur  votre  liberté  qu'il  faut  pleurer;  courez  La  défen» 
dre;  si  vous  triomphez^  je  mourrai  content.  »  Lesbpur* 
geois  s'armèrent  d'épées,  de  massues^  de  pertuisanes, 
et  la  ville  fut  sauvée»  Le  sénat  ordonna  un  service 
anniversaire ,  où  il  se  rendit  en  corps  à  Saint-Géréon. 
Ëngelbert  r  vaincu  dans  une  plaine  située  entre  Zul- 
pich  et  Lecbuich,  fut,  pendant  trois  ans^  prisonnier 
de  Guillaume^  comte  de  Juliers.  Son  suGGesse.ur9. 
Sifroy  de  Westerbourg,  qui  s'ét^t  distingué  dans 
cette  bataille,  prit  Juliers  et  presque  tout  ce  comté* 
  Worringen,  le  5  juin  1288,  il  fut  battu  par 
Adolphe,  comte  de  Berg,  qui  s'empara  de  sa  per- 
sonne. Sifroi  obtint  bientôt  sa  liberté  du  comte 
Adolphe.  Mais,  dans  sa  soif  de  vengeance,  il  réussit 
à  le  faire  enlever  dans  une  partie  de  chasse,  et  l'en- 
ferma à  Briihldans  une  cage  de  fer,  où  on  le  frottait 
de  miel,  et  on  l'exposait  nu  aux  rajons  du  soleil  (i)- 
Nous  ne  parlerons  pas  des  querelles  continuelles  avec 
la  ville  de  Cologne^et  des  guerres  terribles  dont  Ten- 
cbainemént  signala  le  règne  de  plusieurs  archevêques. 
On  fut  obligé,  à  la  fin  du  treizième  siècle,  de  nommer 
àtspaciaiies,  espèce  de  juges  de  paix,  qui  décidaient 
sur  les  différends  entre  la  noblesse  et  la  bourg:eoisie 
des  bords  du  Rhin.  Nous  ne  ferons  qu'indiquer  l'in- 
terdit qui  fut  jeté  sur  la  ville  de  Cologiie ,. à  cause 
des  atteintes  qu'elle  portait  aux  privilèges  de  Tordis 
clérical ,.  qui ,  en  i368,  avait  quitté  la  ville.  Venons  à 
Gebhard  Truchsès,  dont  le  cœur  fut  trjop  sensible. 
Il  embrassa  le  luthéranisme,  à  l'exemple  de  l'arche- 
vêque  Herman,  et  il  épousa  Agnès  de  Ms^nsfeld, 
(i)  Y.  P.  Mcrsaeus. 


chaDoiaesse  de  Gerisheim;  mais,  battu  par  le  parti 
catholique^  ayant  perdu  se^  états,  Gebhard  alla,  avec 
sa  belle  Agnès,  expier  par  la  misère,  en  Hollande, 
puis  à  Strasbourg,  sa  défection  et  ses  amourSé  Du 
reste,  les  Français  doivent  absoudre  les  électeurs  de 
Cologne  de  leur  esprit  guerrier.  S'ils  furent  mis 
souvent  au  ban  de  Tempire ,  c'était  pour  avoir  senti 
qu'un  même  système  poUticpie  ou  défensif  convenait 
aux  états  qui  sont  èn-déçà  du  Rhin.  Ainsi  Joseph 
Glétuent,  qui,  lors  d'une  élection,  l'emporta  sur  le 
cardinal  de  Furstemberg,  soutenu  par  Louis  XTV, 
devint  bientôt  l'allié  de  ce  roi. 

Mais  l'histoire  des  archevêques  nous  a  menés  trop 
loin  ;  il  faut  remonter  à  des  temps  antérieurs  pour 
faire  connaître  le  gouvernement,  les  germes  de 
prospérité,  les  dissentions  de  Cologne,  depuis  949 
où  Othon  l'avait  réunie  à  l'empire  d'Occident.  Ce 
prince  lui  accorda  de  grandes  immunités.  Son  épousé, 
Tbédphànie>  y  attira  des  fabricans  grecs /et  y  tipt 
une  cour  dont  le  luxe  était  inconnu  dans  cette  con- 
trée.; elle  y  fitiit  ses  jours,  elle  y  a  son' tombeau. 
Au  dixième  siècle ,  la  civilisation  avait  déjà  fait  beau- 
coup de  progrès  sur  le  Bas-Rhin  ;  la  population  s'é- 
tait si  fort  accrue  à  Cologne  que  l'ancienne  en- 
ceinle  des  Homains  ne  suffisait  plus;  de  nouvelles 
habitations  s'y  élevaient  de  toutes  parts  et  formè- 
rent des  faubourgs.  L'ile,  que  les  deux  branches 
du  Rhin  embrassaient^  fut  réunie  à  la  Terre  Ferme  ; 
le  bord  occidental  du  fleuve,  reculé  de  plus  de  cenV 
toises,  devint  un  des  quartiers  le  plus  populeux  de 


b22  MEMOIRES  DE  IK  SOCIETE  ROYALE 

la  ville  :  la  proximité  du  Rhin  favorisait  sioguUère- 
ment  le  trafic  des  marchandises  de  toute  espèce. 
Daâs  le  onzième  «îècle ,  le  commerce  de  Cologne 
parvint  à  un  haut  point  de  prospérité,  et  fit  sur  mer 
de  ^aodes  expéd^onsr  La  viUe  fut  revêtue  de  pri- 
vilèges emtraordinaiMs  par  divers  souverains  >  tels 
qn'OthOn  lY,  Guillaume  de  Hollande  5  Richard 
d'Angleterre  1  Albect  d'Autriche.  Le  premier  de  ces 
princes  Tavaift  élevée,  en  »  2 1  a  ^  an  Bang  de  viUe  lihre 
et  impériale. 

Sous  le  règne  de  Tempereur  Frédéric  y  elle  s'allia 
avecLubeck  et  les  autres  viUes  anséatiques  -,  la  hanse 
y  ttnt^  en  i364^  une  assemblée  d0i>t  émana  un  acte 
eélèhre  de  confédération. 

Les  artS'  et  les  sciences  étaient  cultivés  à  Cologne; 
aussi  le  Pape  Urbain  VI  lui  accorda ,  en  )  3$4 ,  une 
nniveiTSÎilé  «{tii  fut  regardée  comme  û\le  de  cette  de 

Cependant  les  patvieieds ,  tni5j$^  s^empdrèretff 
dtt  gouverneadent  die  b  ville  ^  e«  eb  châssèirent  la 
tribu  des»  tisserand»  ^  s'y  étaient  iotâroduîlâ  dçpAis 
deux  ans;  e'éteîent  dies  ittanuCâctiAfi^rs  de  d^9tpfif 
paissans  par  leiil*  neuàbre  «t  leurs  itiebesses*  Plu- 
sievrs  d'entre  eotx  furesft  décapités  à  iar  suite  4e 
scènes  sanglante^  ;  iin  glfand-  nombre  sttbit  le  ban- 
nissesDDent,  et  alla  s^ établir  à  Âuc^la^Ghapell»  et  à 
Mdntjoye  ;.  d^àutrés  enfin  ôbtiniseut  leur  grâlee  et 
contkicpèreiit  lenlr  industrie.  On  va  )usc|o'à  direqil'efi 
celte* oceasion  le  magistrat  roina^dan3dolQgiie  17,0061 
niiéliers.  En  i549  r  ^'  chassa'  ton»  les  Jiffe  à'(]m  l'on 


!>£&    ANTIQUA1U5  DK  FRANCE.  5a3 

imputa  de  commettre  des  sortilèges  et  d'avoir 
ameoé  la  peste  ;  le  peuple  se  livra  envers  eux  aux 
plus  barbares  excès. 

La  ville  avait  reçu  un  régime  aristocratique  ;  Tad- 
roinistratiou  fut  partagée  entre  quinze  familles  patri- 
cîeDues ,  et  divisée  ea  deux  conseils  >  dont  l'un  se 
nommait  le  conseil  intime,  et  l'autre  le  grand  con^ 
seil.  Ce  genre  de  gouvernement  empiétant  de  plus 
en  p)»s  sur  les  droits  do  peuple  >  Tinsurrection  éclata 
ie  4  )wvier  x  ^96  ;  dès  que  la  majorité  de  là  corn- 
Ya<iDa  se  fut  déclarée  contre  les  patriciens  ^  on  as^ 
saillit  le$  conseib  ;  deux  des  principaux  chefs  furent 
«aisiSi  et  00. leur  b*àncha  la  tâte  :  on  bannit  les 
autrei  ^  et  If  on  confisqua  leurs  biens^^ 

La  oemmlQfle  5  s'étant  constituée  le  a4  juin  sui* 
vMtji  s'c^çeupa  des  mesures  à. prendre  pour  affermir 
le  noKiTel  étal  des  choses  sur  des  bases  solides  >  et 
i^aUes  de  préteior.  le  Knouvellemenrt  des  fac- 
tÎ4Mis.  Ëlk  rédigea  w»  ù^nb^at  social  {verbund) , 
^ui  fat  pittclainé  k  i4:SepteB!dDire  iSgiSy  comme  loi 
iooéaoMiiÉale  de  f Etat }  cette  eoitistîtutîon  refK)saiît 
SOT  de»  pxuMipes  dtéttotevatâque»*  Lai  p<^pdiatàon  ^ 
visée  ev*  viogt^eux  tribus  ou  corps  de  métiersi , 
ékt  quaraate<neuf  séaatewsi  à  vie  ^  et  deux  boerg- 
meeatret  auxqwlsr  Itr  gouvernemei^t  de  la  ville  fut 
confié  Immédiatement  apiès>  les  vingt^^Cux  tifib^s 
nonimètrentquaâeanteHiuatre  déptités^  qui^  réutfis  au 
séncA  et  av^x  délégiAéa  de  TâMTchevê^e  ^  délibérèrent 
â«it  leS'  statuts  d'apffès  lescpiels  la  f u$tice  civibe  et 
criminelle  serait  administrée. 


524  MÉMOIRES  DÉ  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE 

Les  commissaires  chargés  de  la  confection  des 
codes  achevèrent  leurs  travaux  en  1437.  Ces  statuts^ 
acceptés  par  Tarchevéque  et  par  Tempereur ,  fo- 
rent mis  en  vigueur  dans  la  même  année  après  une 
proclamation  solennelle.  Cette  constitution  et  ces 
réglemens  maintinrent  la  tranqoiUité  daùs  Gek^e 
durant  un  siècle. 

En  i5î3^  une  révolte  des  plus  violentes  éclata. 
Deux  partis  également  puissans  se  reprochaient  mu- 
tnellement  des  exactions  ;  le  sang  des  citoyens  coula 
à  grands  flots  sur  les  places  publiques,  dans  les. 
rues^  suî^  les  échafauds. 

Enfin  les  troublés  s'apaisèrent ,  et  les  deux  partis 
convinrent  d'ajouter  quarante-un  articles  à  la  der- 
nière eonstitution  de  i^gG.  L'administration  fut 
confiée  à  six  bourgmestres,  dont  deux  régnaient 
alternativement  chaque  année ,  et  le  nombre  des 
sé&ateurs  fut  porté  à  cinquante-deux.  Chaque  tribu 
avait  en  outre  deux  députés  qu'on  nommait  les  çuor 
rante-quatre  ;  ils  avaient  droit  d'assister  aux  séances 
du  sénat ,  et  servaient  d'intermédiaires  entce  celui-ci 
et  les  tribus  ;  ils  étaient  les  défenseurs  nés  des  ilroit^ 
du  peuple.  Cette  loi  additiotinelle  fut  acceptée,  si- 
gnée par  toutes  lés  tdl>us^,  et  proclamée,  le  i5  dé- 
cembre de  la  même  année ,  sousle  titre.d!Arret  trdo- 
siloire.  {Trdnsfix  brief)^ 

C'est  d'après  cette  dernièi^e  constitution ,  religieo- 
se^nent  observée,  que  la  ville  libre  et  impériale 
de  Cologne  a  été  régie  etadministrée  tant  qu'adoré 
son  indépendance. 


DES  ANTIQUAIRES  DE  FAÂNCE.  $25 

En  1609^  après  deux  ans  de  troubles  ou  plutôt 
d'intrigues  politiques  et  de  tracasseries  tendant  à 
propager  la  réformation,  l'empereur  Rodolphe  in- 
tervint; un  concluêum  du  sénat  bannit  les  protes- 
tans ,  et  Ton  rendit  désert  un  sixième  des  maisons 
de  Cologne.  Mulheim  fut  Fasile  des  exilés;  de  village 
insignifiant,  il  devint  alors  une  ville  régulière- 
ment bâtie.  Un  nouveau  Maasaniello  s'éleva  à  Golo- 
gne  en  .  i683.  Nicolas  Giilicb,  sous  le  masque  de 
l'amour  du  bien  public,  cachait  une  ambition  déme-* 
suréev  II